IIIe dimanche du temps ordinaire – Année A – 22 janvier 2023
Rite romain
Is 8, 23b – 9, 3; Ps 26; 1 Cor 1, 10-13, 17; Mt 4, 12-23
Rite ambrosien
Ez 16, 2-7a, 13b-18; Ps 104; 2 Cor 8. 7-15; Lc 9, 10b-17.
IIIème dimanche après l’Épiphanie.
1) Conversion et charité
Dimanche dernier, l’Évangile de Saint Matthieu nous a rappelé que Jésus est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Ce dimanche, ce même évangéliste nous propose les premières paroles de la prédication de Jésus, Agneau sans tache qui a pris sur lui le péché, et qui dit: » Convertissez-vous (en grec « metanocite »), car le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4, 17).
Le verbe grec utilisé par Saint Matthieu a comme substantif « matanoia », c’est à dire « changement d’esprit » et indique que la pénitence est un profond et complet changement de l’esprit et du cœur sous l’influence de la parole de Dieu et dans la perspective du Royaume des Cieux.
Il ne faut pas non plus oublier que pénitence signifie aussi changement de vie en cohérence avec le changement du cœur. Si la pénitence est la conversion qui passe du cœur aux œuvres et donc à la vie entière du chrétien, on peut donc affirmer, sans se tromper, qu’il n’y a pas de vie chrétienne sans conversion.
A ce point, il est important de préciser que c’est la charité qui fait la vie chrétienne et que la charité est conversion, parce que tout notre être se tourne vers Dieu. Dans la conversion, notre cœur et notre esprit se tournent entièrement vers Dieu. « Conversio » veut dire se tourner. Qu’est-ce que cela signifie? Se tourner vers le Christ n’est pas tant un mouvement physique, c’est un mouvement spirituel du mal vers le bien, avec la ferme décision de vivre de Lui, en Lui et pour Lui.
Nous ne devons donc pas interpréter le commandement d’amour: « Convertissez-vous » seulement comme une invitation à nous repentir de nos propres péchés, il indique la nécessité de révolutionner notre vie. C’est comme si Jésus nous disait: « Changez de logique », « Changez de route, ne voyez-vous pas que celle où vous êtes est un chemin qui ne conduit pas à la vie mais à la mort? » C’est la proposition d’une opportunité: » Venez avec moi. Là où je suis, il y a la vie, celle qui est vraie et durable ».
C’est cela que le Rédempteur veut dire: « Changez de façon de penser et d’agir parce que le Royaume s’est fait proche. » Qu’est-ce que le Royaume des cieux ou de Dieu? C’est la vraie vie qui fleurit en toutes ses formes. Le royaume est de Dieu, mais il est pour les hommes que Dieu aime paternellement et éternellement, vraiment pour toujours.
Il faut garder présent que la conversion n’est pas faite une fois pour toute, c’est la vocation de toute une vie. On peut penser qu’une fois baptisé, dans la vie de communion avec le Christ, avec les sacrements, avec la célébration de l’Eucharistie, on arrive à la perfection donnée par le baptême et reconfirmée par l’Eucharistie et qu’on arrive à mettre en pratique le Discours sur la Montagne. Mais ce n’est pas ainsi. Seul le Christ lui-même accomplit vraiment et complètement le Discours sur la montagne. Nous, nous avons toujours besoin d’être lavés par le Christ et renouvelés par lui. Pour cela nous avons besoin de cette conversion permanente qui s’alimente à l’humilité de nous savoir pécheurs en chemin, jusqu’à ce qu’il nous tende la main définitivement et nous introduise à la vie éternelle. Nous devons vivre dans cette attitude d’humilité vécue jour après jour.
Du fait que nous nous sommes convertis à Jésus, qui est vérité et amour, nous devons le suivre toute notre vie et être témoin de son amour. Dieu est amour et la rencontre avec lui est la seule réponse possible aux inquiétudes du cœur humain ; un cœur qui est habité de l’espérance, qui ouvre déjà le présent au futur, tant et si bien que Saint Paul a écrit que « c’est dans l’espérance que nous avons été sauvés » (Rm 8, 24).
L’important est donc de faire grandir en nous le besoin de placer, en Dieu seul, notre unique espérance.
2) Conversion et vocation
La conversion n’est pas un chemin en arrière ou à reculons. La conversion est bien un retour à la maison mais à celle du ciel. Notre chemin de conversion nous conduit vers le haut. La conversion chrétienne n’est pas seulement morale (un pécheur qui retrouve le chemin du bien) ou religieuse (un athée qui vient à la foi en Dieu), mais c’est une conversion à la personne même du Christ, « soleil qui surgit d’en haut » et clé de voûte du destin humain. En se convertissant, c’est à dire en se tournant vers le Christ, survient la rencontre qui change intégralement toute notre façon de penser et de vivre. C’est une rencontre-conversion qui fait renaître d’en haut (cf Jn 3, 7) et qui nous fait comprendre que notre vocation est de suivre le Christ non pas tant pour faire de bonnes actions mais pour réaliser l’invitation du Fils de Dieu: « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48).
