ITW du cardinal Parolin © capture de Zenit / Vatican News

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Ukraine : «Il n’est jamais trop tard pour faire la paix», affirme le card. Parolin

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« Il n’est jamais trop tard pour faire la paix, il n’est jamais trop tard pour revenir sur ses pas et trouver un accord », affirme le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin au sujet de la guerre qui fait rage en Ukraine.

Andrea Tornielli, directeur éditorial au Dicastère pour la communication du Saint-Siège, s’entretient avec le numéro 2 du Vatican, le cardinal Parolin, dans les media du Vatican, ce 15 mars 2022.

« La guerre est une folie. Il faut l’arrêter », insiste le secrétaire d’Etat, évoquant « les images terribles venant d’Ukraine » et toutes les victimes sans défense « qui ont payé de leur vie la folie de la guerre ». Il exhorte à ne pas « céder à la logique de la guerre et nous y résigner, en éteignant toute lueur d’espoir » : « nous devons tous ensemble crier vers Dieu et à l’humanité pour que se taisent les armes et revienne la paix, comme le fait le Pape ».

Le secrétaire d’Etat, qui a eu récemment une conversation téléphonique avec le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov, a réaffirmé « la totale disponibilité du Saint-Siège pour tout type de médiation » en faveur de la paix en Ukraine ». Il est nécessaire, insiste-t-il, de prendre « des initiatives politiques et diplomatiques de grande envergure pour parvenir à un cessez-le-feu et à l’ouverture de négociations en vue de trouver une solution non violente ».

Voici la traduction de L’Osservatore Romano de cet entretien publié par les media du Vatican.

Entretien avec le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin

Eminence, tout d’abord, pouvez-vous résumer la position du Saint-Siège sur le conflit actuel?

La position du Saint-Siège est celle que le Pape a répétée à plusieurs reprises: un non ferme à la guerre, la guerre est une folie, il faut l’arrêter. Nous demandons, en faisant appel à la conscience de chacun, que les combats cessent immédiatement. Nous avons sous les yeux les images terribles venant d’Ukraine. Les victimes parmi les civils, les femmes, les vieillards, les enfants sans défense qui ont payé de leur vie la folie de la guerre. L’angoisse grandit lorsque nous voyons des villes aux maisons éventrées, sans électricité, avec des températures négatives, un manque de nourriture et de médicaments. Ainsi que les millions de réfugiés, principalement des femmes et des enfants, qui fuient les bombes. Ces derniers jours, j’ai croisé un groupe d’entre elles, arrivées en Italie de différentes régions d’Ukraine: regards vides, visages sans sourire, tristesse infinie… Quelle responsabilité ont ces jeunes mères, quelle responsabilité ont leurs enfants! Il faut avoir un cœur de pierre pour rester impassible et permettre que ce ravage continue, que des rivières de sang et de larmes continuent de couler. La guerre est une barbarie! Il est significatif que, lors de l’Angelus du dimanche 27 février, le Saint-Père se soit référé à l’article 11 de la Constitution italienne qui stipule: “L’Italie répudie la guerre comme instrument d’offense à la liberté des autres peuples et comme moyen de règlement des différends internationaux”. Ceux qui font la guerre s’appuient sur la logique diabolique des armes et oublient l’humanité: combien d’exemples avons-nous de la vérité de ces paroles! Nous les oublions souvent, parfois parce qu’elles concernent des guerres que nous considérons comme “lointaines”, mais qui en réalité, dans notre monde interconnecté, ne sont jamais vraiment lointaines.

Pourquoi le Pape, dans un geste sans précédent, s’est-il rendu à l’ambassade de Russie au lendemain de l’attaque de l’armée de Moscou en Ukraine?

Vous avez raison de qualifier le geste du Pape François de sans précédent. Le Saint-Père a voulu exprimer aux autorités de Moscou toute sa préoccupation face à l’escalade de la guerre qui venait de commencer, et il a décidé de faire personnellement un pas dans cette direction, en se rendant à la représentation diplomatique de la Fédération de Russie auprès du Saint-Siège.

Ces derniers jours, vous avez eu une conversation téléphonique avec le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov. Qu’est-ce que vous vous êtes dit?

J’ai répété l’appel du Pape pour un cessez-le-feu immédiat. J’ai demandé l’arrêt des combats et une solution négociée au conflit. J’ai insisté sur le respect de la population civile et sur les corridors humanitaires. J’ai également réitéré, comme le Pape l’avait fait dimanche dernier à l’Angelus, la totale disponibilité du Saint-Siège pour tout type de médiation qui pourrait favoriser la paix en Ukraine.

Malgré les appels à cesser l’utilisation des armes, nous sommes confrontés à une escalade qui ne montre aucun signe d’apaisement. Pourquoi?

La guerre est comme un cancer qui se développe, s’étend et se nourrit de lui-même. C’est une aventure sans retour, pour reprendre les paroles prophétiques de saint Jean-Paul II . Malheureusement, il faut le reconnaître: nous sommes tombés dans un tourbillon qui peut avoir des conséquences incalculables et dommageables pour tous. Lorsqu’un conflit est en cours, lorsque le nombre de victimes sans défense augmente, il est toujours difficile de faire marche arrière, même si ce n’est pas impossible, lorsqu’il y a une réelle volonté de le faire, il est difficile de poursuivre les négociations avec tous les efforts possibles, de suivre toutes les voies possibles vers une solution, de faire preuve de ténacité pour entreprendre des initiatives de paix. Nous ne devons pas céder à la logique de la violence et de la haine. Nous ne devons pas non plus céder à la logique de la guerre et nous y résigner, en éteignant toute lueur d’espoir. Nous devons tous ensemble crier vers Dieu et à l’humanité pour que se taisent les armes et revienne la paix, comme le fait le Pape.

