« Charles de Foucauld, un itinéraire de conversions »: c’est le thème des conférences de Carême données à Notre-Dame de la Garde, par l’archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline.
Il a donné, hier, dimanche 27 mars 2022, la troisième de ces conférences, sur le thème: « Creuser le désir ».
Dans sa première conférence, Mgr Aveline retraçait les premières années de Charles de Foucauld, puis sa carrière militaire et son exploration du Maroc, pour en tirer des « pistes » de méditation.
Dans sa deuxième conférence, Mgr Aveline a choisi pour thème, le 20 mars, « Creuser le désir ».
Alors que le bienheureux Charles de Foucauld sera canonisé le 15 mai 2022, à Rome – avec Marie Rivier, Titus Brandsma ocd, Marie de Jésus Santocanale, Lazare Devasahayam, César de Bus, Luigi Maria Palazzolo, Giustino Maria Russolillo, Maria Francesca Rubatto, Maria Domenica Mantovani -, Mgr Jean-Marc Aveline propose une série de conférences sur « l’itinéraire de conversions » du futur saint, les 13, 20 et 27 mars et le 3 avril.
On peut suivre les conférences en direct à 16h sur Kto.tv .
Charles de Foucauld
Un itinéraire de conversions
Troisième conférence : être avec Jésus
Chers amis,
Quand nous l’avions laissé, la semaine dernière, Charles de Foucauld venait d’arriver, après bien des péripéties, au monastère des Clarisses de Nazareth. C’était le 10 mars 1897 ; il avait trente-neuf ans. Depuis sa conversion à Paris en octobre 1886, il avait cherché sa voie, d’abord à la Trappe de Notre-Dame des Neiges, puis dans une fondation de cette dernière, encore plus pauvre, à Akbès, en Syrie. En y arrivant, il pensait qu’il avait enfin trouvé le lieu où Dieu le voulait, que c’était « définitif ». Mais, comme il l’avait autrefois écrit à son ami Gabriel Tourdes lorsqu’il avait fait le choix de s’installer à Paris, il savait que pour lui, le définitif avait toujours quelque chose de provisoire, comme si l’explorateur qu’il est toujours resté ne pouvait accepter de ne plus chercher sous prétexte qu’il avait trouvé ! Saint Augustin, en grand explorateur de l’intériorité, exprimait cette expérience en quelques phrases lumineuses : « Cherchons comme cherchent ceux qui doivent trouver et trouvons comme trouvent ceux qui doivent chercher encore. Car il est écrit : celui qui est arrivé au terme ne fait que commencer » ; et encore : « Recherche toujours le meilleur, attends-toi toujours au mieux et, jamais à aucun moment, ne te satisfais de ce qui serait moins bon ».
C’est donc d’une manière un peu dubitative que je vous lisais, dimanche dernier, à la fin de notre entretien, ces lignes aux accents bien trop « définitifs » écrites par Charles à sa cousine le 22 mars 1897, douze jours après son arrivée à Nazareth : « Je loge dans une cabane en planches hors de la clôture. C’est exactement la vie que je cherchais ». Dans le même état d’esprit, quelques semaines plus tard, il écrit à son cousin Louis de Foucauld : « Je suis fixé à Nazareth… Le bon Dieu m’a fait trouver ici, aussi parfaitement que possible, ce que je cherchais » (lettre du 12 avril 1897). Et c’est vrai que Charles va trouver à Nazareth, pendant quelques années, une pause bienvenue dans sa quête incessante pour s’approcher de « la dernière place ». Comme le fils prodigue de ce quatrième dimanche de Carême, il sent bien qu’il est de retour à la maison et qu’il peut goûter, dans le secret de son cœur, l’intimité joyeuse d’une miséricorde infinie. Le bon Dieu, c’est sûr, l’attendait là. Charles, le cœur débordant de reconnaissance, s’y installa comme si c’était pour toujours, c’est-à-dire le plus pauvrement possible, en totale dépendance de ce qu’on voudrait bien lui donner.
Même si cette étape ne dura pas très longtemps (un peu plus de trois ans, de mars 1897 à août 1900), elle est capitale dans son itinéraire spirituel. Solitaire et apaisé, il se plonge dans la Parole de Dieu, qu’il lit, intériorise, prie et savoure de multiples façons. Il écrit beaucoup, non seulement de la correspondance, mais aussi des méditations, des notes de retraite. La plupart de ses Écrits spirituels datent de cette courte période, calme et intense, toujours sous la conduite de l’abbé Huvelin, qui le dirige d’une main sûre malgré l’éloignement.[1] Je vous propose donc de profiter de ce moment de quiétude pour faire un premier bilan de ce que nous apprend de Dieu, de nous-mêmes et de l’Église, la vie étonnante de saint Charles de Foucauld, avant même qu’il ne soit arrivé au désert du Hoggar, qu’il n’entrevoit même pas pendant qu’il est à Nazareth, alors que, dans le secret, c’est à cela que Dieu le prépare, ce Sahara auquel son nom restera irrémédiablement attaché.
Arrêt sur image
Je vous propose donc de regarder comment le Seigneur s’y est pris, jusqu’à ce moment de Nazareth, pour appeler et accompagner Charles dans les circonstances concrètes de sa vie. Plusieurs éléments se mettent peu à peu en place. J’en évoquerai quatre.
1. D’abord, l’expérience d’une vie familiale. Certes, malgré tout l’amour qu’il en a reçu dans ses toutes premières années, la famille est très vite devenue pour Charles le lieu d’un grand chagrin. Orphelin très tôt, de père puis de mère, assistant avec sa sœur, en cette même année 1864, au décès subit de leur grand-mère, l’enfance de Charles fut marquée par la mort et par la déchirure, que renforça l’exil forcé loin de sa ville natale et de sa première école à Strasbourg, Rue Brûlée, à cause de la guerre de 1870.[2] Ces premières blessures auraient pu lui être fatales. Longues à cicatriser, elles l’ont néanmoins rendu sensible à la douleur des autres, tant il est vrai qu’il y a des choses que ne savent voir que des yeux qui ont pleuré ! Ses amis de Saint-Cyr, les hommes qu’il commanda dans le Sud-Oranais, et même les quelques femmes dont il accepta généreusement l’affection et auxquelles il offrit la sienne, avaient bien perçu sa grande capacité d’empathie et son irrésistible besoin d’amitié, comme le remarqueront plus tard ses frères de la Trappe qui l’ont toujours, à cause de cela, considéré avec beaucoup d’affection et de respect, même s’ils ne comprenaient pas ses terribles exigences envers lui-même. Même la dureté de sa tante Inès, dont les reproches l’avaient atteint dans sa fierté lorsqu’il avait démissionné de l’armée en 1882, même le Conseil judiciaire que cette famille inquiète lui avait imposé pendant de longues années, et même les pressions de sa cousine et de sa sœur afin qu’il trouve un bon parti et puisse se marier de façon aristocratiquement convenable, rien de tout cela n’avait réussi à l’éloigner d’une affection familiale qu’il savait lui être acquise, envers et contre tout, quoiqu’il fît de sa vie, simplement parce que, étant membre de cette famille, il savait qu’elle l’aimerait jusqu’au bout, comme le père du fils prodigue.
