« Célébrons le Christ-Roi qui, pour nous donner sa vie, offre la sienne sur la Croix »: c’est l’invitation de Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, dans ce commentaire de l’Evangile de dimanche prochain, 21 novembre 2021.
Comme lecture patristique, Mgr Follo propose une page de saint Jean Chrysostome sur saint Jean.
Fête du Christ-Roi de l’univers
1) Un Roi couronné d’épines, c’est-à-dire un témoin (un martyr) de la vérité de l’amour
En ce dernier dimanche de l’année liturgique, nous sommes invités à célébrer le Christ Roi d’un « royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix » (Préface de la messe du Christ Roi). A Pilate, qui lui demande s’il est roi, Jésus répond que la royauté qu’il revendique n’est pas politique, mais d’un tout autre genre. C’est une royauté de vérité et d’amour, exercée pour témoigner la vérité et non pour dominer. En effet, dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus conclut : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » (Jn 18, 37). Je crois qu’il est juste de dire que dans sa réponse à Pilate, Jésus Christ parle non seulement de vérité, mais il répond à la question : « Qui est la vérité? »
La royauté du Christ c’est Lui-même, cette Vérité d’amour dont il témoigne en se faisant martyr[1].
Dans son bref et court échange avec Pilate, Jésus affirme une autre chose importante : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Pour comprendre la royauté de Jésus et pour devenir les sujets de son royaume, royaume d’un autre monde mais pas royaume de morts, il faut avoir choisi la vérité. Ce royaume d’un autre monde est « dominé » par la force de l’amour. Ce Roi ne condamne pas à mort ses fragiles sujets mais donne sa vie pour qu’ils aient la vie.
Et s’il y a des personnes qui sont « pour la vérité », d’autres, au contraire, sont pour « la non-vérité ». Il n’est pas seulement question de mensonges, mais d’une attitude de fond, de valeurs que l’on choisit. Dans le récit du procès, ces deux possibilités qui s’opposent sont incarnées par deux personnages qui se font face : Jésus et Pilate.
D’un côté Jésus, il représente la Vérité, s’abandonne complètement dans les mains du Père, n’hésitant pas à donner sa vie. De l’autre Pilate, il représente le pouvoir politique, un pouvoir qui sert la vérité mais pas au-delà d’un certain prix, qui estime avoir des valeurs plus importantes à sauver. A trois reprises, Pilate reconnaît l’innocence de Jésus et le déclare publiquement, et par trois fois il tente de le sauver. Pourtant, il le condamnera à mourir sur la croix.
Ce procurateur du royaume des hommes envoie à la mort un innocent, renie la justice et la vérité pour se sauver lui-même.
Le Christ, Lui, est un roi qui ne tue personne, je dirais même plus qu’il meurt pour tout le monde. Il ne verse le sang de personne, Il verse son sang à Lui pour tous. IL ne sacrifie personne, se sacrifie Lui, pour ses serviteurs qu’Il appelle « ses amis ». Le rédempteur manifeste la vérité de Dieu qui est Père, et le Père c’est celui qui donne la vie et la liberté à ses enfants, pas celui qui leur enlève cette vie et cette liberté.
Le Christ Roi « se sert » du pouvoir pour servir la vérité, pour servir la justice, autrement dit pour servir la vérité de l’amour. Ce pouvoir, le Sauveur l’exerce en prenant la croix comme trône et des épines pour couronne. C’est un pouvoir d’amour comme celui qu’Il a eu durant la Cène, en lavant les pieds des apôtres. Jésus est un chef, un Roi, qui se met vraiment au service de ses sujets, un roi qui sait donner le pain au lieu de le prendre, qui sait donner la vie au lieu de l’ôter, qui sait libérer de la loi au lieu de l’imposer.
2) Un sujet à part : le bon larron
Il y a quelqu’un qui avait saisi la vérité de Jésus, c’est le bon larron. Suspendu à la croix, juste à côté du Christ, il lui avait demandé : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42), et le Roi lui avait répondu : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43). Pour ce malfaiteur, le chemin qui l’avait conduit à la croix s’était transformé, infailliblement, en chemin vers le Paradis (ibid.), en Chemin de vérité et Chemin de vie, le Chemin qui conduit au royaume.