Il y a trois niveaux de réponse à cette vocation-conversion à la perfection infinie de l’amour de Dieu:
« Aime ton prochain comme toi-même. »
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
« Aimez-vous comme vous aime le Père céleste. »
Si nous prenons au sérieux l’invitation à la conversion évangélique qui nous est redite aujourd’hui, nous devons aimer comme le Christ nous le demande, en programmant notre vie quotidienne et en prenant les décisions concrètes qu’exige cet « aimer comme ».
De ces trois « comme », je souligne particulièrement aujourd’hui le troisième parce que notre vocation est principalement de nous tourner vers Dieu pour devenir comme Lui: « Retourne en toi. Et une fois rentré en toi, retourne-toi encore vers le haut: ne reste pas en toi. D’abord retourne en toi depuis le monde extérieur, et puis restitue-toi toi-même à celui qui t’a créé et qui t’a cherché toi qui était perdu; il t’a trouvé fugitif; il t’a converti à lui-même, toi qui lui avais tourné le dos. Retourne en toi, donc, et avance vers Celui qui t’a créé » (Saint Augustin d’Hippone, Discours 330, 3). Entreprise certainement impossible sans la grâce du Christ Rédempteur et de l’Esprit Sanctificateur: la parole de Dieu, les sacrements, la prière, le magistère de l’Église, les œuvres de charité, les conseils évangéliques, etc. Il s’agit finalement de devenir littéralement comme le Christ: « Réjouissons-nous et rendons grâce à Dieu: non seulement nous sommes devenus chrétiens, mais nous sommes devenus le Christ lui-même… Émerveillez-vous, réjouissez-vous: nous sommes devenus le Christ! Si le Christ est la tête et nous les membres, l’homme complet est Lui et nous (Id, Commentaire de l’Évangile de Jean 21, 8). »
3) La vocation des vierges consacrées
L’invitation à la conversion, c’est à dire notre vocation, est donc un appel à la sainteté, à devenir comme le Christ. Une fois compris cela, la réponse à cette invitation est de dire comme l’a fait la Sainte Vierge: » Me voici, qu’il soit fait selon ta parole ». Et comme l’ont fait les apôtres qui ont tout de suite abandonné leurs filets, leur bateau et leur famille pour le suivre (cf Mt 4, 20).
Leur « oui » à la vocation de Dieu a été précédé d’autres » Me voici » : celui fleuri sur les lèvres d’Abraham, de Moise, de Samuel, d’Isaïe etc. C’est comme quand on faisait l’appel à l’école et que chacun répondait rapidement en disant « présent! ».
Qu’a-t-il de mystérieux ce « Me voici » qui ouvre le cœur de Dieu, qui est la réponse suffisante à Dieu? Tout le reste, il s’en occupe lui, mais il veut d’abord entendre ce « Me voici » qui signifie : « Seigneur je suis là, je ne fuis pas ta présence, je suis disponible, je t’écoute, mon cœur est prêt » comme dit le psaume: « Mon cœur est prêt pour toi Seigneur ».
Chaque « Me voici » est un miracle de la grâce de Dieu, c’est la liberté qui mystérieusement s’ouvre à la grâce et aujourd’hui ce miracle est plus que jamais évident. Aujourd’hui le Seigneur appelle de façon plus que jamais ténue, mystérieuse et respectueuse et qu’un jeune homme ou qu’une jeune fille aient le courage de fermer les oreilles à toutes les attractions du monde et répondent « me voici » est un miracle que notre cœur, notre bouche et notre vie permettent à Dieu de faire.
Notre « Me voici », comme celui de tous les chrétiens, doit être joyeux, enthousiaste, émerveillé parce qu’il doit contenir la conscience d’avoir été choisi, d’avoir été repéré par Dieu, d’être l’objet d’une prédilection de Dieu.
Une façon actuelle de dire ce « Me voici » est celle des vierges consacrées dans le monde. Comme disait Saint Ambroise: « Les vierges consacrées sont dans le monde signe de vraie beauté ».
La beauté de la vie consacrée est aussi le thème de fond de l’Exhortation post-synodale Vita Consacrata, développée amplement en partant de l’icône de la Transfiguration. Saint Jean-Paul II écrivait: » Comme il est beau de rester avec toi Seigneur, de se dédier à toi, de concentrer de manière exclusive notre existence en toi! » En effet qui a reçu la grâce de cette communion d’amour spéciale avec le Christ, se sent comme emporté par sa splendeur. « Il est le plus beau parmi les fils de l’homme » (Ps 45/44; ibid n.15).
