(6 ou 8 janvier 2023 selon les Conférences épiscopales nationales)
Is. 60,1-6; Ps. 71; Eph. 3,2-3.5-6; Mt. 2,1-12.
1) Trois Epiphanies[1]: une marche d’une fête à l’autre.
Si le Christ s’est déjà manifesté à Bethléem aux bergers, pourquoi célébrer son épiphanie (mot grec qui veut dire manifestation) aux Rois Mages, aux Hébreux sur les rives du Jourdain, aux disciples de Jésus à Cana de Galilée? Parce que « le Seigneur conduit son troupeau spirituel d’une fête à l’autre » (Homélie d’un auteur syrien anonyme). « A la première fête, dans la grotte de Bethléem, la création a reçu le Créateur du sein de la Vierge, et à la fête du baptême l’épouse reçoit l’Époux du sein du baptême. A la première naissance, Il a été engendré par la Vierge, et à la fête d’aujourd’hui Il a été engendré par le baptême » (Ibid.).
Entre ces deux fêtes il y en a une autre: celle des Rois Mages. Comme les pasteurs appelés par l’ange à participer à la Gloire de Dieu et à la paix des hommes, les Mages, des spécialistes de l’astronomie, eux aussi, furent guidés par l’étoile pour participer à l’événement qui changea le cours de l’histoire et les destins de l’humanité et du monde.
De ces mystérieux personnages aussi, venus de loin, nous apprenons à connaître, aimer et adorer l’Enfant Jésus, Sauveur du monde entier. Ces païens ont commencé à connaître Jésus grâce aux étoiles, c’est-à-dire grâce à la sagesse humaine, par le biais de la raison.
Mais la raison, à elle toute seule, ne suffit pas à conduire les mages jusqu’à l’Enfant Jésus. Ils ont eu besoin des Ecritures, de la Révélation. Toutefois pour arriver jusqu’à Jésus, la Bible non plus ne suffit pas. Les scribes et les pharisiens, qui conservaient la Révélation, n’ont pas bougé pour aller connaître le Roi des rois. La connaissance ne suffit pas, il faut autre chose, Il faut le désir de rencontrer Jésus, être prêt, comme les rois mages, à courir le risque d’entreprendre un long voyage, avec pour seul guide dans la nuit une étoile. Hérode et les chefs d’Israël, eux qui avaient pourtant la Révélation et n’étaient pas loin d’Israël, ne s’étaient pas lancé à la recherche de Jésus. Au contraire, dès qu’ils surent que le Roi par excellence était né, ils ont cherché à l’éliminer.
Les Sages hommes d’Orient, poussés par leur désir de vérité, de lumière et de vie, ont quitté leurs beaux palais. Si les mages n’étaient pas partis, s’ils n’avaient pas quitté leurs palais pour aller loin de chez eux, ils n’auraient pas vu le Christ. « Tant que les mages demeurèrent dans leur pays, ils ne virent qu’une étoile, mais lorsqu’ils l’eurent quittée, ils méritèrent de voir le Soleil même de justice (Mt 3,20). Disons mieux: s’ils n’avaient pas entrepris généreusement leur voyage, ils n’auraient même pas vu l’Etoile » (cf. Saint Jean Chrysostome, Homélies sur Matthieu, 7-8). Cette Etoile est la voie, et la voie c’est le Christ, parce qu’Il est l’Etoile. Là où est le Christ, il y a aussi l’étoile ; en effet, celui-ci est l’étoile brillante du matin. Il se manifeste par sa lueur » (Saint Ambroise de Milan, Commentaire sur l’Evangile selon saint Luc, II, 45).
Si, comme les rois mages, nous sommes des hommes « à la recherche » de quelque chose en plus, de la vraie lumière, de cette lumière capable de nous indiquer le chemin à parcourir, nous quitterons nos maisons et notre sécurité pour suivre cette étoile, qui ne conduit pas à la grande ville de Jérusalem, mais nous guide vers Bethléem, une petite ville. Pour nous faire trouver le Roi des rois, elle nous fait aller parmi les pauvres, parmi les simples. Les critères de Dieu ne sont pas ceux des hommes. Dieu ne se manifeste pas dans la puissance violente de ce monde, mais dans la puissance douce de son amour, un amour qui ne s’impose pas, mais se propose à notre liberté. Si nous l’accueillons, nous serons transformés, nous serons capables d’arriver jusqu’à Celui qui est l’Amour. Cet Amour se manifeste adulte sur les rives du Jourdain, demandant d’être baptisé.