Le monde a complètement changé en l’espace de quelques jours: on parle désormais de réarmement, de nouvelles dépenses militaires, de la nécessité de revenir aux centrales à charbon en mettant en sourdine la transition écologique…

Oui, en quelques jours, le monde, notre monde, déjà durement éprouvé par la pandémie, semble avoir changé. Nous nous souvenons des paroles courageuses prononcées par le Saint-Père à Hiroshima en novembre 2019. Il avait déclaré: “Je souhaite humblement être la voix de ceux dont la voix n’est pas entendue et qui regardent avec inquiétude et angoisse les tensions croissantes qui traversent notre époque, les inégalités et injustices inacceptables qui menacent la coexistence humaine, la grave incapacité à prendre soin de notre maison commune, le recours continu et spasmodique aux armes, comme si celles-ci pouvaient garantir un avenir pacifique”. Il avait ajouté: “Avec conviction, je tiens à réaffirmer que l’utilisation de l’énergie atomique à des fins de guerre est, aujourd’hui plus que jamais, un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins de guerre est immorale, tout comme la possession d’armes atomiques est immorale”. Aujourd’hui, nous constatons que, face à ce qui se passe en Ukraine, beaucoup de gens parlent de réarmement: de nouvelles et énormes sommes d’argent sont allouées aux armements, la logique de la guerre semble prévaloir, la distance entre les nations augmente. Malheureusement, nous semblons avoir oublié les leçons de l’histoire, de notre histoire récente. Je cite encore la voix de saint Jean-Paul II lorsqu’il plaidait pour ne pas entrer en guerre avec l’Irak: nous voyons les conditions de ce pays aujourd’hui encore, presque vingt ans après ce conflit. Nous avons sous les yeux de nombreuses preuves de la dévastation et de l’instabilité que produit la guerre.

Quelle autre voie peut-on suivre qui ne soit pas seulement celle qui consiste à éliminer l’autre?

La doctrine sociale de l’Eglise a toujours reconnu la légitimité de la résistance armée face à une agression. Mais je crois que face à ce qui se passe, il est essentiel de se demander: faisons-nous tout ce qui est possible pour parvenir à une trêve? La résistance armée est-elle la seule voie possible? Je comprends que ces mots, face au meurtre de femmes et d’enfants, face à des millions de personnes déplacées, face à un pays détruit, puissent paraître utopiques. Mais la paix n’est pas une utopie, il y a tant de vies humaines en danger à sauver immédiatement! C’est pourquoi il est nécessaire de prendre des initiatives politiques et diplomatiques de grande envergure pour parvenir à un cessez-le-feu et à l’ouverture de négociations en vue de trouver une solution non violente. Le Saint-Siège est prêt à faire tout son possible à cet égard.

Le Pape a explicitement déclaré que la guerre en Ukraine est une guerre et non “une opération militaire”. Pourquoi?

Les mots sont importants, et définir ce qui se passe en Ukraine comme une opération militaire revient à ne pas reconnaître la réalité des faits. Nous sommes confrontés à une guerre, qui fait malheureusement de nombreuses victimes civiles, comme toutes les guerres.

Selon vous, l’Europe et l’Occident en général ont-ils fait tout ce qui était nécessaire pour empêcher cette escalade de la guerre?

Je n’aime pas spéculer de cette façon. La question donne certainement matière à réflexion. Nous nous souvenons de la situation conflictuelle actuelle dans le Donbass, de la mise en œuvre insuffisante des accords de Minsk et de ce qui s’est passé avec la Crimée. Mais ne pleurons pas sur le lait renversé! Au contraire, il faut une nouvelle détermination pour que ces crises soient résolues avec l’aide de tous.

Quel rôle la politique joue-t-elle? Et quel rôle joue la diplomatie en ce moment?

Lorsque j’ai dit qu’il était nécessaire de prendre des initiatives politiques et diplomatiques, je faisais précisément référence à ce besoin de politique et de diplomatie. Nous retombons dans le passé au lieu d’oser faire des pas vers un avenir différent, un avenir de coexistence pacifique. Malheureusement, force est de constater qu’après la chute du mur de Berlin, nous n’avons pas été capables de construire un nouveau système de coexistence entre les pays qui aille au-delà des alliances militaires ou de l’opportunisme économique. La guerre actuelle en Ukraine rend cette défaite évidente. Mais je voudrais aussi dire qu’il n’est jamais trop tard, il n’est jamais trop tard pour faire la paix, il n’est jamais trop tard pour revenir sur ses pas et trouver un accord.

Quel est le rôle des Eglises?

Face aux menaces qui se profilent, le rôle des chrétiens est avant tout de convertir. Hier — m’a-t-on dit — en présence du cardinal Krajewski, l’envoyé spécial du Pape en Ukraine, une prière œcuménique a eu lieu, au cours de laquelle on a tout d’abord demandé pardon au Seigneur pour notre dureté de cœur, pour nos péchés qui nourrissent le mal qui est dans le monde. Et puis prier pour que Dieu accorde la paix, qu’il éclaire l’esprit de ceux qui font la guerre et qu’il épargne la souffrance des innocents. Les Eglises donnent un grand témoignage de solidarité en aidant les réfugiés. Je crois qu’il est également très important qu’elles insistent pour demander la fin des combats: rien ne peut justifier la guerre, la haine et la violence.

© L’Osservatore Romano en français, 15 mars 2022

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Hélène Ginabat

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