« La louange, qui permet à l’Esprit de déverser en nous sa consolation, est un bon remède contre la solitude et le mal du pays », a affirmé le pape François lors de la rencontre œcuménique de ce vendredi après-midi 4 novembre, dans le petit archipel du Golfe persique, en présence des représentants des Eglises et communautés chrétiennes.
En ce vendredi 4 novembre 2022, deuxième jour de son voyage apostolique au Royaume de Bahreïn (3 – 6 novembre 2022), le pape François a participé à une rencontre œcuménique et une prière pour la paix dans la Cathédrale Notre-Dame-d’Arabie, à Awali, à 17h45 heure locale. Le pape, debout, a suscité de longs applaudissements en embrassant la croix pectorale du patriarche Bartholomée, qui a fait de même, puis il a introduit la liturgie par une prière en anglais.
Commentant le récit de la Pentecôte dans le livre des Actes des apôtres, venant d’être lu, le pape a souligné deux éléments « utiles pour notre chemin de communion » : l’unité dans la diversité et le témoignage de vie. « La louange de Dieu, que l’Esprit suscite en chacun », a-t-il affirmé, est le « cénacle spirituel de notre communion » ; elle « ne nous isole pas », mais « nous attire dans le cœur du Père et nous relie ainsi à tous nos frères et sœurs ».
François a évoqué « le sillage de louange » tracé par les « nombreux martyrs chrétiens de diverses confessions », y compris au Moyen-Orient, qui « unit » et « montre le chemin ». Une unité qui n’est pas « uniformité », mais qui « permet à chacun de parler la langue des autres » : c’est « l’esprit œcuménique », a souligné le pontife. Et il a invité chacun à s’interroger sur sa façon concrète de vivre l’œcuménisme : comme un « fardeau » ou « comme une mission qui découle de l’Évangile » ?
Voici la traduction du discours du pape François
Altesse Royale,
Monsieur le Ministre de la Justice,
Merci de votre présence qui nous honore.
Nous sommes « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu » (Ac 2, 9-11).
Sainteté, cher frère Bartholomée, chers frères et sœurs, ces paroles semblent être écrites pour nous aujourd’hui : de tant de peuples et de tant de langues, de tant de régions et de tant de rites, nous sommes ici ensemble, et nous le sommes à cause des grandes œuvres accomplies par Dieu ! À Jérusalem, le jour de la Pentecôte, bien que provenant de plusieurs régions, ils se sont sentis unis dans un seul Esprit : aujourd’hui, comme à l’époque, la variété des provenances et des langues n’est pas un problème, mais un atout. Un auteur ancien a écrit que « si quelqu’un dit à l’un d’entre nous : tu as reçu l’Esprit Saint, pourquoi ne parles-tu pas dans toutes langues ? Tu dois répondre : Bien sûr que je parle dans toutes les langues, car je suis inséré dans ce corps du Christ, c’est-à-dire dans l’Église, qui parle toutes les langues » (Discours d’un auteur africain du VIe siècle : PL 65, 743).
Frères et sœurs, cela vaut aussi pour nous, car « c’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, nous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 13). Malheureusement, nous avons blessé le corps saint du Seigneur par nos déchirures, mais l’Esprit Saint, qui unit tous les membres, est plus grand que nos divisions charnelles. Il est donc juste d’affirmer que ce qui nous unit dépasse de loin ce qui nous divise, et que plus nous marcherons selon l’Esprit, plus nous serons amenés à désirer et, avec l’aide de Dieu, à rétablir la pleine unité entre nous.
Revenons au texte de la Pentecôte. En le méditant, deux éléments, qui me semblent utiles pour notre chemin de communion, ont résonné en moi et que je souhaite donc partager avec vous. Ce sont : l’unité dans la diversité et le témoignage de vie.
L’unité dans la diversité. À la Pentecôte, le livre des Actes des Apôtres dit que les disciples « se trouvaient réunis tous ensemble » (2, 1). Nous notons comment l’Esprit, qui se pose sur chacun, choisit néanmoins le moment où ils sont tous ensemble. Ils pouvaient adorer Dieu et faire du bien à leur prochain même séparément, mais c’est en convergeant dans l’unité que s’ouvrent toutes grandes les portes à l’œuvre de Dieu. Le peuple chrétien est appelé à se rassembler pour que les merveilles de Dieu se réalisent. Le fait d’être ici, à Bahreïn, comme le petit troupeau du Christ, dispersé en divers lieux et confessions, nous aide à ressentir le besoin d’unité, de partage de la foi. De même que dans cet archipel les liens forts entre les îles ne manquent pas, qu’il en soit de même entre nous, pour ne pas être isolés, mais en communion fraternelle.