Et c’est par ce biais que Dieu lui fit comprendre sa bonté, tout spécialement par sa cousine, Marie de Bondy, à laquelle Charles attribuait sa conversion. Sans jamais le contraindre, elle a veillé sur lui en lui témoignant une bonté qui venait de Dieu et qui le conduisit à Dieu.[3] Je note là, chers amis, un appel qui nous est adressé, nous invitant à consolider, encourager, favoriser la vie familiale, soumise de nos jours à tant de contraintes qui l’appauvrissent et la dessèchent. Si nous manquons tant de vocations religieuses et presbytérales, c’est peut-être parce que nous manquons avant tout de vocations familiales. Charles n’a pas fait qu’en bénéficier lui-même : lorsqu’il sera à Beni-Abbès puis à Tamanrasset, il attribuera beaucoup d’importance aux liens fraternels qu’il se doit d’offrir, comme une autre famille, à ceux qui n’en ont pas. Sa maison, à Beni-Abbès, s’appellera la Fraternité. De Nazareth à Béthanie, la vie de Jésus s’est révélée à Charles comme profondément marquée par l’expérience de la famille et celle de l’amitié. Et il comprit ainsi que ce que Dieu lui avait donné à lui, une famille solide et des amis fidèles, l’appelait à tout faire pour que d’autres bénéficient de cette fraternité, car elle est le terreau de toute vie évangélique. Et nous qui relisons la vie de Charles pour mieux recueillir ce que l’Esprit veut dire à notre Église, nous comprenons qu’aujourd’hui plus que jamais, nous sommes appelés, comme le pape François ne cesse de nous le dire, à plus de fraternité, plus de bonté, plus de soutien à ceux qui sont marqués par la solitude, l’exclusion et la peur d’être abandonnés. Orphelin, Charles avait vécu cette peur, sur laquelle il ne s’exprime que très peu. Mais elle l’a sans aucun doute travaillé, jusqu’à ce que la foi lui donne de transformer cette peur d’être abandonné en geste confiant d’abandon entre les mains de son Père des cieux.
2. J’ai parlé de la famille. Mais il y a un deuxième élément à prendre en compte, me semble-t-il, dans la façon dont le Seigneur s’y est pris pour attirer Charles vers lui : je veux parler de l’appartenance à un corps militaire. Déjà avec son grand-père, le colonel de Morlet, qui recueille ses petits-enfants orphelins et les emmène en Suisse pour les mettre à l’abri de la guerre, l’enfance et l’adolescence de Charles avaient été bercées par le récit des épopées et des aventures du vieux baroudeur féru d’archéologie et de belles lettres. C’est avec ses encouragements que Charles entre à Saint-Cyr et commence sa carrière sous les drapeaux. Et c’est à l’armée que Charles apprend à organiser ses journées, à se faire chaque soir le programme précis du lendemain, à structurer sa vie pour que chacune de ses heures soient employées à bon escient. Même si les tourbillons de la jeunesse eurent souvent raison de cette propension à l’organisation, celle-ci revint très fortement ensuite, et l’aida à garder tant bien que mal la maîtrise de ses ardeurs et à faire tendre vers un but chacune de ses journées. C’est surtout après sa démission de l’armée, lorsqu’il se retrouva tout seul et se mit à changer progressivement de vie, à Mascara puis à Alger, sous la conduite de Mac Carthy, et enfin à Paris, que cet art de l’emploi du temps lui deviendra très précieux.[4] On comprend que la règle de vie de la Trappe ne lui ait pas demandé beaucoup d’effort ! Et c’est aussi grâce à cette organisation minutieuse, grâce à cette capacité d’intégrer en lui-même une règle de vie très précise, que, même dans la solitude, il pourra déployer une vocation d’ermite à Nazareth, puis celle d’« ermite missionnaire », si l’on peut dire, à Beni-Abbès et à Tamanrasset.
En outre, le grand-père avait mis dans la tête de son petit-fils d’autres passions, qui n’empêchaient pas la carrière des armes, mais lui donnaient du sens et la rendaient utile : passion de la lecture et de la culture, passion de la rigueur scientifique et de la géographie, passion de l’exploration et de la connaissance des peuples. Est-ce à cause de cela que Charles, tout en ne supportant pas la vie de garnison, aimait le don de soi qui gît au fond du cœur d’un militaire, prêt à servir jusqu’à risquer d’en mourir ? Est-ce à cause de cela que, devenu prêtre dans le désert du Sahara, il voudra lui-même servir les soldats par sa proximité, son amitié et le secours des sacrements ? Est-ce à cause de cela que, jusqu’au bout, il voudra compter sur l’armée pour tenter de faire comprendre à l’État français que la colonisation était inévitablement vouée à l’échec si elle ne prenait pas les moyens de respecter les populations locales, de recueillir et de promouvoir les richesses de leur culture et de prendre soin de leurs âmes ? Il se savait compris de quelques-uns de ces militaires de carrière, comme de Castries, Laperrine ou Motylinski, et même du futur maréchal Liautey. Et eux, touchés par la lucidité et le témoignage de cet homme inclassable, devinaient que, bien qu’il luttât sans autres armes que sa prière et sa bonté fraternelles, il avait bien plus de chances qu’eux d’arriver à ses fins ! Et nous qui relisons la vie de Charles pour mieux recueillir ce que l’Esprit veut dire à notre Église, nous comprenons l’importance d’offrir aux jeunes d’aujourd’hui de réelles et enthousiasmantes perspectives de développement, de dépassement de soi et de générosité envers les autres. Nous percevons la gravité du mal pernicieux que font de nos jours les idéologies nihilistes qui rongent l’Occident et s’exportent dans le monde, à la faveur des comportements égoïstes de populations trop blasées et désabusées pour être encore capables de rêver, de s’indigner et de faire confiance !
3. Après la famille et l’armée, un troisième élément a permis à Charles de répondre à l’appel du Seigneur : c’est le soutien d’un Ordre religieux. Dès qu’il fut convaincu qu’il y avait un Dieu, il n’eut de cesse de lui consacrer toute son existence en se retirant à l’abri d’un cloître. Sous la conduite de l’abbé Huvelin, Charles s’était donc mis en quête d’un Ordre religieux qui lui permettrait de vivre son appel. Peu lui importaient la vie du fondateur, la couleur de l’habit ni le style de la liturgie : ce qu’il recherchait, c’était une vie de prière, de pauvreté et d’abjection, qui lui permette de se rapprocher au plus près de « cette chère dernière place», devenue l’unique objet de sa nouvelle exploration. Aux Bénédictins, il préfère donc les Cisterciens et, parmi eux, la stricte observance des Trappistes. Puis, parmi les Trappes, guidé par Huvelin, il choisit celle de Notre-Dame des Neiges, non seulement parce qu’elle est pauvre et éloignée de sa famille, mais plus encore parce qu’elle a fondé en Syrie une autre Trappe plus pauvre encore. Et si, comme on l’a vu dimanche dernier, il se résout à quitter cette Trappe d’Akbès, c’est parce qu’elle lui paraît encore beaucoup trop riche en comparaison de la pauvreté des habitants de la région et aussi parce qu’il décèle, dans les dernières orientations de l’Ordre cistercien, que celui-ci est en train de s’éloigner de cette pauvreté qu’il recherche plus que tout.[5]
Il demande donc à partir, sans trop savoir où aller, mais en priant pour que l’autorisation lui en soit accordée. Et les Trappistes, qui l’ont tant aimé et dont les supérieurs avaient décelé chez lui un homme capable d’assumer de grandes responsabilités dans leur Ordre, le laissent partir, non sans inquiétude et non sans lui avoir permis, fût-ce en le mettant à l’épreuve, à Staouëli puis à Rome, de vérifier que son désir venait bien de Dieu et non pas de lui. Heureuse institution religieuse, qui l’a accueilli sans l’enfermer, qui l’a formé sans le formater, qui a offert un cadre à ses aspirations sans prétendre y restreindre l’appel du Seigneur. Il fallait à Charles la clôture d’une Trappe pour que sa mission puisse prendre son élan. Et nous qui relisons la vie de Charles pour mieux recueillir ce que l’Esprit veut dire à notre Église aujourd’hui, en pleine tourmente d’abus en tous genres, nous comprenons l’importance de cette chasteté spirituelle qui place au centre la personne, son histoire et sa dignité, qui respecte son désir et cherche avec elle comment discerner l’appel de Dieu. Une Église qui se préoccupe trop de sa propre survie devient incapable d’accueillir le don de Dieu. Laisser Charles s’en aller : c’est en renonçant à cette « recrue de choix » que les Trappistes ont offert à toute l’Église un saint d’une immense fécondité. Qu’ils en soient à jamais remerciés !
