« Préparez le chemin du Seigneur » est une « invitation » à imiter la figure de Jean-Baptiste », explique Mgr Francesco Follo dans sa méditation sur l’Evangile de dimanche prochain, 5 décembre 2021, deuxième dimanche de l’Avent.
Mgr Follo exprime le souhait « de comprendre que l’avent n’est pas seulement un temps pour changer de mentalité, mais aussi celui de se convertir en se tournant vers le Christ qui se fait présent ».
Comme lecture patristique, Mgr Follo propose une page d’Origène sur l’Evangile de Luc.
AB
Jean le Baptiste invite à la conversion au Christ
qui vient comme frère pour nous conduire au Père.
1 ) Jean[1] : une voix à écouter pour rencontrer Jésus
Dans le passage d’Évangile proposé pour ce IIème dimanche de l’Avent, temps d’attente, de préparation pour accueillir le Dieu qui vient, saint Luc situe la vie de Jean le Baptiste dans l’histoire du peuple d’Israël pour mettre en lumière l’accomplissement de la promesse de Dieu d’envoyer le Messie. Cet évangéliste établit un parallèle très étroit entre Jésus et son précurseur Jean, construisant dans les deux premiers chapitres de son livre des diptyques où il présente alternativement Jésus et Jean le Baptiste dans leur enfance. Le parallèle continue aussi dans le récit de la vie publique, avec une attention précise : quand la scène est occupée par Jésus, Jean disparaît. Luc veut souligner aussi de cette façon qu’avec Jésus commence un temps nouveau, celui du salut que Jean avait la tâche d’introduire.
En nous présentant la figure de Jean, le précurseur et « celui qui baptise », la liturgie de l’Avent nous enseigne qu’à l’homme en marche correspond la venue de Dieu et la rencontre, par la foi, se fait dans la chair du Christ. Nous sommes invités, par la voix du prophète Jean, à préparer le chemin du Seigneur. Il ne s’agit plus d’un chemin dans le désert qui doit être ouvert, mais de la route du cœur de chacun qui doit s’ouvrir à Dieu qui va venir. Laissons-nous donc guider par la Voix qui nous indique la Parole de miséricorde (« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde »). « Il est très doux, ce nom de « miséricorde », frères bienaimés, mais si le nom est déjà doux, combien plus l’est la réalité elle-même. Bien que tous veuillent que l’on use de miséricorde à leur égard, tous ne se comportent pas de façon à la mériter. Alors que tous veulent que leur soit fait miséricorde, peu nombreux sont ceux qui en usent envers les autres. Ô homme, avec quel courage oses-tu demander ce que tu te refuses à accorder aux autres ? Qui désire obtenir la miséricorde au ciel doit l’accorder sur cette terre. Puisque, donc, nous tous, très chers frères, nous désirons que nous soit fait miséricorde, cherchons à en faire notre protectrice en ce monde, pour qu’elle soit notre libératrice dans l’autre » (Saint Césaire d’Arles, Discours 25, Notre traduction).
Pour bien vivre cet Avent, prenons au sérieux l’invitation de saint Jean, prophète de la miséricorde, qui proclame le pardon et qui crie (le texte grec emploie le mot « kerisso » qui veut dire hurler, dire à haute voix) : « Préparez le chemin du Seigneur » (Is 40,3 ; Lc 3,4), qui vient pardonner comme l’Agneau qui enlève les péchés du monde.
« Préparez le chemin du Seigneur » est pour nous un « commandement » de regarder notre vie, d’orienter (convertir) notre vie au Seigneur Jésus qui vient à Noël, de même qu’il vient tous les jours jusqu’à la fin de la vie de chacun et qu’il viendra à la fin de l’histoire des hommes.
« Préparez le chemin du Seigneur » est une « invitation » à imiter la figure de Jean-Baptiste, qui prépare le chemin du Seigneur en demandant aux gens avec force de se convertir, c’est-à-dire d’orienter leur vie vers le Seigneur Jésus. Il n’y a pas de conversion personnelle qui ne devienne aussi une invitation adressée aux autres : l’expérience personnelle pousse à y faire participer tout le monde parce que ce qui est beau doit être partagé.
En partageant Celui qui vient, la poussière d’histoire que sont nos petites vies devient l’histoire même de Dieu et tout homme verra son salut. C’est seulement ainsi que nous deviendrons les témoins et les annonciateurs d’une présence forte, bouleversante, engageante du Seigneur Jésus.
Chacun de nous doit devenir la voix de la Parole qu’est Jésus, prenant au sérieux le commandement : « Préparez le chemin du Seigneur ». Ce qui veut dire : préparez des routes où résonne la Parole, multipliez les chemins pour écouter la Parole, préparez le chemin à la Parole qui se fait chair.
