Card. Cantalamessa, 26 mars 2021 © Vatican Media

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« Dieu est Amour ! »

Prédication de Carême du cardinal Cantalamessa (3/5)

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Troisième prédication de Carême du P. Raniero Card. Cantalamessa, ofmcap

Traduction de litalien par Cathy Brenti

 

Nous avons besoin de la théologie !

Pour votre consolation et la mienne, Saint-Père, Vénérables pères, frères et sœurs, cette méditation sera entièrement et uniquement centrée sur Dieu. La théologie – c’est-à-dire le discours sur Dieu – ne peut rester étrangère à la réalité du Synode, de même qu’elle ne peut rester étrangère à aucun autre moment de la vie de l’Église. Sans la théologie, la foi deviendrait aisément une répétition morte ; il manquerait l’instrument principal de son inculturation.

Pour accomplir cette tâche, la théologie a elle-même besoin d’un renouveau profond. Ce dont le peuple de Dieu a besoin, c’est d’une théologie qui ne parle pas de Dieu toujours et uniquement « à la troisième personne », avec des catégories souvent empruntées au système philosophique du moment, incompréhensibles en dehors du cercle étroit des « initiés ». Il est écrit que « le Verbe s’est fait chair », mais en théologie, le Verbe ne s’est souvent fait qu’idée ! Karl Barth augurait l’avènement d’une théologie « pouvant être prêchée », mais il me semble que ce souhait est encore loin d’être réalisé. Saint Paul écrit :

« L’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. […] Personne ne connaît ce qu’il y a en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. Or nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a accordés[1]. »

Mais où trouver désormais une théologie qui s’appuie sur l’Esprit Saint, plutôt que sur des catégories de sagesse humaine, pour connaître « les profondeurs de Dieu » ? Dans ce but, il faut recourir à des matières dites « optionnelles » : à la « théologie spirituelle », ou à la « théologie pastorale ».  Henri de Lubac écrivait : « Le ministère de la prédication n’est pas la vulgarisation d’un enseignement doctrinal à forme plus abstraite, qui lui serait antérieur et supérieur : il est, sous sa forme la plus haute, l’enseignement doctrinal lui-même. Cela était vrai de la première prédication chrétienne, celle des apôtres ; cela l’est également de ceux qui leur succèdent dans l’Eglise : les Pères, les Docteurs et nos Pasteurs à l’heure actuelle[2] ».

Je suis convaincu qu’il n’y a aucun contenu de foi – aussi élevé soit-il – que l’on ne puisse rendre compréhensible à toute intelligence ouverte à la vérité. S’il y a une chose que nous pouvons apprendre des Pères de l’Église, c’est que l’on peut être profond sans être obscur. Saint Grégoire le Grand dit que l’Écriture Sainte est « un fleuve immense, aux grandes profondeurs et aux rives basses, où l’éléphant peut nager et l’agneau barboter[3] ». La théologie devrait s’inspirer de ce modèle. Chacun devrait pouvoir y trouver son compte : le simple, sa nourriture, et le savant, une nourriture raffinée pour son palais. Sans compter que ce qui reste caché « aux sages et aux savants » est souvent révélé aux « tout-petits[4] ».

 

Mais je m’excuse de trahir ma promesse initiale. Ce n’est pas un discours sur le renouveau de la théologie que j’entends faire ici. Je ne pourrais le faire à aucun titre. Je voudrais plutôt montrer comment la théologie, comprise dans le sens mentionné, peut contribuer à présenter le message de l’Évangile de manière significative à l’homme d’aujourd’hui et à donner un nouveau souffle à notre foi et à notre prière. La réflexion servira, à tout le moins, à nous sortir un instant des sables mouvants des débats actuels dans l’Église qui nous obligent à nous occuper plus souvent de sexe que de Dieu.

La plus belle nouvelle que l’Église a pour tâche de faire résonner dans le monde, celle que tout cœur humain attend d’entendre, c’est : « Dieu t’aime ! » Cette certitude doit défaire et remplacer celle que nous portons en nous depuis toujours : « Dieu te juge ! » L’affirmation solennelle de Jean : « Dieu est amour[5] » doit accompagner, comme une note de fond, toute annonce chrétienne, même lorsqu’elle doit nous rappeler, comme le fait l’Évangile, les exigences pratiques de cet amour.

