Le procureur du Vatican – « promoteur de justice » -, Roberto Zannotti, a requis 8 ans de prison (réduits à 4 ans), pour le p. Gabriele Martinelli, ancien élève, âgé aujourd’hui de 28 ans (né en 1992), dans le cadre du procès impliquant le pré-séminaire du Vatican, ainsi que 4 ans pour Mgr Radice, ancien recteur, aujourd’hui âgé de 71 ans (né en 1949), pour complicité.
Les personnalités présentes à l’audience
La nouvelle audience du procès du pré-séminaire San Pio X du Vatican a eu lieu ce jeudi 15 juillet 2021, de 10h à 14h30, dans la salle aménagée spécialement dans les Musées du Vatican. La prochaine audience aura lieu demain, vendredi 16 juillet à 10h, pour les plaidoiries des deux autres avocats de la défense de Me Baffioni (pour le p. Martinelli) et Me Bellardini (pour l’Opera don Folci du diocèse de Côme). Un nouveau report est à prévoir.
Les accusés, le p. Martinelli, et le Mgr Radice, étaient présents aujourd’hui, mais la victime présumée L. G. et le p. Angelo Magistrelli, actuel recteur du pré-séminaire étaient absents, ainsi qu’un témoin cité, Ivan Gambelli.
Ont témoigné le p. Andrea Stabellini, ancien vicaire judiciaire du diocèse de Côme – dont dépend le pré-séminaire -, et Domenico Parrella, ancien élève.
Le promoteur de justice a requis 8 ans d’emprisonnement, réduits à 4 ans, pour le p. Martinelli pour le « délit de viol aggravé » (premier chef d’accusation), conformément à l’article 47 du Code pénal, 4 ans d’emprisonnement, réduits à 2, pour « actes de luxure aggravés » (2e chef d’accusation). Soit un total de 6 ans de prison, réduit parce qu’il était mineur à l’époque des faits.
Roberto Zannotti a circonscrit la période punissable à partir de l’âge de 16 ans de Martinelli, le 9 août 2008, et non à partir du début des violences signalées (2007-2012). Selon la loi du Vatican, a-t-il expliqué, qui est mineur de 16 ans n’est pas punissable d’un crime.
La réquisition pour Mgr Radice, accusé de complicité, est de 4 ans d’emprisonnement. Zannotti a expliqué que le droit pénal du Vatican ne prévoit pas le crime de complicité de violence sexuelle, mais c’est le crime pour lequel enquête pour sa part le bureau du procureur de Rome.
L’avocate de Mgr Radice, Me Agnese Camilli Carissimi, a demandé l’acquittement mettant en avant que « le fait n’existe pas ».
Réquisitoire du promoteur de justice
Après une brève pause de 20 minutes, le procureur Zannotti a pris la parole et a demandé une condamnation. Il a tout d’abord repassé en revue ce « procès important, le premier pour de tels faits » dans la juridiction du Vatican. Le procureur a expliqué que l’accusation de Martinelli ne se réfère pas à toute la période durant laquelle les violences ont eu lieu (2007-2012), seulement à la période durant laquelle il a eu 16 ans accomplis: à partir du 9 août 2008 jusqu’en juillet 2012, date à laquelle L. G. quitte le pré-séminaire.
Le procureur Zannotti a également rappelé les témoignages sur l’autorité de Martinelli au pré-séminaire et sur sa relation avec Radice et il a rappelé l’histoire personnelle et familiale de L. G. ce qui, a-t-il dit, a suscité de la « tendresse ». Tout pour corroborer l’accusation selon laquelle Martinelli s’est rendu coupable de véritables « actes de violence », contrairement à la rumeur qui commençait à circuler selon laquelle il s’agissait d’ « affaires de jeunes »: « L. G. a signalé différents types de harcèlement caractérisés par un crescendo. Dans ce contexte, Martinelli manifeste un pouvoir qui le conduit à abuser. »
En outre, le procureur Zannotti a rappelé les menaces que Martinelli aurait faites à L. G., à commencer par le chantage de lui octroyer des rôles importants dans le service liturgique des messes papales en échange de faveurs sexuelles : « Allez, alors je te ferai servir la messe du pape ». « Cela me semble un blasphème », a déclaré le procureur, « c’est plus que honteux ».
Rappelant plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont le fameux « jugement sur le jeans » de 1998, Zannotti a insisté sur la notion de « consentement » qui, soulignait-il, n’était absolument pas là quand L. G. était mineur (« un mineur est un sujet immature, incapable de disposer de son corps à des fins sexuelles »), ni après l’âge de 18 ans de L. G.: « Le consentement ne doit pas être confondu avec la participation à l’acte. » De même, il a fait remarquer que la crédibilité de L. G. ne peut pas être invalidée par le fait qu’il s’est présenté en retard: « C’est le ressort classique : il a peur, il a honte, il essaie en 2009 mais le résultat est contre-productif », c’est-à-dire que Mgr Radice l’a attaqué verbalement.
Concernant le recteur Radice, Zannotti a déclaré que son comportement est « encore plus grave » que les violences sexuelles, « tant pour la position que pour l’obstination à dissimuler des faits qui sont évidents pour tous ». « Toute l’activité de Radice à partir de 2009 visait à couvrir Martinelli », comme en témoigne, selon le procureur, la fausse lettre avec laquelle Radice voulait raccourcir le temps de l’ordination diaconale de Martinelli.
Plaidoyer de Me Dario Imparato, avocat de L. G.
Dans un plaidoyer de plus d’une heure, Me Imparato a évoqué « un procès difficile ». L’avocat a admis que près de 99% des témoins ont déclaré n’avoir ni vu ni entendu parler de la violence de Martinelli contre L.G., mais cela – selon l’avocat – ne dément pas la plainte de L.G. qui parlait toujours des événements qui se déroulaient dans le « périmètre » de sa chambre, en présence de ses compagnons (3-4 personnes). La personnalité de L.G., selon Imparato, est ce qui valide sa « crédibilité », a-t-il di:, le garçon n’a jamais été explicite dans ses accusations, c’est parce qu’il était « poli, fragile, honteux ». Il craignait d’être signalé par la communauté du pré-séminaire comme homosexuel et, surtout, d’être expulsé et renvoyé dans sa petite ville de 3 000 habitants, où sa famille vivait déjà une réalité difficile.
Me Imparato a reconstitué toute l’histoire de L.G., depuis son entrée à San Pio X en 2006 et les violences de Martinelli qui ont commencé l’année suivante, rappelant également tous les propos des témoins cités par la défense.
Selon l’avocat, l’optique de l’enquête est « fausse » car ce n’est pas l’homosexualité de Martinelli qui est le point de la question, mais « la perspective du pouvoir », « l’exercice violent d’un sujet puissant et arrogant, qui avant de satisfaire sa libido, il voulait assouvir sa soif de pouvoir ». Pouvoir venant d’une « relation malsaine » avec le recteur. « La liberté d’autodétermination des personnes est en jeu ».
Me Imparato a notamment insisté sur l’absence de consentement de la part de L.G., rappelant également le mouvement Me Too. Et il a rappelé « le climat mauvais, malsain, pourri » qui – selon plusieurs témoins – a caractérisé le pré-séminaire.
« Cette histoire raconte l’échec de petites communautés fermées, imperméables à l’extérieur », qui favorisent « les abus de pouvoir ». « C’est la partie émergée de l’iceberg », a-t-il déclaré. C’est pourquoi il a demandé la condamnation des deux accusés : « Je ne voudrais pas imaginer que dans les prochaines décennies Martinelli puisse se targuer de la médaille de l’acquittement pour des faits que cette défense considère comme graves »: « Souvent pour faire le procès d’un système, vous devez faire le procès d’un seul. »
Plaidoirie de Me Agnese Camilli
Me Camilli a affirmé que « d’après les nombreux faits qui ont émergé, rien n’a été mis en évidence sur Radice. D’après les témoignages des témoins, il y a beaucoup d’autres conclusions ».
L’avocate a rappelé la carrière de Radice « sans tache » et « toujours en contact avec les garçons », qui s’est terminée par une étroite collaboration avec l’évêque de Côme, Mgr Coletti. Elle a insisté sur sa fonction de « contrôle pendant la nuit » pour les garçons du pré-séminaire, même jusqu’à 23h30. Rappelant la structure de San Pio X – portes vitrées, murs en placo-plâtre, salles de bains communes, chambres multiples -, elle a déclaré : « Il est complexe d’imaginer que des actes avec une fréquence de Guinness, avec refus verbal et physique, n’aient jamais été détectés en six ans. »
Selon Me Camilli, Martinelli n’avait pas de rôle des responsabilité plus qu’un autre, notamment du fait de son jeune âge, et il a démenti certaines accusations précises portées par certains témoignages » Comme une accusation mentionnant une attitude indécente de Martinelli le 13 mai 2013 alors que ce jour-là, c’était le collège Capranica et non pas le pré-séminaire qui était de service.
Enfin, Me Camilli a souligné que toutes les accusations – lettres et rumeurs – de L. G. et de Kamil Jarzembowski – Polonais, seul témoin oculaire – sont parties après l’expulsion de ce dernier du pré-séminaire. Elle a parlé de « vengeance » et elle a demandé le plein acquittement de Mgr Radice : « Il est difficile d’imaginer une peine avec un tel manque de preuves. Ce serait hors de tout doute raisonnable. »
Le témoignage du p. Andrea Stabellini
Au cours de cette audience, ont été auparavant écoutés le P. Andrea Stabellini, ancien vicaire judiciaire du diocèse de Côme, en tant que témoin car il s’intéresse à la première enquête préalable du diocèse de Côme, de 2013, autorisée par l’évêque de l’époque Mgr Diego Coletti. Le p. Stabellini aurait également parlé avec d’autres personnes sans rapport avec l’enquête des allégations contre Mgr Radice et le p. Martinelli.
En tant que vicaire judiciaire, il avait eu connaissance de rapports sur les faits du pré-séminaire en 2013: « J’ai vu le dossier de l’évêque début octobre 2013. Nous devions aller à Rome et nous nous sommes arrêtés au pré-séminaire, où j’ai pris note des accusations contre Martinelli et Radice ».
Il évoque différentes accusations : des actes hypothétiques d’abus sexuels sur d’autres collègues par Martinelli, et Radice qui « ne voulait rien faire ».
Les accusations, a-t-il précisé, ont été faites dans des lettres anonymes adressées à Mgr Coletti et à d’autres institutions du Vatican. Il y avait aussi une lettre manuscrite signée par la victime présumée L.G. à Mgr Coletti: « L’évêque n’a pas commencé une enquête formelle selon le canon 1717 comme je l’avais demandé. Il m’a demandé d’aller à Rome avec lui et il a eu un entretien dans la zone du réfectoire avec Radice, le cardinal Angelo Comastri et le p. Angelo Magistrelli, alors responsable de l’Opera Don Folci [responsable du pré-séminaire pour le diocèse de Côme, ndlr]. Je suis resté dehors. Finalement, il m’a dit de rédiger un mémorandum et que tout devait être clos ».
Mgr Radice a remis deux lettres identiques à Mgr Coletti et au p. Stabellini, dans lesquelles il a demandé de clore l’affaire car il s’agissait de « fumus persecutionis » [fumée de persécution, ndlr]. Mgr Coletti a également rencontré L.G. et il a été convaincu de ne pas ouvrir d’enquête. Il a également rencontré Martinelli qui a nié toute accusation, toujours selon le même témoin.
A la demande de l’évêque, Stabellini témoignage qu’il a dû rédiger un mémorandum sur la base des quelques documents obtenus (lettre de Radice, etc.). Cependant, il a insisté sur la nécessité d’une enquête préliminaire, même si, a-t-il admis aujourd’hui, « il se peut qu’il n’y ait eu en réalité aucun crime ».
Stabellini a démissionné peu de temps après en tant que vicaire judiciaire, « pas seulement pour cette question ». Bien que n’étant plus impliqué dans l’affaire, il a rencontré par la suite deux anciens pré-séminaires concernés par les événements du San Pio X. Ce sont deux anciens élèves qui ont témoigné au tribunal. Le prêtre a déclaré avoir parlé avec eux parce que l’un des deux en particulier « aimait rechercher ces faits de manière obsessionnelle ».
A la fin de son témoignage, le p. Stabellini a déclaré que le dossier de l’enquête – qui comprenait également le mémorandum qu’il avait rédigé – était « très appauvri » lorsqu’il a pu le revoir des années plus tard avec le nouvel évêque de Côme, Mgr Oscar Cantoni: « Certains actes avaient disparu ».
Témoignage de Domenico Parrella, ancien élève
Domenico Parrella a témoigné quelques minutes, précisant que l’ambiance au pré-séminaire était « normale », « on jouait, on était tous ensemble ». Mgr Radice était « très attentif aux garçons, il restait tard dans les couloirs, il entrait dans les chambres s’il entendait du bruit ou voyait les lumières des téléphones portables ».
Avec Elisabetta Povoledo et Francesco Antonio Grana