Monde du travail, Gênes © L'Osservatore Romano

Monde du travail, Gênes, 27 mai 2017 © L'Osservatore Romano

Message du pape François sur le travail et sur les travailleurs (traduction complète)

109ème Conférence internationale du travail

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Le pape François rappelle aux syndicats des travailleurs leur rôle « de protéger ceux qui n’ont toujours pas de droits, ceux qui sont exclus du travail et qui sont aussi exclus des droits et de la démocratie ».

Le pape François a en effet publié, le 17 juin 2021, en espagnol, un long message vidéo  à l’occasion de la 109ème Conférence internationale du travail, organisée ce jour-là par l’OMT à Genève.

Le pape a aussi rappelé leur vocation aux entrepreneurs: « Je rappelle aux entrepreneurs leur véritable vocation : produire de la richesse au service de tous. »

Et puis le pape a insisté sur l’engagement de l’Eglise et des chrétiens: « C’est la mission fondamentale de l’Eglise d’appeler tout le monde à travailler ensemble, avec les gouvernements, les organisations multilatérales et la société civile, pour servir et prendre soin du bien commun et pour garantir la participation de tous à cet effort. Personne ne devrait être laissé de côté dans un dialogue pour le bien commun. »

Le pape a aussi insisté sur les défis à relever face à la pandémie, en insistant sur « l’humain »: « Alors que nous nous empressons de retrouver une plus grande activité économique, au terme de la menace de la Covid-19, évitons les fixations passées sur le profit, l’isolement et le nationalisme, le consumérisme aveugle et le déni des preuves évidentes qui signalent la discrimination de nos frères et sœurs « jetables » dans notre société. Au contraire, recherchons des solutions qui nous aident à construire un nouvel avenir du travail fondé sur des conditions de travail décentes et dignes, qui soient le résultat d’une négociation collective et qui promeuve le bien commun, une base qui fera du travail une composante essentielle de notre souci pour la société et la création. En ce sens, le travail est vraiment et essentiellement humain. C’est de cela qu’il s’agit, d’être humain. »

Récemment, le pape a dénoncé, à deux reprises, l’exploitation et le travail des enfants.

Voici notre traduction, d’après le texte en italien.

AB

Message du pape François sur le travail et les travailleurs

Monsieur le Président de la Conférence internationale du Travail,

Mesdames et Messieurs les Représentants des Gouvernements, des Organisations d’employeurs et de travailleurs,

Je remercie le directeur général, M. Guy Ryder, qui m’a si aimablement invité à présenter ce message au Sommet sur le monde du travail. Cette conférence a été convoquée à un moment crucial de l’histoire sociale et économique, qui présente de graves et vastes défis pour le monde entier. Ces derniers mois, à travers ses comptes rendus périodiques, l’Organisation internationale du Travail a effectué un travail remarquable, en accordant une attention particulière à nos frères et sœurs plus vulnérables.

Pendant la crise persistante, nous devrions continuer de prendre un « soin particulier » du bien commun. Un bon nombre des bouleversements possibles et prévus ne se sont pas encore manifestés, raison pour laquelle des décisions prudentes seront nécessaires. La diminution du temps de travail, ces dernières années, a entraîné des pertes d’emploi et une réduction de la journée de travail de ceux qui conservent leur emploi. De nombreux services publics, ainsi que des entreprises, ont dû faire face à de terribles difficultés, certains risquant la faillite totale ou partielle. Dans le monde entier, nous avons observé en 2020 des pertes d’emploi sans précédent.

Alors que nous nous empressons de retrouver une plus grande activité économique, au terme de la menace de la Covid-19, évitons les fixations passées sur le profit, l’isolement et le nationalisme, le consumérisme aveugle et le déni des preuves évidentes qui signalent la discrimination de nos frères et sœurs « jetables » dans notre société. Au contraire, recherchons des solutions qui nous aident à construire un nouvel avenir du travail fondé sur des conditions de travail décentes et dignes, qui soient le résultat d’une négociation collective et qui promeuve le bien commun, une base qui fera du travail une composante essentielle de notre souci pour la société et la création. En ce sens, le travail est vraiment et essentiellement humain. C’est de cela qu’il s’agit, d’être humain.

En rappelant le rôle fondamental que jouent cette Organisation et cette Conférence, en tant qu’environnements privilégiés pour un dialogue constructif, nous sommes appelés à donner la priorité à notre réponse aux travailleurs qui se trouvent en marge du monde du travail et qui sont encore affectés par la pandémie de Covid-19 : les travailleurs peu qualifiés, les travailleurs journaliers, ceux du secteur informel, les travailleurs migrants et réfugiés, ceux qui effectuent ce qu’on appelle communément « le travail des trois dimensions » : dangereux, sale et dégradant, et la liste pourrait s’allonger.

De nombreux migrants et travailleurs vulnérables, ainsi que leurs familles, restent généralement exclus de l’accès aux programmes nationaux de promotion de la santé, de prévention des maladies, de traitements et de soins, ainsi que des plans de protection financière et des services psycho-sociaux. C’est l’un des nombreux cas de cette philosophie du déchet que nous nous sommes habitués à imposer dans nos sociétés. Cette exclusion complique la détection précoce, l’exécution de tests, le diagnostic, le repérage des contacts et la recherche de soins médicaux contre la Covid-19 pour les réfugiés et les migrants, et par conséquent le risque d’épidémie augmente parmi ces populations. Ces épidémies peuvent ne pas être contrôlées ou même être sciemment dissimulées, ce qui représente une menace supplémentaire pour la santé publique (1).

L’absence de mesures de protection sociale face à l’impact de la Covid-19 a entraîné une augmentation de la pauvreté, le chômage, le sous-emploi, l’augmentation du travail informel, le retard de l’insertion des jeunes sur le marché du travail, ce qui est très grave, l’augmentation du travail des enfants, ce qui est encore plus grave, la vulnérabilité à la traite des personnes, l’insécurité alimentaire et une exposition accrue aux infections parmi les populations telles que les malades et les personnes âgées. A cet égard, je remercie pour cette occasion d’exposer certaines préoccupations et observations clés.

En premier lieu, c’est la mission fondamentale de l’Eglise d’appeler tout le monde à travailler ensemble, avec les gouvernements, les organisations multilatérales et la société civile, pour servir et prendre soin du bien commun et pour garantir la participation de tous à cet effort. Personne ne devrait être laissé de côté dans un dialogue pour le bien commun, dont l’objectif est surtout de construire, de consolider la paix et la confiance entre tous. Les plus vulnérables – les jeunes, les migrants, les communautés indigènes, les pauvres – ne peuvent pas être laissés de côté dans un dialogue qui devrait réunir également les gouvernements, les entrepreneurs et les travailleurs. Il est tout aussi essentiel que toutes les confessions et les communautés religieuses s’engagent ensemble.

L’Eglise a une longue expérience dans la participation à ces dialogues à travers ses communautés locales, mouvements populaires et organisations et s’offre au monde comme un bâtisseur de ponts pour aider à créer les conditions de ce dialogue et, le cas échéant, aider à le faciliter. Ces dialogues pour le bien commun sont essentiels afin de construire un avenir solidaire et durable de notre maison commune et ils devraient avoir lieu au niveau communautaire, national et international. Une des caractéristiques du véritable dialogue est que ceux qui dialoguent soient sur le même plan de droits et de devoirs. Et non pas que celui qui a moins de droits ou plus de droits dialogue avec quelqu’un qui n’en a pas. Le même niveau de droits et de devoirs garantit ainsi un dialogue sérieux.

En second lieu, il est également essentiel pour la mission de l’Eglise de veiller à ce que chacun obtienne la protection dont il a besoin en fonction de ses vulnérabilités : maladie, âge, handicap, déplacement, marginalisation ou dépendance. Les systèmes de protection sociale qui sont eux-mêmes confrontés à des risques importants doivent être soutenus et élargis pour biens de première nécessité. En période d’urgence, comme la pandémie de Covid-19, des mesures d’assistance spéciale sont nécessaires. Il est également important d’accorder une attention particulière à la prestation intégrale et efficace des soins par le biais des services publics. Les systèmes de protection sociale ont été appelés à affronter de nombreux défis de la crise et, en même temps, leurs points faibles sont devenus plus évidents.

Enfin, il faut garantir la protection des travailleurs et des personnes plus vulnérables à travers le respect de leurs droits fondamentaux, y compris le droit à se syndiquer. En d’autres termes, adhérer à un syndicat est un droit. La crise de Covid a déjà touché les plus vulnérables et ceux-ci ne devraient pas être lésés par les mesures en vue d’accélérer une reprise centrée uniquement sur les indicateurs économiques. Il faut là aussi une réforme du mode économique, une réforme en profondeur de l’économie. La façon de pousser l’économie doit être différente et doit changer elle aussi. En cette période de réflexion, où nous cherchons à modeler notre action future et à donner forme à un agenda international post-Covid-19, nous devons être particulièrement attentifs au danger réel d’oublier ce qui sont restés en arrière. Ils courent le risque d’être attaqués par un virus encore pire que la Covid-19 : celui de l’indifférence égoïste.

En effet, une société ne peut progresser en écartant, elle ne peut pas progresser. Ce virus se propage en pensant que la vie est meilleure si elle est meilleure pour moi, et que tout ira bien si tout va bien pour moi ; c’est ainsi que cela commence et finit, en sélectionnant une personne au lieu d’une autre, en écartant les pauvres, en sacrifiant ceux qui sont restés en arrière sur le soi-disant « autel du progrès ». C’est une véritable dynamique élitiste, qui constitue de nouvelles élites au prix de la mise au rebut de nombreuses personnes et de nombreux peuples.

A l’avenir, il est fondamental que l’Eglise, et par conséquent l’action du Saint-Siège avec l’Organisation internationale du Travail, soutienne des mesures visant à corriger les situations injustes ou incorrectes qui conditionnent les relations de travail, en les soumettant complètement à l’idée d’ « exclusion » ou en violant les droits fondamentaux des travailleurs. Les théories, qui considèrent le profit et la consommation comme des éléments indépendants ou comme des variables autonomes de la vie économique, excluant les travailleurs et déterminant leur standard de vie déséquilibré, représentent une menace : « Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans issue » (Evangelii gaudium, n. 53).

La pandémie actuelle nous a rappelé qu’il n’y a ni différences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles et en même temps tous de grande valeur. Espérons que ce qui se produit autour de nous nous secouera profondément. Le moment est venu d’éliminer les inégalités, de remédier aux injustices qui minent la santé de la famille humaine tout entière. Devant l’Agenda de l’Organisation internationale du Travail, nous devons continuer comme nous l’avons déjà fait en 1931, lorsqu’après la crise de Wall Street et au cœur même de la « Grande Dépression », le pape Pie XI a dénoncé l’asymétrie entre travailleurs et entrepreneurs comme une flagrante injustice qui donnait carte blanche et disponibilité au capital. Il affirmait ceci : « Pendant longtemps, le capital s’est certainement trop attribué. Ce qui était produit et ce qu’il en tirait, le capital le prenait pour lui, laissant juste à l’ouvrier de quoi reconstituer ses forces » (Quadragesimus annus, n. 55). Même dans ces circonstances, l’Eglise a défendu la position selon laquelle la rémunération pour le travail accompli ne doit pas être seulement destinée à satisfaire les besoins immédiats et actuels des travailleurs, mais également à leur donner la possibilité de faire des économies pour l’avenir de leurs familles ou des investissements en mesure de leur assurer une marge de sécurité pour l’avenir.

Ainsi, depuis la première session de la Conférence internationale, le Saint-Siège a soutenu une réglementation uniforme applicable au travail dans ses différents aspects, en tant que garantie pour les travailleurs (2). Il est convaincu que le travail, et par conséquent les travailleurs, peuvent compter sur des garanties, un soutien et un renforcement s’ils sont protégés du « jeu » de la dérèglementation. En outre, les normes juridiques doivent être orientées vers la croissance de l’emploi, le travail digne ainsi que les droits et les devoirs de la personne humaine. Ce sont tous des instruments nécessaires pour son bien-être, pour le développement humain intégral et pour le bien commun.

L’Eglise catholique et l’Organisation internationale du Travail, répondant à leurs différentes natures et fonctions, peuvent continuer de mettre en œuvre leurs stratégies respectives, mais elles peuvent également continuer de profiter des opportunités qui se présentent pour collaborer dans une grande diversité d’actions importantes.

Pour promouvoir cette action commune, il est nécessaire de comprendre correctement le travail. Le premier élément de cette compréhension nous invite à centrer toute l’attention requise sur toutes les formes de travail, y compris les formes d’emploi non standards. Le travail va au-delà de ce qui est traditionnellement connu comme « emploi formel » et le Programme de Travail digne doit inclure toutes les formes de travail. Le manque de protection sociale des travailleurs de l’économie informelle et de leurs familles les rend particulièrement vulnérables aux affrontements, puisqu’ils ne peuvent pas compter sur la protection qu’offrent la sécurité sociale ou les régimes d’aide sociale destinés à lutter contre la pauvreté.

Les femmes de l’économie informelle, y compris les vendeuses de rue et les employées de maison, ressentent l’impact de la Covid-19 de plusieurs manières : de l’isolement à l’exposition extrême aux risques sanitaires. Ne disposant pas de crèches accessibles, les enfants de ces travailleuses sont exposés à un plus grand risque sanitaire, parce que les mères doivent les emmener sur leur lieu de travail ou les laisser à la maison sans surveillance (3). C’est pourquoi il est particulièrement nécessaire de veiller à ce que l’aide sociale atteigne l’économie informelle et accorde une attention spéciale aux besoins particuliers des femmes et des filles.