Faisons nôtre l’ouverture de cœur et la prière de ce malfaiteur que la tradition, à juste titre, appelle « bon larron ». Celui-ci était sur la croix, mais son ouverture de cœur et son intelligence furent telles qu’il a su reconnaître sous les traits d’un moribond, le visage d’un Roi. Il a su voir la royauté du Christ, pourtant assis sur un trône bien paradoxal – la croix – jusqu’à lui demander ensuite : « Souviens-toi de moi dans ton Royaume. » Il avait compris que ce royaume était la vraie vie, une vie heureuse et durable. Mais être près du Christ ne suffit pas, d’ailleurs au moment de la passion d’autres étaient à côté de Lui, mais ils l’ont méprisé et insulté. Le « voleur » au bon cœur, parce qu’il était animé d’un saint désir, a demandé le salut. Il fut donc le premier à entrer au Paradis avec le Christ.
Que chacun de nous prie : « Jésus, souviens-toi de moi, souviens-toi de mes frères en humanité auxquels je veux donner quotidiennement le pain vivant et vrai de ton évangile. » Et si nous prions avec persévérance « Que ton règne vienne », nous verrons la promesse du Christ devenir réalité. Si nous restons à ses côtés, solidement attachés à Lui sur la croix, que nous le laissons nous attirer, nous deviendrons comme Lui des témoins (= martyrs) de la Vérité.
Mais la manière d’être proche du Christ que l’on voit chez le bon larron n’est pas la seule. Il y a celle de la Vierge Marie, toujours associée à la royauté du Christ, brisée de douleur, représentée debout au pied de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui lui vaut ce chant dans la sainte liturgie : « Sainte Marie, reine du ciel et maîtresse du monde, brisée de douleur, était debout près de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Fête de Notre-Dame des Sept Douleurs), et fit écrire à Francesco Suarez : « Comme le Christ pour nous avoir rachetés est notre Seigneur et notre Roi à un titre particulier, ainsi la Bienheureuse Vierge est aussi notre Reine et Souveraine à cause de la manière unique dont elle contribua à notre Rédemption, en donnant sa chair à son Fils et en l’offrant volontairement pour nous, désirant, demandant et procurant notre salut d’une manière toute spéciale » (De mysteriis vitae Christi, disp. XXII, sect. II : éd. Vives, XIX, p. 327).
Naturellement, les Vierges consacrées sont appelées, elles aussi, à participer à la royauté du Christ et de la Vierge, en rendant témoignage à la vérité d’Amour.
La virginité est assimilée, comme il se doit, à une forme de martyre (= témoignage), car les vierges donnent toute leur vie au Christ Epoux et Roi. Par conséquent, on leur reconnaît aussi une dignité ro
yale, et elles sont couronnées par leur époux, roi de l’univers. C’est la raison pour laquelle, dans le rite de consécration, on pose sur leurs têtes un voile en guise de couronne royale.
Le voile signifie que la vierge consacrée est mariée exclusivement au Christ, qu’elle se soustrait au regard des hommes pour n’être plus que sous le seul regard de Dieu, et ne plaire qu’à Lui par la pureté et l’intensité de leur amour, mais il signifie aussi qu’elles sont consacrées au Christ, donc signe de leur haute noblesse d’épouses du Christ roi. N’existe-t-il pas plus haute dignité pour la femme ? Je ne pense pas, mais le voile la tient dans l’humilité.
Voilée, mais présente – comme la Vierge Marie – la vierge se consacre entièrement au Seigneur en priant : elle n’est pas un être désincarné et indifférent, loin des gens ordinaires. Bien au contraire, c’est une femme capable de se donner avec amour, un amour oblatif, chaste et universel, totalement gratuit justement parce qu’elle est vierge (cf. Rituel de consécration des Vierges, n° 26 : « Recevez ce voile, signe de votre consécration ; n’oubliez jamais que vous êtes vouées au Christ et à son corps, qui est l’Eglise »).
Tel est le sens mystique de ce voile posé sur la tête des femmes consacrées, cachées dans le monde pour être dans le cœur du monde et porter tous les hommes dans le cœur du Christ, unique époux de l’Eglise.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall
Lecture patristique: saint Jean Chrysostome,
Homélie 84 (Jn 18,37-40 Jn 19,1-15)
ANALYSE
- Jésus-Christ nous enseigne la patience. – Pilate cherche d’abord à délivrer Jésus.
- La peur se saisit de Pilate et lui fait prononcer une sentence injuste.