La manifestation de Jésus Christ aux pécheurs repentis, qui allaient trouver Jean le Baptiste, a Dieu le Père pour témoin qui dit: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » (Mc 9,7) et cette invitation à l’écoute nous introduit dans la quotidienneté d’un rapport personnel avec le Christ, avec l’Agneau envoyé par le Père pour enlever les péchés du monde. En descendant dans les eaux du Jourdain, Jésus, l’Emmanuel, le Dieu toujours avec nous, montre comment il s’est uni à nous, pécheurs. Par son baptême, le Sauveur commence à se manifester aussi comme Celui qui est venu baptiser l’humanité dans l’Esprit Saint, lui apportant la vie en abondance, (cf. Jn 10,10), la vraie vie.
2) La troisième « épiphanie » : le miracle aux noces de Cana.
L’épisode des noces de Cana est un épisode surprenant pour différentes raisons. C’est en effet un fait raconté dans l’évangile de Jean, qui est l’évangile intérieur, spirituel, contemplatif et a l’air d’un miracle très matériel, qui transforme l’eau en vin pour ne pas gâcher un repas de noce. Certes, Jésus en accomplissant ce miracle entretient la simple joie humaine de deux époux le jour de leurs noces, mais il est étonnant que son disciple bien-aimé l’ait choisi comme premier miracle à raconter dans son Evangile. A moins que l’importance de cet épisode est dans le fait que saint Jean veut raconter les noces entre Jésus et les hommes et nous dire que le vin qui manque est celui du sacrifice d’amour de l’Epoux.
Le pape François nous enseigne: « En entamant son ministère public durant les noces de Cana, Jésus se manifeste comme l’époux du peuple de Dieu, annoncé par les prophètes, et nous révèle la profondeur de la relation qui nous unit à Lui: c’est une nouvelle Alliance d’amour. » (Audience générale du 8 juin 2016). Aux noces de Cana, on n’assiste donc pas seulement à un miracle mais à la manifestation (épiphanie) de Jésus comme Epoux. Il est l’Epoux attendu et « durant ces noces, Il lie ses disciples à Lui par une Alliance nouvelle et définitive. A Cana, les disciples de Jésus deviennent sa famille et à Cana naît la foi de l’Église » (Ibid.). Cette foi se fonde sur un acte d’amour attentif également au manque de vin et nous révèle que la vie chrétienne est la réponse à cet amour. L’Eglise est la famille sur laquelle Jésus fait rejaillir cet amour. L’Eglise qui conserve et donne cet amour sponsal à tous.
Le signe (nom que donne saint Jean aux miracles dans son évangile) accompli par Jésus à Cana de Galilée (Jn, 2,1-12) est une manifestation messianique, comme le Baptême au Jourdain et comme l’adoration des mages à Bethléem. Mais, alors qu’à la grotte ce sont des hommes qui rendaient manifeste la vérité de l’Enfant Jésus, et au Baptême le Père qui révèle la signification profonde du Christ, à Cana c’est Jésus lui-même qui se manifeste.
Le récit du miracle de Cana ne souligne pas beaucoup la puissance du Christ. Il insiste plutôt sur des détails comme l’abondance du vin (environ 600 litres), son excellente qualité, le fait même que celui-ci remplace l’eau préparée pour les ablutions rituelles[2]. Tant de caractéristiques proprement messianiques. Jésus est le Messie, la nouvelle Alliance et la nouvelle loi. Mais on remarque tout de suite un détail important. La messianité de Jésus renferme l’idée d’un changement: il y a quelque chose de vieux (l’eau) qui doit diminuer pour laisser la place à quelque chose de nouveau (le vin). La vieille Loi laisse la place à la nouvelle, qui est une loi de liberté (cf. Jc 1, 25; 2, 12), une loi de grâce et d’amour (Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica, I-II, q. 107, a.1). A cette loi, nouvelle et parfaite, adhèrent les disciples présents au miracle, qui les pousse à croire en Jésus Christ, et accepter son amour qui transforme. Aujourd’hui, un exemple actuel de cette façon de croire et de répondre à cet amour nous vient des vierges consacrées. Celles-ci l’aiment comme Lui-même désire être aimé, dans la concrétude de la vie: « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements » (Jn 14, 15; cf. 14, 21). Elles l’aiment en ayant en elles les mêmes dispositions que Lui (cf. Fil 2, 5), en partageant son mode de vie, fait d’humilité et de mansuétude, d’amour et de miséricorde, de service et de disponibilité, de tendresse et d’attention. De cette façon, elles qui sont « vierges pour le Christ », réalisent leur condition de « mère en esprit » (Rite de consécration des Vierges, n. 16). En effet, « Selon la doctrine des Pères, les vierges, en recevant du Seigneur « la consécration de la virginité », deviennent signe visible de la virginité de l’Eglise, un instrument de sa fertilité » (Saint Jean Paul II, Discours aux Participants au congrès international de l’“Ordo Virginum” pour les 25 ans de la promulgation du Rite, 2 juin 1995)
Lecture patristique
Saint Basile le Grand (+ 379)
Homélies sur Noël, 2 (PG 31, 1472-1476)
L’étoile vient de s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant. C’est pourquoi les mages, quand ils virent l’étoile, éprouvèrent une très grande joie (Mt 2,9-10). Accueillons, nous aussi, cette grande joie dans nos coeurs. Car c’est de la joie que les anges annoncent aux bergers. Adorons avec les mages, rendons gloire avec les bergers, dansons avec les anges! Il nous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Messie, le Seigneur (Lc 2,11). C’est Dieu, le Seigneur, qui nous illumine (Ps 117,27), non pas sous la forme de Dieu, pour ne pas épouvanter notre faiblesse, mais sous la forme du serviteur, afin de donner la liberté à ceux qui étaient réduits en servitude. Qui donc a un coeur assez endormi, qui donc est assez ingrat pour ne pas se réjouir, exulter et rayonner devant un tel événement?
