« Ce n’est pas la peur qui crée Dieu ; quand nous sommes en danger elle nous pousse vers l’Amour qui nous soutient ». C’est ce qu’écrit Mgr Follo dans sa méditation sur les lectures de dimanche prochain 20 juin 2021, XIIème dimanche du Temps ordinaire.
« Dans le danger nous nous tournons vers ceux qui nous aiment : vers le Christ qui apaise la mer de notre vie, la pacifie », fait observer l’observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris.
Comme lecture patristique, Mgr Follo propose un sermon de S. Augustin.
HG
Prémisse
L’Evangile de ce dimanche nous parle de la tempête apaisée avec une certaine emphase qui se voit dans le geste et les paroles solennelles avec lesquelles le Rédempteur apaise la mer agitée. De cette manière, l’évangéliste Marc montre un signe clair de la seigneurie du Christ sur les forces de la nature et nous amène à reconnaitre à sa divinité : « Qui est-ce donc – se demandaient et effrayaient les disciples – que même le vent et la mer lui obéissent ? (Mc 4, 41).
Cependant, le récit évangélique présente quelques incohérences. Pourquoi, par exemple, parle-t-il « d’autres bateaux qui étaient avec lui » et ensuite ne dit rien de leur sort ? Et comment est-il possible qu’un homme puisse dormir paisiblement, alors que les vagues font rage et que l’eau a presque complètement rempli le bateau ?
De toute évidence, Saint Marc ne s’intéresse pas à l’exactitude factuelle, chronique de cet épisode de la vie du Christ. L’intention de l’évangéliste est plutôt contenue dans les deux questions qui l’articulent, l’une des disciples (« qui est-il donc celui-ci ? ») et l’autre de Jésus : pourquoi as-tu si peur ? Vous n’avez toujours pas la foi ?. La question des disciples naît de l’émerveillement devant la puissance de Jésus : sa parole calme la mer agitée. Il est juste de s’émerveiller de la puissance des miracles, mais la puissance du miracle ne suffit pas pour comprendre qui est Jésus. Les miracles révèlent la messianité de Jésus et son origine, mais ils ne sont pas en mesure de révéler complètement son identité, c’est-à-dire, son grand geste d’amour et de don. Pour cela, il faut attendre la Croix. Dieu se révèle en puissance, mais surtout dans l’amour : ce n’est qu’ici que Dieu peut être connu profondément, sans malentendu. Avec sa question (« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? ») Jésus change le sens de l’épisode. L’attention n’est plus tournée vers la puissance du miracle, mais vers la foi des disciples qui s’embarquèrent avec lui pour passer sur l’autre rive.
1) Aller au large pour passer sur l’autre rive.
L’Evangile d’aujourd’hui décrit la tempête apaisée ; mais, c’est sur la phrase initiale de Jésus : « Passons sur l’autre rive » (Mc 4,35) que je désirerais avant tout attirer l’attention.
C’est une invitation que Jésus adresse aux siens après avoir parlé du Royaume des Cieux qui devient un grand arbre à partir d’une petite semence. Comme je l’ai déjà dit d’autres fois, « rester » avec le Christ est un verbe de mouvement parce qu’il implique nécessairement de se déplacer et de se mettre à sa suite.
C’est une invitation faite quand le soir tombe, donc lorsque les disciples qui suivent Jésus, pensent être arrivés au bout du chemin de la journée et ont l’exigence juste et humaine de s’arrêter et de se reposer de la fatigue de « porter » l’évangile avec Jésus. Le premier moment de cet « aller au-delà » est de laisser la foule, de rester seuls avec Jésus pour s’éloigner avec Lui de la rive où ils étaient arrivés.
La barque représente notre vie qui avance avec le Sauveur. C’est un bois qui sillonne les vagues du temps et de l’espace et qui est capable de porter le Fils de Dieu. Jésus, vrai homme et vrai Dieu, est si puissant qu’il ne se préoccupe pas de la tempête. Il peut arriver que le vent souffle violement : ce sont toutes les voix qui s’agitent à l’intérieur et à l’extérieur de nous-même et qui se lèvent souvent avec une force telle que nos pas dérapent du sentier alors qu’ils étaient assurés quelques instants auparavant.
Les vagues se déversent dans la barque : ce qui fait partie de nos journées et que nous pensons bien connaître se déverse contre nous. Certains imprévus nous saisissent et nous mettent dans les mains de l’inattendu à tel point que notre vie est remplie par la peur, même quand pensons maîtriser les événements.
Aujourd’hui, Jésus nous donne une leçon claire sur la manière d’affronter la mer de notre histoire personnelle et de ce monde : nous devons naviguer avec Lui, nous devons Le prendre à bord de notre barque, « comme il est », parce qu’Il nous pilote vers l’autre rive, en nous sauvant des eaux orageuses.
