Mgr Francesco Follo, 24 mars 2021, capture @ UNESCO

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Aimer : « un commandement nouveau et ancien », par Mgr Follo

Pour rendre Jésus présent

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« Avec le souhait de comprendre que si nous nous aimons les uns les autres, Jésus continue d’être présent parmi nous, nous donnant la paix et la joie. »

Voici la méditation des lectures de ce Vème dimanche de Pâques, 15 mai 2022, par Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO.

 

Un commandement ancien : Aimer, qui devient nouveau parce que le Christ en est le modèle.

Vème dimanche de Pâques – Année C – 15 mai 2022

Ac 14,21-27; Ps 144; Ap 21,1-5; Jn 13,31-35

            1) Un commandement nouveau et ancien

Dans la Liturgie de la Parole de ce Vème dimanche de Pâques  il y a un adjectif qui revient souvent : « nouveau, nouvelle ». Dans les deux premières lectures de la Messe, on parle « d’un  ciel nouveau et d’une terre nouvelle» de la « Jérusalem nouvelle», de Dieu qui rend toutes choses nouvelles et, dans l’Evangile, du « commandement nouveau » : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34).

Si nous nous aimons, Jésus continue d’être présent parmi nous, d’être glorifié dans le monde. Jésus parle d’un nouveau commandement. Mais quelle est sa nouveauté ? Déjà dans l’Ancien Testament, Dieu avait donné le commandement de l’amour ; maintenant, cependant, ce commandement est devenu nouveau car Jésus y fait un ajout très important: « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Ce qui est nouveau, c’est précisément cet « aimer comme Jésus a aimé ». Tout notre amour est précédé de son amour et se réfère à cet amour, il s’insère dans cet amour, il se réalise précisément pour cet amour.

L’Ancien Testament n’a présenté aucun modèle d’amour, mais a seulement formulé le précepte d’aimer. Au lieu de cela, Jésus nous a donné lui-même comme modèle et comme source d’amour. C’est un amour universel et illimité, capable de transformer même toutes les circonstances négatives et tous les obstacles en opportunités pour progresser dans l’amour.

Nous pouvons clarifier cette nouveauté en ayant l’aide de Saint Augustin qui affirme que Jésus définit « nouveau » le commandement de l’amour fraternel et réciproque parce qu’il rénove et qu’il transforme tout et tous. En effet, « l’amour du Christ nous rénove, en faisant de nous des hommes nouveaux, héritiers du Testament nouveau, chanteurs du cantique nouveau » (Saint-Augustin). Si nous devions mettre des paroles sur la bouche de l’amour, nous pourrions utiliser les paroles que Dieu prononce dans la deuxième lecture d’aujourd’hui : « Voici, voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Donc, le commandement de l’amour est nouveau dans le sens actif, dynamique. Il est  source de nouveauté.

Mais en quoi consiste la nouveauté de cette volonté du Christ? En soi, le commandement de l’amour est ancien[1], comme Saint-Jean le dit dans sa première lettre (cfr 1 Jn 1,7-10). C’est un commandement  « ancien » comme Dieu. Et déjà l’ Ancien Testament (cf. Dt 6) invitait à aimer Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme soi-même.

Donc, la nouveauté dont Jésus parle n’est pas liée au temps mais à la modalité: « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,35). Et le« comme » n’indique pas la quantité de l’amour (qui pourrait aimer « comme » le Fils de Dieu !?) mais la modalité. Le Christ ne dit pas « aimez-vous « autant » que je vous ai aimé, mais  « comme » je vous ai aimé ». Pour nous, pauvres êtres limités, sa mesure sans limites est impossible. Il est possible de le suivre, de l’imiter dans sa modalité d’aimer. Par exemple, en lavant laver les pieds comme il l’a fait, en partant du plus pauvre. En lavant les pieds aux Apôtres, le Christ a indiqué combien il est important de pratiquer la charité comme l’amour humble qui est avec les amis, qui sert les amis. Il s’agit d’une manière de vivre, c’est un mode de vie, une façon d’être un don de soi qui ne peut être obscurci par ce désir de tout posséder, de posséder même de la pauvreté, pour s’accommoder dans la rhétorique d’une aide charitable.

L’amour fraternel  et réciproque est la nouveauté de la vie de Dieu qui fait irruption émerge dans notre vieux monde, en le régénérant. Et c’est une anticipation de la vie future à laquelle nous aspirons et une garantie de la présente parce que « nous  tous avons besoin de beaucoup d’amour pour vivre bien » (Jacques Maritain).