La pandémie nous rappelle que de nombreuses femmes dans le monde entier continuent d’aspirer à la liberté, à la justice et à l’égalité entre toutes les personnes humaines : « bien que de notables améliorations aient eu lieu dans la reconnaissance des droits des femmes à intervenir dans l’espace public, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir dans certains pays. On n’a pas fini d’éradiquer des coutumes inacceptables. Je souligne la violence honteuse qui parfois s’exerce sur les femmes, les abus dans le cercle familial et diverses formes d’esclavage […]. Je pense à […] l’inégalité d’accès à des postes de travail dignes et aux lieux où se prennent les décisions » (Amoris laetitia, n. 54).

Deuxième élément pour une compréhension correcte du travail : si le travail est une relation, il doit alors inclure la dimension du soin, parce qu’aucune relation ne peut survivre sans soin. Nous ne nous référons pas ici uniquement au travail d’aide : la pandémie nous rappelle son importance fondamentale, que nous avons peut-être négligé. Le soin va au-delà, il doit être une dimension de tout travail. Un travail qui ne prend pas soin, qui détruit la création, qui met en danger la survie des générations futures, n’est pas respectueux de la dignité des travailleurs et ne peut pas se considérer comme digne. Au contraire, un travail qui prend soin contribue à la restauration de toute la dignité humaine, contribuera à assurer un avenir durable aux générations futures (4). Et cette dimension du soin comprend, en premier lieu, les travailleurs. C’est une question que nous pouvons nous poser dans la vie quotidienne : comment imaginons-nous qu’une entreprise prend soin de ses travailleurs ?

Au-delà d’une compréhension correcte du travail, sortir de la crise actuelle dans de meilleurs conditions demandera le développement d’une culture de la solidarité, pour contrecarrer la culture de la mise au rebut qui est à l’origine de l’inégalité et qui afflige le monde. Pour atteindre cet objectif, il faudra valoriser l’apport de toutes ces cultures, comme la culture indigène, la culture populaire, qui sont souvent considérées comme marginales, mais qui gardent vivante la pratique de la solidarité, qui « exprime bien davantage que quelques actes de générosité sporadiques ». Tous les peuples ont leur culture et je crois que le moment est venu de nous libérer définitivement de l’héritage des Lumières, qui associaient le terme de culture à un certain type de formation intellectuelle ou d’appartenance sociale. Chaque peuple a sa culture et nous devons l’accepter telle qu’elle est. « C’est penser et agir en termes de communauté, de priorité de la vie de tous sur l’appropriation des biens de la part de certains. C’est également lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, de l’inégalité, du manque de travail, de terre et de logement, de la négation des droits sociaux et du travail. C’est faire face aux effets destructeurs de l’Empire de l’argent […]. La solidarité, entendue dans son sens le plus profond, est une façon de faire l’histoire et c’est ce que font les mouvements populaires » (Fratelli tutti, n. 116).

Avec ces mots, je m’adresse à vous, participants à la 109ème Conférence internationale du Travail, parce que vous avez, en tant qu’acteurs institutionnels du monde du travail, une grande opportunité d’influencer les processus de changement déjà en marche. Vous avez une grande responsabilité, mais le bien que vous pouvez obtenir est encore plus grand. Je vous invite donc à relever le défi auquel nous sommes confrontés. Les acteurs établis peuvent compter sur l’héritage de leur histoire, qui continue d’être une ressource d’une importance capitale, mais en cette phase historique, ils sont appelés à rester ouverts au dynamisme de la société et à promouvoir l’émergence et l’inclusion d’acteurs moins traditionnels et plus marginaux, porteurs d’impulsions alternatives et novateurs.

Je demande aux dirigeants politiques et aux personnes qui travaillent dans les gouvernements de toujours s’inspirer de cette forme d’amour qu’est la charité politique : « l’engagement tendant à organiser et à structurer la société de façon à ce que le prochain n’ait pas à se trouver dans la misère est un acte de charité tout aussi indispensable ». C’est de la charité que d’accompagner une personne qui souffre, et c’est également charité tout ce qu’on réalise, même sans être directement en contact avec cette personne, pour changer les conditions sociales qui sont à la base de sa souffrance. Si quelqu’un aide une personne âgée à traverser une rivière, et c’est de la charité exquise, le dirigeant politique lui construit un pont, et c’est aussi de la charité. Si quelqu’un aide les autres en leur donnant de la nourriture, l’homme politique crée pour lui un poste de travail et il exerce un genre très élevé de charité qui ennoblit son action politique » (Fratelli tutti, n. 186).