4. La famille, l’armée, la Trappe : un dernier élément me semble devoir être retenu, pour mieux comprendre comment le Seigneur s’y est pris pour appeler Charles à la sainteté. Je veux parler de l’accompagnement d’un directeur spirituel avisé, sans lequel les diverses dimensions que je viens d’évoquer auraient pu ne pas trouver leur profonde cohérence. Il fallait un saint homme de Dieu pour guider ce tempérament fougueux, pour l’aider à tisser les fils de son destin et ceux de son appel et le conduire ainsi vers la sainteté. Cet homme, que la Providence a placé sur la route de Charles, ce fut l’abbé Henri Huvelin, un homme de grande culture, qui entretenait avec quelques intellectuels de son temps, en pleine crise moderniste, des relations suivies et exigeantes, qui sont à l’arrière-fond de la direction qu’il exerça envers Charles de Foucauld. Je crois qu’il est utile, si l’on veut comprendre Charles, de regarder de plus près le père spirituel que Dieu lui donna.
Maurice Blondel (1861-1949), qui comme Huvelin avait étudié à l’École normale supérieure, fut l’un de ses correspondants. Écrivant à un ami en 1893, l’année même où fut publiée L’Action, Blondel lui confie qu’à ses yeux, c’est la bonté qui donne à l’abbé Huvelin sa grande capacité de discernement, avec ce regard si délicat et si tendre qui pénètre les cœurs.[6] Une autre figure importante du monde intellectuel de l’époque à entretenir une relation avec l’abbé Huvelin fut le baron Friedrich von Hügel (1852-1925), philosophe, exégète, théologien et écrivain catholique, parfois surnommé « l’évêque laïc » des modernistes anglais. Cet homme polyglotte, né à Florence mais d’origine autrichienne, vivant en Angleterre mais résidant souvent à Rome, où il est reçu par les plus hautes autorités de l’Église, cet homme connu et apprécié dans tous les centres intellectuels de l’Europe protestante et catholique, cet homme fut reçu longuement par l’abbé Huvelin dans les cinq derniers jours du mois de mai 1886, alors même que Foucauld commençait à s’approcher de la foi. Les deux hommes se reverront encore longuement en octobre 1893, car Hügel goûte avec délice les conseils d’Huvelin.[7]
Celui-ci, rivé à son confessionnal, sait d’expérience que le plus important est de rester proche des réalités, proche des personnes et de leur questions concrètes, même s’il faut pour cela ne pas suivre les théologies à la mode, surtout celles qui, obsédées par une peur de l’erreur qui fanatise leur rapport à la vérité, se vantent d’une prétendue fidélité à saint Thomas d’Aquin pour imposer un système apologétique, certes bien huilé, mais désespérément froid et sans impact réel avec la vie des gens.
La vérité vivante échappe aux définitions de tous côtés. […] Quant aux scolastiques, il paraît qu’ils possèdent une langue d’initiés et que ceux qui n’ont pas passé par ces études n’ont point le droit de parler. Moi-même je n’y suis jamais passé ; aussi me fait-on savoir que je n’ai point le droit de parler. Mais moi, j’ai les réalités ; eux, ils ont les formules. Ils ne s’aperçoivent point que la vie, que toute vie, échappe à l’analyse. […] L’apologétique ordinaire ne vaut rien ; elle est souvent ingénieuse, mais toute fausse. Ce sont des figures géométriques, elles ont une grande régularité, mais elles n’ont aucune réalité.[8]
Huvelin, note Hügel, avait un sens extraordinaire de la liberté des âmes, une joie et une bonté « splendides », qui lui donnaient une haute idée du christianisme :
Il n’y a pas d’ennemi plus profond et plus dangereux du christianisme que tout ce qui le rapetisse et le rend étroit. […] Vous ne deviendrez vraiment humble qu’à force de travailler. Ne rabaissez jamais votre idéal ; qu’il aille toujours croissant. […] Ce n’est que par la part qu’elles ont à la vérité que les âmes vivent ; aimons cette vérité en elles, aidons-la à se développer. Elle finira par étouffer l’erreur.[9]
On comprend mieux comment Huvelin guide Foucauld ! À la mort de l’abbé Huvelin, en 1910, le baron von Hügel a rendu un vibrant hommage à celui qui, selon lui, avait renoncé à écrire des livres pour consacrer son temps, dans son confessionnal, à « écrire dans les âmes » que le Seigneur voulait bien lui confier :
C’était un gentleman de naissance et d’éducation, un helléniste distingué, un homme d’une pénétration exquise, d’un esprit enclin à l’humour. Il aurait pu brillamment éditer et commenter des textes de philosophes de la Grèce ou des Pères de l’Église, ou bien devenir un remarquable historien de l’Église. Mais cette personnalité si profonde, héroïque même, préférait « écrire dans les âmes » tout en occupant durant trente-cinq ans un poste de vicaire auxiliaire dans une grande paroisse de Paris. Là, souffrant des yeux et de la tête, généralement allongé dans une chambre sombre, il se mettait au service des âmes avec la suprême autorité de son amour désintéressé, apportant lumière et pureté et rendant courage à tant d’âmes troublées, affligées ou pécheresses.[10]
En mai 1886, Huvelin lui avait avoué : « L’impression que mon extérieur a faite sur vous vient de ce que je suis très timide et mal à mon aise avec les gens. Je suis tout à fait vide et sec en moi et pour moi-même ; les lumières ne me viennent que pour les autres et à mesure qu’ils en demandent. Je ne sais jamais rien d’avance, je ne puis jamais rien me rappeler après ».[11] C’est à cet homme-là, chers amis, que la Providence divine, quelques mois plus tard, confia l’âme de Charles de Foucauld ! On comprend mieux avec quelle liberté, avec quel respect et aussi avec quelle fermeté il l’a guidé, instruit, conseillé, avec un jugement sûr, une honnêteté sans faille et une grande tendresse. Il fallait Huvelin le souffreteux pour guider Foucauld le fougueux ! Et l’on peut dire aujourd’hui qu’ils s’entrainèrent l’un l’autre vers la sainteté, à cause de leur égale confiance en Dieu, qui avait fait se croiser leurs chemins, assignant à chacun un rôle et donnant à chacun sa grâce. Et, nous allons le voir maintenant, c’est surtout à Nazareth que Foucauld eut besoin d’Huvelin pour ne pas se perdre « définitivement » et prendre avec justesse le dernier grand tournant de sa vie.
De Nazareth à Béni-Abbès
Les premiers mois à Nazareth sont, pour Foucauld, calmes et heureux. Mais peu à peu, une brise se lève et les eaux jusque-là tranquilles du lac de Galilée commencent à frémir et à s’agiter ! Dans ses Notes spirituelles détachées, il écrit, le 6 juin 1897, ce texte étonnamment prémonitoire et d’une force extrême :
Pense que tu dois mourir martyr, dépouillé de tout, étendu à terre, nu, méconnaissable, couvert de sang et de blessures, violemment et douloureusement tué… et désire que ce soit aujourd’hui ! Pour que je te fasse cette grâce infinie, sois fidèle à veiller et à porter la croix ! Considère que c’est à cette mort que doit aboutir toute ta vie : vois, par-là, le peu d’importance de bien des choses ! Pense souvent à cette mort, pour t’y préparer et pour juger les choses à leur vraie valeur ![12]
Sans qu’il le sache encore, la dernière grande étape de sa vie vient de commencer. Et les troubles successifs qui vont le déstabiliser l’aideront à quitter sans regret le nid douillet de Nazareth. Je repère quatre facteurs de trouble.
