Dans la soirée du mercredi 2 août, le pape François s’est rendu à la chapelle du monastère des Hiéronymites à Lisbonne pour présider les vêpres lors d’une rencontre spéciale avec les évêques, le clergé, les religieux, les personnes consacrées et les agents pastoraux. L’homélie est présentée ci-dessous telle que communiquée par le Vatican .
Chers frères Évêques,
chers prêtres et diacres, personnes consacrées et séminaristes,
chers agents pastoraux, frères et sœurs, bonsoir !
Je suis heureux d’être parmi vous pour vivre, avec un grand nombre de jeunes, les Journées Mondiales de la Jeunesse, mais aussi pour partager votre cheminement ecclésial, vos luttes et vos espérances. Je remercie Monseigneur José Ornelas Carvalho pour les paroles qu’il m’a adressées. Je voudrais prier avec vous pour que, comme il l’a dit, nous devenions avec les jeunes, audacieux pour étreindre le “rêve de Dieu et pour trouver des voies de participation joyeuse, généreuse et transformante, pour l’Église et pour l’humanité”.
Je me suis immergé dans la beauté de votre pays, une terre de jonction entre le passé et l’avenir, un lieu de traditions anciennes et de grands changements, embelli par des vallées luxuriantes et des plages dorées donnant sur la beauté infinie de l’océan qui borde le Portugal. Cela me ramène au contexte du premier appel des disciples, que Jésus appela sur les rives de la Mer de Galilée. Je voudrais m’arrêter sur cet appel qui met en lumière ce que nous venons d’entendre dans la brève lecture des vêpres: le Seigneur nous a sauvés et nous a appelés non pas selon nos œuvres, mais selon sa grâce (cf. 2 Tm 1, 9). C’est ce qui s’est passé dans la vie des premiers disciples, lorsque Jésus, en passant, « vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets » (Lc 5, 2). Jésus monte alors dans la barque de Simon et, après avoir parlé aux foules, transforme la vie de ces pêcheurs en les invitant à prendre le large et à jeter leurs filets. Nous remarquons immédiatement un contraste: d’une part, les pêcheurs descendent de la barque pour laver leurs filets, c’est-à-dire pour les nettoyer, les garder en bon état et rentrer chez eux; d’autre part, Jésus monte dans la barque et les invite à jeter à nouveau leurs filets pour pêcher. Les différences sont manifestes: les disciples descendent, Jésus monte; ils veulent ranger les filets, Lui veut qu’ils soient jetés à nouveau à la mer pour pêcher.
Tout d’abord, les pêcheurs descendent de la barque pour laver leurs filets. C’est la scène que Jésus a sous les yeux et il s’y arrête précisément. Il vient à peine de faire sa prédication dans la synagogue de Nazareth, mais ses concitoyens l’ont chassé de la ville et ont même essayé de le tuer (cf. Lc 4, 28-30). Il sort alors du lieu sacré et commence à prêcher la Parole parmi les gens, sur les routes où les femmes et les hommes de son temps peinent chaque jour. Le Christ veut apporter la proximité de Dieu précisément dans les lieux et les situations où les gens vivent, luttent, espèrent, en serrant parfois dans leurs mains les échecs et les revers, tout comme ces pêcheurs qui n’avaient rien pris durant la nuit. Jésus regarde avec tendresse Simon et ses compagnons qui, fatigués et amers, lavent leurs filets, faisant un geste répétitif, mais aussi fatigués et résignés : il ne restait plus qu’à rentrer à la maison les mains vides.
Parfois, dans notre cheminement ecclésial, nous pouvons faire l’expérience d’une lassitude similaire lorsqu’il nous semble tenir dans nos mains que des filets vides. C’est un sentiment assez répandu dans les pays de vieille tradition chrétienne qui connaissent de nombreux changements sociaux et culturels, et qui sont de plus en plus marqués par la sécularisation, l’indifférence à l’égard de Dieu, un recul croissant de la pratique de la foi. Et cela est souvent accentué par la déception et la colère que certains ressentent à l’égard de l’Église, parfois à cause de notre mauvais témoignage et des scandales qui en ont défiguré le visage et qui appellent à une purification humble et constante, en partant du cri de douleur des victimes, toujours à accueillir et à écouter. Mais le risque, lorsque qu’on se sent découragé, est de descendre de la barque en restant pris dans les filets de la résignation et du pessimisme. Au contraire, nous devons apporter au Seigneur nos peines et nos larmes, pour ensuite affronter les situations pastorales et spirituelles en y faisant face avec ouverture de cœur, et en faisant ensemble l’expérience de nouvelles voies à suivre, confiants que Jésus continue à prendre par la main et à relever son Épouse bien-aimée.
