Messe des Cendres à Sainte-Sabine © Vatican Media

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Aux sources du renouveau de l’Eglise, par A. Desmazières (3/3)

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Renouveau de l’Eglise et conversion

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« Aux sources du renouveau de l’Eglise » : c’est le titre de cette conférence de carême donnée par la théologienne Agnès Desmazières en la cathédrale Saint-Louis de Versailles, dimanche 3 avril 2022.

Agnès Desmazières, docteur en théologie et histoire, est maître de conférences au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

La première partie a été publiée le 3 mai 2022 et la deuxième le 4 mai 2022.

 

Aux sources du renouveau de l’Eglise (3/3)

3. Renouveau de l’Eglise et conversion

Alors qu’Irénée met l’accent sur les tribulations liées à l’histoire, aux conditionnements socio-économiques – qui sont, d’une certaine manière, subis – il insiste moins sur les « tentations », également mentionnées par le concile Vatican II en Lumen gentium n. 9 : « Marchant à travers les tentations, les tribulations, l’Église [se renouvelle] sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la croix, elle arrive à la lumière sans couchant ».

Des « tribulations » aux « tentations »

Le domaine des « « tentations » apparaît moins circonstanciel que celui des « tribulations » : les tentations débordent le temps et l’espace, même si elles s’expriment de manière diversifiée, en épousant nos conditionnements. Les tentations de l’orgueil, du pouvoir, de l’argent, ou encore de la domination sexuelle, existent de tous temps. Elles prennent cependant des visages différents en fonction des moments historiques, des cultures. La tension entre « tentations » et « tribulations » renvoie à la tension entre cheminement personnel et pèlerinage communautaire : nous faisons notre chemin de sainteté en communauté, en peuple, insérés dans une histoire.

Ce chemin est un chemin de conversion. L’accoutumance suppose des conversions successives. D’une certaine manière, il s’agit d’être toujours en état de conversion. Se tourner vers Dieu c’est se tourner vers la gloire qui est notre fin. Notre représentation de la conversion est souvent radicale, à l’image de saint Paul tombant de son cheval. De fait, parfois, la grâce nous foudroie. En même temps, la conversion est un appel fondamental qui constitue notre être chrétien, auquel nous sommes convoqués à répondre en permanence : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne nouvelle », tel est bien le cœur de la prédication de Jésus. Croître dans la foi implique de se convertir : la foi suppose d’être mise en acte dans une conversion continuelle de notre agir, de façon à nous mettre à la suite du Christ.

La conversion procède d’une double dynamique, personnelle et communautaire. Notre sainteté personnelle n’est en effet pas sans relation avec la sainteté de l’Eglise. L’Eglise, « sacrement du salut », manifeste davantage la sainteté de Dieu lorsque ses membres sont davantage habités par l’appel à la sainteté qu’ils ont reçu. Nous avons également besoin d’un environnement saint, qui nous porte à croître en sainteté. L’on parle de la présence de « structures de péché » dans la société, l’on peut aussi se demander s’il n’y a pas des « structures du péché » à l’œuvre dans l’Eglise[1]. Il y a des manières de se comporter en Eglise qui peuvent porter au péché, susciter l’obscurcissement des consciences – quand, par exemple, l’on agit comme si la fin justifiait les moyens, comme si le fait d’exercer une responsabilité en Eglise nous place au-dessus des lois.

Par conséquent, nous faisons notre chemin de sainteté en renouvelant l’Eglise et nous renouvelons l’Eglise en cherchant la sainteté. Ainsi, la participation au renouvellement de l’Eglise est un chemin de sanctification. En recherchant la sainteté, l’Eglise s’en trouve plus belle. Plus encore, en accompagnant notre prochain sur son chemin de sainteté, nous contribuons à cette beauté de l’Eglise.

Le courage de parler

C’est ici que je convoque sainte Catherine de Sienne, que Paul VI a proclamée docteure « de l’Eglise ». Le « de l’Eglise » est spécialement important s’agissant de cette grande sainte dominicaine : Catherine est en effet l’éducatrice par excellence à un sens authentique de l’Eglise, à une rectitude dans l’agir moral, au service du Peuple et dans la charité. Elle aussi vivait dans des temps troublés, temps de divisions dans l’Eglise. C’est l’époque du « Grand schisme » et de la papauté en Avignon.

Ce qui frappe de prime abord chez Catherine, c’est son courage, la force de ses interpellations aux papes et évêques. Elle va à la racine des maux qui accablent leur Eglise : l’ « amour-propre » ou l’ « orgueil pervers, source et principe de tout mal » (lettre n. 185). Elle n’hésite pas à interpeller directement le pape Grégoire XI : « J’espère, mon vénérable Père que, soutenu par la bonté de Dieu, vous étoufferez ce sentiment en vous et que vous ne vous aimerez pas pour vous ni n’aimerez votre prochain ou Dieu pour vous » (Ibid.). Cet appel devient très concret quand elle lui recommande : « N’ayez plus cure ni de vos amis, ni de vos parents, ni de vos intérêts temporels » (Ibid.).

Sainte Catherine nous éclaire sur la manière de comprendre cette affirmation de Vatican II selon laquelle les laïcs – elle-même était tertiaire dominicaine – « Dans la mesure de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur situation, […] ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église » (Lumen gentium n. 37).  Catherine de Sienne a vécu, de manière exemplaire, ce « devoir » de manifester son sentiment pour « le bien de l’Eglise ».