1. D’abord, dès juillet 1897, il doit faire un aller-retour à Jérusalem, à la demande de la Mère Élisabeth du Calvaire (1841-1905), Abbesse du monastère des Clarisse de Jérusalem, qui trouve un prétexte (des documents à porter) afin de mieux connaître cet homme dont ses sœurs de Nazareth lui disent le plus grand bien mais dont elle craint qu’il soit un imposteur. Il n’y reste que quatre jours. L’Abbesse est profondément édifiée par cet homme étonnant.[13] Mais comme elle lui conseille de se chercher un compagnon pour vivre avec lui selon la Règle des Ermites du Sacré-Cœur, que Charles vient de rédiger, le trouble s’installe dans l’âme de Charles et il recommence à faire des projets. Il rentre à Nazareth et reviendra dès septembre à Jérusalem afin de s’embarquer de Jaffa vers Alexandrette. Il a en effet pensé que l’un des jeunes novices d’Akbès, Frère Pierre, qu’il avait bien connu et qui lui était très attaché, pourrait venir avec lui, puisqu’il avait depuis (ce novice) quitté la Trappe. L’abbé Huvelin, consulté, avait donné son accord.
Mais à Alexandrette, où il retrouve l’ex-Frère Pierre, celui-ci ne veut pas le suivre, pour ne pas quitter sa mère. Charles rentre donc seul et la Mère Élisabeth a décidé que désormais, il s’établirait au couvent de Jérusalem, plus isolé que celui de Nazareth, puisqu’il se trouve à environ deux kilomètres de la ville. À sa cousine, il décrit sa nouvelle demeure :
Ma maisonnette (en planches vertes) est adossée au mur de clôture : elle a trois côtés en planches et le quatrième est formé de grosses pierres de la clôture… Je serai moi-même comme dans une clôture. De ma porte, je vois Gethsémani, le mont des Oliviers, le Cénacle, le Calvaire et notre chère Béthanie.[14]
Il ne va cependant y rester que quelques mois, d’octobre 1898 à février 1899. La mère abbesse lui parle de sacerdoce, car elles ont besoin d’un aumônier. Mais Charles est troublé. Fin octobre, avec l’autorisation de l’abbé Huvelin, il quitte la Règle de saint Benoît pour suivre désormais celle de saint Augustin. Puis en février, il accompagne à Nazareth un Père dominicain qui va donner une retraite aux Clarisses. Et finalement, il décide de s’installer de nouveau à Nazareth, préférant suivre les conseils de son directeur spirituel plutôt que les demandes plus ou moins intéressées de la Mère abbesse de Jérusalem.
2. D’autant qu’un autre trouble l’habite depuis qu’il est en Terre Sainte. Doit-il vraiment renoncer à la Trappe ? Il s’était ouvert de cette question dès janvier 1898 dans une lettre à l’abbé Huvelin, lui disant qu’il s’agissait certainement d’une « pensée d’orgueil», mais qu’il lui en parlait car elle demeurait dans son esprit : « Je me dis parfois que j’aurais pu faire du bien aux âmes en restant à la Trappe : que j’aurais été Supérieur dans deux ans : que, la grâce de Dieu aidant, j’aurais pu faire du bien dans cette petite Trappe d’Akbès qui par sa situation est si bien faite pour la sanctification de ses propres religieux et des peuples qui l’entourent».[15]
L’abbé freine cet étrange désir, mais Charles y revient plusieurs fois, en février, puis en mars1898, où ce projet s’entremêle avec la question du sacerdoce, toujours en suspens dans l’esprit de Charles : « Si je rentrais à la Trappe, si je recevais le Sacerdoce, si je retournais à ma Trappe d’Akbès, je pourrais y faire du bien aux âmes, j’y ferais plus de bien à mon prochain qu’ici, je travaillerais bien plus pour le service du Bon Dieu ».[16] et dans cette même lettre du 3 mars 1898, il livre le fond de sa pensée :
Plus je vois ces pays d’Orient et le peu d’effet qu’y produisent les missionnaires, plus je suis persuadé que rien ne peut y faire plus pour le salut des âmes, l’établissement du règne de Jésus, que les Trappes : je vois pour cet Ordre (de plus en plus nombreux et florissant) une admirable destinée, celle de refaire en Orient, parmi ces Musulmans barbares, ce qu’ont fait nos Pères, les premiers Bénédictins, parmi les barbares païens d’Angleterre, d’Allemagne et même de France et d’Italie…
Même si le contexte a changé et même si la théologie de la mission a grandement évolué, précisément grâce à Foucauld, comment ne pas voir se profiler, à travers ces lignes, l’expérience future de la Trappe Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine puis à Midelt, dans ce Maroc où Charles aurait tant aimé vivre sa vocation de Trappiste ?
3. L’année 1900 le trouble encore davantage. D’abord, entre le mois de mars et le mois de mai, il est saisi par la détresse d’une pauvre veuve de soixante ans qui a frappé à la porte des Clarisses de Nazareth pour y être embauchée comme tourière afin que son fils, qui voudrait entrer à la Trappe de Latroun, puisse le faire sans avoir sa mère à charge, puisque ses deux sœurs sont déjà entrées au couvent en France. Charles se dit que, pour que tout s’arrange, il suffirait que cette pauvre femme soit placée comme pensionnaire à l’hospice tenu à Jérusalem par les Sœurs de saint Vincent de Paul et que lui, puisqu’il a les compétences pour être infirmier, puisse se vendre quelque part pour payer la pension de cette veuve et qu’ainsi, son fils puisse entrer le cœur libre à la Trappe. Il précise à l’abbé Huvelin que c’est sans doute une tentation, mais qu’après tout, il ne sert pas à grand-chose chez les Clarisses et que c’est un bien grand luxe de n’avoir pas à gagner sa vie ![17] L’abbé résiste et la tentation s’évanouit, d’autant que la veuve en question semble, quelques mois plus tard, avoir trouvé une solution.[18]
4. Mais en avril 1900, une nouvelle affaire va le troubler encore davantage. Il se trouve en effet mis en rapport avec un certain M. Lendle, agent d’affaires de la Custodie franciscaine.[19] Ce dernier lui signale à acheter soit le mont des Béatitudes, soit l’ancien emplacement de Chorozaïn, pour la somme respective de 12.000 ou 13.000 francs. Il penche pour le mont des Béatitudes, dans la perspective de l’arracher ainsi aux mains des Turcs. Il pourrait l’acquérir, grâce à sa famille, et le remettre ensuite aux mains des Franciscains. Il entrevoit qu’il pourrait ensuite devenir prêtre-ermite, chapelain du mont des Béatitudes, si quelqu’un veut bien l’ordonner, par exemple, le cardinal Richard, archevêque de Paris.
