Rencontre avec les évêques de Hongrie © Vatican Media

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Hongrie: message du pape François aux évêques (traduction officielle)

Prendre soin des prêtres comme un « père »

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Parmi les recommandations exprimées par le pape François aux évêques de Hongrie, il y a celle de prendre soin de leurs prêtres, de leur manifester une proximité de « père ».

Le pape a rencontré les évêques du pays, en ce premier jour de son pèlerinage au coeur de l’Europe, en Hongrie et en Slovaquie (12-15 septembre), ce dimanche 12 septembre 2021, au Musée des Beaux Arts de Budapest. Le pape était accompagné du primat de Hongrie, le cardinal Peter Erdö.

Le pape François n’est resté que quelques heures dans le pays car c’est la tradition, lorsqu’un pape fait un déplacement pour un grand événement international, qu’il ne visite pas en même temps le pays qui accueille l’événement. Et c’est habituellement ce qui se passe aussi pour les JMJ et les Rencontres mondiales des familles, pour les canonisations – les pastoureaux de Fatima, en 2017 -, ou pour une visite comme celle du pape aux institutions européennes à Strasbourg.

Le pape a cependant pris le temps de rencontrer, autour de la messe de conclusion du 52e Congrès eucharistique international – une « statio orbis » à dimension universelle -, les autorités à la tête du gouvernement, des représentants d’autres confessions chrétiennes et de la communauté juive, et les évêques de Hongrie.

« Je vous conseille, comme frère, a dit notamment le pape : quand vous rentrerez à l’évêché après une mission, après une visite dans une paroisse, fatigués, et vous verrez l’appel d’un prêtre, appelez-le : le même jour ou au maximum le jour suivant : pas plus. La proximité. Et ce prêtre, s’il est appelé immédiatement, saura qu’il a un père. »

Voici la traduction officielle des paroles du pape François, prononcées en italien.

AB

Discours du pape François

Chers frères dans l’Episcopat, bonjour !

Je suis très content de me trouver ici au milieu de vous à l’occasion de la conclusion du 52e Congrès Eucharistique International. Je suis reconnaissant à Mgr András Veres pour la bienvenue qu’il m’a souhaitée et de même pour le cadeau qu’il m’a fait en votre nom à tous : très beau, très beau ! Merci. Et je vous salue tous, vous remerciant pour l’accueil et pour la promotion de cet évènement, qui rappelle la centralité de l’Eucharistie dans la vie de l’Eglise.

Je voudrais partager quelques réflexions en partant du geste eucharistique : dans le Pain et dans le Vin nous voyons le Christ qui offre son Corps et son Sang pour nous. L’Eglise en Hongrie, avec sa longue histoire – marquée par une foi inébranlable, par des persécutions et par le sang des martyrs – est associée de façon particulière au sacrifice du Christ. Beaucoup de frères et sœurs, beaucoup d’évêques et de prêtres ont vécu ce qu’ils célébraient sur l’autel : ils ont été moulus comme des grains de blé afin que tous puissent être nourris par l’amour de Dieu ; ils ont été pressés comme des raisins pour que le sang du Christ devienne la lymphe d’une vie nouvelle ; ils ont été brisés, mais leur offrande d’amour a été une semence évangélique de renaissance plantée dans l’histoire de ce peuple.

En regardant cette histoire, une histoire passée, faite de martyre et de sang, nous pouvons marcher vers l’avenir avec le même désir des martyrs : vivre la charité et témoigner l’Evangile. Mais dans la vie de l’Eglise il faut toujours tenir ensemble ces deux réalités : veiller sur le passé et regarder vers l’avenir. Garder nos racines religieuses, garder l’histoire d’où nous venons, sans cependant regarder en arrière : regarder vers l’avenir, regarder devant et trouver de nouvelles voies pour annoncer l’Evangile.

Je conserve vivant dans le cœur le souvenir des Sœurs hongroises de la Société de Jésus (Englische Fräulein), qui, à cause de la persécution religieuse, ont dû laisser leur patrie. Avec le courage de leur personnalité et leur fidélité à leur vocation, elles ont fondé le Collège “Maria Ward” dans la ville de Plátanos, proche de la capitale Buenos Aires. De leur force, leur courage, leur patience et leur amour de la patrie j’ai beaucoup appris ; pour moi elles ont été un témoignage. En me souvenant d’elles ici aujourd’hui, je rends aussi hommage à de nombreux hommes et femmes qui ont dû aller en exil mais encore à tous ceux qui ont donné la vie pour la patrie et pour la foi.

Comme Pasteurs, vous êtes d’abord appelés à rappeler ceci à votre peuple : la tradition chrétienne – comme affirmait Benoît XVI – « n’est pas une collection de choses, de mots, comme une boîte remplie de choses mortes ; la Tradition est le fleuve de la vie nouvelle qui vient des origines, du Christ jusqu’à nous, et qui nous fait participer à l’histoire de Dieu avec l’humanité » (Audience générale, 3 mai 2006). Vous avez choisi comme thème du Congrès un verset du Psaume 88 : « En toi, toutes nos sources ». L’Eglise vient de la source qui est le Christ et est envoyée afin que l’Evangile, comme un fleuve d’eau vive, infiniment plus large et accueillant que votre grand Danube, atteigne l’aridité du monde et du cœur de l’homme, en le purifiant et en le désaltérant. Le ministère épiscopal ne sert donc pas répéter une nouvelle du passé, mais il est la voix prophétique de l’actualité perpétuelle de l’Evangile dans la vie du Peuple saint de Dieu et dans l’histoire d’aujourd’hui.

Je voudrais vous suggérer quelques indications pour poursuivre votre mission.

La première : être annonciateurs de l’Evangile. N’oublions pas qu’au centre de la vie de l’Eglise il y a la rencontre avec le Christ. Parfois, spécialement lorsque la société qui nous entoure ne semble pas enthousiaste par notre proposition chrétienne, la tentation est celle de s’enfermer dans la défense des institutions et des structures. Votre pays aujourd’hui est traversé par de grands changements qui touchent en général toute l’Europe. Après un long moment où il était interdit de professer la foi, avec l’avènement de la liberté de nouveaux défis à affronter se présentèrent, dans un contexte où le sécularisme grandit et la soif de Dieu s’affaiblit. Mais rappelons-nous : la source d’eau vive, qui coule toujours et désaltère, est le Christ. Les structures, les institutions, la présence de l’Eglise dans la société servent seulement à réveiller dans les personnes la soif de Dieu et à leur porter l’eau vive de l’Evangile. C’est pourquoi il vous est demandé avant tout, à vous les évêques, ceci : non pas la bureaucratie administrative des structures, que d’autres fassent cela ; non pas la recherche des privilèges et avantages. S’il vous plaît, soyez des serviteurs. Des serviteurs, non pas des princes. Qu’est-ce que je vous demande ? La passion ardente pour l’Evangile, tel qu’il est : l’Evangile. Fidélité et passion à l’Evangile. Etre des témoins et des annonciateurs de la Bonne Nouvelle, diffuseurs de joie, proches des prêtres – proches des prêtres – et des religieux avec un cœur paternel, exerçant l’art de l’écoute.

Je me permets de sortir du texte et de vous rappeler les quatre proximités de l’évêque. La proximité à Dieu est la première. Moi, comme frère, je te demande : tu pries ? Ou tu vas seulement dire le bréviaire ? Ton cœur prie-t-il ? Toi, prends-tu le temps pour prier ? “Mais, c’est que je suis trop occupé…” Mais dans ton activisme de chaque jour, mets aussi ceci : prier. Deuxièmement : proximité entre vous. La fraternité épiscopale, la conférence épiscopale, est une grâce. Aucun de vous ne pense la même chose que l’autre : c’est une richesse. Mais cherchez à mettre aussi dans l’unité de l’épiscopat les différences et ne cherchez pas la route des cordes. Tous frères. Tu penses différemment de moi, mais tu es frère. Discutons ? Discutons. Crions ? Crions. Mais comme des frères, on ne touche pas à ça : l’unité de la Conférence épiscopale. C’est une grâce : nous devons la demander. C’est garder le peuple de Dieu dans l’unité des évêques. La troisième proximité est celle que j’ai citée : proche des prêtres. Le “prochain le plus proche” de l’évêque est le prêtre. Je vous dis une chose qui me fait tant de peine. J’ai trouvé, dans certains diocèses, que ce soit dans ma patrie, quand j’étais là-bas, dans le diocèse précédent, que ce soit maintenant à Rome, des prêtres qui se plaignent, difficiles : mais ils se plaignent parce qu’ils ont envie, ils ont besoin de parler avec l’évêque. Ils disent ainsi. Et plusieurs fois j’ai entendu ceci : “J’ai appelé et la secrétaire a dit qu’il est très occupé, qu’il a vu et elle m’a dit : ‘dans trois semaines, peut-être, il vous donnera une rendez-vous d’un quart d’heure’”. Et le prêtre dit : “Non, merci, je ne veux pas”, ou : “oui”. Mais ça ne va pas. Le prêtre sent son évêque loin, il ne le sent pas père.