Lorsque nous invoquons l’Esprit Saint – comme actuellement à l’occasion du Synode – nous pensons avant tout à l’Esprit Saint comme lumière qui nous éclaire sur les situations et nous suggère les justes solutions. Nous pensons moins à l’Esprit Saint comme amour, alors que c’est la première et la plus essentielle opération de l’Esprit dont l’Église a besoin. Seule la charité édifie ; la connaissance – même théologique, juridique et ecclésiastique – ne fait souvent que gonfler et diviser. Si nous nous demandons pourquoi nous sommes si avides de connaître (et aujourd’hui si excités à la perspective de l’intelligence artificielle !) et si peu au contraire soucieux d’aimer, la réponse est simple : c’est que la connaissance se traduit en pouvoir, l’amour en service !

Henri de Lubac, encore lui, écrit : « Il faut que le monde le sache : la révélation de l’Amour bouleverse tout ce qu’il avait conçu de la divinité[6] ». Aujourd’hui encore, nous n’avons pas fini (et nous ne finirons jamais) de tirer toutes les conséquences de la révolution évangélique sur le Dieu amour. Dans cette méditation, je voudrais montrer comment, à partir de la révélation de Dieu comme amour, les principaux mystères de notre foi – la Trinité, l’Incarnation et la Passion du Christ – s’éclairent d’une lumière nouvelle et comme il devient plus facile de les faire comprendre aux hommes.

Pourquoi la Trinité

Commençons par le mystère de la Trinité : pourquoi, nous, les chrétiens croyons-nous que Dieu est un et trine ? Il m’est arrivé plus d’une fois de prêcher la parole de Dieu à des chrétiens vivant dans des pays à majorité islamique, où il y a cependant une relative tolérance et une possibilité de dialogue, comme c’est le cas dans les Émirats Arabes. Il s’agit de personnes, pour la plupart immigrées, employées comme ouvriers. Elles m’ont parfois demandé ce qu’il fallait répondre à la question qui leur est posée sur leur lieu de travail : « Pourquoi vous, les chrétiens, vous dites-vous monothéistes, si vous ne croyez pas en un seul et unique Dieu ? »

Je dis ce que je leur ai conseillé de répondre, parce que c’est là l’explication que nous devrions nous donner à nous-mêmes, et à ceux qui nous posent cette même question. Nous croyons en un Dieu un et trine parce que nous croyons que Dieu est amour. Tout amour est l’amour de quelqu’un, ou de quelque chose ; on ne donne pas d’amour dans le vide, sans objet, tout comme on ne donne pas de connaissance qui ne soit connaissance de quelqu’un ou de quelque chose.

Qui aime Dieu au point d’être défini comme amour ? L’univers ? L’humanité ?  Mais alors il n’est amour que depuis quelques dizaines de milliards d’années, depuis que l’univers physique et l’humanité existent. Auparavant, qui aimait Dieu pour être l’amour, puisque Dieu ne peut pas changer et commencer à être ce qu’il n’était pas auparavant ? Les penseurs grecs, concevant Dieu avant tout comme « pensée », pouvaient répondre, comme le fait Aristote dans sa Métaphysique : Dieu se pensait lui-même, il était « pure pensée », « pensée de pensée[7] ».  Mais cela n’est plus possible, dès lors que l’on dit que Dieu est amour, car le « pur amour de soi » ne serait qu’égoïsme ou narcissisme.

Et voici la réponse de la révélation, définie lors du Concile de Nicée en 325. Dieu est amour depuis toujours, ab aeterno, parce qu’avant même qu’il y eût à aimer un objet extérieur à lui, il avait en lui le Verbe, « le Fils unique » qui aimait d’un amour infini qui est l’Esprit Saint. Si « au commencement était le Verbe[8] », cela signifie qu’au commencement était l’amour !

Tout cela n’explique pas comment l’unité peut être en même temps trinité, mystère que nous ne pouvons pas connaître parce qu’il ne se produit qu’en Dieu. Mais il nous aide à comprendre pourquoi, en Dieu, l’unité doit aussi être communion et pluralité. Dieu est amour, il est donc Trinité ! Un Dieu qui serait pure connaissance ou pure loi, ou puissance absolue, n’aurait certainement pas besoin d’être trine. Cela compliquerait en effet les choses. Aucun triumvirat ni aucune dyarchie n’ont jamais duré longtemps dans l’histoire !