- Avoir toujours présente la passion de Jésus-Christ, la méditer continuellement. – Elle sera un souverain remède à toutes nos afflictions et à tous nos maux. – Jésus-Christ a souffert, afin que nous marchions sur ses pas. – Imiter sa douceur, et celle des apôtres, pour attirer à la pénitence ceux qui nous ont offensés. – La colère et le mensonge viennent du diable. – Nous sommes inutilement venus au monde et pour notre perte, si nous n’y pratiquons pas la vertu. – La foi seule et destituée des œuvres ne fait point entrer dans le ciel, elle attire une plus grande condamnation. – Philosophie, vertu des gentils supérieure à celle des chrétiens : grand sujet de honte et de condamnation. – On peut mourir tous les jours, se tenir prêt : faire ici les provisions nécessaires pour ce voyage : là-haut on n’en trouve point.
- La patience est une vertu admirable, qui délivre l’âme des flots de cette mer orageuse et des malins esprits. Pendant toute sa vie Jésus-Christ nous l’a enseignée, et il nous l’enseigne surtout maintenant qu’on le traîne devant les juges et qu’on le traduit de tribunaux en tribunaux. Il est mené chez Anne, où il répond avec une grande douceur, et au serviteur qui l’a frappé, il fait une réponse capable de réprimer tout faste et tout orgueil. De là on le conduit chez Caïphe, ensuite chez Pilate ; il y passe toute la nuit et ne cesse de faire paraître une extrême douceur. Lorsque les Juifs l’accusaient d’être un méchant, ce qu’ils ne pouvaient point prouver, il resta silencieux. Mais lorsque Pilate l’interrogea sur son royaume, alors il lui répondit, et en l’instruisant, il l’éleva à la plus haute et à la plus sublime théologie.
Mais pourquoi Pilate n’examine-t-il pas cette affaire en présence des accusateurs, et pourquoi entre-t-il dans le prétoire ? Parce qu’il avait une grande estime et une haute opinion de Jésus, et qu’il voulait, loin des clameurs des Juifs, s’informer exactement de tout. Ensuite, lorsqu’il eut dit à Jésus : « Qu’avez-vous fait ? » Jésus-Christ, à la vérité, ne lui répondit point sur cette question, mais il l’instruisit de ce qu’il tenait le plus à savoir, de son royaume ; c’est sur quoi il lui a répondu par ces paroles : «Mon royaume n’est point de ce monde », c’est-à-dire, véritablement je suis roi, mais non pas tel que vous le soupçonnez ; mon royaume est infiniment plus glorieux. Par là et par ce qui suit, le divin Sauveur déclare qu’il n’a fait aucun mal. Car celui qui dit : « Je suis né pour cela, et je suis venu pour rendre témoignage à la vérité », déclare qu’il n’a fait aucun mal.
Ensuite, quand Jésus dit : « Quiconque appartient à la vérité, écoute ma voix », il attire Pilate et l’engage à écouter attentivement ce qu’il lui dit ; si quelqu’un, dit-il, est vrai, désire, aime la vérité, sûrement il m’écoutera. De cette manière, et avec ce peu de paroles, il l’attire et l’engage à lui dire : « Qu’est-ce que la vérité (Jn 18,38) ? » Mais cependant Pilate poursuit l’affaire qui le presse, car il vit bien que la question qu’il venait d’entamer demandait du temps, et il voulait délivrer Jésus de la fureur des Juifs. C’est pour cela qu’il sortit du palais ; et que dit-il ? « Je ne trouve aucun crime en cet homme. » Mais remarquez avec quelle prudence il parle. Il n’a [529] point dit : puisqu’il est coupable et digne de mort, accordez-lui sa grâce en faveur de la fête ; mais d’abord il le purge de tout crime et le montre innocent ; et alors, par surcroît, il prie, il demande que s’ils ne le veulent pas renvoyer comme innocent, ils l’accordent du moins comme criminel à la fête qui le réclame ; c’est pourquoi il dit : « Comme c’est la coutume que je vous délivre un criminel à la fête de Pâques (Jn 18,39) » ; et après, comme suppliant pour lui, il ajoute : « Voulez-vous donc que je vous délivre le roi des Juifs ? », alors ils se mirent à crier tous ensemble : « Nous ne voulons point celui-ci, mais Barabbas (Jn 18,40) ? » O sentiments, ô cœurs exécrables ! Ils délivrent ceux qui leur sont semblables par la dépravation et la corruption de leurs mœurs, ils délivrent les criminels, et ils demandent la mort de l’innocent, car depuis longtemps c’était là leur coutume.
