Dimanche soir, à 19h30, dans la basilique vaticane, le Saint-Père a présidé la sainte messe de la nuit en la solennité de Noël du Seigneur 2023.
Au cours de la célébration eucharistique, après la proclamation du saint Évangile, le pape a prononcé l’homélie que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité.
« Le recensement de toute la terre » (Lc 2,1). C’est le contexte dans lequel Jésus est né et sur lequel l’Évangile s’attarde. Il aurait pu l’évoquer rapidement, mais il en parle avec précision. Ce faisant, il met en évidence un grand contraste : tandis que l’empereur compte les habitants du monde, Dieu y entre presque secrètement ; tandis que ceux qui commandent cherchent à s’élever parmi les grands de l’histoire, le Roi de l’histoire choisit la voie de la petitesse. Aucun des puissants ne le remarque, seuls quelques bergers, relégués aux marges de la vie sociale, le remarquent.
Mais le recensement en dit plus. Dans la Bible, il n’a pas laissé un bon souvenir. Le roi David, cédant à la tentation du grand nombre et à une prétention malsaine à l’autosuffisance, avait commis un grave péché précisément en recensant le peuple. Il voulait connaître la force et, après environ neuf mois, il avait le nombre de ceux qui pouvaient manier l’épée (cf. 2 S 24, 1-9). Le Seigneur s’indigna et un malheur s’abattit sur le peuple. En cette nuit, cependant, le « Fils de David », Jésus, après neuf mois dans le sein de Marie, naît à Bethléem, la ville de David, et ne sanctionne pas le recensement, mais se laisse humblement dénombrer. Un parmi d’autres. Nous ne voyons pas un Dieu en colère qui châtie, mais le Dieu miséricordieux qui s’incarne, qui entre faiblement dans le monde, précédé de la proclamation : « sur la terre paix aux hommes » (Lc 2,14). Et notre cœur ce soir est à Bethléem, où encore le Prince de la Paix est rejeté par la logique perdante de la guerre, par le fracas des armes qui, aujourd’hui encore l’empêche de trouver sa place dans le monde (cf. Lc 2,7).
Le recensement de toute la terre, en somme, manifeste d’une part la trame trop humaine qui traverse l’histoire : celle d’un monde qui cherche le pouvoir et la puissance, la renommée et la gloire, où tout est mesuré par des succès et des résultats, par des chiffres et des nombres. C’est l’obsession de la performance. Mais en même temps, le chemin de Jésus, qui vient nous chercher par l’incarnation, se distingue du recensement. Il n’est pas le Dieu de la performance, mais le Dieu de l’incarnation. Il ne renverse pas l’injustice d’en haut par la force, mais d’en bas par l’amour ; il n’éclate pas avec une puissance illimitée, mais descend dans nos limites ; il n’évite pas nos fragilités, mais les assume. Il n’évite pas nos fragilités, mais les assume.
Frères et sœurs, nous pouvons nous demander ce soir : en quel Dieu croyons-nous ? Au Dieu de l’incarnation ou au Dieu de la performance ? Oui, parce que nous risquons de vivre Noël avec une idée païenne de Dieu dans la tête, comme s’il s’agissait d’un maître puissant qui se trouve au ciel ; un dieu qui est lié au pouvoir, au succès mondain et à l’idolâtrie du consumérisme. Toujours revient la fausse image d’un dieu détaché et susceptible, qui se comporte bien avec les bons et se fâche avec les mauvais ; d’un dieu fait à notre image, utile seulement pour résoudre nos problèmes et supprimer nos maux. Lui, par contre, n’utilise pas de baguette magique, il n’est pas le dieu commercial du « tout et tout de suite ». Il ne nous sauve pas en appuyant sur un bouton, mais il est proche de changer la réalité de l’intérieur. L’idée mondaine d’un dieu distant et contrôlant, rigide et puissant, qui aide les siens à l’emporter sur les autres! Cette image est si souvent ancrée en nous. Mais il n’en est pas ainsi : il est né pour tous, lors du recensement de toute la terre.
Tournons-nous donc vers le « Dieu vivant et vrai » (1 Th 1,9) : vers Lui, qui est au-delà de tout calcul humain et qui pourtant se laisse compter par notre comptage ; vers Lui, qui révolutionne l’histoire en l’habitant ; vers Lui, qui nous respecte au point de nous permettre de le rejeter ; vers Lui, qui efface le péché en le prenant sur lui, qui n’enlève pas la douleur mais la transforme, qui n’enlève pas les problèmes de nos vies mais leur donne une espérance plus grande que les problèmes. Il désire tellement embrasser nos vies que, infini, il devient pour nous fini ; grand, il devient petit ; juste, il habite nos injustices. Frères et sœurs, voilà la merveille de Noël : non pas un mélange d’affections sentimentales et de confort mondain, mais la tendresse sans précédent de Dieu qui sauve le monde en s’incarnant. Regardons l’Enfant, regardons sa mangeoire, regardons la crèche, que les anges appellent « le signe » (Lc 2,12) : c’est bien le signe révélant le visage de Dieu, qui est compassion et miséricorde, tout-puissant toujours et seulement dans l’amour.
