La tristesse n’est pas « un mal qu’il faut fuir à tout prix » ; elle peut être un « indispensable signal d’alarme pour notre vie », pourvu que nous sachions la reconnaître et en comprendre les raisons. C’est ce qu’a affirmé le pape François dans sa sixième catéchèse sur le thème du discernement, ce mercredi 26 octobre, à 9h, en présence d’un grand nombre de pèlerins et de fidèles venus d’Italie et du monde entier.
Lors de l’audience générale de ce mercredi matin 26 octobre 2022, sur la Place Saint-Pierre de Rome ensoleillée, le pontife a centré sa méditation sur le thème suivant : « La matière du discernement. La désolation », à partir d’un passage du livre de Ben Sira le Sage (Sir 2,1-2 ; 4-5). Il a expliqué que la dimension affective liée à tout discernement, s’exprimait également à travers l’expérience de la « désolation ».
Parce que « Dieu parle au cœur », a-t-il souligné, il est important d’apprendre à « lire » ce sentiment de « désolation », de « tristesse », qui a « quelque chose d’important à nous dire ». Lorsqu’elle est l’expression du remords, la tristesse ravive notre attention « face à un danger possible, ou à un bien négligé » ; elle nous protège et « fonctionne comme un feu tricolore », provoquant parfois « un changement de vie » salutaire.
La désolation peut aussi être un « obstacle par lequel le tentateur veut nous décourager » de faire le bien : une « expérience » propre à la vie spirituelle, souligne le pape jésuite, car le chemin vers le bien « exige un combat » contre soi-même. Comme Jésus au désert, qui « repousse les tentations par une attitude de ferme résolution », il convient alors d’agir « de manière exactement contraire à ce qui est suggéré, en étant déterminé à continuer ce que l’on s’était fixé de faire ».
Voici notre traduction de la catéchèse en italien.
Catéchèse du pape François (Traduction intégrale)
Chers frères et sœurs, bonjour !
Comme nous l’avons vu dans les précédentes catéchèses, le discernement n’est pas principalement un processus logique ; il porte sur les actes, et les actes ont également une connotation affective qui doit être reconnue, parce que Dieu parle au cœur. Entrons donc dans la première modalité affective, objet du discernement, à savoir la désolation. De quoi s’agit-il ?
Voici comment on a défini la désolation : « Les ténèbres et le trouble de l’âme, l’inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur » (S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 317). Nous en avons tous l’expérience. Je crois que, d’une manière ou de l’autre, nous avons fait cette expérience de la désolation.
Le problème est de savoir comment la lire, parce qu’elle aussi a quelque chose d’important à nous dire et si nous sommes pressés de nous en débarrasser, nous risquons de la perdre de vue.
Personne n’a envie d’être dans la désolation, triste : c’est vrai. Nous voudrions tous avoir une vie toujours joyeuse, gaie et comblée. Et pourtant, outre le fait que ce n’est pas possible – parce que ce n’est pas possible – ce ne serait pas non plus un bien pour nous. En effet, le changement d’une vie orientée vers le vice peut commencer à partir d’une situation de tristesse, de remords pour ce que l’on a fait. L’étymologie de ce mot, « remords », est très belle : le remords de la conscience, nous connaissons tous cela. Remords : littéralement, c’est la conscience qui mord, qui ne laisse pas en paix. Alessandro Manzoni, dans Les fiancés (I promessi sposi), nous a donné une splendide description du remords comme une occasion de changer de vie. Il s’agit du célèbre dialogue entre le cardinal Frédéric Borromée et L’Innominato qui, après une nuit terrible, se présente, brisé, au cardinal et celui-ci s’adresse à lui avec des mots surprenants : « Vous avez une bonne nouvelle pour moi et vous me faites attendre si longtemps ? – Une bonne nouvelle, moi ? répond l’autre. J’ai l’enfer dans le cœur […]. Dites-moi, si vous le savez, quelle est cette bonne nouvelle. – Que Dieu a touché votre cœur et qu’il veut que vous soyez à lui », répond posément le cardinal (chapitre XXIII). Dieu touche ton cœur et il se passe quelque chose en toi, la tristesse, le remords pour quelque chose, et c’est une invitation à initier un chemin. L’homme de Dieu sait observer en profondeur ce qui se passe dans son cœur.
