« L’Église – a convenu le pape avec le patriarche – ne doit pas utiliser le langage de la politique, mais le langage de Jésus »: c’est ce que rapporte, entre autres, le Vatican de l’entretien du pape François et du patriarche Kirill.
Le pape et le patriarche russe se sont en effet entretenus, ce mercredi 16 mars, par vidéo-conférence, confirme le Vatican dans un compte rendu publié en fin d’après-midi, vers 18h21 (heure de Rome) en italien. Trois heures auparavant, le patriarcat avait publié un communiqué en russe dont nous publions également une traduction.
Le communiqué du Vatican tricote quatre points de convergence du pape et du patriarche et les points où le pape se retrouve seul, mais continue de dire « nous », en quelque sorte sans renoncer à persuader son interlocuteur.
Répondant aux questions des journalistes, le directeur du bureau de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, a déclaré : « Je peux confirmer qu’un entretien télématique entre le pape François et Sa Sainteté Kirill, patriarche de Moscou et de toute la Russie a eu lieu aujourd’hui dans l’après-midi. »
Le pape était accompagné du cardinal suisse Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, et le patriarche du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations extérieures (DECR), avec des traducteurs de part et d’autre.
Arriver à un cessez-le-feu
Le principal sujet a été « la guerre en Ukraine et le rôle des chrétiens et de leurs pasteurs pour faire tout leur possible afin que la paix l’emporte », précise le Vatican.
Matteo Bruni expose les motifs de cette rencontre – la paix, la prière, un cessez-le-feu -: « Le pape François a remercié le patriarche de cette rencontre, motivée par la volonté d’indiquer, en tant que pasteurs de leur peuple, une voie pour la paix, de prier pour le don de la paix, afin qu’il y ait un cessez-le-feu. »
A quatre reprises, le Saint-Siège indique les points de rencontre entre le patriarche et le pape, en citant entre guillemets. Puis, entre guillemets aussi ce que le pape a dit, en disant « nous », mais ces citations expriment les divergences. Notamment sur le fait que pour le pape, jamais une guerre ne peut être dite « juste ».
Le premier point, une distinction et une distance entre le politique et le spirituel: « L’Eglise – a convenu le pape avec le patriarche – ne doit pas utiliser la langue de la politique mais le langage de Jésus. »
Deuxième point, – le communiqué utilise un « nous » – la foi dans la Sainte-Trinité et le devoir des pasteurs de chercher ensemble la paix: « Nous sommes des pasteurs du même Saint Peuple qui croit en Dieu, dans la Très sainte Trinité, dans la Sainte Mère de Dieu: c’est pourquoi nous devons nous unir dans l’effort pour aider la paix, aider qui souffre, chercher des voies de paix, arrêter le feu. »
Troisième point, l’importance des négociations: « Tous deux ont souligné l’importance exceptionnelle du processus de négociation en cours parce que, a dit le pape: « Ce sont les gens qui font les frais de la guerre, ce sont les soldats russes et ce sont les gens qui sont bombardés et qui meurent ». »
Une guerre n’est jamais juste
Le pape a insisté sur le fait qu’il n’y a pas de guerre « juste », précise Matteo Bruni: « En tant que pasteurs, a continué le pape, nous avons le devoir d’être proches et d’aider toutes les personnes qui souffrent de la guerre. Autrefois on parlait aussi dans nos Eglise de guerre sainte ou de guerre juste. Aujourd’hui on ne peut plus parler ainsi. La conscience chrétienne de l’importance de la paix s’est développée. »
Quatrième point de rencontre, la contribution des Eglises, continue le communiqué du Vatican: le pape a convenu « avec le patriarche » que « les Eglises sont appelées à contribuer à renforcer la paix et la justice ».
Cependant c’est le pape qui conclut que les guerres sont injustes, toujours, mais le « nous » revient: « Les guerres sont toujours injustes. Parce que qui paie est le Peuple de Dieu. Nos coeurs ne peuvent pas ne pas pleurer face aux enfants, aux femmes tuées, à toutes les victimes de la guerre. La guerre n’est jamais le chemin. L’Esprit qui nous unit nous demande, en tant que pasteurs d’aider les peuples qui souffrent du fait de la guerre. »
Le dialogue, entre avancées et retours
Le communiqué du Vatican est donc très précis et tout en nuances, trahissant à la fois les difficultés du dialogue et à la fois que le dialogue continue, étant donné les points de convergence volontairement soulignés. En somme, le principal message, mais pas le seul, semble l’existence du dialogue lui-même et qu’il n’est pas rompu. Un autre serait la distinction du religieux et du politique.
Un dialogue d’autant plus important que le patriarcat semble au moins trois fois isolé. Par rapport aux communautés orthodoxes russes, en Ukraine – comme l’explique l’historien Nicolas Kazarian – et dans d’autres pays où les orthodoxes ont pris leur distance en cascade, notamment depuis le 6 mars, d’avec les positions du patriarcat. Isolé par rapport au pouvoir en place, déçu de ne pas pouvoir compter sur le soutien des orthodoxes russes d’Ukraine, selon l’analyse de l’historien Antoine Nivière. Et isolé par rapport à d’autres communautés chrétiennes qui lui ont explicitement demandé d’intervenir en faveur de la paix.
Avant la guerre, plusieurs sources indiquaient pour probable une seconde rencontre entre le pape et le patriarche, après celle du 12 février 2016 à La Havane (Cuba).
Bousculés par l’urgence de l’histoire, le pape et le patriarche se sont parlé pour la seconde fois, mais à distance, dans des circonstances difficiles à imaginer il y a quelques semaines. L’avancée du dialogue en vue d’une nouvelle rencontre a probablement permis d’arriver à cet échange, estiment des observateurs à Rome.
Signe dans le sens d’une ouverture au dialogue, le patriarche avait reçu le nonce Mgr Giovanni D’aniello, le 3 mars, au siège du patriarcat de Moscou. Le communiqué final qui a été publié par le patriarcat avait notamment déclaré: « L’Église ne peut pas participer au conflit, elle ne peut être qu’une force de paix. » Une déclaration qui s’est trouvée ensuite en contradiction avec l’homélie du 6 mars et la réponse du 11 mars au COE. Une volonté de paix que cependant le communiqué de ce jour laisse à nouveau entrevoir.
A confirmer dans le concret. Alors que chaque jour, depuis le 24 février, apporte son épouvantable lot de destruction et de morts. Et que les communautés chrétiennes – et l’opinion publique mondiale – ont manifesté combien elles attendent des responsables religieux qu’ils osent élever la voix contre cette « guerre déchirante », ce « massacre », cette « profanation du Nom de Dieu », selon les termes du pape à l’angélus du 13 mars.