Rite Romain
XXXIème dimanche du Temps Ordinaire – 5 novembre 2023
Mal 1.14- 2.2.8-10 ; Ps131 ; 1Ths 2.7-9.13 ; Mt 23 : 1-12
- L’Amour et la Loi.
Dimanche dernier nous avons médité sur le premier et grand commandement, celui de l’amour de Dieu et sur le deuxième, qui est semblable au premier, celui de l’amour du prochain : « De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes » (Mt 22,40);
Dans l’Evangile de ce dimanche nous sommes appelés à approfondir le fait que l’amour ne s’oppose pas à la loi. Saint-Mathieu montre que, contrairement à ce que les scribes et les pharisiens pensent, Jésus ne méprise pas la loi et n’entend pas remplacer l’Amour à la Loi. L’Amour est l’achèvement de la Loi et lien de la perfection (cf. Col 3,14 ; Rm 13,10). Sans l’Amour, la Loi meurt et le Prophète s’éteint. L’Amour ne remplace pas la Loi mais l’observe. L’Amour n’est pas un sentiment vide et superficiel, il ne néglige pas la loi, il la vit pleinement. Il ne se contente pas de ne pas dire le faux, il cherche la vérité. Il ne se contente pas de ne pas tuer, il donne la vie. Non seulement il ne vole pas mais il vient à la rencontre des nécessités des frères.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, il apparait que, pour le Christ, la Loi n’est pas à réduire à série de préceptes à mettre en pratique. La Loi est la parole de Dieu qui indique sa volonté pour la vie. Jésus est le premier qui a réalisé cette volonté qui est un don que Dieu nous donne pour vivre en tant qu’hommes nouveaux dans l’amour. Celui qui observe les commandements, aime et suit toute la loi qui est le chemin de la vie.
Comme les Prophètes l’ont déjà continuellement rappelé, Jésus enseigne que la Loi est l’expression du soin avec lequel Dieu, en tant que pasteur, guide son peuple vers le chemin de la liberté.
Si nous écoutons la parole du Père comme le Christ l’a fait, nous la vivons comme lui, en pratiquant l’amour filial qui empêche que l’observation de la loi soit réduite à un vide rigide déshumanisé et légaliste, mais devienne un chemin d’authenticité et de sainteté, donc de maturité intégrale et donc pas pharisaïque.
- Fils, Frères et Serviteurs
En effet, le comportement contraire au pharisaïsme est la fraternité entre nous parce que nous sommes réellement des fils de Dieu (cf. 1Jn 3,1), qui est un Père qui aime jusqu’au don de son propre fils pour notre salut. Dieu est un Père qui n’abandonne jamais ses enfants. C’est un Père amoureux qui aide, accueille, pardonne, sauve avec une fidélité qui dépasse grandement celle des hommes pour s’ouvrir vers des dimensions d’éternité « parce que son amour est pour toujours (Ps136). L’amour de Dieu Père est toujours grand, ne se fatigue jamais de nous. C’est un amour qui donne jusqu’à l’extrême, jusqu’au sacrifice du Fils. Nous, fils dans le Fils, sommes appelés à vivre la morale chrétienne comme éthique de la fraternité qui devient praticable grâce à la communion eucharistique.
Cette communion sacramentelle n’est pas simplement une prière privée où le simple chrétien rencontre son Dieu. La communion sacramentelle est plus : elle est le sceau de l’appartenance des chrétiens entre eux à travers leur lien avec le Christ. Pour cela elle est la partie essentielle de la Sainte Messe dans laquelle nous célébrons notre union comme des frères à travers notre frère Jésus Christ.
La communion eucharistique
– est partie intégrante de cet évènement qui est la Sainte Messe ;
– est le sceau de la fraternité entre Dieu et les hommes et, à partir de Dieu, des hommes entre eux ;
– est l’inclusion de tous les hommes dans l’événement de la croix, et, de cette façon, tout le monde est remis à Dieu et donc reconduit à son sens authentique ;
– est l’appel de chaque chrétien à être un tabernacle vivant de Dieu dans le monde.
Comme tabernacles, portons l’amour dans le monde, en prenant conscience que le plus grand n’est pas celui qui a plus mais celui qui aime le plus grâce à l’amour qu’il porte en lui. Le monde a besoin d’amour et non de richesse pour fleurir. Et alors le plus grand de ce monde peut être une personne inconnue qui travaille dans le secret de sa maison ou dans les forêts d’Afrique ou d’Amazonie ou en cachette dans un petit bureau ou dans une usine. Jésus renverse notre idée de grandeur en disant : « vous êtes grands comme votre cœur est grand ». Nous sommes grands lorsque nous savons aimer, lorsque nous savons le faire comme Jésus en traduisant l’amour dans la divine folie du service : « Je suis venu pour servir et non pour être servi. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé » (Mt 23,11-12).
Cette folie est la nouvelle apportée par le Christ : Dieu est parmi nous et ne tient pas le monde à ses pieds, c’est Lui qui est aux pieds de tous. Dieu est le grand serviteur et non le patron. Servons-le parce que Lui, il est devenu notre serviteur.