Je rappelle aux entrepreneurs leur véritable vocation : produire de la richesse au service de tous. L’activité entrepreneuriale est essentiellement « est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous ». Dieu nous promeut ; il attend de nous que nous exploitions les capacités qu’il nous a données et il a rempli l’univers de ressources. Dans ses desseins, « chaque homme est appelé à se développer », et cela comprend le développement des capacités économiques et technologiques d’accroître les biens et d’augmenter la richesse. Mais dans tous les cas, ces capacités des entrepreneurs, qui sont un don de Dieu, devraient être clairement ordonnées au développement des autres personnes et à la suppression de la misère, notamment par la création de sources de travail diversifiées. À côté du droit de propriété privée, il y a toujours le principe, plus important et prioritaire, de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et, par conséquent, le droit de tous à leur utilisation (Fratelli tutti, n. 123). Parfois, en parlant de propriété privée, nous oublions que c’est un droit secondaire, qui dépend de ce premier droit, qu’est la destination universelle des biens.

J’exhorte les syndicalistes et les dirigeants d’associations de travailleurs à ne pas se laisser enfermer dans un « carcan », à se concentrer sur les situations concrètes des quartiers et des communautés dans lesquelles ils opèrent, tout en abordant les questions liées aux politiques économiques plus larges et les « macro -relations » [5]. Même dans cette phase historique, le mouvement syndical est confronté à deux défis très importants.

Le premier, c’est la prophétie, liée à la nature même des syndicats, à leur vocation la plus authentique. Les syndicats sont l’expression du profil prophétique de l’entreprise. Les syndicats naissent et renaissent à chaque fois, comme les prophètes bibliques, ils donnent la parole à ceux qui n’en ont pas, ils dénoncent ceux qui « vendraient […] les pauvres pour une paire de sandales », comme le dit le prophète (cf. Amos 2, 6), mettre à nu les puissants qui piétinent les droits des travailleurs les plus vulnérables, défendre la cause des étrangers, les plus petits et les rejetés. Bien sûr, lorsqu’un syndicat se corrompt, il ne peut plus le faire et se transforme en un statut de pseudo-employeur, à son tour éloigné du peuple.

Deuxième défi : l’innovation. Les prophètes sont des sentinelles qui veillent depuis leur poste d’observation. Les syndicats doivent aussi garder les murs de la cité du travail, comme un gardien qui surveille et protège ceux qui sont à l’intérieur de la cité du travail, mais qui surveille et protège aussi ceux qui sont hors des murs. Les syndicats ne remplissent pas leur fonction fondamentale d’innovation sociale s’ils ne protègent que les retraités. Cela doit être fait, mais c’est la moitié de votre travail. Votre vocation est aussi de protéger ceux qui n’ont toujours pas de droits, ceux qui sont exclus du travail et qui sont aussi exclus des droits et de la démocratie [6].

Estimés participants du processus tripartite de l’Organisation internationale du Travail et de cette Conférence internationale du Travail, l’Église vous soutient, marche à vos côtés. L’Église met ses ressources à disposition, à commencer par ses ressources spirituelles et sa Doctrine sociale. La pandémie nous a appris que nous sommes tous dans le même bateau et que ce n’est qu’ensemble que nous pouvons sortir de la crise.

Merci.

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[1] Cf. «Preparedness, prevention, and control of coronavirus disease (Covid-19) for refugees and migrants in non-camp settings», Interim Guidance, Organisation mondiale de la santé, 17 avril 2020 (https://www.who.int/publications -detail/preparedness-prevention-and-control-of-coronavirus disease-(covid-19)-for-refugees-and-migrants-in-non-camp-settings).

[2] Cf. Lettre Noi rendiamo grazie du Pape Léon XIII à Sa Majesté Guillaume II, 14 mars 1890.

[3] Cf. https://www.wiego.org/sites/default/files/resources/file/Impact_on_livelihoods_Covid-19_final_EN_1.pdf

[4] Cf. Care is work, work is care, Rapport sur « L’aavenir du travail après Laudato si’ », https://futureofwork-labourafterlaudatosi.net/

[5] Cfr. Pape François, Ai partecipanti all’Incontro Mondiale dei Movimenti Popolari, 5 novembre 2016.

[6] Cfr. A la Confédération Iitalienne des Syndicats de Travailleurs (CISL), 28 juin 2017.

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Dans L’Osservatore Romano, Année CLXI n. 135, jeudi 17 juin 2021, pp. 2-3.

 

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Hélène Ginabat

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