Frères et sœurs, je me demande : comment faire grandir l’unité si l’histoire, l’habitude, les engagements et les distances semblent nous entraîner ailleurs ? Quel est le « lieu de rencontre », le « cénacle spirituel » de notre communion ? C’est la louange de Dieu, que l’Esprit suscite en chacun. La prière de louange ne nous isole pas, elle ne nous enferme pas en nous-mêmes ni dans nos propres besoins, mais elle nous attire dans le cœur du Père et nous relie ainsi à tous nos frères et sœurs. La prière de louange et d’adoration est la plus élevée : libre et inconditionnelle, elle attire la joie de l’Esprit, purifie le cœur, rétablit l’harmonie, restaure l’unité. C’est l’antidote à la tristesse, à la tentation de nous laisser troubler par notre petitesse intérieure et la petitesse extérieure de notre nombre. Celui qui loue ne se soucie pas de la petitesse du troupeau, mais de la beauté d’être les petits du Père. La louange, qui permet à l’Esprit de déverser en nous sa consolation, est un bon remède contre la solitude et le mal du pays. Elle nous permet de ressentir la proximité du Bon Pasteur, même lorsque le manque de bergers à proximité se fait ressentir, ce qui est fréquent en ces lieux. Le Seigneur, précisément dans nos déserts, aime ouvrir des chemins nouveaux et inimaginables et faire jaillir des sources d’eau vive (cf. « s 43, 19). La louange et l’adoration nous conduisent là, aux sources de l’Esprit, nous ramenant aux origines, à l’unité. Il vous sera bon de continuer à nourrir la louange de Dieu pour être encore davantage un signe d’unité pour tous les chrétiens ! Poursuivez également la belle habitude de mettre les édifices de culte à la disposition d’autres communautés pour qu’elles puissent adorer le seul Seigneur. En réalité, un sillage de louange nous unit, non seulement ici sur terre, mais aussi au Ciel. C’est celui des nombreux martyrs chrétiens de diverses confessions – combien il y en a eu ces dernières années au Moyen-Orient et dans le monde entier ! Ils forment désormais un seul ciel étoilé, qui montre le chemin à ceux qui marchent dans les déserts de l’histoire : nous avons le même but, nous sommes tous appelés à la plénitude de la communion en Dieu.
Rappelons toutefois que l’unité, pour laquelle nous sommes en chemin, se fait dans la différence. Le récit de la Pentecôte précise que chacun entendait les Apôtres parler « son propre dialecte » (Ac 2, 6) : l’Esprit ne forge pas un langage identique pour tous, mais il permet à chacun de parler la langue des autres (cf. v. 4) et fait en sorte que chacun entende la sienne propre parlée par les autres (cf. v. 11). En somme, il ne nous enferme pas dans l’uniformité, mais nous dispose à nous accueillir dans nos différences. C’est ce qui arrive à ceux qui vivent selon l’Esprit : ils apprennent à rencontrer chaque frère et sœur dans la foi comme faisant partie du corps auquel ils appartiennent. C’est l’esprit du chemin œcuménique.
Chers amis, demandons-nous comment nous avançons sur ce chemin. Moi, pasteur, ministre, fidèle, suis-je docile à l’action de l’Esprit ? Est-ce que je vis l’œcuménisme comme un fardeau, comme un engagement supplémentaire, comme un devoir institutionnel, ou comme le désir sincère de Jésus que nous devenions « un » (Jn 17, 21), comme une mission qui découle de l’Évangile ? Concrètement, que fais-je pour ces frères et sœurs qui croient dans le Christ et qui ne sont pas « miens » ? Est-ce que je les connais, les recherche, m’intéresse à eux ? Est-ce que je garde mes distances et agis de manière formelle, ou est-ce que j’essaie de comprendre leur histoire et d’apprécier leurs particularités, sans les considérer comme des obstacles insurmontables ?
Après l’unité dans la diversité, venons-en au deuxième élément : le témoignage de vie. À la Pentecôte, les disciples s’ouvrent, ils sortent du Cénacle. À partir de là, ils iront partout dans le monde. Jérusalem, qui semblait être leur point d’arrivée, devient le point de départ d’une aventure extraordinaire. La peur qui les enfermait chez eux n’est plus qu’un lointain souvenir : maintenant ils vont partout ; pas pour se distinguer des autres, ni même pour révolutionner l’ordre des sociétés et l’ordre du monde, mais pour faire rayonner la beauté de l’amour de Dieu en tous lieux par leur vie. Notre discours n’est pas tant fait de paroles, mais il est un témoignage en actes. La foi n’est pas un privilège à revendiquer, mais un don à partager. Comme le dit un texte ancien, les chrétiens « n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier, […] toute terre étrangère leur est une patrie […]. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. Ils aiment tout le monde » (Épître à Diognète, V). Ils aiment tout le monde : voilà l’insigne chrétien, l’essence du témoignage. Le fait d’être ici, à Bahreïn, a permis à beaucoup d’entre vous de redécouvrir et de pratiquer la simplicité authentique de la charité : je pense à l’aide apportée aux frères et sœurs qui arrivent, à une présence chrétienne qui, dans l’humilité quotidienne, témoigne, dans les lieux de travail, de la compréhension et de la patience, de la joie et de la douceur, de la bienveillance et de l’esprit de dialogue. En un mot : de la paix.
Il nous sera bon de nous interroger, nous aussi, sur notre témoignage, parce qu’au fil du temps, il se peut que nous avancions par inertie et que nous faiblissions à montrer Jésus à travers l’esprit des Béatitudes, la cohérence et la bonté de la vie, la conduite pacifique. Demandons-nous, alors que nous prions ensemble pour la paix : sommes-nous vraiment des personnes de paix ? Sommes-nous habités par le désir de manifester partout, sans rien attendre en retour, la douceur de Jésus ? Faisons-nous nôtres, en les portant dans notre cœur et dans nos prières, les peines, les blessures et la désunion que nous voyons autour de nous ?
Frères et sœurs, j’ai voulu partager avec vous ces réflexions sur l’unité, que la louange renforce, et sur le témoignage, que la charité fortifie. L’unité et le témoignage sont coessentiels : nous ne pouvons pas vraiment témoigner du Dieu d’amour si nous ne sommes pas unis entre nous comme Il le désire. Et nous ne pouvons pas être unis en restant chacun de notre côté, sans nous ouvrir au témoignage, sans élargir les frontières de nos intérêts et de nos communautés au nom de l’Esprit qui embrasse toutes les langues et veut atteindre chacun. Il unit et envoie, rassemble dans la communion et envoie en mission. Confions-lui dans la prière notre chemin commun et invoquons sur nous son effusion, une Pentecôte renouvelée qui donnera un nouveau regard et une marche rapide sur notre chemin d’unité et de paix.
© Libreria Editrice Vaticana