Cette dernière affaire va déclencher un trouble tenace dans sa relation avec l’abbé, qui va finalement entraîner son départ de Terre Sainte. Car Huvelin résiste. En mai, il écrit à Marie de Bondy : « Trois lettres hier de votre cousin ; il m’envoie sa règle à laquelle il travaille depuis sept ans. Il veut venir à Paris pour se mettre à la disposition du cardinal Richard, tout le contraire hélas de ce que je lui ai demandé. Mais le boulet est lancé, qu’est-ce qui l’arrêtera ? »[20] Empêtré dans cette affaire, déjà trop engagé pour pouvoir renoncer, Charles persiste, malgré les conseils de l’abbé, et se propose même de faire une tournée en France afin de quêter pour ce projet. Le 4 mai 1900, Huvelin hausse le ton :
Mon cher enfant, je ne vous ai pas écrit parce que je ne voyais pas la volonté de Dieu. Provisoirement, je pensais que vous deviez rester à Nazareth. J’étais en face de deux pensées qui me semblaient contradictoires : vous consacrer à cette pauvre femme, ou acheter le Mont des Béatitudes, et peut-être vous y établir. […] Votre lettre d’aujourd’hui me décide, mon enfant : c’est non ! Restez à Nazareth… Pourquoi ce séjour de paix ne vous est-il plus séjour de paix, lieu de votre repos ?[21]
Il récidive le 20 mai :
Je suis effrayé de vos projets. […] J’aime mieux que vous achetiez, si vous ne pouvez plus faire autrement, le terrain du Mont des Béatitudes, et que vous l’offriez aux Franciscains et que vous en restiez là… Madame de Bondy veillera à ce que vous ayez l’argent. Je ne crois pas que cette idée de prêtre ermite soit de Dieu. Cependant, si vous sentez un mouvement irrésistible, prenez votre règle, allez au Patriarche de Jérusalem, jetez-vous à ses pieds et demandez-lui la lumière. Moi, mon enfant, je ne l’ai pas pour cela. Je ne vois que des objections, et je crains l’amour propre sous votre dévouement et sous votre piété. […] Votre cousine est bien troublée, et moi aussi. […] Si vous pouvez, reculez.[22]
Mais Charles ne peut plus reculer. Le jour de la fête du Sacré-Cœur, le 22 juin 1900, il va donc voir Mgr Piavi, le Patriarche de Jérusalem, qui le reçoit assez froidement. Du coup, il ne réitère pas sa demande, malgré les conseils qu’on lui donne en ce sens. Il rentre à Nazareth, de plus en plus peu perturbé par ces dernières fluctuations. Après quelques semaines, il décide de rentrer en France. Le 1er août, il est de retour à Jérusalem puis s’embarque le 8 août à Jaffa pour Marseille, où il arrive le 16. Installé sur le pont de quatrième classe du paquebot, il n’emporte avec lui que son bréviaire et un peu de nourriture au fond d’un vieux panier. Déjà, lors d’une retraite en novembre 1897, il avait pressenti que la volonté de Dieu ne serait peut-être pas qu’il reste à Nazareth :
Faut-il tenir à être à Nazareth ? Non, pas plus qu’au reste. Ne tenir à rien qu’à la volonté de Dieu, à Dieu seul… Je dois trouver que c’est une grande grâce d’habiter Nazareth. Dès que cela cesserait d’être la volonté de Dieu, il faudrait me jeter à corps perdu, sans un regard en arrière, où et à quoi Sa volonté m’appelle.[23]
Mais où Dieu le veut-il donc ? Dès son arrivée à Marseille, il monte à la Sainte Baume, confier sa peine et sa détresse à Marie-Madeleine, sa sainte de prédilection, pècheresse comme lui, amoureuse comme lui. Le P. Vayssière, son cadet de sept ans, l’accueille à la Grotte, où il venait de prendre ses fonctions de gardien, qu’il occupera pendant quarante ans. Plus tard, dans une lettre à son ami de Staouëli, le P. Jérôme, Charles écrira : « Mon premier pas, en débarquant de Terre Sainte, il y a près d’un an, a été pour monter à la Sainte-Baume. Puisse cette chère et bénie sainte Magdeleine nous prendre tous deux sous sa protection, nous y garder plutôt, car elle nous a déjà pris, et nous apprendre l’amour ; nous apprendre à nous perdre totalement en Jésus notre Tout, et être perdus pour tout ce qui n’est pas Lui. »[24]
On sait que, bien plus tard, le 26 juillet 1946, c’est au retour d’une retraite à la Sainte Baume que l’appel à être témoin du Christ parmi toutes les nations sera adressé à la petite sœur Magdeleine (1898-1989), fondatrice des Petites Sœurs de Jésus.[25] Mais pour l’instant, Charles, après avoir « consulté » sa chère sainte de la Grotte, file à Paris pour rencontrer l’abbé Huvelin dès le 17 août. Le surlendemain, celui-ci écrit ces quelques lignes, très touchantes, à Madame de Bondy :
J’ai reçu votre cousin avant-hier soir à Paris. Il a dîné, couché à la maison, déjeuné avec moi et prend le chemin de Notre-Dame des Neiges et de Rome. Son costume était bizarre, son air très fatigué et absorbé, je le crois malade, mais il a été très tendre, c’est une très sainte âme. Il veut être prêtre. Je lui ai indiqué le moyen. Il avait très peu, trop peu d’argent, je lui en ai donné un peu. Il savait très bien ma pensée : je la lui avais envoyée dans un télégramme. Mais quelque chose de plus fort le pousse. Un directeur a-t-il jamais dirigé qui que ce soit. Mais je n’ai pas besoin de le conduire et je n’ai qu’à l’admirer et à l’aimer.[26]
À Notre-Dame des Neiges, Dom Martin, son ancien supérieur, reçoit Charles, qui n’est plus trappiste mais reprend son nom de frère Marie-Albéric, avec beaucoup de joie. Tous deux vont ensuite à Viviers rencontrer Mgr Bonnet et fixer avec lui les modalités de sa préparation.[27] Celle-ci se fera à la Trappe. Mais avant, il lui est permis d’aller à Rome, afin de régler quelques affaires que la Mère abbesse de Jérusalem lui avait confiées. Il fait halte à Milan pour un petit pèlerinage au figuier de saint Augustin, puis à Notre-Dame de Lorette et arrive à Rome le 1er septembre. Il y reste trois semaines puis, rentrant en France, il obtient la permission d’accepter la demande de sa famille de le recevoir quelques jours. Il se rend donc au château de Barbirey chez sa sœur Mme de Blic. Cela faisait plus de dix ans qu’il n’avait pas revu les siens ! Enfin, le 29 septembre au soir, il arrive à Notre-Dame des Neiges, où il va rester près d’une année, jusqu’au 6 septembre 1901.
