Mariusz Swornóg, « Veritatis splendor », Basilique de la Présentation de Marie au Temple, Wadowice, Pologne © commons.wikimedia.org

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Regards sur l’évolution du droit de la bioéthique à la lumière de Veritatis splendor (I)

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« Les racines religieuses de l’action moralement bonne »

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« Allez ! De toutes les nations faites des disciples : … apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » (Mt 28, 19-20) Zenit, « Le monde vu de Rome », propose à partir de la perspective du Magistère de l’Église une étude en trois parties sur la législation de la bioéthique en France et dans le monde. Ici se pose la question : Sur ce sujet qui concerne les individus et les communautés, les représentants du culte trouvent-ils une place dans le débat public ?

1- Propos introductifs – Légiférer est un art difficile qui nécessite la mobilisation de connaissances en vue d’édifier un droit intelligible et clair. Plus fondamentalement, il importe de proposer du « bon droit », c’est-à-dire, des règles juridiques conformes à ce qui est bien moralement. Cette veille du cœur doit être d’autant plus attentive lorsque la personne humaine, sa nature même, est au centre du processus législatif. C’est le cas, en droit de la bioéthique. Cette branche du droit, qui interroge l’éthique, peut être définie par le prisme de la loi comme se rapportant aux « problèmes éthiques » et aux « questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » (art. L. 1412-1 du Code de la santé publique ; ci-après CSP).

Dans la perspective d’édicter du « bon droit », la recherche de la vérité demeure la « boussole » qui doit orienter le législateur, à défaut de quoi, le droit, détaché de toutes valeurs transcendantes, peut présenter comme vrai, ce qui est faux, présenter comme une valeur, ce qui doit être rejeté. « Lors des crises de valeurs que de temps à autre l’humanité traverse, elle [la transcendance de l’humanisme] est niée et oubliée. Le droit perd alors son sens et devient une simple mécanique, souvent une imposture ».

2- Dans Veritatis splendor, saint Jean Paul II livre un enseignement qui compte parmi les nombreux trésors de l’Église et dans lequel il est bon de puiser pour comprendre ce qu’est l’agir moral, l’éthique et ses rapports à la vérité, la vocation de l’Église dans le monde et le bien moral. Veritatis splendor peut également être reçu comme une source d’inspiration pour comprendre comment, pourquoi et avec quelles conséquences le processus d’élaboration du droit, bien que qualifié d’éthique s’agissant de certains principes et certaines règles, tient à distance la question du bien moral et de la vérité. 1

Nous prendrons successivement comme “assises”, des enseignements de l’encyclique, que nous mettrons en perspective avec des exemples tirés du processus de révision de la loi relative à la bioéthique qui a conduit à la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Le premier enseignement concerne les racines religieuses de la question de l’action moralement bonne. Quelle place a été réservée aux croyances et aux représentants des religions dans le processus légal de révision de la loi relative à la bioéthique ?

3- Veritatis splendor : Les racines religieuses de l’action moralement bonne. Question : quelle place dans le processus légal de révision de la loi relative à la bioéthique ?

Le pape Jean Paul II, à partir de l’évangile du jeune homme riche (Mt. 19, 16-22), pose d’emblée quel doit être l’alpha et l’oméga de toute réflexion se rapportant à « l’agir moral » :

« Il convient que l’homme d’aujourd’hui se tourne de nouveau vers le Christ pour recevoir de lui la réponse sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Le Christ est le Maître, le Ressuscité qui a en lui la vie et qui est toujours présent dans son Église et dans le monde. Il ouvre aux fidèles le livre des Écritures et, en révélant pleinement la volonté du Père, il enseigne la vérité sur l’agir moral. »2

De prime abord, cette exhortation pourrait sembler sans rapport avec l’élaboration de principes et règles juridiques éthiques, laquelle serait du ressort des autorités civiles.  Et le « jeune homme », qui interroge Jésus sur le bien moral à pratiquer et la vie éternelle, n’aurait qu’à poursuivre sa quête personnelle dans sa sphère privée, si d’aventure, il était confronté dans sa vie publique, à de telles questions d’intérêt général. Mais en réalité, cette logique imprégnée de laïcisme, doit être immédiatement écartée.

Nous donnant à méditer sur la réponse de Jésus, l’encyclique souligne quelle est la nature de la demande du « jeune homme » :

« s’interroger sur le bien signifie en dernier ressort se tourner vers Dieu, plénitude de la bonté. […] Jésus rapproche la question de l’action moralement bonne de ses racines religieuses et de la reconnaissance de Dieu, unique bonté, plénitude de la vie, fin ultime de l’agir humain, béatitude parfaite. »3

Qu’en est-il en droit de la bioéthique ? Est-ce que la dimension religieuse, spirituelle, fait partie de la notion d’éthique ? Comment est-elle intégrée dans le processus de révision de la loi relative à la bioéthique ? Quels constats en pratique ? Pour apporter quelques éléments de réponse à ces interrogations, deux observations seront formulées.

4- La première observation a trait au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (Ci-après CCNE).  Cette autorité « a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ou par les conséquences sur la santé des progrès de la connaissance dans tout autre domaine. » (Art. L1412-1 CSP) Parmi Ies quarante-cinq membres de cette institution, « cinq personnalités et appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles sont désignées par le Président de la République. » (Art. L1412-2, I 1° CSP)

La loi intègre donc dans la notion d’éthique, une dimension spirituelle, en associant des « familles spirituelles » au processus de production de la norme. Ce qui est un bienfait. Cela étant, au-delà de cette précision légale, quelle est la réalité politique ? Car c’est bien de cela dont il s’agit : cf. la désignation des cinq personnalités par le Président de la République.

5- Le renouvellement des membres du CCNE, en 2013, avait suscité de vives réactions en raison de l’absence de membres du clergé dans la nouvelle composition. À l’Assemblée nationale, des questions écrites avaient été posées, dont voici un extrait : « L’ensemble des autorités religieuses, comme toutes les personnes soucieuses de pluralisme, de démocratie et de libertés sont non seulement surprises mais furieuses de la mise à l’écart du monde religieux. En effet, il est partie prenante de la notion même d’éthique. »4 À ces questions, il avait été répondu formellement que « l’article L 1412-2 ne pose pas d’exigence d’une appartenance au clergé pour les représentants des grands courants spirituels ».5

Les questions écrites posées à l’Assemblée nationale attestent d’une soif de vérité et de Dieu dans le monde. La réponse à ces questions suggère une modification légale qu’il serait peut-être bon de proposer : « l’exigence d’une appartenance au clergé pour les représentants des grands courants spirituels. »

6- Depuis 2013, la situation n’a pas évolué, ce qui est très fortement dommageable. La confrontation des idées et le partage des croyances sont parents de la démocratie et gage de la liberté. La présence des autorités religieuses au sein du CCNE apporterait un éclairage précieux sur le sens et les limites à assigner aux techniques scientifiques, eu égard à ce qu’est la personne humaine dans sa dimension intégrale et donc, spirituelle. S’agissant la « contribution du Comité consultatif national d’éthique à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019 », on notera qu’aucune réflexion n’est envisagée sur la personne humaine, sa dignité transcendante, sa quête de vérité (v. parties II et III).

Indépendamment du processus légal de révision, à la veille de débattre du projet de loi, un document d’Église avait été publié afin de « permettre à chacun de se faire sereinement une opinion et de respecter la dignité de la procréation ».6 Un texte présentant les fondements de l’anthropologie catholique a également été présenté par la suite par le Conseil permanent des évêques de France : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? »7

7- La seconde observation est relative à l’audition commune de représentants du culte par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en date du 29 août 2019.8 D’une durée précise de deux heures vingt-cinq, cette audition n’avait pas pour objet de permettre aux représentants du culte qui étaient présents, de s’exprimer globalement sur le sens des avancées scientifiques concernées et des limites éthiques. L’objectif était de recueillir leurs analyses, observations, suggestions sur un projet de loi et des choix politiques arrêtés. Pragmatisme et temps contraint, donc.

8- Parmi les points d’attention énoncés par les représentants des cultes, lors de l’audition, on relèvera tout d’abord la demande réitérée d’auditionner les religions avec des laïcs. Ce souhait, formulé par M. le Pasteur François Clavairoly, exprime le désir d’un partage des intelligences, de la foi, des croyances, qui manque aujourd’hui dans le processus d’élaboration de la loi relative à la bioéthique.9 Ce point avait été déjà été indiqué,  lors de la “table ronde des représentants des religions”, dans le cadre de la “Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique”.10 En outre, une interrogation avait été posée sur le calendrier adopté, soulignant que l’audition des représentants des religions se tenait après les États généraux sur la bioéthique et après la publication de l’avis du CCNE.11

On peut retenir ici qu’un certain nombre d’éléments dans le processus de révision de la loi relative à la bioéthique ne sont pas satisfaisants, eu égard aux racines religieuses de la question de l’agir moral : l’absence de représentants des religions au sein du CCNE, la méthodologie d’auditionner ces derniers “en bloc” ainsi que le calendrier de révision, lequel n’intègre pas suffisamment en amont les religions, porteurs d’une “sagesse collective”, dans le processus de révision de la loi.12

9- Ensuite, c’est l’imprécision des principes éthiques qui a été portée à l’attention du législateur. Comme a pu le souligner Mgr Pierre d’Ornellas lors de l’audition : « Pour maintenir l’amitié judéo-chrétienne et aller dans le sens du grand rabbin, puisque le projet de loi affirme qu’il garantit le maintien des principes éthiques, il faudrait peut-être mettre au point, expliciter clairement ces principes éthiques qui ont construit le modèle français de bioéthique. »13

Naturellement, on l’aura compris, celui qui veut éviter de faire la lumière sur le sens à donner aux principes éthiques, pour mieux faire avancer sa cause, a tout intérêt à faire en sorte que cette question demeure à la surface des choses. Or de ce point de vue, le positivisme est l’arme efficace… passez, il n’y a rien à voir !