D’une autre manière, le pape François l’explique en associant, « écoute humble » et « parrhésie », c’est-à-dire le courage de parler. Ce courage de parler a sa source dans l’Esprit-Saint, il s’ancre dans une vie de prière et suppose une capacité d’écoute : je reconnais que l’autre est habité par l’Esprit et que sa propre parole a de la valeur, peut me faire croître et faire croître l’Eglise.

Unir miséricorde et justice

Le courage de parler de Catherine de Sienne procède aussi d’une compréhension ajustée de la relation entre miséricorde et justice, qu’elle met en acte en associant charité envers les pasteurs et fermeté dans la condamnation des maux. Elle insiste sur la réciprocité entre miséricorde et justice. La justice brute peut en effet être ferment de « cruauté » et, ultimement, d’ « injustice » (lettre n. 291). Sous prétexte de miséricorde, l’on ne peut faire l’impasse de la justice car « la miséricorde sans la justice serait pour le sujet comme un baume sur une plaie destinée à être brûlée par le feu » (Ibid.). Catherine nous invite ainsi à ne pas éluder la justice de nos rapports en Eglise.

C’est dans cette perspective de l’ « union de la miséricorde et de la justice » (Ibid.) que peut se comprendre l’exercice délicat de la correction fraternelle. Les interpellations de Catherine de Sienne sont inspirantes à cet égard : papes et pasteurs sont ses frères dans le Christ. C’est au nom de cette fraternité qu’elle les appelle à la conversion. Ses mises en garde et encouragements sont en effet en vue du « bien de l’Eglise », comme l’indique Vatican II, mais aussi en vue de la croissance en sainteté de ceux qui en ont plus spécialement la responsabilité.

Cela nous invite à nous interroger sur notre propre vécu ecclésial. Notre agir moral ne s’arrête pas aux portes de l’Eglise, il ne se limite pas à la vie en famille et en société. Nous avons une responsabilité particulière de conformer notre agir à celui du Christ, aussi dans le contexte ecclésial. Il y a un certain devoir d’exemplarité : l’Eglise est-elle toujours vraiment exemplaire dans sa manière de mettre en oeuvre la doctrine sociale qu’elle enseigne ?

Une conversion à la cohérence

Il y a un enjeu crucial pour que l’Eglise soit plus pleinement « sacrement du salut » pour le monde. Le monde appelle spécialement aujourd’hui l’Eglise à faire preuve de cohérence, à délivrer un témoignage authentique, en acte de l’Evangile.

Ce témoignage ne peut être simplement de façade. L’appel à la conversion de Mt 6, entendu à chaque début de Carême, indique que la conversion se réalise d’abord « dans le secret ». Face à la tentation de l’extraordinaire et du merveilleux, l’Evangile nous rappelle cette priorité de la discrétion, de l’humilité. Ce qui est réalisé « dans le secret » ne rapporte pas humainement parlant, l’on n’en tire pas d’ « intérêts temporels », selon les mots de Catherine de Sienne.

L’humilité consiste aussi dans le courage de parler à contre-courant, à distance du discours prévalent qui peut être justement influencé par les « structures de péché » qui travestissent l’Eglise. Elle se manifeste aussi dans des prises de décision courageuses, qui ne vont pas forcément dans le sens du vent. Benoît XVI disait ainsi le 26 février 2012 que c’est quand « je suis humble j’ai la liberté aussi d’être en opposition avec une opinion dominante, avec les pensées des autres, parce que l’humilité me donne la capacité, la liberté de la vérité ». L’orgueil, que fustigeait justement sainte Catherine, empêche d’avoir ce courage, cette liberté de la vérité.

Dans cette perspective, si le renouvellement de l’Eglise ne va pas sans renouvellement des structures, il convient toutefois de se rappeler que ses structures sont temporelles, des vestiges de notre monde, qui disparaîtront dans la gloire. Il ne s’agit donc pas de les absolutiser. Le renouvellement des structures est à penser en vue de la mission, en fonction de la finalité : témoigner davantage de la gloire.

Retenons que le renouveau de l’Eglise se réalise à la lumière de la gloire ; c’est cela qui nous donne courage et espérance, qui nous assure aussi que nous ne nous trompons pas. Il se réalise dans la confiance de l’Esprit toujours à l’œuvre, grâce à la présence duquel l’Eglise est indéfectible. Elle demeure cette statue de sel, ferme dans la foi dans les tribulations qui font partie du chemin de croissance, d’accoutumance à la gloire. Il ne s’agit pas de nier la réalité des épreuves ou de les subir passivement, comme un coup du destin, mais de les affronter dans la perspective de la gloire avec cette certitude de l’indéfectibilité de l’Eglise.

Le renouvellement de l’Eglise est en un sens déjà acquis et en même temps pas pleinement consommé. Et cela est beau ! Cela appelle notre contribution au renouveau de l’Eglise, qui est un chemin de sainteté pour nous. Comment y contribuer ? D’abord, par une vie de sainteté, par une attention à notre agir moral en Eglise : de quelle manière témoignons-nous du message évangélique quand nous exerçons une responsabilité – petite ou grande en Eglise ou simplement quand nous nous présentons comme chrétiens ?

Agnès Desmazières

[1] Cf. Walter Kasper, Daniel Deckers, Où bat le coeur de la foi, Lessius, Bruxelles, 2011, 121.

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