La préparation à l’ordination presbytérale suit un rythme très soutenu. Le 7 octobre, Dom Martin lui confère les Ordres mineurs, puis il est ordonné sous-diacre, le 22 décembre, par Mgr Bonnet à Viviers.[28] Le 23 mars 1901, Mgr Bonnet souffrant d’agoraphobie, Charles est ordonné diacre à Nîmes par Mgr Béguinot, la veille du dimanche de la Passion. Puis, le 9 mai, il commence une retraite de trente jours pour se préparer à recevoir le sacerdoce. L’ordination a lieu le 9 juin 1901 au Grand Séminaire de Viviers, par Mgr Montéty, Lazariste, en présence de Mgr Bonnet, toujours souffrant.[29] De grand matin, Charles a dessiné un Christ avec le Cœur surmonté d’une croix, accueillant, les bras ouverts, tous les humains. Au dos, il a inscrit la date. Il envoya cette image à l’abbé Huvelin. Elle reproduisait une petite image éditée par la basilique de Montmartre, que lui avait donnée Marie de Bondy. Au bas du dessin, il a indiqué, en latin, deux phrases de Jésus dans l’Évangile de Luc, qui expriment son projet de vie désormais : « Mettre le feu sur la terre. Sauver ce qui était perdu » (Lc 12, 9 ; 19, 10). Le soir-même, il remonte à Notre-Dame des Neiges, où il célèbre le lendemain sa première messe, en présence de sa sœur, arrivée la veille à l’abbaye. « Charles, revenu vers une heure du matin, a passé la nuit en adoration à l’église. Il est revêtu de la chasuble que sa sœur lui a brodée, avec un énorme cœur entouré d’épines. Plus tard, il fera don à l’abbaye du calice en argent et or, car ce dernier n’était pas très en harmonie avec sa recherche de pauvreté et surtout en rapport avec les lieux dans lesquels il allait célébrer. »[30]
Revenant quelques années plus tard sur cette période de sa vie, il écrira ces lignes importantes, qui, cette fois, ont vraiment quelque chose de « définitif » :
Mes retraites du diaconat et du sacerdoce m’ont montré que cette vie de Nazareth, qui me semblait être ma vocation, il fallait la mener non pas en Terre Sainte tant aimée, mais parmi les âmes les plus malades, les brebis les plus délaissées. Ce divin banquet, dont je devenais le ministre, il fallait le présenter non aux parents, non aux voisins riches, mais aux boiteux, aux aveugles, aux pauvres, c’est-à-dire aux âmes manquant de prêtres.[31]
Il renonce finalement à la Terre Sainte et à l’Orient. Son cœur incline pour l’Algérie, mais plus fortement encore pour le Maroc. Ou du moins l’Algérie, dans l’espoir de pouvoir pénétrer, à partir de là, au Maroc ! Le 23 juin 1901, il écrit au comte Henri de Castries une lettre très importante où il force un peu le trait afin de mettre toutes les chances de son côté, comme si tout un groupe de moines était désireux de partir avec lui :
Nous sommes quelques moines qui ne pouvons réciter notre Pater sans penser avec douleur à ce vaste Maroc où tant d’âmes vivent sans « sanctifier Dieu, faire partie de Son Royaume, accomplir Sa volonté, ni connaître le pain divin de la Sainte Eucharistie » et, sachant qu’il faut aimer ces pauvres âmes comme nous-mêmes, nous voudrions faire, avec l’aide de Dieu, tout ce qui dépend de notre petitesse pour porter vers elles la lumière du Christ, et faire tomber sur elles les rayons du Cœur de Jésus. Dans cette vue, pour faire en faveur de ces malheureux ce que nous voudrions qu’on fît pour nous si nous étions à leur place, nous voudrions fonder sur la frontière marocaine, non pas une Trappe, non pas un grand ni un riche monastère, non pas une exploitation agricole, mais une sorte d’humble petit ermitage où quelques pauvres moines pourraient vivre de quelques fruits et d’un peu d’orge récoltés de leurs mains, dans une étroite clôture, la pénitence et l’adoration du Saint-Sacrement, ne sortant pas de leur clos, ne prêchant pas, mais donnant l’hospitalité à tout venant, bon ou mauvais, ami ou ennemi, musulman ou chrétien. C’est par l’évangélisation, non par la parole, mais par la présence du Très Saint-Sacrement, l’offrande du divin sacrifice, la prière, la pénitence, la pratique des vertus évangéliques, la charité, une charité fraternelle et universelle, partageant jusqu’à la dernière bouchée de pain avec tout pauvre, tout hôte, tout inconnu, et recevant tout humain comme un frère bien-aimé… Quel point choisir pour tenter cette petite fondation ? Le plus favorable au bien des âmes, un point où on puisse entrer en relation avec les Marocains, le point le mieux placé pour faire coin, brèche, et pénétrer plus tard, de proche en proche, le côté par lequel le Maroc est le plus abordable à l’évangélisation. Je crois que c’est le sud. Il me semble donc qu’il faudrait se placer en quelque point d’eau solitaire, entre Aïn Sefra et le Touat. On donnerait une humble hospitalité aux voyageurs, aux caravanes et aussi à nos soldats. Nous ne craignons ni la peine ni le danger, au contraire, nous les aimons et nous les souhaitons. Personne ne connaît mieux que vous cette région. J’ai donc recours à vous et je vous prie de vouloir bien, vous qui m’avez toujours comblé de bontés, me faire encore cette grâce de m’indiquer quel point de l’extrême sud vous semblerait le mieux situé pour un premier petit établissement.
Dans cette lettre, il y a tout le projet de la vie qu’il reste à vivre au frère Charles de Jésus, devenu le Père Charles de Foucauld. Le Maroc aura aimanté sa vie ! Comme Dieu sait écrire droit avec des lignes courbes, chers amis ! En juillet, le chef d’escadrons Henri Laperrine est nommé Commandant Supérieur des Oasis Sahariennes. Le complément militaire sous-jacent au projet apostolique de Charles de Foucauld se met en place ! Ce même mois, Dom Martin écrit à Mgr Bazin, Vicaire apostolique du Soudan et du Sahara, pour lui recommander Charles de Foucauld. Ce que fait également, le 25 août, l’abbé Huvelin, dans une lettre admirable.
Monseigneur, M. le vicomte Charles de Foucauld, longtemps lieutenant dans l’armée d’Afrique puis voyageur intrépide et habile au Maroc, puis novice chez les pères trappistes d’Akbès, en Syrie, voué ensuite au service des sœurs clarisses de Nazareth, revenu enfin au monastère des trappistes de Notre-Dame des Neiges, où il vient de recevoir les ordres sacrés et la prêtrise, me demande de le recommander auprès de Votre Grandeur. Quand vous l’aurez vu, vous jugerez que ma recommandation est bien inutile, car il se recommande de lui-même. Vous verrez en lui le dévouement héroïque, l’endurance sans limite, la vocation d’agir sur le monde musulman, le zèle humble et patient, l’obéissance dans le zèle et l’enthousiasme qu’il possède, l’esprit de pénitence sans aucune pensée de blâme et de sévérité contre qui que ce soit. Je suis son père spirituel depuis quinze ans. Je l’ai toujours suivi, je l’ai toujours trouvé, au milieu même de son enthousiasme et de ses élans, prudent et sachant attendre, se réfugiant dans la prière quand l’action lui était interdite. Je l’admire et je l’aime comme ont fait les Pères trappistes qui vous rendent témoignage de lui. Le révérend Père abbé de Staouëli avait pour lui la plus vraie affection, voyait en lui une espérance pour son ordre, même après qu’il l’eut quitté. La difficulté pour M. de Foucauld a été la question des saints ordres. Son humilité s’y est refusée longtemps, il a fallu une vive lumière pour lui montrer que sa voie était là, dans l’apostolat soutenu par la prière. C’est ici un simple portrait que je vous envoie, non flatté mais ressemblant. Je suis un inconnu pour Votre Grandeur, mais j’espère qu’elle trouvera un air de vérité à mes paroles, et qu’elle verra dans le prêtre qui se présente à elle une ressource et une bénédiction pour les œuvres d’Afrique.[32]
Mgr Livinhac était à l’époque le Supérieur général des Pères Blancs, dont dépendent les territoires sahariens.[33] Il venait d’accueillir le nouveau Préfet apostolique chargé du Sahara en la personne d’une jeune prêtre de 29 ans, Mgr Guérin. L’abbé Huvelin lui écrit le 1er septembre 1901 pour lui recommander le P. de Foucauld.