Je vous conseille, comme frère : quand vous rentrerez à l’évêché après une mission, après une visite dans une paroisse, fatigués, et vous verrez l’appel d’un prêtre, appelez-le : le même jour ou au maximum le jour suivant : pas plus. La proximité. Et ce prêtre, s’il est appelé immédiatement, saura qu’il a un père. C’est très important. Proximité aux prêtres, et cela signifie aussi aux religieux. “Eh, mais vous savez, ce prêtre est difficile…” Mais, dis-moi, quel père n’a pas un enfant difficile ? Tous. Les enfants, on les aime tels qu’ils sont, non pas comme je voudrais qu’ils soient. Et puis, la quatrième proximité : proximité au saint peuple fidèle de Dieu. S’il vous plaît, n’oubliez pas votre peuple, d’où le Seigneur vous pris. “Je t’ai pris derrière ton troupeau” : n’oublie pas le troupeau d’où tu as été enlevé. Paul, qu’est-ce qu’il recommandait à Timothée ? “Souviens-toi de ta maman et de ta grand-mère, ton peuple”.

L’auteur de la Lettre aux Hébreux disait : “Souviens-toi de ceux qui t’ont initié à la foi”. Combien d’humbles catéchistes, combien de grands-mères sont derrière nous. Que le cœur soit proche du peuple. C’est mauvais quand le cœur d’un évêque s’éloigne du peuple. Les quatre proximités. Faites un examen de conscience sur la façon dont elles vont : je crois bien, mais j’aime le répéter. Proximité à Dieu, proximité entre vous – “je vois certains avec une spéciale particularité historique, liturgique, et d’autres différents : proximité à leur liturgie, à leur histoire, sans envie de les prendre, de les latiniser : non, s’il vous plaît, non. Proximité entre vous, proximité avec les prêtres et proximité au saint peuple fidèle de Dieu. Pour être évêque aujourd’hui – toujours, mais je souligne, aujourd’hui – il faut exercer l’art de l’écoute. Et ce n’est pas facile.” N’ayez pas peur de mettre à l’honneur la Parole de Dieu et d’impliquer les laïcs : ils seront des canaux par lesquels le fleuve de la foi irriguera de nouveau la Hongrie.

Une deuxième indication : être témoins de fraternité. Votre pays est l’endroit où cohabitent depuis longtemps des personnes venant d’autres peuples. Différentes ethnies, minorités, confessions religieuses et migrants ont aussi transformé ce pays en un environnement multiculturel. Cette réalité est nouvelle et, au moins au début, faisait peur. La diversité fait toujours un peu peur parce qu’elle met en péril les sécurités acquises et brave la stabilité atteinte. Cependant, elle est une grande opportunité pour ouvrir son cœur au message évangélique : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). Devant les diversités culturelles, ethniques, politiques et religieuses, nous pouvons avoir deux attitudes : nous enfermer dans une défense radicale de notre soi-disant identité ou nous ouvrir à la rencontre avec l’autre et cultiver ensemble le rêve d’une société fraternelle. J’aime rappeler ici que dans cette capitale européenne, en 2017, vous vous êtes rencontrés avec les représentants d’autres Conférences Episcopales de l’Europe centrale et orientale et vous avez alors réaffirmé que l’appartenance à son identité ne doit jamais devenir un motif d’hostilité et de mépris des autres, mais plutôt une aide pour dialoguer avec des cultures différentes. Dialoguer, sans négocier son appartenance.

Sur le grand fleuve qui traverse cette ville se dresse l’imposant Pont des Chaînes : il a remplacé un fragile pont de bois et a servi à unir Buda et Pest. Si nous voulons que le fleuve de l’Evangile atteigne la vie des personnes, en faisant germer aussi ici en Hongrie une société plus fraternelle et solidaire, nous avons besoin que l’Eglise construise de nouveaux ponts de dialogue. Comme Evêques, je vous demande de montrer toujours, avec les prêtres et les collaborateurs pastoraux, le visage vrai de l’Eglise : elle est mère. Elle est mère ! Un visage accueillant envers tous, y compris ceux qui viennent de l’extérieur, fraternel, ouvert au dialogue. Soyez des Pasteurs qui ont à cœur la fraternité. Non pas des patrons du troupeau, mais des pères et frères. Que le style de la fraternité, que je vous demande de cultiver avec les prêtres et avec tout le Peuple de Dieu, devienne un signe lumineux pour la Hongrie. Ainsi prendra forme une Eglise où spécialement les laïcs, dans chaque domaine de leur vie quotidienne, familiale, sociale et professionnelle, deviendront le levain de fraternité évangélique. Que l’Eglise hongroise soit construite de ponts et promotrice de dialogue !

Enfin, la troisième chose, être constructeurs d’espérance. Si nous mettons l’Evangile au centre et le témoignons dans l’amour fraternel, nous pouvons regarder l’avenir avec espérance, même si aujourd’hui nous traversons de petites et grandes tempêtes. C’est ce que l’Eglise est appelée à répandre dans la vie des personnes : la certitude rassurante que Dieu est miséricorde, qu’il nous aime à chaque instant de la vie et est toujours prêt à nous pardonner et à nous relever. N’oubliez pas le style de Dieu, qui est un style de proximité, compassion et tendresse. C’est le style de Dieu. Allons sur cette route, avec le même style. La tentation de nous abattre et de nous décourager ne vient jamais de Dieu. Jamais. Elle vient de l’ennemi, mais elle s’alimente de nombreuses situations : derrière la façade du bien-être, derrière un vêtement de traditions religieuses peuvent se cacher de nombreux côtés obscurs. L’Eglise en Hongrie a récemment eu l’occasion de réfléchir sur la façon dont le passage de l’ère de la dictature à celle d’une liberté retrouvée est une transition marquée par des contradictions : la dégradation de la vie morale, l’augmentation de la mafia, le commerce de la drogue, jusqu’à la plaie du trafic des organes et de nombreux faits d’enfants, assassinés pour cela. Il y a des problèmes sociaux : les difficultés des familles, la pauvreté, les blessures qui frappent le monde des jeunes, dans un contexte où la démocratie a encore besoin de se consolider. L’Eglise ne peut qu’être protagoniste de proximité, dispensatrice d’attention et de consolation pour les personnes, afin qu’elles ne se laissent jamais voler la lumière de l’espérance. L’annonce de l’Evangile revigore l’espérance parce qu’elle nous rappelle qu’en tout ce que nous vivons Dieu est présent, nous accompagne, nous donne courage, nous donne créativité pour commencer toujours une histoire nouvelle. C’est émouvant de rappeler ce qu’affirmait le Vénérable Cardinal József Mindszenty, fils et père de cette Eglise et de cette terre, qui, à la fin d’une vie remplie de souffrances à cause de la persécution, a laissé ces paroles d’espérance : « Dieu est jeune. Le futur lui appartient. C’est lui qui évoque ce qui est nouveau, jeune et l’avenir des individus et des peuples. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous abandonner au désespoir » (Message au Président du Comité organisateur et aux Hongrois en exil, in J. Közi Horváth, Mindszenty bíboros, p. 111). Dieu est jeune.

Devant les crises, sociales ou ecclésiales, puissiez-vous toujours être des constructeurs d’espérance. Comme Evêques du pays, avoir toujours des paroles d’encouragement. Qu’on ne trouve pas sur vos lèvres des expressions qui marquent des distances et imposent des jugements, mais qui aident le Peuple de Dieu à regarder avec confiance l’avenir, aident les personnes à devenir des protagonistes libres et responsables de la vie qui est un don de grâce à accueillir, non pas un casse-tête à résoudre. Le cube de votre valeureux et célèbre architecte Rubik demeure un jeu génial, mais non un modèle pour la vie ! Et rappelez-vous : pasteurs du troupeau. Le pasteur doit être à l’intérieur du troupeau : au début du troupeau pour indiquer le chemin, au milieu du troupeau pour en comprendre l’odeur, derrière le troupeau pour aider ceux qui restent en arrière et pour laisser aussi que le troupeau aille un peu de l’avant, parce qu’il a un flair spécial pour indiquer où se trouvent les terrains bons, nourrissants.

Chers frères, même la Hongrie a besoin d’une annonce renouvelée de l’Evangile, d’une nouvelle fraternité sociale et religieuse, d’une espérance à construire jour après jour pour regarder l’avenir avec joie. Vous êtes des Pasteurs protagonistes de ce processus historique, de cette belle aventure. Frères, que Dieu vous confirme dans la joie de la mission – la joie de la mission ! Je vous remercie pour tout ce que vous faites et vous bénis de cœur. Que la Vierge Marie vous protège et que saint Joseph vous garde. Et, si vous avez un peu de temps, priez pour le Pape. Merci.

 


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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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