2) Dans le désert pour préparer la rencontre avec le Dieu qui vient.
Mais où aller pour pouvoir entendre la Parole (le Verbe) prononcée par la Voix et pour écouter le témoin de la lumière et de la miséricorde ? En regardant la figure de Jean le Précurseur, la réponse est : « Dans le désert », parce que c’est là que prêche le Baptiste. C’est pourquoi l’Église fait sien le cri de l’Écriture sainte : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur » (Is 40,3).
Désert (en hébreu midebar) veut dire « ce qui vient du Verbe ». Sur le plan géographique, le désert de la Terre Sainte est une région montagneuse, avec une végétation rare, peu habitée, lieu des pasteurs, des bandits et des ermites (éremos, en grec, veut dire lieu solitaire, désertique).
Mais dans la Bible, le désert est un lieu par lequel il faut passer. Que l’on pense à l’exode des Hébreux sortant d’Égypte. On ne peut rejoindre nulle part, aucune terre promise si l’on n’a pas le courage et la force d’affronter son propre désert. Cela a été un passage nécessaire après la libération d’Égypte (Ex 5,1 ; 13,17-21), pour celle de Babylone (Is 40,3) ; cela a été un lieu nécessaire pour Moïse (Ex 3), pour Élie (1 R 19), pour Paul (Ga 1,17) et pour Jésus (Lc 4,1-13). Plus qu’un lieu physique, le désert[2] est le lieu du cœur (« Je te conduirai au désert et là je parlerai à ton cœur », cf. Os 2,16), une dimension de la vie.
Le désert est le lieu où il est possible de simplifier sa vie. Le désert, lieu du choix radical, où toutes les idoles (pouvoir, succès, popularité, orgueil, richesse) meurent, où la relation entre Dieu, l’homme et la terre se purifie, lieu où l’homme accepte de parcourir le chemin avec Dieu, en ne s’appuyant que sur lui. Dans le désert, l’homme expérimente une solitude, mais qui n’est pas sa propre fin mais la condition à laquelle Dieu nous conduit pour que nous puissions mieux écouter sa voix qui parle toujours à notre cœur (cf. sopra Os 2,16).
Dans le désert, Jean-Baptiste dit avec fermeté : « Convertissez-vous », un verbe qui, en grec, se dit de deux façons. L’une, epistréfo = se tourner vers, qui indique le retour à Dieu, par conséquent la conversion religieuse, retourner au temple, aux pratiques religieuses. L’autre, celui qui est employé aujourd’hui dans l’Évangile, signifie changer de mentalité (metanoéo), il implique un changement de comportement. L’invitation au changement, à la conversion est motivée par le fait que Dieu est proche, Jésus arrive.
Noël est proche : rénovons les chemins, redressons les voies tordues de l’égoïsme et de l’orgueil, en laissant la place à la voie de la charité, la seule capable de préparer vraiment à la rencontre. Préparer le chemin du Seigneur, c’est restructurer le chemin du cœur qui permet de « discerner ce qui est important. Ainsi, serez-vous purs et irréprochables pour le jour du Christ » (Ph 1,10).
Préparer le chemin du Seigneur signifie renoncer au péché, à la méchanceté et à la jalousie.
Préparer le chemin du Seigneur signifie recevoir le baptême de pénitence, mendier la miséricorde pour recevoir le pardon de ses péchés.
Enfin, en cette Année de la miséricorde qui s’ouvre précisément le jour consacré à l’Immaculée, préparer le chemin du Seigneur, c’est imiter la Vierge Marie qui a préparé le chemin du Seigneur dans la prière, le silence, la charité envers son prochain, à travers sa pleine disponibilité. Demandons la grâce de Dieu par l’intercession de la Vierge immaculée pour pouvoir préparer notre cœur et notre esprit afin qu’ils soient dignes d’accueillir Jésus, « visage de la miséricorde du Père » (Pape François).
Dans cette façon mariale de préparer le chemin, les vierges consacrées dans le monde nous sont un exemple. Par leur « oui » au Christ, elles imitent la Vierge Marie, Mère de miséricorde, de vie, de douceur et notre espérance. Dans un silence du cœur attentif, ces femmes consacrées accueillent dans la prière la richesse de la Parole divine. En cultivant l’amour du Christ, elles aiment la vie et se mettent au service de celui qui mendie la vie. Je leur souhaite que, par l’intercession de la Mère de miséricorde, elles répondent à l’appel de leur époux, Jésus, à être lumière du monde et sel de la terre (cf. Mt 5,13-14), à ne jamais manquer à leur sublime vocation, sans céder à la fascination trompeuse du monde, en préservant leur chasteté. Que la Mère de la miséricorde leur concède de refléter son amour maternel, afin qu’elles deviennent d’authentiques mères spirituelles.