La forme de vie de l’Ordo Virginum est une forme de vie qui se développe désormais de façon continue dans plusieurs pays.
Sur cet Ordo, le CIC (Can 604) s’exprime clairement, ainsi que les textes liturgiques (le rite de la consécration) et ceux du magistère même récents qui en parlent. Aujourd’hui nous faisons référence à l’Exhortation apostolique déjà citée, qui selon moi décrit bien l’Ordo Virginum dans sa spécificité, en le plaçant tout de suite après la mention de la vie monastique, comme une forme pour ainsi dire germinale des expériences suivantes de vie religieuse et consacrée: » C’est un motif de joie et d’espérance de voir qu’aujourd’hui recommence à fleurir l’antique Ordre des vierges, attesté dans les communautés chrétiennes depuis les temps apostoliques. Consacrées par l’Évêque diocésain, elles acquièrent un lien particulier avec l’Église, au service de laquelle elles se dédient tout en restant dans le monde. Seule ou en communauté, elles constituent une image particulière et eschatologique de l’épouse céleste et de la vie future, quand l’Église vivra finalement en plénitude l’amour pour le Christ époux » (n. 7).
Le charisme de l’Ordo Virginum est un charisme très ancien. Il s’agit d’une tradition antique à ressusciter dans les réalités d’aujourd’hui, avec la même force et le même génie qu’aux origines. Nous ne sommes donc pas face à une réalité vague, générique, amorphe; elle a une identité bien précise, même si elle n’est pas facile à décrire dans ses particularités. Il s’agit certes d’un charisme à vivre avec simplicité et humilité, comme une voie ecclésiale (qui n’est pas unique) vers la sainteté, comme une existence offerte à Dieu dans un dévouement silencieux, gratuit et attentif.
Lecture patristique
Lansperge le Chartreux (+ 1539)
Sermon 5, Opera omnia, 3, 315-317
Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière (Is 9,1). Mes frères, nul n’ignore que nous sommes tous nés dans les ténèbres et que nous y avons vécu autrefois. Mais faisons en sorte de ne plus y rester, maintenant que le soleil de justice s’est levé pour nous.
Le Christ est donc venu illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour guider leurs pas dans le chemin de la paix. De quelles ténèbres parlons-nous? Tout ce qui se trouve dans notre intelligence, dans notre volonté ou dans notre mémoire, et qui n’est pas Dieu ou n’a pas sa source en Dieu, autrement dit tout ce qui en nous n’est pas à la gloire de Dieu et fait écran entre Dieu et l’âme, est ténèbres.
Aussi le Christ, ayant en lui la lumière, nous l’a-t-il apportée pour que nous puissions voir nos péchés et haïr nos ténèbres. Vraiment, la pauvreté qu’il a choisie quand il n’a pas trouvé de place à l’hôtellerie, est pour nous la lumière à laquelle nous pouvons connaître dès maintenant le bonheur des pauvres en esprit, à qui appartient le Royaume des cieux.
L’amour dont le Christ a témoigné en se consacrant à notre instruction et en s’exposant à endurer pour nous les épreuves, l’exil, la persécution, les blessures et la mort sur la croix, l’amour qui finalement l’a fait prier pour ses bourreaux, est pour nous la lumière grâce à laquelle nous pouvons apprendre à aimer aussi nos ennemis.
Elle est pour nous lumière, l’humilité avec laquelle il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur (Ph 2,7), et, refusant la gloire du monde, voulut naître dans une étable plutôt que dans un palais et subir une mort honteuse sur un gibet. Grâce à cette humilité nous pouvons savoir combien détestable est le péché d’un être de limon, un pauvre petit homme de rien, lorsqu’il s’enorgueillit, se glorifie et ne veut pas obéir, tandis que nous voyons le Dieu infini, humilié, méprisé et livré aux hommes.
Elle est aussi pour nous lumière, la douceur avec laquelle il a supporté la faim, la soif, le froid, les insultes, les coups et les blessures, lorsque comme un agneau il a été conduit à l’abattoir et comme une brebis devant le tondeur il n’a pas ouvert la bouche (Is 53,7). Grâce à cette douceur, en effet, nous voyons combien inutile est la colère, de même que la menace, nous consentons alors à souffrir et nous ne servons pas le Christ par routine. Grâce à elle, nous apprenons à connaître tout ce qui nous est demandé: pleurer nos péchés dans la soumission et le silence, et endurer patiemment la souffrance quand elle se présente. Car le Christ a enduré ses tourments avec tant de douceur et de patience, non pour des péchés qu’il n’a pas commis, mais pour ceux d’autrui.
Dès lors, frères très chers, réfléchissez à toutes les vertus que le Christ nous a enseignées par sa vie exemplaire, qu’il nous recommande par ses exhortations et qu’il nous donne la force d’imiter avec l’aide de sa grâce.