Mais vous, mon cher frère, considérez la bonté du Seigneur. « Pilate le fit fouetter (Jn 19,1) », peut-être pour apaiser la fureur des Juifs et le délivrer ensuite. Comme effectivement par tout ce qu’il avait fait jusqu’alors il n’avait pu le délivrer, il le fit fouetter, pour les toucher et arrêter le mal, et il permit tout le reste, savoir, que les soldats le revêtissent d’un manteau d’écarlate, et lui missent sur la tête une couronne d’épines (Jn 19,2-3), pour calmer leur colère. Il le leur mena dehors, afin que, le voyant traité si outrageusement et si ignominieusement, ils répandissent toute leur bile et apaisassent leur fureur. Et comment les soldats se seraient-ils portés à tous ces excès et auraient-ils osé commettre toutes ces insolences, si le préteur ne le leur avait ordonné pour complaire aux Juifs ? Que s’ils furent d’abord sans son ordre prendre Jésus de nuit, ce fut par complaisance pour les Juifs, et parce que l’argent qu’ils leur avaient donné était capable de leur faire tout entreprendre. Cependant lorsqu’on lui faisait tant et de si grands outrages, Jésus restait dans le silence, de même que lorsqu’on l’interrogeait et qu’il ne répondit rien.
Ne vous contentez pas, mes chers frères, d’éc
outer le triste récit de cette horrible tragédie ; mais ayez toujours présent à l’esprit tout ce qui s’y passa : et voyant le roi du monde et des anges, dont des soldats se moquent, et en actions et en paroles, souffrir tout sans se plaindre, sans dire un seul mot, sachez le prendre pour modèle. Car lorsque Pilate eût dit : « Voilà le roi des Juifs ! » les soldats le revêtirent, par dérision, d’un manteau d’écarlate. Pilate, ensuite, l’amenant dehors, dit aux Juifs : « Je ne trouve en lui aucun crime (Jn 19,4). » Jésus parut donc devant eux avec cette couronne sur la tête, et ce spectacle ne fut point capable d’apaiser leur colère, mais ils se mirent à crier : « Crucifiez-le! crucifiez-le ! (Jn 19,6) » Voyant donc que tout ce qu’il faisait pour délivrer Jésus était inutile, Pilate dit : « Prenez-le vous-mêmes, et le crucifiez. » D’où il est visible que c’était uniquement pour céder à leur fureur qu’il avait permis tout ce qu’on avait fait auparavant : « Pour moi, dit-il, je ne trouve en lui aucun crime. »
- Remarquez, mes frères, en combien de manières le juge justifie Jésus-Christ, et comme il s’attache à repousser les fausses accusations des Juifs ; mais rien ne put apaiser ces chiens furieux. Car, quand il leur dit : Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez, c’est pour dégager sa responsabilité, et pour les pousser à faire ce qui ne leur était point permis. Ils menèrent donc Jésus au gouverneur, afin qu’après qu’il l’aurait jugé, ils le pussent crucifier : mais il arriva au contraire que, par la sentence du juge, il se trouva complètement absous. Sur quoi, se voyant couverts de honte, ils dirent : « Nous avons une loi, et, selon notre loi, il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu (Jn 19,7). » Pourquoi donc, le juge vous ayant dit : « Prenez-le vous-mêmes, et le jugez selon votre loi », avez-vous répondu : il ne « nous est pas permis de faire mourir personne ? » (Jn 18,31) ; et maintenant, vous vous appuyez de votre loi, et vous prétendez que selon votre loi il doit mourir ?