Le service est ce qui permet l’instauration de la civilisation de l’amour où le plus grand est celui qui aime en servant. « En lavant les pieds aux apôtres, Jésus a voulu révéler la manière d’agir de Dieu envers nous et donner l’exemple de son commandement nouveau, celui de nous aimer les uns les autres comme lui nous a aimé, en donnant sa vie pour nous » (Pape François, 12 mars 2016). Le « service est le chemin à parcourir pour vivre la foi » en Jésus et c’est de donner le témoignage de son amour. Et l’amour est le service concret, un service humble fait dans le silence et en cachette. L’amour « demande » des œuvres et non pas seulement des paroles. Il demande « de mettre à disposition les dons que le Saint Esprit nous a donnés pour que la communauté puisse grandir et puisse s’exprimer dans le partage des biens matériels pour que personne ne soit dans le besoin ». Une tâche qui vaut non seulement pour les croyants, mais aussi pour tous : le partage et la dédicace à qui dans le besoin est un style de vie que Dieu demande à tous les chrétiens comme parcours d’humanité authentique et de sainteté.
Pour ce qui concerne le service, le Christ commande avec amour : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13,12-14). Ceci signifie que celui qui a plus, ce n’est pas pour tenir mais pour donner ; celui qui est plus n’a pas un privilège mais il a une mission.
Les dons et les charismes de Dieu sont pour l’utilité commune (cf. 1Cor 12). Nous sommes comme un corps avec divers membres – nobles et moins nobles – mais tous nécessaires pour le bien de tout l’organisme. Le service, la charité, la mise à disposition des autres n’est pas un surplus ou une aumône, mais une responsabilité et un devoir. Ils sont un droit des pauvres et des faibles, un droit revendiqué devant Dieu.
Cet « commandement » de servir est adressé de façon particulière aux vierges consacrées. En effet, l’Ordo virginum comprend des femmes vierges qui « en émettant le saint propositum de suivre le Christ de très près, sont consacrées au Christ par l’évêque diocésain selon le rite liturgique approuvé, « s’unissent en noces mystiques au Christ Fils de Dieu et se mettent au service de l’église » (CIC can. 604 § 1). La spécificité de la virginité consacrée est la nuptialité avec le Christ qui « acquiert la valeur d’un ministère au service du peuple de Dieu et intègre les personnes consacrées dans le cœur de l’Eglise et du monde » (Rite de la consécration des vierges, Praenotanda).
Les vierges consacrées s’intègrent dans ce parcours ecclésial par une référence particulière aux affections. En fait, à travers leur vie, en Lui donnant et à son règne toutes leurs forces d’amour, elles témoignent que chaque vocation est accueil de la charité de Dieu et réponse envers lui dans le service aux autres. Elles rappellent la source théologique de l’amour surtout à travers la virginité qui rappelle cette virginité du cœur et des affections qui naît et s’alimente de la communion intime et féconde avec le Seigneur.
Lecture patristique
Saint Paschase Radbert (+ 860)
Commentaire sur l’évangile de Matthieu, 10, 23
CCM 56 B, 1112-1113
Qui s’abaissera sera élevé (Mt 23,12). Non seulement le Christ a dit à ses disciples de ne pas se faire appeler maîtres et de ne pas aimer les premières places dans les repas ni aucun autre honneur. Mais il a donné lui-même, en sa personne, l’exemple et le modèle de l’humilité. Alors que le nom de maître lui est donné non par complaisance mais par droit de nature, car tout subsiste par lui (Col 1,17), il nous a communiqué, par son entrée dans la chair, un enseignement qui nous conduit tous à la vie et, parce qu’il est plus grand que nous, il nous a réconciliés avec Dieu (Rm 5,10). Comme s’il nous disait : N’aimez pas les premiers honneurs, ne désirez pas vous faire appeler maîtres (Mt 23,7), de même que ce n’est pas moi qui recherche ma gloire, il y a quelqu’un qui la recherche (Jn 8,50). Tenez aussi vos regards fixés sur moi, car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude (Mt 20,28).
Assurément, dans ce passage de l’évangile, le Seigneur instruit non seulement ses disciples, mais aussi les chefs des Églises, leur prescrivant à tous de ne pas se laisser entraîner par l’avidité à rechercher les honneurs. Au contraire, que celui qui veut devenir grand soit le premier à se faire comme lui le serviteur de tous (cf. Mt 20,26-27). Si quelqu’un trouve bon de désirer une haute charge (cf. 1Tm 3,1), qu’il désire l’œuvre que celle-ci permet de réaliser et non le grand honneur qui lui est attaché ; qu’il veuille aider et servir tous les hommes, plutôt qu’être aidé et servi par tous. Car le désir d’être servi procède de l’orgueil pharisaïque, et le désir de servir naît de la sagesse et de l’enseignement du Christ.
En vérité, ceux qui sollicitent les honneurs et les réclament pour eux-mêmes sont ceux qui s’élèvent. Et ceux qui se réjouissent d’apporter leur aide et de servir sont ceux qui s’abaissent pour que le Seigneur les élève.
Il faut encore remarquer que le Christ n’a pas parlé de celui que le Seigneur élève, mais qu’il a dit : Celui qui s’élève sera abaissé, de toute évidence par le Seigneur. Il n’a pas parlé non plus de celui que le Seigneur abaisse, mais il a dit : Celui qui s’abaisse volontairement sera élevé (Mt 23,12), en retour, par le Seigneur.
Ainsi, à peine le Christ s’est-il réservé tout particulièrement le titre de maître qu’il invoque la règle de sagesse en vertu de laquelle celui qui veut devenir grand doit être le serviteur (Mt 20,26) de tous. Cette règle, il l’avait exprimée en termes différents : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29).
Dès lors, quiconque veut être son disciple ne doit pas tarder à apprendre la sagesse dont le Christ affirme qu’il fait lui-même profession, car tout disciple accompli sera comme son maître (Lc 6,40). Au contraire, celui qui aura refusé d’apprendre la sagesse enseignée par le Maître, loin de devenir un maître, ne sera même pas un disciple.