Il se fait proche, tendre et compatissant, c’est la manière d’être de Dieu : proximité, compassion, tendresse.
Sœurs, frères, émerveillons-nous car « il s’est fait chair » (cf. Jn 1,14). Chair : un mot qui rappelle notre fragilité et que l’Évangile utilise pour nous dire que Dieu est entré au plus profond de notre condition humaine. Pourquoi est-il allé si loin ? – parce qu’il se soucie de nous, parce qu’il nous aime tellement qu’il nous considère comme plus précieux que tout. Frère, sœur, pour Dieu qui a changé l’histoire lors du recensement, tu n’es pas un numéro, mais tu es un visage ; ton nom est inscrit dans son cœur. Mais toi, si tu regardes ton cœur, si tu vois que tu n’es pas à la hauteur, si tu regardes le monde qui juge et ne pardonne pas, peut-être que tu vis mal ce Noël, que tu penses que tu n’es pas à la hauteur, que tu nourris un sentiment d’inadéquation et d’insatisfaction à cause de tes fragilités, de tes chutes, de tes problèmes et de tes péchés. Mais aujourd’hui, laissez l’initiative à Jésus, qui vous dit : « C’est pour vous que je me suis fait chair, c’est pour vous que je suis devenu semblable à vous ». Pourquoi restez-vous dans la prison de vos chagrins ? Comme les bergers qui ont quitté leurs troupeaux, quittez l’enclos de vos mélancolies et embrassez la tendresse de l’enfant Dieu.
Et faites-le sans masque, sans armure, jetez-lui vos peines et il prendra soin de vous (cf. Ps 55, 23) : Lui, qui s’est fait chair, n’attend pas que tu réussisses, mais que tu ouvres ton cœur et que tu lui fasses confiance. Et en Lui tu redécouvriras qui tu es : un fils bien-aimé de Dieu, une fille bien-aimée de Dieu. Maintenant tu peux le croire, car ce soir le Seigneur est venu dans la lumière pour illuminer ta vie et ses yeux brillent d’amour pour toi. Nous avons du mal à croire que les yeux de Dieu brillent d’amour pour nous.
Oui, le Christ ne regarde pas les chiffres, mais les visages. Mais qui le regarde, au milieu des multiples choses et de la course folle d’un monde toujours occupé et indifférent ? Qui le regarde ? À Bethléem, alors que beaucoup de gens, pris dans l’ivresse du recensement, allaient et venaient, remplissaient les gîtes et les auberges en parlant de choses et d’autres, certains étaient proches de Jésus : c’étaient Marie et Joseph, les bergers, puis les mages. Nous apprenons d’eux. Ils se tiennent debout, les yeux fixés sur Jésus, le cœur tourné vers lui. Ils ne parlent pas, mais ils adorent. Cette nuit, frères et sœurs, c’est le temps de l’adoration : adorez.
L’adoration est la manière d’accueillir l’Incarnation. Car c’est dans le silence que Jésus, le Verbe du Père, se fait chair dans nos vies. Faisons aussi comme à Bethléem, qui signifie « maison du pain » : tenons-nous devant Lui, Pain de vie. Redécouvrons l’adoration, car adorer n’est pas perdre du temps, mais permettre à Dieu d’habiter notre temps. C’est faire fleurir en nous la semence de l’incarnation, c’est collaborer à l’œuvre du Seigneur, qui change le monde comme un levain. Adorer, c’est intercéder, réparer, permettre à Dieu de redresser l’histoire. Un grand conteur d’épopées écrivait à son fils : « Je t’offre la seule grande chose à aimer sur terre : le Saint Sacrement. Tu y trouveras le charme, la gloire, l’honneur, la fidélité et le vrai chemin de toutes tes amours sur terre » (J.R.R. TOLKIEN, Lettre 43, mars 1941).
Frères et sœurs, ce soir, l’amour change l’histoire. Fais-nous croire, Seigneur, à la puissance de ton amour, si différent de la puissance du monde. Seigneur, fais que, comme Marie, Joseph, les bergers et les mages, nous nous serrions autour de toi pour t’adorer. Rendu par Toi plus semblable à Toi, nous pouvons témoigner au monde de la beauté de ton visage.
Traduit de l’italien par Zenit