Sa vocation l’a toujours attiré vers le monde musulman. Son séjour en Algérie, son voyage dans l’intérieur du Maroc, ses années passées en Palestine, l’ont préparé, l’ont endurci pour cette mission. J’ai vu venir cette vocation. J’ai vu qu’il s’assagissait par elle, qu’elle le rendait plus humble, plus simple, plus obéissant. […] En mon âme et conscience, je crois qu’elle vient de Dieu. Rien de bizarre ni d’extraordinaire, mais force irrésistible qui pousse, mais instrument dur pour un rude labeur, voilà ce que Votre Grandeur trouvera chez M. de Foucauld. […] Fermeté, désir d’aller jusqu’au bout dans l’amour et dans le don, d’en tirer toutes les conséquences, jamais de découragement, jamais ; un peu d’âpreté autrefois, mais qui s’est tant adoucie ! […] Laissez-le venir à ses risques et périls, voyez-le à l’œuvre et jugez ![34]
Le 5 septembre 1901, Charles est autorisé à partir au Sahara, afin de vivre, seul ou avec d’autres, en tant que « prêtre libre du diocèse de Viviers ».[35] Dès le lendemain, il quitte Notre-Dame des Neiges. Il continuera à entretenir une profonde communion avec ses frères moines de ce monastère. Le 8 septembre, il monte en pèlerinage à la Sainte-Baume pour remercier sa sainte préférée, elle qui lui a permis de sortir de l’impasse dans laquelle il s’était empêtré. Il passe la nuit du 7 au 8 septembre en prière à la Grotte. Le lendemain, après avoir célébré très tôt la messe, il demande qu’une lampe soit désormais entretenue à ses frais jour et nuit devant les reliques de la sainte. Je vous avais dit que cette lampe, renouvelée il y a quelques années par les Petites Sœurs de Jésus, brillait encore aujourd’hui devant le reliquaire. Puis Charles descend à Marseille, d’où il embarque, vers midi, pour Alger. Sur le bateau, il écrit à sa cousine :
Je fais des démarches pour aller dans le sud de la province d’Oran, sur la frontière du Maroc, dans une des garnisons françaises n’ayant pas de prêtre, vivre en moine, silencieux et cloîtré, sans titre d’aumôniers ni de curé, mais moine, priant et administrant les sacrements. Le but est double : 1) empêcher que nos soldats meurent sans sacrements, en des lieux où la fièvre les tue en grand nombre et où il n’y a aucun prêtre ; 2) et surtout, faire le plus grand bien qu’on puisse faire actuellement aux populations musulmanes si nombreuses et si délaissées, en apportant au milieu d’elles Jésus dans le Très Saint-Sacrement, comme la Très Sainte Vierge sanctifia Jean-Baptiste en apportant auprès de lui Jésus.[36]
Et le lendemain, il complète :
L’œuvre qui est confiée à votre enfant est admirablement belle : porter le Très Saint Sacrement plus loin dans le Sahara, et vers le sud et vers l’ouest, qu’il ne l’a jamais été probablement, et en tout cas, qu’il ne l’a été depuis le temps de saint Augustin, sanctifier les infidèles par cette divine présence, porter les secours de la religion à nos soldats mourants ; c’est une mission bien grande, bien belle, mais qui demande beaucoup de vertu. Le bon Dieu ne manque jamais et je suis sûr d’avoir toujours son secours ; mais je crains de Lui manquer et je me défie de moi. Priez beaucoup, beaucoup, pour que je sois fidèle !
Le 18 septembre, à Alger, il monte confier sa mission à Notre-Dame d’Afrique avec Mgr Guérin.[37] Puis, il se retire quelques jours à la Trappe de Staouëli. C’est là qu’il reçoit, le 24 septembre, en la fête de Notre-Dame de la Merci, l’autorisation de s’établir au Sahara, à Beni Abbès très exactement. Cela ne fait pas encore huit mois que Beni Abbès a été occupée par les troupes françaises. Foucauld se trouve ainsi directement confronté à la complexité du monde colonial et de l’islam.
À Beni Abbès, je serai actuellement seul, comme prêtre : à quatre cents kilomètres est le plus proche… Je serai bien ému la première fois que l’élèverai la Sainte Hostie, que je donnerai la Bénédiction du Saint-Sacrement, en ces lieux où, depuis dix-neuf siècles qu’Il est descendu dans la Crèche, Jésus n’est pas encore allé corporellement.[38]
On sent revenir l’élan de sa jeunesse : faire quelque chose qui n’a jamais été fait ! Le 15 octobre, il part en train pour Oran, puis Aïn Sefra, où il est reçu par le général Cauchemez. Il continue à cheval en compagnie du lieutenant Huot, de Duveyrier à Beni Abbès, où il arrive le 28 octobre 1901.[39] Il a 43 ans. Dès son arrivée, il acquiert un terrain (que lui paie Marie de Bondy pour la somme de 1170 francs) et il se met à construire, dans un petit vallon désert, à l’écart de l’oasis et de la garnison, un petit logement ainsi qu’une chapelle et une pièce d’accueil. Il appelle la chapelle « La Fraternité du Sacré-Cœur de Jésus ». Le 1er novembre, il écrit à l’abbé Huvelin : « Mon bien-aimé père, Je viens d’arriver à Beni-Abbès, lieu de mon repos ! J’espère que c’est d’ici que mon âme partira pour l’autre vie… » Quinze ans plus tôt, à l’automne 1886, il découvrait le Christ et se convertissait. Quinze ans plus tard, le 1er décembre 1916, encore plus au sud, chez les Touareg, il entrera dans la Vie ! Cela fera trente ans de vie chrétienne, comme trente ans de vie cachée, abandonnée entre les mains de Dieu, son Père !
NOTES
[1] Cf. Frère Charles de Jésus (Charles de Foucauld), Œuvres spirituelles. Anthologie, Paris, Seuil, 1958. Voir également : Charles de Foucauld, Nouveaux Écrits spirituels (Méditations sur les Évangiles), Paris, Plon, 1950.
[2] Le 6 octobre 1864, Mme de Foucauld, la grand-mère de Charles et de Marie, avait quitté Paris pour venir se reposer à Mirecourt, d’où elle était originaire. Quelques mois auparavant, les enfants avaient perdu leur mère, le 13 mars, puis leur père, le 9 août de la même année. En passant à Strasbourg, la grand-mère prend avec elle les deux enfants pour leur faire prendre l’air à la campagne. Mais leur séjour à Mirecourt va se terminer par un horrible drame : lors d’une promenade, ils se retrouvent cernés par un troupeau de vaches laissé sans surveillance. Mme de Foucauld prend peur et dans sa panique, décède sur place d’une crise cardiaque, sous les yeux des deux enfants.
[3] En septembre 1889, il lui avait écrit : « Avez-vous jamais cessé d’être bonne pour moi, et pourtant quelles raisons vous aviez de me laisser de côté ! […] Quel bien ai-je reçu que je n’aie reçu par vous ? Qui m’a ramené au bon Dieu ? Qui m’a donné à M. l’abbé ? »
[4] Lorsqu’il travaille à Alger pour préparer son expédition au Maroc, il écrit à son ami Gabriel Tourdes en lui racontant ses journées : « La seule habitude que j’ai gardée de mon ancien métier est celle des tableaux de travail… Je m’en suis fabriqué un et, ma foi, je l’ai horriblement chargé : il marque le commencement du travail à 7 heures du matin, et la fin à minuit, avec deux interruptions d’une demi-heure pour les repas. Tout le reste est divisé en petits cours : l’arabe a ses heures, l’histoire, la géographie ont les leurs, et ainsi de suite » (Lettre du 27 novembre 1882).
[5] À Huvelin qui s’en étonne, Charles répond : « Vous espérez que j’ai assez de pauvreté. Non ; nous sommes pauvres pour des riches, mais pas pauvres comme l’était Notre Seigneur, pas pauvres comme je l’étais au Maroc, pas pauvres comme saint François… » (Lettre du 30 octobre 1890, dans Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, Paris, Nouvelle Cité, 2010, p. 50).
[6] Cf. Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, op. cit., p. 18.
[7] Cf. James J. Kelly, The Abbe Huvelin Counsel to Baron Friedrich von Hügel, Bijdragen 39 (1978), p. 59-79.
[8] Ibid., p. 19.
[9] Ibid., p. 21
[10] Ibid., p. 22. Cité dans M. de la Bedoyère, The Life of Baron von Hügel, Londres, Dent 1951, p. 43.
[11] Ibid., p. 22.
[12] Cité par Georges Gorrée, Sur les traces de Charles de Foucauld, Grenoble et Paris, 1947, p. 117.
[13] « L’humilité profonde, l’obéissance parfaite, la mortification extrême, l’amour intense de la réelle pauvreté, du mépris, de l’humiliation, vertus pratiquées vraiment et constamment par le frère Charles, me font dire que Nazareth ne s’est pas trompé. Nous avons un saint dans la maison » (cité par Mgr Jean-Claude Boulanger, L’Évangile dans le sable. L’expérience spirituelle de Charles de Foucauld, Paris, Desclée de Brouwer, 2009, p. 118).