C’est important d’apprendre à lire sa tristesse. Nous savons tous ce qu’est la tristesse, tous. Mais savons-nous la lire ? Savons-nous comprendre ce que signifie pour moi cette tristesse aujourd’hui ? A notre époque, la tristesse est surtout considérée négativement, comme un mal qu’il faut fuir à tout prix, alors qu’elle peut être un indispensable signal d’alarme pour notre vie, nous invitant à explorer des paysages plus riches et plus fertiles que la fugacité et l’évasion ne permettent pas. Saint Thomas définit la tristesse comme une douleur de l’âme : comme les nerfs pour le corps, elle ravive l’attention face à un danger possible, ou à un bien négligé (cf. Somme th. I-II, q. 36, a.1). C’est pourquoi elle est indispensable à notre santé, elle nous protège pour que nous ne fassions pas de mal à nous-mêmes et aux autres. Il serait beaucoup plus grave et dangereux de ne pas éprouver ce sentiment et de continuer d’avancer. La tristesse fonctionne parfois comme un feu tricolore : « Arrête-toi, arrête-toi ! C’est rouge, ici. Arrête-toi ! ».
En revanche, pour celui qui a le désir d’accomplir le bien, la tristesse est un obstacle par lequel le tentateur veut nous décourager. Dans ce cas, il faut agir de manière exactement contraire à ce qui est suggéré, en étant déterminé à continuer ce que l’on s’était fixé de faire (cf. Exercices spirituels, 318). Pensons au travail, aux études, à la prière, à un engagement pris : si nous les délaissons dès que nous ressentons de l’ennui ou de la tristesse, nous ne conclurons jamais rien. Cette expérience aussi est commune à la vie spirituelle : le chemin vers le bien, rappelle l’évangile, est étroit et il monte, il exige un combat, de se vaincre soi-même. Je commence à prier, ou je me consacre à une bonne œuvre et, curieusement, c’est à ce moment précis que me reviennent à l’esprit des choses à faire d’urgence – pour ne pas prier et pour ne pas faire ces choses bonnes. Nous avons tous cette expérience. C’est important, pour celui qui veut servir le Seigneur, de ne pas se laisser guider par la désolation : « Mais non, je n’ai pas envie, c’est ennuyeux… » : fais attention. Malheureusement, certains décident d’abandonner la vie de prière ou un choix posé, le mariage ou la vie religieuse, poussés par la désolation, sans s’arrêter d’abord pour lire cet état d’âme et surtout sans l’aide d’un guide. Une règle sage dit de ne pas faire de changements lorsqu’on est dans la désolation. Ce sera le temps qui passe, plus que l’humeur d’un moment, qui montrera si nos choix sont justes.
Il est intéressant de noter que, dans l’Evangile, Jésus repousse les tentations par une attitude de ferme résolution (cf. Mt 3, 14-15 ; 4, 1-11 ; 16, 21-23). Les situations d’épreuve lui viennent de différents horizons, mais toujours, trouvant en lui cette fermeté, cette détermination à faire la volonté de son Père, elles diminuent et cessent de faire obstacle sur son chemin. Dans la vie spirituelle, l’épreuve est un moment important ; la Bible le rappelle explicitement en disant ceci : « si tu viens te mettre au service du Seigneur, prépare-toi à subir l’épreuve » (Sir 2, 1). Si tu veux marcher sur la bonne route, prépare-toi : il y aura des obstacles, il y aura des tentations, il y aura des moments de tristesse. C’est comme lorsqu’un professeur fait passer un examen à un étudiant : s’il voit qu’il connaît les points essentiels de la matière, il n’insiste pas : l’épreuve est surmontée. Mais il faut passer l’épreuve.
Si nous savons traverser la solitude et la désolation avec ouverture et en en étant conscients, nous pouvons en sortir fortifiés d’un point de vue humain et spirituel. Aucune épreuve n’est hors de notre portée ; aucune épreuve ne sera supérieure à ce que nous pouvons faire. Mais ne fuyez pas les épreuves : regardez ce que signifie cette épreuve, ce que signifie le fait que je sois triste : pourquoi suis-je triste ? Que signifie le fait que je sois dans la désolation en ce moment ? Que signifie le fait que je sois dans la désolation et que je ne puisse pas avancer ? Saint Paul rappelle que personne n’est tenté au-delà de ses possibilités, parce que le Seigneur ne nous abandonne jamais et, avec lui à nos côtés, nous pouvons être vainqueurs de toute tentation (cf. 1 Cor 10, 13). Et si nous n’en sommes pas vainqueurs aujourd’hui, nous nous relevons encore une fois, nous avançons et nous en serons vainqueurs demain. Mais ne restez pas morts – disons-le comme cela – ne restez pas vaincus par un moment de tristesse, de désolation : avancez ! Que le Seigneur te bénisse sur ce chemin – courageux ! – de la vie spirituelle, qui consiste à toujours marcher.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat