L'Aquila, 28 août 2022 © Vatican Media

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L’Aquila, « capitale du pardon, de la paix et de la réconciliation »

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Homélie du pape François

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« Que L’Aquila soit vraiment la capitale du pardon, la capitale de la paix et de la réconciliation ! » : c’est ce qu’a souhaité le pape François à la ville italienne qu’il a visitée dimanche 28 août dernier, à l’occasion de la célébration du 728e Pardon célestinien.

Dans son homélie de la messe célébrée sur l’esplanade de la basilique Santa Maria in Collemaggio, à L’Aquila, le pape François a confié une mission à la ville, ravagée par un tremblement de terre en 2009 : être « un lieu où l’on peut se réconcilier et faire l’expérience de cette grâce qui nous remet debout et nous donne une autre possibilité ».

La ville de L’Aquila, a déclaré le pape, a « le privilège de rappeler à tous qu’avec la miséricorde, et avec elle seulement, la vie de chaque homme et de chaque femme peut être vécue dans la joie ». Evoquant le tremblement de terre, il a souligné : « vous avez beaucoup souffert » et « vous pouvez garder la miséricorde parce que vous avez fait l’expérience de la misère » et « que la miséricorde consiste à se savoir aimé dans sa misère ».

Le séisme qui s’était produit à L’Aquila dans la nuit du 6 avril 2009, d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, avait fait 309 victimes et plus de 1 600 blessés. Les dégâts étaient estimés à 10 milliards d’euros.

Voici notre traduction de l’homélie prononcée par le pape au cours de la célébration eucharistique.

 

Homélie du pape François (Texte intégral)

Les saints sont une explication fascinante de l’évangile. Leur vie est le point de vue privilégié d’où nous pouvons percevoir la bonne nouvelle que Jésus est venu annoncer, à savoir que Dieu est notre Père et que chacun de nous est aimé de lui. C’est le cœur de l’évangile et Jésus est la preuve de cet amour, son incarnation et son visage.

Aujourd’hui nous célébrons l’Eucharistie en un jour particulier pour cette ville et pour cette Eglise : le Pardon célestinien. Ici sont conservées les reliques du saint pape Célestin V. Cet homme semble réaliser pleinement ce que nous avons entendu dans la première lecture « Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur » (Si 3,18). Nous nous souvenons de la figure de Célestin V comme de « celui qui fit le grand refus », selon l’expression de Dante dans la Divine Comédie ; mais Célestin V n’a pas été l’homme du « non », il a été l’homme du « oui ».

Il n’existe pas, en effet, d’autre manière de réaliser la volonté de Dieu que d’assumer la force des humbles, il n’y en a pas d’autre. C’est précisément parce qu’ils sont ainsi que les humbles passent aux yeux des hommes pour des faibles et des perdants, mais en réalité, ils sont les vrais vainqueurs parce qu’ils sont les seuls à faire complètement confiance au Seigneur et à connaître sa volonté. En effet, c’est « aux humbles que Dieu révèle ses secrets. […] et les humbles lui rendent gloire » (Si 3,19-20). Dans l’esprit du monde, dominé par l’orgueil, la Parole de Dieu de ce jour nous invite à nous faire humbles et doux. L’humilité ne consiste pas à se dévaluer soi-même, mais en ce sain réalisme qui nous fait reconnaître notre potentiel et aussi nos misères. C’est précisément à partir de nos misères que l’humilité nous fait détacher notre regard de nous-même pour le tourner vers Dieu, celui qui peut tout et qui nous obtient aussi ce que, seuls, nous ne réussissons pas à avoir. « Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23).

La force des humbles est le Seigneur et non les stratégies, les moyens humains, les logiques de ce monde, les calculs… Non, c’est le Seigneur. En ce sens, Célestin V a été un témoin courageux de l’évangile, parce qu’aucune logique de pouvoir n’a pu l’emprisonner ni le diriger. En lui, nous admirons une Eglise libre des logiques mondaines et pleinement témoin de ce nom de Dieu qui est Miséricorde. C’est le cœur même de l’évangile, parce que la miséricorde consiste à se savoir aimé dans sa misère. Cela va ensemble. On ne peut pas comprendre la miséricorde si l’on ne comprend pas sa propre misère. Être croyant ne signifie pas s’approcher d’un Dieu obscur et qui fait peur. La Lettre aux Hébreux nous l’a rappelé : « vous n’êtes pas venus vers une réalité palpable, embrasée par le feu : pas d’obscurité, de ténèbres ni d’ouragan, pas de son de trompettes ni de paroles prononcées par cette voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre » (12,18-19). Non, chers frères et sœurs, nous nous sommes approchés de Jésus, le Fils de Dieu, qui est la miséricorde du Père et l’amour qui sauve. Il est la miséricorde et seule notre misère peut parler avec la miséricorde. Si l’un d’entre nous pense parvenir à la miséricorde par un autre chemin que sa propre misère, il s’est trompé de route. C’est pourquoi il est important de se comprendre soi-même.