Lecture Patristique
Origène (+ 253)
Homélies sur saint Luc. 21. SC 87, 292-299
La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie, et il parcourait toute la région du Jourdain (Lc 3,2-3). Ce sont évidemment ces lieux proches du Jourdain que Jean devait parcourir: ainsi celui qui voulait faire pénitence pourrait facilement être plongé dans l’eau.
Le nom de « Jourdain » signifie: « celui qui descend. » Le fleuve de Dieu « qui descend » avec la puissance d’un flot abondant, c’est le Sauveur, notre Seigneur, en qui nous sommes baptisés dans l’eau véritable, dans l’eau du salut.
Jean Baptiste prêche un baptême pour le pardon des péchés (Lc 3,4): « Venez, catéchumènes, faites pénitence afin de recevoir le baptême pour le pardon des péchés. Il reçoit ce baptême pour le pardon des péchés, celui qui cesse d’en commettre. Mais celui qui vient au baptême en demeurant dans le péché, ses péchés ne lui sont pas pardonnes. Ainsi, je vous en conjure, ne venez pas au baptême sans réflexion et examen attentif: donnez d’abord des fruits qui expriment votre conversion (Lc 3,8). Ayez pendant quelque temps une conduite honorable, gardez-vous purs de toutes les souillures et de tous les vices, et vous recevrez le pardon de vos péchés quand vous aurez commencé vous-mêmes à mépriser vos propres péchés. Quittez ces fautes, et l’on vous en tiendra quittes.
La citation de l’Ancien Testament, qui est alléguée ensuite, se lit chez le prophète Isaïe: Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers (cf. Is 40,3). Quel chemin allons-nous préparer pour le Seigneur? Un chemin matériel? Mais la Parole de Dieu suit-elle un pareil chemin? Ou faut-il préparer au Seigneur une route intérieure, et ménager dans notre cœur des sentiers droits et unis? Tel est le chemin par lequel est entré le Verbe de Dieu qui s’installe dans le cœur humain, capable de l’accueillir.
Il est grand le cœur de l’homme, il est spacieux et hospitalier, pourvu qu’il soit pur. Voulez-vous connaître son ampleur et sa largeur? Voyez quelle abondance de connaissances divines il peut embrasser! Il le dit lui-même: Il m’a donné une connaissance exacte du réel. Il m’a appris la structure de l’univers et l’activité des éléments, le commencement, la fin et le milieu des temps, les alternances des solstices et les changements de saisons, les cycles de l’année et les positions des astres, les natures des animaux et les humeurs des bêtes sauvages, les impulsions violentes des esprits et les pensées des hommes, les variétés des plantes et les vertus des racines (Sg 7,17-23). Vous voyez qu’il n’est pas petit, le cœur des hommes, pour embrasser tant de choses! Entendez cette grandeur non de ses dimensions physiques, mais de la puissance de sa pensée, capable d’embrasser une aussi grande connaissance de la vérité.
Pour amener tous les gens simples à reconnaître la grandeur du cœur humain, j’apporterai quelques exemples familiers. Toutes les villes que nous avons traversées, nous les gardons dans notre esprit: leurs caractéristiques, la situation des places, des remparts et des édifices demeurent dans notre coeur. Le chemin que nous avons parcouru, nous le conservons dessiné et inscrit dans notre mémoire; la mer où nous avons navigué, nous la contenons dans notre pensée silencieuse. Je le répète, il n’est pas petit le coeur qui peut embrasser tant de choses! Et s’il n’est pas petit pour embrasser tant de choses, on peut bien y préparer le chemin du Seigneur et rendre droit son sentier, pour que puisse y marcher celui qui est la Parole et la Sagesse. Préparez le chemin du Seigneur par une conduite honorable, par des œuvres excellentes; aplanissez le sentier afin que le Verbe de Dieu marche en vous sans rencontrer d’obstacle et vous donne la connaissance de ses mystères et de son avènement, lui à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen (1P 4,11).
[1] Le nom de Jean dérive du mot en langue hébraïque Yehōchānān formée des termes Yehō (une abbréviation de Yahweh), nom propre de Dieu, et chānān qui signifie « a eu miséricorde » ou « a eu la grâce ». La signification du nom Jean est donc « Dieu a eu miséricorde » ou « don de Dieu ».
[2] Le désert, lieu physique caractérisé par l’aridité inhospitalière, par la chaleur et le manque de vie, est, dans la Bible et dans la spiritualité chrétienne, le lieu où l’homme se retrouve seul et peut rencontrer Dieu. C’est aussi un lieu d’ascèse et de prière. À partir de l’expérience monastique, le désert est devenu aussi synonyme d’érémitisme ou de retraite spirituelle.