“Là justement, où l’on pense que Dieu ne peut pas être, Dieu y est”, a affirmé le pape François en célébrant une messe en rite byzantin à Presov, en Slovaquie, ce 14 septembre 2021, fête de la Croix glorieuse. Il a invité les chrétiens à être “des héros de la vie quotidienne”, qui ont “la croix dans le coeur, et pas seulement au cou”.
Au troisième jour de son 34e voyage apostolique, le pape a rejoint l’Est du pays, Kosice et Presov, à 300 kilomètres de la capitale Bratislava. Il est arrivé sur l’esplanade du palais des sports “Mestská športová hala” aux alentours de 10h, acclamé au passage de sa papamobile par près de 40.000 participants selon les autorités locales, dont 900 volontaires en tee-shirt jaune.
Le pape a ensuite célébré la Divine liturgie en rite byzantin de saint Jean Chrysostome, entouré du métropolite de Presov, Mgr Ján Babjak, de l’évêque byzantin de Kosice Mgr Cyril Vasil et d’évêques de rite orientaux. Parmi les concélébrants : le cardinal Stanislas Dziwisz, ancien secrétaire de Jean-Paul II.
La messe orientale, avec les concélébrants aux vêtements liturgiques rouge et or, s’est déroulée selon la liturgie gréco-romaine catholique, scandée par un choeur mixte omniprésent, le son des clochettes et les volutes de l’encens. Sur le podium orné d’icônes, le pape présidait lui-même en latin cette célébration aux mouvements liturgiques très contemplatifs.
Dieu “a choisi pour cela la voie la plus difficile : la croix”, a souligné le pape dans son homélie : “Parce qu’il ne doit se trouver personne sur terre qui soit désespéré au point de ne pouvoir le rencontrer, là même, dans l’angoisse, dans l’obscurité, dans l’abandon, dans le scandale de sa misère et de ses erreurs.”
Le pape a mis en garde contre la “grande tentation” de “ne pas accepter que Dieu nous sauve en permettant au mal du monde de se déchaîner sur lui. Ne pas accepter, si ce n’est en paroles, un Dieu faible et crucifié, et rêver d’un dieu fort et triomphant”.
Outre la contemplation de la croix, le pape a appelé au témoignage, notamment celui du martyre : “Combien de personnes généreuses ont souffert et sont mortes ici, en Slovaquie, à cause du nom de Jésus !” s’est-il exclamé à quelque kilomètres de la ville de Kosice, où moururent trois prêtres martyrs, tués par des soldats calvinistes en 1619 et canonisés par Jean-Paul II en 1995.
Le pape a encouragé aussi le témoignage des “héros de la vie quotidienne” qui refuse la mondanité et la médiocrité, la ruse et la puissance, ou encore le “christianisme triomphaliste”, mais qui poursuit “une seule stratégie, celle du Maître : l’amour humble”.
Et aujourd’hui, a conclu le pape François, “le Seigneur, du silence vibrant de la croix, te demande aussi : ‘Veux-tu être mon témoin ?’”.
Après cet événement, le pape est attendu à Kosice pour le déjeuner, une rencontre avec les roms et enfin avec les jeunes.
Homélie du pape François
« Nous – déclare saint Paul –, nous proclamons un Messie crucifié […], puissance de Dieu et sagesse de Dieu ». D’un autre côté, l’Apôtre ne cache pas que la croix, aux yeux de la sagesse humaine, représente tout autre chose: elle est « scandale » et « folie » (1 Cor 1, 23-14). La croix était un instrument de mort, et pourtant d’elle est venue la vie. Elle était ce que personne ne voulait regarder, et pourtant elle nous a révélé la beauté de l’amour de Dieu. C’est pourquoi le Peuple saint de Dieu la vénère, et la Liturgie la célèbre en la fête d’aujourd’hui. L’Evangile de saint Jean nous prend par la main et nous aide à entrer dans ce mystère. L’évangéliste, en effet, se tient précisément là, sous la croix. Il contemple Jésus, déjà mort, pendu au bois, et il écrit : « Celui qui a vu rend témoignage » (Jn 19, 35). Saint Jean voit et témoigne.
Avant tout il y a le voir. Mais qu’est-ce que Jean a vu sous la croix ? Certainement ce que les autres ont vu : Jésus, innocent et bon, mourant brutalement entre deux malfaiteurs : l’une des nombreuses injustices, l’un des nombreux sacrifices sanglants qui ne changent pas l’histoire, l’énième preuve que le cours des événements dans le monde ne change pas. Les bons sont mis à l’écart, et les méchants gagnent et prospèrent. Aux yeux du monde, la croix est un échec. Et nous risquons de nous arrêter, nous aussi, à ce premier regard superficiel qui consiste à ne pas accepter la logique de la croix ; à ne pas accepter que Dieu nous sauve en permettant au mal du monde de se déchaîner sur lui. Ne pas accepter, si ce n’est en paroles, un Dieu faible et crucifié, et rêver d’un dieu fort et triomphant. C’est une grande tentation.