Les chrétiens aussi croient donc à l’unité de Dieu et sont donc monothéistes ; une unité, cependant, non pas mathématique et numérique, mais d’amour et de communion.

S’il y a quelque chose que l’expérience de l’annonce montre être encore capable d’aider les gens aujourd’hui, sinon à expliquer, du moins à se faire une idée de la Trinité, c’est précisément, je le répète, ce qui s’articule autour de l’amour. Dieu est « acte pur » et cet acte est un acte d’amour, d’où émergent, simultanément et ab aeterno, un aimant, un aimé et l’amour qui les unit.

Le mystère des mystères n’est pas, si l’on y réfléchit bien, la Trinité, mais de comprendre ce qu’est en réalité l’amour ! Nous connaissons l’amour « qui forme en un seul volume tous les feuillets épars dont l’univers est fait[9] », dit Dante Alighieri, soit des feuillets – moins que des mots et des syllabes – de cet unique « volume » lié à Dieu. Puisqu’il s’agit de l’essence même de Dieu, il ne nous sera pas donné de comprendre pleinement ce qu’est l’amour, même dans la vie éternelle. Il nous sera cependant donné quelque chose de mieux que de le connaître, qui est de le posséder et d’en être éternellement rassasiés. On ne peut pas embrasser l’océan, mais on peut y entrer !

Pourquoi l’incarnation ?

Passons à l’autre grand mystère à croire et à annoncer au monde : l’Incarnation du Verbe. À la lumière de la révélation de Dieu comme amour, elle aussi, nous le verrons, prend une nouvelle dimension. Je vous demande pardon si, dans cette partie, je vous demande un effort d’attention plus grand que celui qu’on peut habituellement demander aux auditeurs d’une prédication, mais je crois que l’effort en vaut la peine au moins une fois dans la vie.

Nous repartirons de la célèbre question de saint Anselme (1033-1109) : « Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Cur Deus homo ? » On connaît bien sa réponse. C’est parce que seul celui qui était à la fois homme et Dieu pouvait nous racheter du péché. En effet, en tant qu’homme, il pouvait représenter toute l’humanité et, en tant que Dieu, ce qu’il faisait avait une valeur infinie, proportionnelle à la dette que l’homme avait contractée envers Dieu en péchant.

La réponse de saint Anselme est éternellement valable, mais elle n’est pas la seule possible, ni entièrement satisfaisante. Dans le credo, nous professons que le Fils de Dieu s’est fait chair « pour nous les hommes et pour notre salut », mais notre salut ne se limite pas à la seule rémission des péchés, et encore moins d’un péché particulier, le péché originel. Il reste donc de la place pour un approfondissement de la foi.

C’est ce que cherche à faire le bienheureux Duns Scot (1265-1308).  Dieu – dit-il – s’est fait homme parce que tel était le projet divin originel, antérieur à la chute : c’est-à-dire pour que le monde – créé « par le Christ et pour lui [10]» – trouve en lui, « dans les temps à leur plénitude », son couronnement et sa récapitulation[11].

« Dieu », écrit Scot, « s’aime d’abord lui-même » ; ensuite « il veut être aimé par quelqu’un qui l’aime à un degré suprême en dehors de lui-même » ; c’est pourquoi « il prévoit l’union avec la nature, qui devait l’aimer à un degré suprême ». Cet aimant parfait ne pouvait être aucune créature, étant finie, mais seul le Verbe éternel. Il se serait donc incarné « même si personne n’avait péché[12] ». Ce n’est pas le péché d’Adam qui a déterminé le fait même de l’incarnation, mais uniquement son mode d’expiation par la passion et la mort.

Au début de tout cela, il y a encore malheureusement chez Scot, comme on le voit, un Dieu à aimer plutôt qu’un Dieu qui aime. C’est un résidu de la vision philosophique du Dieu « moteur immobile », qui peut être aimé, mais ne peut pas aimer. « Dieu », écrivait Aristote, « fait bouger le monde dans la mesure où il est aimé », c’est-à-dire dans la mesure où il est objet d’amour, et non dans la mesure où il aime[13]. Conformément à la conception occidentale de la Trinité, Scot place la nature divine, et non la personne du Père, au début du discours sur Dieu. Et la nature n’est pas un sujet qui aime ! En cela, nos frères orthodoxes, héritiers des Pères grecs, ont vu plus juste que nous, les latins.