L’amour entre les disciples, frères du Christ  et frères entre eux, est un amour qui vise la réciprocité : « Aimez-vous les uns les autres »  (Jn 13,35) est répété plusieurs fois. Mais si nous voulons que notre amour réciproque soit comme celui du Christ, cet amour doit être gratuit et s’ouvrir à tous les frères en humanité. Cela doit donc être une charité réciproque et ouverte. « De tout cela, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Id). L’amour chrétien – lorsque l’on souligne la réciprocité – ne cesse pas d’être ouvert, bien au contraire, il s’ouvre à tous. L’amour réciproque est pour l’homme un mouvement, une  vie, une sortie de l’enfermement, de la haine, de l’égoïsme et de l’indifférence pour respirer à pleins poumons. Saint-Jean, le disciple bien-aimé, écrit : « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères, qui n’aime pas reste dans la mort » (1Jn 3,14). « S’aimer réciproquement » n’est pas une imposition mais une directive amoureuse qui sauvegarde et promeut la vie humaine, en cette volonté d’amour où le destin du monde et le sort de chacun de nous sont récapitulés.

            2) Aimer : un commandement qui est un don

L’Apôtre que le Christ préférait écrit encore : « Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau » (1 Jn 5,3). Ils sont légers et source de joie : ils sont un don. Saint-Jean appelle « don » le commandement de l’amour (le verbe « donner » est trop faible, il vaut mieux traduire « faire un don »). Cela peut paraître absurde d’affirmer qu’un commandement soit un don mais c’est conforme à tout l’enseignement biblique. La loi de Dieu est un don, parce que ce qu’elle  indique la nature de Dieu et notre futur, notre vocation la plus profonde. Par exemple, le commandement : « Ne tue pas » veut dire que la nature de Dieu est vie et que nous sommes appelés à la vie.

Lorsque Dieu « commande » d’aimer, cela veut dire que Lui est Amour et que nous sommes appelés à l’Amour.

Mais qu’est ce que l’Amour ? On ne peut exister qu’en tant qu’être aimé, si non on n’existe pas. Nous savons aussi que Dieu est amour, mais comment faisons nous à connaître que Dieu est Amour? Voici comment Jésus l’a manifesté : l’amour consiste à laver les pieds à Pierre qui le renie, l’amour consiste à se donner à Juda qui le livre et le trahit. L’amour est savoir aimer l’autre comme il est,  d’une façon absolue et inconditionnelle, sans tenir compte des mérites de la personne aimée. De façon analogue,  les parents aiment leur enfant, pour ce qu’il est et non pas à cause des mérites qu’il a, parce que si l’on faisait naître un enfant en se basant sur les mérites que l’enfant a, cet enfant ne naîtrait jamais et, que, s’ils le faisaient grandir en fonction des mérites qu’il a, il ne grandirait jamais. L’être aimé est la condition pour vivre et pour partager l’amour reçu.

Dans le sillon de Benoît XVI qui a expliqué l’amour sur le plan théologique dans son encyclique « Deus caritas est », le pape François, pasteur authentique dit : « Qu’est-ce c’est l’amour? C’est une série télévisée ? C’est ce que nous voyons dans les téléromans ? Certains pensent l’amour que c’est ça. Parler de l’amour est tellement beau, on peut dire de belles choses, belles, belles belles. Mais l’amour a deux axes sur lesquels on bouge, et si une personne, un jeune n’a pas ces deux axes, ces deux dimensions de l’amour, ce n’est pas l’Amour. Avant tout, l’amour est plus dans les œuvres que dans les paroles, l’amour est concret…. Ce n’est pas l’amour de dire seulement : « Moi, je t’aime, moi j’aime toutes les personnes ». Non. Que fais-tu pour l’amour? L’amour se donne. Pensez que Dieu a commencé à parler de l’amour lorsqu’il a sauvé son peuple, il a pardonné tant de fois – que de patience a Dieu!-: il a fait des gestes d’amour, œuvres d’amour. Et la deuxième dimension, le deuxième axe sur lequel l’amour tourne c’est que l’amour se communique toujours, l’amour écoute et répond, l’amour se fait dans le dialogue, dans la communion : on communique ».

            3) Le Pélican, image du Christ-Amour.

Porte du Pélican, abbaye de Saint-Wandrille, diocèse de Rouen, France.

Une image nous arrive de  la tradition médiévale : elle peut être utile pour comprendre ce qu’est l’amour : c’est l’image de Jésus Christ représenté comme un pélican qui ouvre son propre cœur pour nourrir ses petits, parce qu’il n’a pas trouvé de poissons à leur donner à manger.  L’origine de cette image eucharistique vient d’une ancienne légende qui représente bien l’amour concret du Fils de Dieu qui se communique en donnant sa vue pour donne la nourriture de Vie.

Tous les chrétiens doivent avoir un rapport profond avec le Christ-Eucharistie, mais il faut tenir en compte que le mystère eucharistique de l’amour manifeste un rapport intrinsèque  avec la virginité consacrée, en tant qu’expression de don exclusif de l’Eglise au Christ. En fait, les vierges consacrées accueillent le Christ-Epoux avec fidélité radicale et féconde. Dans l’Eucharistie, les vierges consacrées  dans le monde trouvent l’inspiration et la nourriture pour leur pleine consécration au Christ (cf. Sacramentum caritatis, n 81).