En effet, dès que les apôtres descendent pour laver les outils utilisés, Jésus monte dans la barque et les invite à jeter à nouveau leurs filets. Il vient nous chercher dans nos solitudes et dans nos crises pour nous aider à recommencer. Aujourd’hui encore, il passe sur les rivages de notre existence pour réveiller l’espérance et dire à nous aussi, comme à Simon et aux autres: « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » (Lc 5, 4). Frères et sœurs, ce que nous vivons est certainement une époque difficile, mais le Seigneur demande aujourd’hui à cette Église: “ Veux-tu descendre de la barque et sombrer dans la déception, ou me laisser monter et permettre à la nouveauté de ma Parole de reprendre en main le gouvernail? Veux-tu simplement t’accrocher au passé que tu as derrière toi, ou bien jeter à nouveau avec enthousiasme les filets pour la pêche?” Voilà ce que le Seigneur nous demande: de réveiller notre préoccupation pour l’Évangile. Et nous pouvons dire qu’il s’agit d’une “bonne” préoccupation que l’immensité de l’océan vous donne, à vous Portugais: quitter le rivage non pas pour conquérir le monde, mais pour le réjouir de la consolation et de la joie de l’Évangile.
Nous pouvons lire dans cette optique les paroles de l’un de vos grands missionnaires, le père António Vieira, appelé “Paiaçu”, “père grand”: il disait que Dieu vous a donné une petite terre pour naître, mais qu’en vous ouvrant sur l’océan, il vous a donné le monde entier pour mourir : « Pour naître, peu de terre ; pour mourir, toute la terre : pour naître, le Portugal ; pour mourir, le monde » (A. VIEIRA, Homélies, Vol. III, Tome VII, Porto 1959, p. 69). Jeter de nouveau les filets et étreindre le monde avec l’espérance de l’Évangile: c’est à cela que nous sommes appelés ! Le moment n’est pas venu de s’arrêter et d’abandonner, d’amarrer la barque sur le rivage ou de regarder en arrière. Nous ne devons pas fuir ce moment parce qu’il nous ferait peur et nous réfugier dans des formes et des styles du passé. Non, c’est un temps de grâce que le Seigneur nous donne pour nous aventurer sur la mer de l’évangélisation et de la mission.
Mais, pour ce faire, nous avons aussi besoin de faire des choix. Je voudrais en indiquer trois, inspirés par l’Évangile. Tout d’abord, avancer au large. Pour jeter à nouveau les filets à la mer, il est nécessaire de quitter le rivage des déceptions et de l’immobilisme, de nous éloigner de cette tristesse douceâtre et de ce cynisme ironique qui nous assaillent face aux difficultés. Cela est nécessaire pour passer du défaitisme à la foi, comme Simon qui, après avoir peiné toute la nuit pour rien, dit: « Sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5, 5). Mais pour faire confiance chaque jour au Seigneur et à sa Parole, les mots ne suffisent pas, beaucoup de prière est nécessaire. Ce n’est que dans l’adoration, devant le Seigneur, que l’on retrouve le goût et la passion de l’évangélisation. On surmonte alors la tentation de mener une “pastorale de la nostalgie et des regrets” et on trouve le courage d’avancer au large, sans idéologies et sans mondanités, animé d’un seul désir: que l’Évangile parvienne à tous. Vous avez beaucoup d’exemples sur cette route et, puisque nous sommes entourés de jeunes, j’aimerais rappeler un jeune de Lisbonne, Saint João de Brito, qui, il y a des siècles, au milieu de nombreuses difficultés, est parti pour l’Inde et a commencé à parler et à s’habiller de la même manière que ceux qu’il rencontrait afin d’annoncer Jésus. Nous aussi, nous sommes appelés à plonger nos filets dans l’époque que nous vivons, à dialoguer avec tous, à rendre l’Évangile compréhensible, même si, pour le faire, nous risquons quelque tempête. Comme les jeunes qui viennent ici du monde entier pour défier les vagues géantes de Nazaré, nous avançons au large sans peur. Ne craignons pas d’affronter la haute mer car, au milieu de la tempête et face aux vents contraires, Jésus vient à notre rencontre et nous dit: « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » (Mt 14, 27)
Un deuxième choix: mener ensemble la pastorale. Dans le texte, Jésus confie à Pierre la tâche d’avancer au large, mais il parle ensuite au pluriel en disant « jetez les filets » (Lc 5, 4) : Pierre conduit la barque, mais tous sont dans la barque et tous sont appelés à jeter les filets. Et lorsqu’ils prennent une grande quantité de poissons, ils ne pensent pas y arriver tout seuls, ils ne considèrent pas le don comme une possession et une propriété privée, mais, dit l’Évangile, « ils font signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider » (Lc 5, 7). Ils remplissent ainsi deux barques, et non une seule. “Un” signifie solitude, fermeture, prétention à l’autosuffisance ; “deux” signifie relation.