Mais considérez leur accusation : « Il s’est fait Fils de Dieu. » Dites-moi, je vous prie : est-ce là un sujet d’accusation ? est ce un crime que celui qui fait les œuvres du Fils de Dieu se dise Fils de Dieu ? Que fait donc Jésus-Christ ? Comme ils parlaient ensemble de ce chef d’accusation, il gardait le silence, accomplissant cette parole du prophète : « Il n’ouvrira point la bouche, à cause de l’abaissement et de la douleur où il sera (1) » (Is 53,70). Pilate donc, sur cette accusation « de s’être fait Fils de Dieu (Jn 19,8) », eut peur que ce qu’on disait ne fût vrai, et qu’il (530) ne parût lui-même mal faire s’il le délivrait. Mais les Juifs, à qui les œuvres et les paroles de Jésus manifestaient la vérité, n’ont point d’horreur de leurs accusations et de leurs poursuites ; et ils font mourir Jésus pour la même raison qui aurait dû les déterminer à l’adorer. Pilate ne lui demande donc plus : « Qu’avez-vous fait ? » Mais, saisi de crainte et de peur, il prend l’enquête de plus haut, et dit : « Etes-vous le Christ (Jn 19,9) ? » Mais Jésus ne lui fait aucune réponse, parce que, ayant déjà entendu sa réplique à la même question : « C’est pour cela que je suis né et que je suis venu » ; et : « Mon royaume n’est point d’ici » : Pilate, au lieu de s’opposer alors à la fureur des Juifs et de la réprimer, au lieu de le délivrer et le renvoyer absous, avait suivi l’élan donné par eux.
- J’ai traduit ce passage, partie de mon texte, partie sur celui des Septante.
Les Juifs, se voyant réfutés, et toutes leurs accusations repoussées par de fortes raisons, ont recours à un autre artifice, et accusent Jésus d’un crime public (1). « Quiconque se fait roi, disent-ils, se déclare contre César. » Il fallait donc alors exactement et rigoureusement informer sur une accusation si grave et si importante ; il fallait examiner si véritablement Jésus aspirait à la tyrannie, s’il cherchait à détrôner César. Mais le juge ne fait aucune recherche ni information, voilà pourquoi Jésus ne lui répondit point, sachant que ses questions n’étaient point sérieuses. De plus, ses œuvres lui ayant rendu un témoignage suffisant, il ne voulait pas repousser leurs accusations, ni se justifier par des paroles, pour faire connaître à tout le monde qu’il s’était volontairement livré à la mort.
- Un crime public : Les Romains distinguaient deux sortes de crimes : les crimes privés, qui ne regardaient que les particuliers, dont la poursuite n’était permise par les lois qu’à ceux qui y étaient intéressés ; et les crimes publics, dont la poursuite était permise à toutes sortes de personnes, quoique non intéressées.
Comme Jésus gardait le silence, « Pilate lui dit : Ne savez-vous pas que j’ai le pouvoir de vous faire attacher à une croix (Jn 19,10) ? » Ne voyez-vous pas, mes frères, comment ce juge se condamne lui-même par ses paroles ? Car on pouvait lui objecter : Si vous avez ce pouvoir absolu, pourquoi, ne trouvant aucun crime en cet homme, ne le renvoyez-vous pas absous ? Lors donc qu’il eut prononcé sa sentence contre Jésus, alors le Sauveur lui dit : « Celui qui m’a livré à vous est coupable d’un plus grand péché (Jn 19,11) », lui montrant par là qu’il était aussi lui-même coupable de péché. Ensuite, pour rabattre son faste et sa fierté, il ajoute : « Vous n’auriez aucun pouvoir, s’il ne vous avait été donné » ; par où le Seigneur déclare que ce n’est point par hasard, ni selon l’usage commun que cela s’est fait, mais qu’il y a là dedans un mystère caché. Et de peur qu’entendant ces paroles : « S’il ne vous avait été donné », il ne se crût exempt de tout crime, Jésus-Christ ajoute : « Celui qui m’a livré à vous est coupable d’un plus grand péché. »