L’explicitation des principes éthiques, de leur substance, est pourtant une question cruciale et urgente. Elle est réclamée de part et d’autre, y compris, de manière « subliminale », par le Conseil d’État à propos de la gestation pour autrui :

« En l’état de la jurisprudence, rien ne permet […] d’affirmer que la légalisation de la GPA serait inconstitutionnelle, alors même qu’elle heurte la substance même du modèle bioéthique français tel qu’il existe aujourd’hui. S’il ne fait pas de doute que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine a valeur constitutionnelle et constitue la matrice des principes bioéthiques (primauté de la personne humaine, respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, inviolabilité, intégrité, absence de caractère patrimonial du corps humain et intégrité de l’espèce humaine), ces derniers n’ont pas bénéficié de la même consécration constitutionnelle. Il faudrait par conséquent considérer que la GPA constitue par elle‐même une pratique contraire à la dignité de la personne humaine pour qu’une loi légalisant cette pratique soit regardée comme inconstitutionnelle. »14

10- Comme le soulignait le Professeur Bruno Oppetit, dans son ouvrage de philosophie du droit, « la légalité formelle ne fournit pas toutes les réponses à toutes les questions ».15 En l’occurrence, le droit positif est impuissant à répondre à la question de “la substance même du modèle bioéthique français tel qu’il existe aujourd’hui”, pour reprendre la formule du Conseil d’État.

Pour pouvoir avancer sur cet aspect fondamental, il est indispensable de repenser la place des cultes dans le débat public de manière à insuffler, dans le processus d’élaboration de la loi relative à la bioéthique, une réflexion qui dépasserait les aspects techniques et scientifiques et prendrait en compte la dimension spirituelle de la personne humaine et sa quête de vérité.16

 

Céline Bloud-Rey, maître de conférences (droit privé)

 

1 Vis « Transcendance », P. Malaurie, avec les illustrations de M. Cornu, in Dictionnaire d’un droit humaniste, éd. Univ. Panthéon-Assas, LGDJ, 2015, p.243.

2 Lettre encyclique, VERITATIS SPLENDOR du souverain pontife Jean-Paul II à tous les évêques de l’Église catholique sur quelques questions fondamentales de l’enseignement morale de l’Église, n°8 (Ci-après VS).

3 VS, n°9.

4Assemblée Nationale, XIVe législature, Question n°39571, Question publiée au JO le : 08/10/2013, Réponse publiée au JO le : 25/02/2014 page : 1776, Date de renouvellement : 28/01/2014 ; Question n°39572, Question publiée au JO le : 08/10/2013.[1] Réponse publiée au JO le : 25/02/2014 page : 1776.

5 Réponse publiée au JO le : 25/02/2014 page : 1776.

6 Conférence des évêques de France, « La dignité de la procréation PMA – Révision de la loi bioéthique », Documents d’Église, 2018, Bayard Éditions – Mame Les Éditions du Cerf.

7 Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? Éléments d’anthropologie catholique, Préf. de Mgr Michel Aupetit, Postface de Mgr Jean-Pierre Batut, Documents d’Église, Bayard Éditions – Mame Les Éditions du Cerf.

8 Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique – Audition commune de représentants de cultes : M. le Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique, Conférence des évêques de France, 29 août 2019, Séance de 15 heures Compte rendu n° 13 SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019, p.

9 Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, p.32.

10 Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique – Table ronde des représentants de religions : M. François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et Mme Aude Millet-Lopez, responsable de la communication, Rabbin Michaël Azoulay, du grand rabbinat de France, Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la Conférence des évêques de France, M. Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman 30 octobre 2018, Séance de 17 heures 20 Compte rendu n° 56 SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019 Présidence de M. Xavier BRET p.11, p.13

11 Question de M. Anouar Kbibech in Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique, p.13.

12 Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique, p. 11, p. 13, p.22; Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, p.21-22.

13 Assemblée nationale, XVe législature, Compte rendu Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, p.19.

14 Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? Étude adoptée en assemblée générale le 28 juin 2018, Conseil d’État, section du rapport et des études, p. 80. Souligné par nos soins.

15 B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, Précis, 1999, n°7 p. 17.

16 Rappr. Sur « l’humain » qui est « corps-psyché-esprit » en relation », Père Thierry Magnin, professeur, physicien, recteur de l’Université catholique de Lyon, in Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique Mardi 30 octobre 2018 (Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission) compte rendu n°54, passim.

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