L’Église est synodale, elle est communion, entraide, chemin commun. C’est ce à quoi tend le synode en cours qui aura, en octobre prochain, son premier moment en assemblée. Sur la barque de l’Église, il doit y avoir de la place pour tous: tous les baptisés sont appelés à y monter et à jeter les filets, en s’engageant personnellement dans l’annonce de l’Évangile. C’est un grand défi, surtout dans les contextes où les prêtres et les personnes consacrées sont épuisés parce que, alors que les besoins pastoraux augmentent, ils sont de moins en moins nombreux. Nous pouvons cependant considérer cette situation comme une occasion d’impliquer les laïcs dans un enthousiasme fraternel et une saine créativité pastorale. Les filets des premiers disciples deviennent alors une image de l’Église qui est un “réseau de relations” humaines, spirituelles et pastorales. S’il n’y a pas de dialogue, de coresponsabilité et de participation, l’Église vieillit. Je le dirais ainsi: jamais un Évêque sans son presbyterium et le peuple de Dieu ; jamais un prêtre sans ses confrères ; et tous ensemble – prêtres, religieuses, religieux et fidèles laïcs –, en tant qu’Église, jamais sans les autres, sans le monde. Sans mondanité, mais avec le monde. Dans l’Église, on s’aide, on se soutient les uns les autres, et on est appelé à répandre, également à l’extérieur, un climat constructif de fraternité. D’autre part, saint Pierre écrit que nous sommes les pierres vivantes utilisées pour la construction d’un édifice spirituel (cf. 1 P 2, 5). Je voudrais ajouter: vous, fidèles portugais, êtes aussi une “calçada”,vous êtes les pierres de valeur de ce pavement accueillant et splendide sur lequel l’Évangile doit marcher: pas même une pierre ne doit manquer, sinon on le remarque tout de suite. Voilà l’Église qu’avec l’aide de Dieu nous sommes appelés à construire!
Enfin, le troisième choix: devenir pêcheurs d’hommes. Jésus confie aux disciples la mission de prendre le large sur la mer du monde. Souvent, dans l’Écriture, la mer est associée au lieu du mal et des puissances adverses que les hommes ne parviennent pas à maîtriser. Par conséquent, pêcher les personnes et les sortir de l’eau c’est les aider à se relever de là où elles ont sombré, les sauver du mal qui risque de les engloutir, les ressusciter de toutes les formes de mort. L’Évangile, en effet, est une annonce de vie sur la mer de la mort, de liberté dans les tourbillons de l’esclavage, de lumière dans l’abysse des ténèbres. Comme l’affirme saint Ambroise, « les instruments de pêche des Apôtres sont les filets qui ne font point périr leur prise, mais la conservent et la retirent des abîmes à la lumière » (Exp. Luc. IV, 68-79). Dans la société actuelle, il y a beaucoup de ténèbres, même ici au Portugal.
Nous avons l’impression que l’enthousiasme, le courage de rêver, la force d’affronter les défis, la confiance dans l’avenir ont disparu; et, pendant ce temps, nous naviguons dans les incertitudes, dans la précarité économique, dans la pauvreté en amitié sociale, dans le manque d’espérance. C’est à nous, en tant qu’Église, qu’est confiée la tâche de nous plonger dans les eaux de cette mer en jetant le filet de l’Évangile, sans pointer du doigt mais en apportant aux hommes de notre temps une proposition de vie nouvelle, celle de Jésus: susciter l’accueil de l’Évangile dans une société multiculturelle ; rendre proche le Père dans les situations de précarité et de pauvreté qui se multiplient, en particulier chez les jeunes ; apporter l’amour du Christ là où la famille est fragile et les relations blessées ; transmettre la joie de l’Esprit là où règnent la démoralisation et le fatalisme. Un de vos écrivains a écrit: « Pour parvenir à l’infini, et je crois que nous pouvons y parvenir, nous avons besoin d’un port, d’un seul, sûr, et de là partir vers l’Infini » (F. PESSOA, Livro do Desassossego, Lisboa 1998, 247). Nous rêvons de l’Église portugaise comme d’un “port sûr” pour tous ceux qui font face aux traversées, aux naufrages et aux tempêtes de la vie.
Je vous remercie de tout cœur, frères et sœurs, pour votre écoute, pour ce que vous faites, pour votre exemple et pour votre constance. Merci beaucoup. Je vous confie à la Vierge de Fatima, à la garde de l’ange du Portugal et à la protection de vos grands saints, en particulier, ici à Lisbonne, de saint Antoine, apôtre infatigable, prédicateur inspiré, disciple de l’Évangile attentif aux maux de la société et plein de compassion pour les pauvres: qu’il intercède pour vous et vous donne la joie d’une nouvelle pêche miraculeuse. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.