Sur ce point, l’Écriture nous appelle tous, je crois, à faire un pas en avant aujourd’hui, même par rapport à Scot, toujours conscients cependant que nos affirmations sur Dieu ne sont que de faibles signes tracés du doigt à la surface de l’océan. Dieu le Père décide de l’incarnation du Verbe non pas parce qu’il veut avoir quelqu’un d’extérieur à lui pour l’aimer d’une manière digne de lui, mais parce qu’il veut avoir quelqu’un d’extérieur à lui à aimer d’une manière digne de lui ! Non pour recevoir l’amour, mais pour le répandre. En présentant Jésus au monde, au Baptême et à la Transfiguration, le Père du ciel dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé[14] » ; il ne dit pas : « aimant ».

Seul le Père, dans la Trinité (et dans tout l’univers !), n’a pas besoin d’être aimé pour exister ; il a seulement besoin d’aimer. C’est ce qui garantit le rôle du Père comme unique source et origine de la Trinité, tout en maintenant en même temps la parfaite égalité de nature entre les trois personnes divines. À l’origine de tout cela, il y a la fulgurante intuition d’Augustin et de l’école à qui il a donné naissance. Il définit le Père comme l’aimant, le Fils comme l’aimé et le Saint-Esprit comme l’amour qui les unit[15]. En cela, nous, les Latins, avons aussi quelque chose de précieux et d’essentiel à offrir pour une synthèse œcuménique et, grâce à Dieu, une pleine réconciliation entre les deux théologies ne semble plus si difficile et si lointaine.

Pourquoi la passion ?

Nous en arrivons maintenant au troisième grand mystère : la passion du Christ que nous nous apprêtons à célébrer à Pâques. Voyons comment, à partir de la révélation de Dieu comme amour, il est lui aussi éclairé d’une lumière nouvelle. « Par ses blessures, nous sommes guéris » : par ces paroles, prononcées par le Serviteur de יהוה [16], la foi de l’Église a exprimé la signification salvifique de la mort du Christ[17]. Mais les blessures, la croix et la souffrance – faits négatifs et, en tant que tels, seulement privation de bien – peuvent-ils produire une réalité positive telle que le salut de tout le genre humain ? La vérité est que nous n’avons pas été sauvés par la souffrance du Christ, mais par son amour ! Plus précisément, par l’amour qui s’exprime dans le sacrifice de soi. Par l’amour crucifié !

À Abélard qui, déjà en son temps, trouvait répugnante l’idée d’un Dieu qui « se complaît » en la mort de son Fils, saint Bernard répondait : « Ce n’est pas sa mort qui lui a plu, mais sa volonté de mourir spontanément pour nous ; Non mors, sed voluntas placuit sponte morientis [18]».

La souffrance du Christ garde toute sa valeur et l’Église ne cessera jamais de la méditer : non pas cependant comme cause, en soi, du salut, mais comme signe et démonstration de l’amour : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs[19] ». La mort est le signe, l’amour le sens. L’évangéliste saint Jean pose comme clé de lecture au début de son récit de la Passion : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout[20] ».

Cela enlève à la Passion du Christ une connotation qui nous a toujours laissés perplexes et insatisfaits : l’idée, en effet, d’un prix et d’une rançon à payer à Dieu (ou, pire, au diable !), d’un sacrifice par lequel on apaiserait la colère divine. En réalité, c’est plutôt Dieu qui a fait le grand sacrifice de nous donner son Fils, de ne pas « l’épargner », comme Abraham fit le sacrifice de ne pas épargner son fils Isaac[21]. Dieu est plus le sujet que le destinataire du sacrifice de la croix !

Un amour digne de Dieu

Il nous faut maintenant voir ce que change dans notre vie la vérité que nous avons contemplée dans les mystères de la Trinité, de l’Incarnation et de la Passion du Christ. Et c’est là que nous attend la surprise qui ne manque jamais lorsque nous cherchons à approfondir les trésors de la foi chrétienne. La surprise, c’est de découvrir que, grâce à notre incorporation au Christ, nous pouvons nous aussi aimer Dieu d’un amour infini, digne de lui !