Avec le Christ dont l’amour est plus fort que la force de la nature, nous pouvons arriver vers l’autre rive qui nous pouvons rejoindre grâce à notre abandon confiant en Lui. La tempête de la nature et celle du cœur humain, sont dangereuses et peuvent conduire à la mort. Au contraire, la « tempête du cœur de Dieu » conduit à la paix si nous disons comme les apôtres : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (Ibid. v. 38).
2) Jésus dormait, mais son cœur veillait.
Uniquement dans ce passage de Saint-Marc, Jésus est présenté pendant qu’il dort. Comment interpréter ce sommeil? Jésus est réellement fatigué. Après une journée de prédication dans laquelle il a dépensé beaucoup d’énergie, le Sauveur monte dans la barque et s’endort profondément. Nous pouvons constater ici la réelle humanité de Jésus. Il est toutefois utile ajouter quelques explications : Jésus a confiance en les siens comme «bons marins », il ne doute pas de leur responsabilité et capacité professionnelle. Nous aussi nous devons faire confiance au Seigneur comme « navigateur ».
Certes, son comportement est rempli de mystère : son sommeil tranquille signifie –à mon avis- la confiance sereine en Dieu, la confiance du Fils qui se sent protégé et aimé par le Père, entre ses bras, même dans la tempête furieuse de la mer et de la vie.
Nous devons faire nôtre ce comportement de Jésus, en priant le psaume 130 qui nous suggère une des plus belles images de notre abandon en Dieu, même dans l’épreuve : « Je tiens à mon âme égale et silencieuse. Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. » (Ps 130, 2).
3) Le Cœur de l’homme est une demande d’infini.
En plus de nous apprendre l’abandon total en Dieu, Jésus Sauveur qui dort dans la barque sur la mer agitée, réveille le cri de notre foi. En effet, Jésus reproche aux siens : « Pourquoi avez-vous peur ? Vous n’avez pas encore la foi? ». Il exige de ses frères la foi pour réveiller la puissance de son amour.
Avec la question : « Pourquoi avez-vous peur ? », le Christ déplace l’attention de la puissance du miracle qui vient de se produire à la foi de ses disciples. Certes, ils viennent de se détacher du précédent travail, de la famille, de la foule, pour rester avec Jésus, en le suivant sur les rues du monde, mais ce n’est pas suffisant : ils sont appelés à croire en Lui dans l’abandon. Et Jésus, Maître et Ami, éduque cette foi en leur faisant comprendre qu’ils ne doivent pas prétendre à une présence et une puissance divine qui les éloigne de la fatigue de vivre. Il les éduque de plus à être courageux ( = agir avec le cœur) en éduquant le cœur.
Comment répondre au Christ qui nous demande : « Pourquoi avez-vous peur? ». En lui posant la même question que celle du premier des apôtres « Augmente en nous la foi, Seigneur » (Lc 17,5). Foi qui est un acte d’intelligence et d’abandon de la volonté.
Faisons de sorte que notre vie soit réellement cette ouverture de notre esprit et de notre cœur vers une foi chaque jour plus pure, vers une foi chaque jour plus grande. Prions pour que notre foi nous ouvre toujours davantage au don de Dieu. La foi mature est capable de nous rendre tranquilles même dans les difficultés et sereins même dans la persécution. Pensons à Saint-Pierre qui dormait sereinement en prison. Pensons aussi à la « petite » Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus. Elle qui mourut à l’âge de 24 ans à peine, est la sainte de la simplicité et de l’amour. La Sainte de l’abandon confiant à la volonté de Dieu.
Si nous voulons grandir dans la foi, nous devons éduquer le cœur, en imitant « la petite » Sainte de Lisieux.
Eduquer notre cœur à percevoir Jésus. Que signifie Le percevoir ? : C’est faire passer notre cœur dans le cœur du Christ, et le cœur du Christ vers le nôtre. De cette façon nous pouvons non seulement ne pas avoir peur de la barque de la vie, mais aussi pacifier la mer de la vie avec et par le Christ.
Une façon significative de vie de percevoir le Christ est celle des vierges consacrées dans le monde. A travers la virginité, ces femmes éduquent leur cœur en le « construisant » dans celui du Christ qui aime et veut le bien de celui qui se donne à Lui.
Le style de vie de la Vierge consacrée dans le monde est celui de celui qui ne possède pas le prochain parce que son cœur est rempli de l’amour de Dieu. Riche de cet amour, elle en devient un signe limpide et pratique de la bienveillance qu’elle a reçu de Dieu ; elle le manifeste envers le prochain. En effet, la virginité est vocation à l’amour : elle rend le cœur libre d’aimer Dieu. Libre des devoirs de l’amour conjugal, le cœur vierge peut se sentir, donc, plus disponible pour l’amour gratuit des frères.
Certes, la virginité implique le renoncement à la forme d’amour typique du mariage. Mais le renoncement est accepté dans le but d’assumer plus en profondeur de dynamisme, inhérent à la sexualité, d’ouverture oblative envers les autres , en le transfigurant et en le rendant puissant moyennant la présence de l’ Esprit qui apprend à aimer le Père et les frères comme le Seigneur Jésus.