Les vierges consacrées sont passionnées dans leur amour pour l’Eucharistie, accueillant le Christ comme leur inspiration et leur nourriture à partager. Leur consécration virginale n’est pas un renoncement à l’amour. Bien au contraire, cette consécration les rend toujours prêtes à recevoir l’amour intime du Seigneur et à le Lui retourner par la prière et le service au prochain aimé d’un amour virginal comme celui du Christ. (cf. rituel de consécration des vierges, formule de bénédiction finale : « Que Dieu vous établisse aux yeux du monde comme signe et témoin de son amour ».  Ces femmes consacrées suivent, c’est à dire imitent l’Agneau dans la splendeur de la virginité. « Vous – dit Saint Augustin – suivez l’Agneau en conservant avec persévérance ce que vous Lui avez consacré avec ardeur » (S.Virg 29,29).

La virginité, que la consécration virginale rend précieuse, est quotidiennement revitalisée par la nuptialité eucharistique où l’on respire l’amitié de Jésus : amitié de ressemblance: « Comme le Père m’a aimé, moi, je vous aime » (Jn 15,9). Le précepte « aimez-vous comme je vous ai aimé, dans mon amour » (Jn 13,34; 15,9 ss) est la clé interprétative du don par le sacrement de la présence amie du Seigneur ressuscité.

Lecture patristique

Saint Cyrille d’Alexandrie (+ 444)

Commentaire sur l’évangile de Jean, 9

 PG 74, 161-164.

 

Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres. Mais, demandera-t-on peut-être, comment Jésus peut-il dire que ce commandement est nouveau, lui qui a prescrit aux anciens, par l’intermédiaire de Moïse: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même (Dt 6,5 Mt 22,37)? <>

Il faut voir ce que Jésus ajoute. Il ne s’est pas contenté de dire: Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Mais pour montrer la nouveauté de cette parole et que son amour a quelque chose de plus fort et de plus remarquable que l’ancienne charité envers le prochain, il ajoute aussitôt: Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Il faut donc creuser le sens de ces paroles, et rechercher comment le Christ nous a aimés. Alors, en effet, nous pourrons apprécier ce qu’il y a de différent et de nouveau dans le précepte qui nous est donné maintenant. Donc, lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais au contraire il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,6-8). Et saint Paul affirme encore: Lui qui est riche, il s’est fait pauvre (2Co 8,9).

Voyez-vous la nouveauté de son amour envers nous? La Loi prescrivait en effet d’aimer son frère comme soi-même. Or notre Seigneur Jésus Christ nous a aimés plus que lui-même, puisque, vivant dans la même condition que Dieu le Père et dans l’égalité avec lui, il ne serait pas descendu jusqu’à notre bassesse, il n’aurait pas subi pour nous une mort physique aussi affreuse, il n’aurait pas subi les gifles, les moqueries et tout ce qu’il a subi, – si je voulais énumérer dans le détail tout ce qu’il a souffert, je n’en finirais pas – et d’abord, il n’aurait pas voulu, étant riche, se faire pauvre, s’il ne nous avait pas aimés plus que lui-même. Une telle mesure d’amour est donc inouïe et nouvelle.

Il nous ordonne d’avoir les mêmes sentiments, de ne faire passer absolument rien avant l’amour de nos frères, ni la gloire ni les richesses. Il ne faut même pas craindre, si c’est nécessaire, d’affronter la mort corporelle pour obtenir le salut du prochain. C’est ce qu’ont fait les bienheureux disciples de notre Sauveur et ceux qui ont suivi leurs traces. Ils ont fait passer le salut des autres avant leur propre vie, ils n’ont refusé aucun labeur. Ils ont accepté de supporter des maux extrêmes pour sauver des âmes qui se perdaient. C’est ainsi que saint Paul dit parfois: Je meurs chaque jour (1Co 15,31), et aussi: Si quelqu’un faiblit, je partage sa faiblesse; si quelqu’un vient à tomber, cela me brûle (2Co 11,29).

Le Sauveur nous a ordonné de cultiver la racine de cette piété très parfaite envers Dieu, bien plus grande que l’amour prescrit par la loi ancienne. Il savait que nous n’avons pas d’autre moyen de plaire à Dieu que de suivre la beauté de l’amour, tel qu’il l’a introduit chez nous, et de recevoir ainsi les plus hautes et les plus parfaites bénédictions.

[1] Il s’agit d’un commandement « ancien » et « nouveau ». Ancien parce qu’il remonte à Dieu même qui est Amour de l’éternité et dans l’amour il confirme tous ses enfants; nouveau par le fait que le critère d’agir, l’attitude et la fiabilité de celui qui dit demeurer dans le Christ devra se configurer dans l’amour vers les frères en évitant toute sorte de haine, de recul et de suspicion : la caractéristique distinctive  du chrétien doit être sa capacité d’aimer au-dessus de ses forces,  jusqu’à nier soi-même.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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