Mais si ce pouvoir lui avait été donné, ni lui, ni les Juifs, n’étaient coupables. C’est là parler en vain, car le mot : « donné », est mis ici pour « permis » ; c’est comme si le Sauveur eût dit : Dieu a permis que cela arrivât. Mais vous n’êtes pas pour cela exempt de péché. Jésus-Christ effraya Pilate par ces paroles, et se justifia clairement et pleinement. C’est pourquoi le juge cherchait un moyen de le délivrer, mais les Juifs crièrent encore : « Si vous délivrez cet homme, vous n’êtes point ami de César (Jn 19,12). » Comme il ne leur avait servi de rien d’imputer à Jésus des crimes contre la loi, ils se tournèrent perfidement du côté des lois publiques, disant : « Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » Et en quoi Jésus vous a-t-il paru être un usurpateur ? Par quoi pouvez-vous le prouver ? Est-ce par la pourpre, par le diadème, par le manteau, par ce qu’ont fait les soldats ? Ne marchait-il pas toujours seul avec ses douze disciples, n’usait-il pas dans sa nourriture, dans ses vêtements, dans son logement, de tout ce qu’il y a de plus commun et de plus vil ? Mais, ô impudence, ô crainte bien mal placée ! En effet, Pilate, craignant le péril auquel il s’exposerait en négligeant une accusation si importante, sortit véritablement du prétoire, comme pour l’ex
aminer; car c’est ce que marque l’évangéliste, et disant : « Il s’assit », mais il n’en fit rien, et, sans autre information ni examen, il livra Jésus aux Juifs s’imaginant qu’il les fléchirait par cette conduite. Que ce fût là sa pensée et son intention ; vous vous en convaincrez si vous écoutez ce qu’il dit : « Voilà votre roi (Jn 19,14). » Les Juifs ayant crié : « Crucifiez-le », il ajouta encore : « Crucifierai-je votre roi (Jn 19,15) ? » Mais les princes des prêtres se mirent à crier : « Nous n’avons point d’autre roi que César. » Par où l’on voit qu’ils se livrent eux-mêmes volontairement à la vengeance divine. C’est [531] pourquoi Dieu les abandonna lorsqu’ils s’étaient eux-mêmes soustraits les premiers à sa providence et à sa protection ; et les laissa se conduire à leur sens, et se précipiter à leur ruine, lorsque, tout d’une voix et d’un commun accord, ils l’eurent refusé pour leur roi.
Et certes, ce que venait de dire Pilate aurait dû étouffer toute leur colère : mais ils craignirent que si Jésus-Christ était renvoyé, il n’assemblât de nouveau le peuple, et ils n’épargnaient rien pour l’empêcher. L’amour du pouvoir est une dangereuse passion, et si dangereuse, qu’elle perd l’âme : et c’est cette passion qui a détourné les Juifs d’écouter Jésus-Christ. Pilate veut délivrer Jésus, mais où il devait agir par autorité, il n’emploie que des paroles ; de leur côté, les Juifs pressent et crient : « Crucifiez-le. » Et pourquoi s’acharnent-ils si âprement à poursuivre sa mort ? Parce que mourir sur une croix, c’était mourir d’une mort ignominieuse. Craignant donc qu’on ne conservât dans la suite la mémoire de Jésus, ils s’attachent à lui faire infliger ce honteux, cet infâme supplice, ne sachant point que la vérité franchit tous les obstacles qu’on lui oppose et s’élève au-dessus. Pour vous convaincre que c’est là ce qu’ils, pensaient et ce qu’ils craignaient, écoutez ce qu’ils disent : « Nous avons entendu dire à ce séducteur : Dans trois jours je ressusciterai » (Mt 27,63). Voilà pourquoi ils confondaient, ils renversaient tout afin de le diffamer, de noircir et d’éteindre sa mémoire à perpétuité. Voilà pourquoi, ils ne cessaient point de crier « Crucifiez-le » ; c’est-à-dire, la grossière populace que les princes des prêtres avaient gagnée et corrompue.
La fête du Christ Roi fut instituée par Pie XI le 11 décembre 1925 en même temps que l’encyclique Quas primas. Cette fête est donc relativement récente. Toutefois l’idée de la royauté attribuée au Christ, on la trouve déjà dans les Saintes Écritures, chez les Pères de l’Église, chez les théologiens, mais aussi dans l’art sacré et dans le sens commun des fidèles qui affirment, d’un commun accord, cette royauté. A la question « En quoi consiste ce pouvoir royal du Christ ? » le pape émérite Benoît XVI dit : « Ce n’est pas celui des rois et des grands de ce monde ; c’est le pouvoir divin de donner la vie éternelle, de délivrer du mal, de vaincre le domaine de la mort. C’est le pouvoir de l’Amour, qui sait tirer le bien du mal, attendrir un cœur endurci, apporter la paix dans le conflit le plus âpre, allumer l’espérance dans les ténèbres les plus épaisses. Ce règne de la Grâce ne s’impose jamais, et respecte toujours notre liberté » (Discours à l’angélus, 22 novembre 2009).
[1] Comme je l’ai souvent dit, en grec le mot « martyr » veut dire « témoin » et on doit tenir compte de ce que dans la voix de saint Jean le mot « vérité » indique la vérité de Dieu, son amour pour l’homme, pour chaque homme.