Rite Romain
Is 5,1-7 ; Ps 79 ; Phil 4,6-9 ; Mt 21,33-43
1) Le Dieu fidèle
La première lecture, tirée du livre d’Isaïe 5,1-71, est un chef d’œuvre. Elle introduit la parabole de Jésus qui, ce dimanche encore, nous parle de la vigne et nous dit que la punition de Dieu est pour convertir et non pour détruire.
Ce prophète de l’Ancien Testament se sert de l’allégorie de la vigne pour décrire l’histoire du peuple d’Israël, quand il trahit l’amour de Dieu, choisi comme peuple élu pour annoncer que Dieu n’avait pas oublié les hommes et pour donner chair au Fils de Dieu.
Mais cette histoire d’infidélité – dit Isaïe – ne peut continuer à l’infini. La patience de Dieu a des limites et il y aura un jugement (5,3). Dieu s’attendait à de beaux raisins, mais la vigne en donna de mauvais (5,2). Hors métaphore : il en attendait la justice et voici l’oppression, il en attendait le droit et voici la malhonnêteté (5,7). Il ne reste alors plus que le châtiment : la vigne tombera en ruine, ne sera plus cultivée et des ronces et des épines pousseront au milieu. Mais le châtiment de Dieu n’est jamais pour toujours.
Les menaces de Dieu sont pour convertir, non pour détruire.
Et cela apparaît avec évidence dans la parabole racontée dans ce passage par le Christ, qui s’inspire du chant d’Isaïe sur la vigne, précisant que le péché des vignerons ne consiste pas seulement en une dure, mais générale désobéissance à Dieu. Leur péché réside dans le fait que les prophètes, voire même le Messie, fils de Dieu, sont tués.
Par ailleurs, alors que dans le chant d’Isaïe le maître s’attendait à de beaux raisins mais en eut de mauvais, dans la parabole il n’est d’abord pas question de fruits. Les paysans ne veulent pas reconnaitre le maitre comme tel. Voilà leur péché. Ils se comportent comme si la vigne leur appartenait. Et quand ils tuent le fils ils le disent clairement : ils veulent être les héritiers et devenir les maîtres.
Mais en refusant la seigneurie de Dieu, ils refusent la pierre angulaire, la seule qui soutient le monde. Sans la reconnaissance de Dieu, le monde ne peut tenir debout, la cohabitation se brise : « On peut construire un monde sans Dieu, mais ce sera toujours contre l’homme » (Card. Henri de Lubac).
2) Les pauvres d’esprit : les fidèles de Dieu
Dieu est toujours fidèle à son amour miséricordieux, à ses promesses. Et son projet de salut ne s’interrompt pas et ses exigences de vérité et justice ne sont pas mises de côté. C’est pourquoi Jésus, le Fils de Dieu, termine la parabole par une vision positive : l’histoire éternelle de l’amour de Dieu et de ma trahison ne finit pas sur un échec. Le péché ne bloque pas le plan de Dieu. L’issue de l’histoire sera bonne, la vigne généreuse de fruits, le Maitre ne gaspillera pas les jours éternels en vengeances. Pour révéler sa bonté qui ne réagit pas au mal, mais propose le bien, le Messie dit que la vigne est donnée à un Peuple nouveau, le reste d’Israël, les pauvres d’esprit, qui accueilleront humblement Jésus et son heureux évangile d’amour.
En ces petits, ces « rejetés » par le peuple comme « les constructeurs écartaient les pierres » ébréchées et impropres à la construction du Temple, le Seigneur devient « la pierre angulaire » du Nouveau temple, son corps ressuscité et vivant dans l’histoire. En eux se révèle la victoire de la patience infinie de Dieu sur tout critère religieux ou mondain de justice.
Aujourd’hui nous est offerte encore la possibilité de faire partie de ce « reste d’Israël », de ces pauvres d’esprit. Il suffit de nous reconnaître pécheurs, comme Pierre sur les rives du lac de Galilée quand il remit au Christ sa douleur et le Christ le confirma dans son amour. Il suffit que nous accueillions l’invitation d’aller travailler dans la vigne même s’il ne reste plus qu’une heure pour finir le travail. Il suffit que nous convertissions notre cœur pour transformer notre « non » en un « oui » amoureux.
Alors la « Vigne » sera retirée au vieil homme que nous étions et donnée à l’homme nouveau, pauvre, et donc capable d’accueillir avec stupeur et gratitude le pardon, humble pour obéir à l’Eglise. Saint parce qu’uni au Christ, le fruit que nous sommes appelés à offrir au monde.