Et le Pape émérite Benoît XVI, le 15 mai 2008, leur dit : « Que votre vie soit un témoignage particulier de charité et un signe visible du Règne futur. (Rituel de la consécration des vierges,
30). Faites en sorte que votre présence irradie toujours la dignité d’être l’épouse du Christ exprime la nouveauté de l’existence chrétienne et l’attente sereine de la vie future. De cette façon, à travers votre vie, vous pouvez être des étoiles qui orientent le chemin du monde. Le choix de la vie virginale, en fait, est un appel à la fugacité des réalités de la terre et anticipation des biens futurs. La vierge consacrée, en fait, s’identifie à cette épouse qui, avec l’Esprit, invoque la venue du Seigneur : ‘ L’Esprit et l’épouse disent : ‘viens’ (Ap 22,17) ». (Discours aux participantes du Congrès de l’Ordo Virginum, n.6).
Lecture patristique
Saint Augustin d’Hippone (354 – 430)
Sermon 63, 1-3; PL 38, 424-425.
Je vais, avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de l’évangile de ce jour. Je veux aussi, avec l’aide de Dieu, vous encourager à ne pas laisser la foi dormir dans vos cœurs au milieu des tempêtes et des houles de ce monde. Le Seigneur Jésus Christ exerçait sans aucun doute son pouvoir sur le sommeil non moins que sur la mort, et quand il naviguait sur le lac, le Tout-Puissant n’a pas pu succomber au sommeil sans le vouloir. Si vous le pensez, c’est que le Christ dort en vous. Si, au contraire, le Christ est éveillé en vous, votre foi aussi est éveillée. L’Apôtre dit: Que le Christ habite en vos cœurs par la foi (Ep 3,17). Donc le sommeil du Christ est le signe d’un mystère. Les occupants de la barque représentent les âmes qui traversent la vie de ce monde sur le bois de la croix. En outre, la barque est la figure de l’Église. Oui, vraiment, tous les fidèles sont des temples où Dieu habite, et le cœur de chacun d’eux est une barque naviguant sur la mer: elle ne peut sombrer si l’esprit entretient de bonnes pensées.
On t’a fait injure: c’est le vent qui te fouette; tu t’es mis en colère: c’est le flot qui monte. Ainsi, quand le vent souffle et que monte le flot, la barque est en péril. Ton cœur est en péril, ton cœur est secoué par les flots. L’outrage a suscité en toi le désir de la vengeance. Et voici: tu t’es vengé, cédant ainsi sous la faute d’autrui, et tu as fait naufrage. Pourquoi? Parce que le Christ s’est endormi en toi, c’est-à-dire que tu as oublié le Christ. Réveille-donc le Christ, souviens-toi du Christ, que le Christ s’éveille en toi. Pense à lui.
Que voulais-tu? Te venger. As-tu oublié la parole qu’il a dite sur la croix: Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34)? Celui qui s’était endormi dans ton cœur a refusé de se venger.
Réveille-le, rappelle-toi son souvenir. Son souvenir, c’est sa parole; son souvenir, c’est son commandement. Et quand tu auras éveillé le Christ en toi, tu te diras à toi-même: « Quel homme suis-je pour vouloir me venger? Qui suis-je pour user de menaces contre un homme? Peut-être serai-je mort avant d’avoir pu me venger? Et quand viendra pour moi le moment de quitter ce corps, si j’expire brûlant de haine et assoiffé de vengeance, celui qui n’a pas voulu se venger ne m’accueillera pas. Celui qui a dit: Donnez, et vous recevrez; pardonnez, et vous serez pardonnes (Lc 6,37) ne m’accueillera pas. Je réprimerai donc ma colère, et mon cœur trouvera à nouveau le repos. » Le Christ a commandé à la mer, et elle s’est calmée (cf. Mt 8,26).
Ce que je viens de vous dire au sujet des mouvements de colère doit devenir votre règle de conduite dans toutes vos tentations. La tentation surgit: c’est le vent qui souffle; ton âme est troublée: c’est le flot qui monte. Réveille le Christ, laisse-le te parler. Qui donc est celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent (Mt 8,27)? Quel est celui à qui la mer obéit? A lui la mer, c’est lui qui l’a faite (Ps 94,5). Par lui, tout s’est fait (Jn 1,3). Imite plutôt les vents et la mer: obéis au Créateur. La mer entend l’ordre du Christ, vas-tu rester sourd? La mer obéit, le vent s’apaise, vas-tu continuer à souffler?
Que voulons-nous dire par là? Parler, agir, ourdir des machinations, n’est-ce pas souffler, et refuser de s’apaiser au commandement du Christ? Quand votre cœur est troublé, ne vous laissez pas submerger par les vagues. Si pourtant le vent nous renverse – car nous ne sommes que des hommes -, et qu’il excite les passions mauvaises de notre cœur, ne désespérons pas. Réveillons le Christ, afin de poursuivre notre voyage sur une mer paisible et de parvenir à la patrie.