Combien de fois n’aspirons-nous pas à un christianisme de vainqueurs, à un christianisme triomphaliste qui ait de l’ampleur et de l’importance, qui reçoive gloire et honneur. Mais un christianisme sans la croix est mondain et devient stérile. Saint Jean, en revanche, a vu dans la croix l’oeuvre de Dieu. Il a reconnu dans le Christ crucifié la gloire de Dieu. Il a vu malgré les apparences qu’il n’est pas un perdant, mais qu’il est Dieu s’offrant volontairement pour chaque homme. Pourquoi a-t-il fait cela ? Il aurait pu épargner sa vie, il aurait pu se tenir loin de notre plus misérable et cruelle histoire. En revanche, il a voulu y entrer, se plonger en elle. Il a choisi pour cela la voie la plus difficile : la croix. Parce qu’il ne doit se trouver personne sur terre qui soit désespéré au point de ne pouvoir le rencontrer, là même, dans l’angoisse, dans l’obscurité, dans l’abandon, dans le scandale de sa misère et de ses erreurs. Là justement, où l’on pense que Dieu ne peut pas être, Dieu y est. Pour sauver quiconque est désespéré, il a voulu endurer le désespoir. Pour faire sienne notre plus amère détresse, il a crié sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46 ; Ps 22, 1). Un cri qui sauve. Il sauve parce que Dieu a fait sien notre abandon même. Et maintenant, avec lui, nous ne sommes plus seuls, jamais.
Comment pouvons-nous apprendre à voir la gloire dans la croix ? Certains saints ont enseigné que la croix est comme un livre qu’il faut ouvrir et lire pour connaître. Il ne suffit pas d’acheter un livre, d’y jeter un coup d’oeil et de le mettre bien exposé à la maison. Il en va de même pour la croix : elle est peinte ou sculptée dans chaque coin de nos églises. On ne compte plus les crucifix : au cou, à la maison, dans la voiture, dans la poche. Mais cela ne sert à rien si nous ne nous arrêtons pas pour regarder le Crucifié et si nous ne lui ouvrons pas notre coeur, si nous ne nous laissons pas surprendre par ses plaies ouvertes pour nous, si notre coeur ne se gonfle pas d’émotion et si nous ne pleurons pas devant le Dieu blessé d’amour pour nous. Si nous ne faisons pas ainsi, la croix reste un livre non lu, dont on connaît bien le titre et l’auteur, mais qui n’affecte pas la vie. Ne réduisons pas la croix à un objet de dévotion, encore moins à un symbole politique, à un signe d’importance religieuse et sociale.
De la contemplation du Crucifié découle le second pas : témoigner. Si l’on plonge le regard en Jésus, son visage commence à se refléter sur le nôtre : ses traits deviennent les nôtres, l’amour du Christ nous conquiert et nous transforme. Je pense aux martyrs qui ont témoigné dans cette nation de l’amour du Christ en des temps très difficiles, quand tout conseillait de se taire, de se mettre à l’abri, de ne pas professer la foi. Mais ils ne pouvaient pas ne pas témoigner. Combien de personnes généreuses ont souffert et sont mortes ici, en Slovaquie, à cause du nom de Jésus ! Un témoignage accomplit par amour de celui qu’ils avaient longuement contemplé. Au point de lui ressembler, même dans la mort.
Mais je pense aussi à notre époque où les occasions de témoigner ne manquent pas. Ici, grâce à Dieu, personne ne persécute les chrétiens comme dans de trop nombreuses parties du monde. Mais le témoignage peut être affecté par la mondanité et la médiocrité. La croix exige au contraire un témoignage limpide. Parce que la croix ne veut pas être un drapeau à élever, mais la source pure d’une nouvelle façon de vivre. Laquelle ? Celle de l’Évangile, celle des Béatitudes. Le témoin qui a la croix dans le coeur, et pas seulement au cou, ne voit personne comme un ennemi, mais il voit tout le monde comme un frère et une soeur pour lesquels Jésus a donné sa vie. Le témoin de la croix ne se souvient pas des torts du passé et ne se lamente pas du présent. Le témoin de la croix n’utilise pas les voies de la ruse et de la puissance mondaine : il ne veut pas s’imposer, lui-même et les siens, mais donner sa vie pour les autres. Il ne recherche pas ses propres avantages pour ensuite se présenter en dévot : ce serait une religion de la duplicité, non pas le témoignage du Dieu crucifié. Le témoin de la croix poursuit une seule stratégie, celle du Maître : l’amour humble. Il n’attend pas des triomphes ici-bas, parce qu’il sait que l’amour du Christ est fécond au quotidien et fait toutes choses nouvelles de l’intérieur, comme la semence tombée en terre, qui meurt et produit du fruit.
Chers frères et soeurs, vous avez vu des témoins. Vous gardez le souvenir cher des personnes qui vous ont allaités et fait grandir dans la foi. Des personnes humbles, simples, qui ont donné la vie en aimant jusqu’au bout. Ce sont eux nos héros, les héros du quotidien, et ce sont leurs vies qui doivent changer l’histoire. Les témoins génèrent d’autres témoins parce qu’ils sont des donneurs de vie. C’est ainsi que se propage la foi : non par la puissance du monde, mais par la sagesse de la croix ; non par les structures, mais par le témoignage. Et aujourd’hui, le Seigneur, du silence vibrant de la croix, te demande aussi : “Veux-tu être mon témoin ?”
Au Calvaire, la Sainte Mère de Dieu était avec Jean. Personne comme elle n’a vu ouvert le livre de la croix et en a témoigné à travers l’amour humble. Par son intercession, demandons la grâce de convertir le regard du coeur vers le Crucifié. Alors notre foi pourra fleurir en plénitude, alors les fruits de notre témoignage muriront.
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