Dans la vigne du Seigneur, dans son Eglise, tout est gratuit : l’innocence et la virginité de Thérèse de l’Enfant Jésus sont gratuites, comme est gratuit le témoignage jusqu’au martyre de Pierre et Paul, la conversion d’Augustin et de Charles de Foucauld, la science théologique de Thomas d’Aquin et de John-Henry Newman, le ministère de miséricorde de Padre Pio de Pietrelcina, la mission de charité de Mère Teresa de Calcutta. La longue liste des vierges consacrées : bien connues de l’Eglise comme Sainte Geneviève et sainte Marcelline, sœur de saint Ambroise, et bien connues de Dieu qui les a gravées dans son cœur.
A leur exemple, les vierges consacrées d’aujourd’hui, et nous avec elles, n’avançons aucun mérite, aucune prétention devant Dieu. Il ne regarde pas la quantité de nos prestations. Il regarde le cœur et attend de n’y trouver que notre amour, notre confiance, notre adhésion à son appel dans un total abandon et une totale confiance amoureuse. L’important est qu’humblement nous priions : « O Jésus, à l’ombre de Votre main, protégez-moi et accueillez-moi. Ouvrez-moi la porte de Votre Miséricorde ; marquez-moi du sceau de la Sagesse ; par votre Vérité, enlevez-moi à tous les désirs terrestres ; et faites qu’à la suave odeur de Vos Commandements, je Vous serve avec joie dans Votre sainte Église et que, de jour en jour, j’avance de vertu en vertu » (Gertrude de Helfta).
A lui qui a dit : « Je suis la vigne et vous les sarments que je rends féconds » disons merci du plus profond de notre cœur, et demandons humblement qu’Il nous accorde la grâce de rester toujours unis à lui dans le mystère éternel de la mort et de la résurrection, du don de soi au Père ».
Les vierges consacrées dans le monde ont offert et renouvellent leur don de soi « comme sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu » (Rm 12,1). En s’offrant ainsi elles se greffent au Christ comme les sarments à la Vigne et leur « être » avec le Christ est le secret de leur fécondité spirituelle.
Avec le Christ, ces femmes consacrées sont auprès des frères et sœurs en humanité, qui « cultivent » en prenant soin de leur bien.
Lecture Patristique
Saint Basile le Grand (330 – 379)
Homélies sur l’Hexaéméron, 5, 6 ;
version remaniée de SC 27, 304-307
Il te suffit de regarder la vigne avec intelligence pour te souvenir de ta nature. Tu te rappelles évidemment la comparaison faite par le Seigneur quand il dit qu’il est lui-même la vigne et son Père, le vigneron. Chacun de nous avons été greffés par la foi sur l’Église, et le Seigneur nous appelle des sarments, il nous exhorte à porter beaucoup de fruits, de peur que notre stérilité ne nous fasse condamner et livrer au feu. Il ne cesse, en toutes occasions, de comparer les âmes humaines à des vignes. Mon bien-aimé avait une vigne, dit-il, sur un coteau, en un lieu fertile (Is 5,1), et : J’ai planté une vigne, je l’ai entourée d’une haie (cf. Mt 21,33). Ce sont évidemment les âmes humaines que Jésus appelle sa vigne, elles qu’il a entourées comme d’une clôture, de la sécurité que donnent ses commandements et de la garde de ses anges, car l’ange du Seigneur campera autour de ceux qui le craignent (Ps 33,8). Ensuite il a planté autour de nous une sorte de palissade en établissant dans l’Église premièrement des Apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs.
En outre, par les exemples des saints hommes d’autrefois, il élève nos pensées sans les laisser tomber à terre où elles mériteraient d’être foulées aux pieds. Il veut que les embrassements de la charité, comme les vrilles d’une vigne, nous attachent à notre prochain et nous fassent reposer sur lui afin qu’en gardant constamment notre élan vers le ciel, nous nous élevions comme des vignes grimpantes jusqu’aux plus hautes cimes.
Il nous demande encore de consentir à être sarclés. Or une âme est sarclée quand elle écarte d’elle les soucis du monde qui sont un fardeau pour nos cœurs. Ainsi celui qui écarte de soi l’amour charnel et l’attachement aux richesses, ou qui tient pour détestable et méprisable la passion pour cette misérable gloriole, a, pour ainsi dire, été sarclé, et il respire de nouveau, débarrassé du fardeau inutile des pensées terrestres.
Mais, pour rester dans la ligne de la parabole, il ne nous faut pas produire que du bois, c’est-à-dire vivre avec ostentation, ni rechercher la louange de ceux du dehors : il nous faut porter du fruit en réservant nos œuvres pour les montrer au vrai vigneron.
1 Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais. Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne ! Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? Eh bien, je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie. La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris.” (Is 5, 1-7)