Depuis des siècles, L’Aquila garde vivant le don que le pape Célestin V lui a laissé. C’est le privilège de rappeler à tous qu’avec la miséricorde, et avec elle seulement, la vie de chaque homme et de chaque femme peut être vécue dans la joie. La miséricorde est l’expérience de se sentir accueilli, remis debout, fortifié, guéri et encouragé. Être pardonné, c’est faire l’expérience ici et maintenant de ce qui se rapproche le plus de la résurrection. Le pardon, c’est passer de la mort à la vie, de l’expérience de l’angoisse et de la faute à celle de la liberté et de la joie. Que ce sanctuaire soit toujours un lieu où l’on peut se réconcilier et faire l’expérience de cette grâce qui nous remet debout et nous donne une autre possibilité. Notre Dieu est le Dieu des possibilités : « Combien de fois, Seigneur ? Une ? Sept ? – Soixante-dix fois sept ». Il est le Dieu qui te donne toujours une autre possibilité. Que ce soit un sanctuaire du pardon, pas seulement une fois par an, mais toujours, tous les jours. C’est ainsi, en effet, que l’on construit la paix, à travers le pardon reçu et donné.

Partir de sa misère et regarder là, en cherchant comment arriver au pardon, parce que même dans notre misère, nous trouverons toujours une lumière qui est la voie pour aller vers le Seigneur. C’est lui qui fait la lumière dans la misère. Aujourd’hui, ce matin, par exemple, j’ai pensé à cela, lorsque nous sommes arrivés à L’Aquila et que nous ne pouvions pas atterrir : brouillard épais, tout sombre, on ne pouvait pas. Le pilote de l’hélicoptère tournait, tournait, tournait… A la fin, il a vu un petit trou et il y est entré : il a réussi, c’est un maître ! Et j’ai pensé à la misère : avec la misère, il se passe la même chose, avec notre misère. Bien souvent, là, en regardant qui nous sommes, rien, moins que rien ; et nous tournons en rond, nous tournons en rond… Mais parfois, le Seigneur fait un petit trou : mets-toi là-dedans, ce sont les plaies du Seigneur ! C’est là qu’est la miséricorde, mais elle est dans ta misère. Il y a le trou que le Seigneur te fait dans ta misère pour que tu puisses entrer. La miséricorde qui vient dans ta misère, dans ma misère, dans notre misère.

Chers frères et sœurs, vous avez beaucoup souffert du tremblement de terre et vous êtes un peuple qui essaie de se relever et de se remettre debout. Mais celui qui a souffert doit pouvoir tirer profit de sa souffrance, il doit comprendre que, dans l’expérience de l’obscurité il lui a été fait le don de comprendre la douleur des autres. Vous pouvez garder le don de la miséricorde parce que vous savez ce que signifie tout perdre, voir s’écrouler ce que l’on avait construit, laisser ce qui vous était le plus cher, sentir la déchirure de l’absence de la personne aimée. Vous pouvez garder la miséricorde parce que vous avez fait l’expérience de la misère.

Dans la vie, sans forcément vivre un tremblement de terre, tout le monde peut, pour ainsi dire, faire l’expérience d’un « tremblement de l’âme » qui le met en contact avec sa fragilité, ses limites, sa misère. Dans ces circonstances, on peut se laisser durcir par la vie ou bien on peut apprendre la douceur. Humilité et douceur sont alors les caractéristiques de celui qui a la tâche de garder la miséricorde et d’en témoigner. Oui, parce que lorsque la miséricorde vient à nous, c’est pour que nous la gardions et également pour que nous puissions témoigner de la miséricorde. La miséricorde est un don pour moi, pour moi qui suis misérable, mais cette miséricorde doit aussi être transmise aux autres, comme un don de la part du Seigneur.

Il y a quand même un signal d’alarme qui nous dit si nous nous trompons de route et l’évangile d’aujourd’hui le rappelle (cf. Lc 14, 1.7-14). Jésus est invité à déjeuner chez un pharisien – nous l’avons entendu – et il observe avec attention que beaucoup se dépêchent de prendre les meilleures places à table. Cela lui donne l’idée de raconter une parabole qui est encore valable pour nous aujourd’hui : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place » (v. 8-9). Trop souvent on pense que la valeur dépend de la place que l’on occupe dans ce monde. L’homme n’est pas la place qu’il détient ; l’homme est la liberté dont il est capable et qu’il manifeste pleinement quand il occupe la dernière place ou quand lui est réservé une place sur la Croix.

Le chrétien sait que sa vie n’est pas une carrière à la manière de ce monde, mais une carrière à la manière du Christ, qui dira de lui-même qu’il est venu pour servir et non pour être servi (cf. Mc 10,45). Tant que nous ne comprendrons pas que la révolution de l’évangile est tout entière dans ce type de liberté, nous continuerons d’assister à des guerres, des violences et des injustices qui ne sont que le symptôme extérieur d’un manque de liberté intérieure. Là où il n’y a pas de liberté intérieure, l’égoïsme, l’individualisme, l’intérêt personnel, l’oppression et toutes ces misères font leur chemin. Et les misères prennent le commandement.

Frères et sœurs, que L’Aquila soit vraiment la capitale du pardon, la capitale de la paix et de la réconciliation ! Que L’Aquila sache offrir à tous cette transformation que Marie chante dans le Magnificat : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles » (Lc 1,52) ; celle que Jésus nous a rappelée dans l’évangile d’aujourd’hui : « Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14,11). Et c’est justement à Marie, que vous vénérez sous le titre de Salut du peuple de L’Aquila, que nous voulons confier notre résolution de vivre selon l’évangile. Que sa maternelle intercession obtienne pour le monde entier le pardon et la paix, la conscience de sa misère et la beauté de la miséricorde.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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