Chypre, prière oecuménique avec les migrants, 3 décembre 2021 © Vatican Media

Chypre, prière oecuménique avec les migrants, 3 décembre 2021 © Vatican Media

« Aucun d’entre nous ne veut être seul »: Sri Lanka, Cameroun, RDC, Irak, 4 témoins à Chypre

Tous différents, mais membres «d’un même « nous »»

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« Alors, qui suis-je ? Qui êtes-vous ? Nous sommes beaucoup de choses. Nous sommes tous différents, mais nous faisons tous partie d’un même “nous“ ici, à Chypre » : c’est par ces questions et ces affirmations que se sont conclus les témoignages des quatre jeunes migrants originaires du Sri Lanka, du Cameroun, de l’Irak et de la République démocratique du Congo, qui ont pris la parole devant le pape François, ce vendredi 3 décembre, à Chypre.

Le pape François a présidé une prière œcuménique avec les migrants, à la paroisse de la Sainte Croix de Nicosie.

Dans son intervention, le pape leur a répondu : « Vos témoignages sont comme un “miroir” pour nous, communautés chrétiennes ».

Ils ont évoqué la question de l’identité, les blessures de la haine, la souffrance et l’espoir du « voyage », les rêves d’un monde et d’une vie meilleurs. « Nous sommes tous vulnérables à la haine et nous avons besoin d’amour », a conclu l’un des témoins.

« Nous sommes tous des voyageurs qui luttent pour avancer fidèlement chaque jour en quête de lumière et de chaleur. Nous sommes tous engagés dans un voyage qui est plus facile ensemble. Aucun d’entre nous ne veut être seul ».

Voici notre traduction de leurs témoignages.

Premier témoin : Thamara, du Sri Lanka

Etant une personne qui vit loin de chez elle, de sa famille, de son peuple et de son pays, on me demande souvent qui je suis. Les questions ne sont pas destinées à blesser, mais je les ressens comme un coup. « Qui es-tu ? », « Pourquoi es-tu ici », « Quel est ton statut ? », « As-tu l’intention de rester ? », « Pour aller où ? ».

Tous les jours, tout ce que je peux être, ou ce que j’espère être, ou ce que je veux devenir, doit se réduire à cocher une case sur un formulaire. Il faut que je trouve un ou deux mots pour expliquer qui je suis à l’une des rares personnes qui pourrait choisir de demander ou de reconnaître que je suis là. Qu’est-ce que je dis ? D’habitude je dois choisir « XENOS », « étranger », « victime », « demandeur d’asile », « réfugié », « migrant », « autre », mais ce que je voudrais crier, c’est : « personne », « frère », « ami », « croyant », « voisin ».

Inévitablement, j’erre – comme nous tous – en me demandant qui nous sommes. Je suis beaucoup de choses.

Deuxième témoin : Maccolins, du Cameroun

Je suis une personne blessée par la haine. La haine : quand on en a fait l’expérience, on ne peut pas l’oublier. Cela m’a changé ; cela nous change. La haine prend de nombreuses formes hideuses. Il y a la haine qui conduit un être humain à utiliser un fusil pas seulement pour tirer sur quelqu’un mais pour lui briser les os pendant que d’autres regardent. Il y a la haine qui peut suffisamment submerger l’âme de quelqu’un qu’il en viole la vie humaine tout en la regardant froidement dans les yeux, et la haine qui peut être calculatrice et insensible, poussant quelqu’un à enterrer une mine, conscient qu’elle va détruire toute personne ou toute chose qui passera à proximité sans le savoir.

Je ne suis pas seulement blessé par la méchanceté qui mutile, coupe ou tue les autres, mais par le mépris et la négligence qui provoquent des feux, détruisent des forêts, minent et marquent la terre et qui polluent l’eau dont j’ai besoin pour étancher ma soif et pour survivre.

Je souffre des actes haineux qui rendent impossible d’apprendre, de travailler ou de vivre dans des parties de notre maison commune.

Et je suis quelqu’un qui souffre du manque d’amour qui fait que je me sens inférieur aux autres, indésirable, un fardeau ; de la haine subtile qui me prive d’un mot gentil, d’un sourire dont j’ai besoin un jour de froid ; des barrières qui me maintiennent en marge de la communauté dans laquelle je me trouve.

Troisième témoin : Rozh, de l’Irak

Je suis une personne en voyage. J’ai dû fuir la violence, les bombes, les couteaux, la faim et la souffrance. On m’a forcé à marcher sur des routes poussiéreuses, on m’a poussé dans des camions, on m’a caché dans des malles de voitures, on m’a jeté dans des bateaux percés – on m’a trompé, exploité, oublié, nié. On m’a forcé à faire ce voyage.

Mais mon voyage a aussi été un voyage vers quelque chose. Je voyage chaque jour, anxieux d’atteindre une nouvelle destination. Un lieu de sécurité et de santé, un lieu qui offre des libertés et des choix, un lieu où je peux donner et recevoir de l’amour, un lieu où je peux fièrement pratiquer ma foi et mes coutumes et les partager avec d’autres, un lieu où je peux oser espérer.

Mon voyage me conduit vers la lumière de la foi, de la connaissance et de l’amitié humaine.

Quatrième témoin : Mariamie, de RDC

Je suis une personne pleine de rêves. J’ai de grands rêves – je rêve d’un monde où personne n’est obligé de se battre, d’abandonner, de fuir ou de pleurer (sauf, peut-être, pleurer de joie).

Un monde où personne n’est arraché de son lit dans l’obscurité de la nuit, laissant derrière soi ses jouets préférés, abandonnant tout pour s’enfuir. Je rêve d’un monde de paix, de pays qui ne se battent pas entre eux et de personnes du même pays qui ne se font pas de mal, ne se refusent pas la liberté ou les droits humains.

Je rêve de beauté – le genre de beauté naturelle qui fait naître un sourire sur mon visage. D’enfants avec leurs parents, de familles unies, de fleurs qui s’épanouissent, d’eau qui coule, de voix qui s’élèvent pour chanter.

Mais j’ai aussi de petits rêves. Je ferme les yeux et je rêve de l’odeur de la cuisine de ma grand-mère, des champs après une bonne pluie qui fera germer les graines, de la brise marine.

Je rêve d’être la première de ma classe et de devenir médecin. Et je rêve d’être la bienvenue partout – ici à l’église, dans toutes les classes et dans tous les magasins. Je rêve de personnes qui s’intéressent à moi, sans se méfier, et de personnes qui seraient moins surprises lorsque je leur parle en grec et je rêve d’autres personnes qui essaient de me parler en français.

Je rêve de sourires.

Premier témoin: Thamara, du Sri Lanka

 Alors, qui suis-je ? Qui êtes-vous ? Nous sommes beaucoup de choses.

Nous sommes tous différents, mais nous faisons tous partie d’un même « nous » ici, à Chypre. « EMEIS EIMASTE EMEIS ».

Nous sommes tous vulnérables à la haine et nous avons besoin d’amour.

Nous sommes tous des voyageurs qui luttent pour avancer fidèlement chaque jour en quête de lumière et de chaleur. Nous sommes tous engagés dans un voyage qui est plus facile ensemble.

Aucun d’entre nous ne veut être seul.

 

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

 

 

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Hélène Ginabat

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