Cette fête est commune à toute la création: elle accorde à notre monde les biens qui sont au-delà du monde, elle envoie des archanges à Zacharie et à Marie, elle constitue des choeurs d’anges qui proclament: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, bienveillance aux hommes (Lc 1,14). Les étoiles accourent du haut du ciel, les mages quittent les nations païennes, la terre offre son accueil dans une grotte. Personne n’est indifférent, personne n’est ingrat. Nous-mêmes, fêtons le salut du monde, le jour de naissance de l’humanité. On ne peut plus dire maintenant: Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière (Gn 3,19), mais: Rattaché à l’homme céleste (cf. 1Co 15,48), tu seras élevé au ciel. On n’entendra plus dire: Tu enfanteras dans la souffrance, (Gn 3,16), car bienheureuse celle qui a enfanté l’Emmanuel, et les mamelles qui l’ont allaité. Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l’insigne du pouvoir est sur son épaule (Is 9,6).
Unissez-vous à ceux qui ont reçu avec joie le Seigneur venant du ciel. Pensez aux bergers pénétrés de sagesse, aux grands prêtres qui prophétisent, aux femmes remplies de joie, quand Marie est invitée par Gabriel à se réjouir, et que Jean tressaille dans les entrailles d’Elisabeth. Anne propageait la bonne nouvelle; Syméon tenait dans ses bras ce petit enfant dans lequel tous adoraient le Dieu de majesté. Bien loin de mépriser ce qu’ils voyaient, ils magnifiaient la grandeur de sa divinité. Car la vertu divine apparaissait à travers ce corps humain, comme la lumière à travers les vitres, resplendissante, pour ceux dont les yeux du coeur étaient purifiés.
Puissions-nous être trouvés avec eux, nous aussi, contemplant la gloire du Seigneur comme dans un miroir, et être nous-mêmes transfigurés de gloire en gloire (2Co 3,18), par la grâce et la tendresse miséricordieuse de notre Seigneur Jésus Christ: à lui la gloire et la puissance, pour les siècles des siècles. Amen.
NOTES
[1] Quand nous parlons d’ « épiphanie » nous entendons la manifestation de Jésus Christ à tous les gentils, représentés par les Roi Mages, qui se prosternèrent aux pieds de l’Enfant Roi et l’adorèrent. Toutefois, comme il est indiqué dans la liturgie des heures: « Aujourd’hui l’Eglise s’unit à son Epoux céleste, car dans le Jourdain le Christ a lavé ses péchés ; les Mages accourent avec des dons aux noces royales, et les invités se réjouissent en voyant l’eau transformée en vin » (Ant. au Benedictus de l’Epiphanie). Donc, en soi, la solennité de l’Epiphanie célèbre trois manifestations : celle à toute l’humanité représentée par les Rois Mages, celle aux Hébreux sur les rives du Jourdain, là où le Seigneur est baptisé et indiqué comme fils bien-aimé par le Père; et celle aux disciples par le biais du miracle de l’eau transformée en vin pendant les noces de Cana, qui sont un symbole des noces du Christ et de l’Eglise.
[2] « Il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des juifs ; chacune contenait deux à trois mesures (C’est-à-dire environ cent litres. Et Jésus dit à ceux qui servaient : Remplissez d’eau les jarres. Et ils les remplirent jusqu’au bord » (Jn 2, 6-7).