Saint Paul écrit que : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs[22] ». L’amour qui a été répandu en nous est ce même amour dont le Père, depuis toujours, aime le Fils, et non un amour différent ! « Moi en eux et toi en moi », dit Jésus au Père, « pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux[23] ». Notons : « l’amour dont tu m’as aimé », pas un amour différent. Il s’agit d’un débordement de l’amour divin de la Trinité vers nous. « Dieu communique à l’âme », écrit saint Jean de la Croix, « le même amour qu’il communique à son Fils, bien que cela ne se produise pas par nature, comme dans le cas du Fils, mais par union[24] ».

La conséquence est que nous pouvons aimer le Père de l’amour dont le Fils l’aime et nous pouvons aimer Jésus de l’amour dont le Père l’aime. Tout cela grâce à l’Esprit Saint, qui est ce même amour. Que donnons-nous donc de nous-mêmes à Dieu quand nous lui disons : « Je t’aime ! » ? Rien d’autre que l’amour que nous recevons de lui ! Rien du tout, donc, de notre part ? Notre amour pour Dieu n’est-il qu’un « rebond » de son amour envers lui, comme l’écho qui renvoie le son à sa source ?

Pas dans ce cas ! L’écho de son amour revient à Dieu du creux de notre cœur, mais avec une nouveauté qui, pour Dieu, est tout : le parfum de notre liberté et de notre gratitude de fils ! Tout cela se réalise, de manière exemplaire, dans l’Eucharistie. Qu’y faisons-nous, sinon offrir au Père, comme étant « notre sacrifice », ce qu’en réalité le Père lui-même nous a donné, c’est-à-dire son Fils Jésus ?

Nous pouvons dire à Dieu le Père : « Père, je t’aime de l’amour dont ton Fils Jésus t’aime ! » Et dire à Jésus : « Jésus, je t’aime de l’amour dont ton Père céleste t’aime ». Et savoir avec certitude que ce n’est pas une pieuse illusion ! Chaque fois que j’essaie de le faire moi-même dans la prière, me revient en mémoire l’épisode de Jacob se présentant à son père Isaac pour recevoir sa bénédiction, en se faisant passer pour son frère aîné[25]. Et j’essaie d’imaginer ce que Dieu le Père pourrait se dire à ce moment-là : « En vérité, cette voix n’est pas celle de mon Fils premier-né ; mais les mains, les pieds et tout le corps sont ceux que mon Fils a pris sur la terre et qu’il a portés jusqu’au ciel ».

Et je suis sûr qu’il me bénit, comme Isaac a béni Jacob ! Et vous bénit tous, vénérables pères, frères et sœurs. C’est la splendeur de notre foi de chrétiens. Espérons que nous pourrons en transmettre quelques bribes aux hommes et aux femmes de notre temps, qui sont assoiffés d’amour, mais en ignorent la source.

[1] 1 Co 2, 10-12.

[2] H. de Lubac, Exégèse Médiévale, I, 2, Paris 1959, p. 670.

[3] Grégoire le Grand, Moralia in Job, Epist, Missoria, 4 (PL 75, 515).

[4] Lc 10, 21.

[5] 1 Jn 4, 8.

[6] Henri de Lubac, Histoire et Esprit, Aubier, Paris 1950.

[7] Aristote, Métaphysique, XII, 7, 1072b.

[8] Jn 1, 1.

[9] Dante Aleghieri, Paradis, XXXIII, 85-87 : Dans cette profondeur j’ai vu se rencontrer, et amoureusement former un seul volume, tous les feuillets épars dont l’univers est fait.

[10] Col 1, 16.

[11] Ep 1, 10.

[12] Duns Scot, Opus Parisiense, III, d. 7, q. 4 (Opera omnia, XXIII, Paris 1894, p. 303).

[13] Aristote, Métaphysique, XII, 7, 1072b.

[14] Mc 1, 11 ; 9, 7.

[15] Augustin, De Trinitate, 9, 14 ; IX, 2, 2 ; XV, 17, 31 ;  Richard de Saint Victor, De Trin. III, 2.18;  Bonaventure, I Sent. d. 13, q.1.

[16] Is 53, 5-6.

[17] 1 P 2, 24.

[18] Bernard de Clairvaux,

[19] Rm 5, 8.

[20] Jn 13, 1.

[21] Gn 22, 16 ; Rm 8, 32.

[22] Rm 5, 5.

[23] Jn 17, 23. 26.

[24] Jean de la Croix, Cantique Spirituel A, strophe 38, 4.

[25] Gn 27, 1-23.

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Raniero Cantalamessa

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