[14] Lettre du 27 septembre 1898 à Mme de Bondy.
[15] Lettre à l’abbé Huvelin du 16 janvier 1898, dans Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, op. cit., p. 118.
[16] Lettre à l’abbé Huvelin du 3 mars 1898, ibid., p. 130.
[17] Lettre à l’abbé Huvelin du 26 mars 1900, ibid., p. 193-197.
[18] Lettre à l’abbé Huvelin du 7 mai 1900, ibid., p. 215.
[19] Ce M. Lendle, de nationalité allemande et de religion protestante, était devenu un ami de Charles, qui cherchait à le convertir au catholicisme (cf. Pierre Sourisseau, Charles de Foucauld, 1858-1916. Biographie, Paris, Salvator, 2016, p. 257-258).
[20] Ibid., p. 212.
[21] Ibid., p. 231-232.
[22] Ibid., p. 238.
[23] Retraite du 5 au 15 novembre 1897, dans Œuvres spirituelles, p. 33-34.
[24] Lettre au P. Jérôme du 17 juillet 1901, dans Charles de Foucauld, « Cette chère dernière place ». Lettre à mes frères de la Trappe, Paris, Cerf, 2012, p. 239.
[25] En juillet 1946, petite sœur Magdeleine va passer quelques jours de retraite à la Sainte-Baume pour prier et réfléchir à l’organisation future de la Fraternité. Le 26 juillet, une intuition extraordinaire que rien ne laissait prévoir la saisit : « En pleine rue, au retour de la Sainte-Baume, j’acquiers soudain la certitude… comme si une grande lumière intérieure me l’imposait… que la Fraternité devait s’étendre au monde entier et devenir universelle. C’était, pour moi, le sacrifice d’une idée qui m’était très chère : la consécration exclusive de la Fraternité des petites sœurs de Jésus aux populations de l’islam… J’en reste un moment interdite, mais, en même temps, certaine que là était la volonté du Seigneur » (Petite sœur Annie de Jésus, Petite sœur Magdeleine de Jésus. L’expérience de Bethléem jusqu’aux confins du monde, Paris, Cerf, 2010, p. 41).
[26] Cf. Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, op. cit., p. 253.
[27] Frédéric Bonnet est né à Langogne en Lozère, le 29 septembre 1835. Il est ordonné prêtre le 19 décembre 1859, puis sacré évêque de Viviers (Ardèche) le 24 août 1876. Il mourra à Viviers le 21 mai 1923. À sa cousine, Charles de Foucauld écrit, le 11 avril 1902 : « Priez pour Mgr Bonnet, évêque de Viviers, qui de loin comme de près reste pour moi le meilleur, le plus tendre et le plus affectionné père ; quelle sainte âme, quelle lumière et quelle fermeté de caractère ! Que le bon Dieu a été bon pour moi en me le donnant ! »
[28] À la fin de l’année 1900, Dom Martin écrit à Mme de Bondy : « Je ne saurais vous exprimer notre bonheur de posséder pour quelque temps notre cher et saint ermite. J’ai eu le bonheur de lui conférer les ordres moindres en la fête du Saint Rosaire : c’est peut-être le plus grand bonheur de ma vie. » En 1900, le diocèse de Viviers comptait six-cent-treize prêtres en activité, sans compter les cent-trente-sept Ardéchois qui étaient entrés dans les Ordres.
[29] Mgr Joseph-Hilarion Montéty (1854-1921) fut délégué apostolique en Perse.
[30] Mgr Jean-Claude Boulanger. L’Évangile dans le sable. L’expérience spirituelle de Charles de Foucauld, Paris, Desclée de Brouwer, 2009, p. 140-141.
[31] Lettre du 8 avril 1905 à l’abbé Caron.
[32] Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, op. cit., p. 271-272.
[33] Léon Livinhac est né à Buzeins, près de Séverac (Aveyron) le 13 juillet 1846. Il entre chez les prêtres des Missions d’Afrique (Pères Blancs) le 12 octobre 1873. Il devient missionnaire en Kabylie en 1875 et sera membre de la première caravane envoyée par le cardinal Lavigerie au centre de l’Afrique équatoriale. Il devient supérieur de la mission de l’Ouganda (1878-1884 et 1885-1890). Vicaire général des Pères Blancs en 1890, supérieur général le 26 novembre 1892, après la mort du cardinal Lavigerie. Archevêque d’Oxyrrhinque, le 21 novembre 1921. Il meurt à Maison Carrée le 11 novembre 1922.
[34] Charles de Foucauld. Abbé Huvelin. Vingt ans de correspondance entre Charles de Foucauld et son directeur spirituel (1890-1910). Mise en texte de Jean-François Six et Brigitte Cuisinier, op. cit., p. 273.
[35] « Il tient à nous, écrit Mgr Bonnet en parlant de Charles de Foucauld, par l’acte le plus mémorable de son existence et par la meilleure partie de sa vie. Le désert l’attirait, non pas le désert morne et vide, mais le désert avec son Jésus, avec la faculté de Lui dresser un autel, de Lui ouvrir un tabernacle, de L’avoir à toute heure à la portée de ses lèvres et de son cœur. Mais la faculté de disposer ainsi de Notre Seigneur est l’apanage exclusif du prêtre. Il dut, à cette occasion, se choisir une famille diocésaine. Il opta pour la nôtre et me supplia de lui ouvrir la porte. Je l’ouvris à deux battants. Il entra et, dès ce jour, il fut nôtre » (Préface de la Biographie du Père de Foucauld, par l’abbé Jauffrès, Viviers, 1917).
[36] Lettre du 9 septembre 1901 à Mme de Bondy.
[37] Charles Guérin est né à La Genevraye un petit village de Seine-et-Marne le 21 mai 1872. Élève au collège Stanislas de Paris (1884-1890), puis au Séminaire Saint-Sulpice, jusqu’à son ordination presbytérale le 19 décembre 1896. Il entre ensuite au noviciat des Pères Blancs en février 1897. Il fait son année de probation à Ghardaïa et prononce son serment de missionnaire d’Afrique le 27 mai 1899. En 1901, le Saint-Siège le nomme Préfet apostolique de Ghardaïa. C’est là qu’il mourra, le 19 mars 1910, à l’âge de 37 ans. « Je suis bien content que vous ayez vu Mgr Guérin, écrit Charles de Foucauld à sa cousine le 28 juin 1902 : il est charmant, excellent, angélique. C’est une âme charmante, d’une tendresse, d’une bonté, d’une perfection d’ange. » De son côté, Mgr Guérin écrit à Mme de Bondy, le 26 décembre 1909 : « J’ai reçu, il n’y pas longtemps, des nouvelles de votre saint cousin. Je n’ai pas à vous redire tout le bien qu’il fait autour de lui, auprès des Européens comme des indigènes. Pour votre famille, c’est une bien grande grâce que d’avoir un tel parent, tout comme pour ma mission, d’avoir un tel apôtre. »
[38] Lettre du 24 octobre 1901 à Mme de Bondy.
[39] En 1901, la voie ferrée en construction vers le sud s’arrête au lieu-dit Duveyrier. Quelques mois plus tard, le train atteindra Djenan ed Dar, puis Colomb-Béchar. Duveyrier n’est alors qu’une petite gare, entourée de quelques boutiques et de campements militaires. Comme le note Pierre Sourisseau, « le nom donné à cette petite bourgade du désert ne put que susciter l’émotion de Charles, ravivant chez lui les souvenirs de ses visites à Sèvres chez son maître et ami Henri Duveyrier, l’explorateur de l’Afrique du Nord, tragiquement disparu » (Pierre Sourisseau, Charles de Foucauld, 1858-1916. Biographie, op. cit., p.306). Le chanoine Huot, frère du lieutenant (qui devint ensuite général de division), fut archiprêtre de la cathédrale d’Alger.