Le pape François refuse la démission que lui avait présentée le cardinal allemand Reinhard Marx pour assumer sa responsabilité dans la gestion des abus sexuels ». Mais il salue sa démarche : « Tout évêque de l’Eglise doit l’assumer et se demander : Que dois-je faire face à cette catastrophe ? » écrit-il dans une longue lettre à l’archevêque de Munich et Freising, datée de ce 10 juin 2021.
« Je suis d’accord avec toi, admet le pape, lorsque tu décris la triste histoire des abus sexuels et la façon dont l’Eglise l’a affrontée jusqu’à encore récemment comme une catastrophe. Se rendre compte de cette hypocrisie dans notre façon de vivre la foi est une grâce, un premier pas que nous devons faire. »
« Nous devons assumer l’histoire, aussi bien personnellement que comme communauté. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce crime », insiste-t-il : « Le silence, les omissions, le poids du prestige des institutions, conduisent seulement à l’échec personnel et historique. »
Pour le pape argentin, « il est urgent d’“exposer“ cette réalité des abus et la manière dont l’Église a procédé » : « Ni les sondages ni le pouvoir des institutions ne nous sauveront. Le prestige de notre Église, qui tend à cacher ses péchés, ne nous sauvera pas ; le pouvoir de l’argent ou l’opinion des médias (desquels nous sommes souvent trop dépendants) ne nous sauveront pas. Nous nous sauverons en ouvrant la porte à Celui qui peut le faire et en confessant notre nudité : ‘j’ai péché’, ‘nous avons péché’… et en pleurant. »
Le cardinal Marx, 63 ans, est membre du “Conseil des cardinaux“ créé par le pape en 2013 pour l’aider dans la réforme de la Curie romaine. Il est aussi coordinateur du Conseil pour l’économie du Saint-Siège. Il a été président de la Commission des Episcopats de l’Union européenne (Comece) et de la Conférence épiscopale d’Allemagne. Le 4 juin dernier, il avait rendue publique sa demande de démission, pointant du doigt dans l’Eglise « des erreurs personnelles », des « échecs administratifs », mais aussi « une défaillance institutionnelle et systémique ».
Voici notre traduction de la réponse du pape.
Lettre du pape François
Sainte-Marthe, 10 juin 2021
Cher frère,
Avant tout, merci pour ton courage. C’est un courage chrétien qui n’a pas peur de la croix, qui n’a pas peur de s’humilier face à la terrible réalité du péché. C’est ce qu’a fait le Seigneur (Phil 2,5-8). C’est une grâce que le Seigneur t’a donnée et je vois que tu veux l’assumer et la garder pour qu’elle donne du fruit. Merci.
Tu me dis que tu traverses un moment de crise, et pas seulement toi mais toute l’Eglise en Allemagne. Toute l’Eglise est en crise à cause des affaires des abus ; plus encore, l’Eglise aujourd’hui ne peut pas faire un pas en avant sans assumer cette crise. La politique de l’autruche ne conduit nulle part, et la crise doit être assumée aussi par notre foi pascale. Les sociologismes et les psychologismes sont inutiles. Assumer la crise, personnellement et communautairement, est l’unique chemin fécond parce qu’on ne sort pas d’une crise tout seul mais en communauté ; et en outre nous devons nous rappeler qu’on sort d’une crise meilleur ou pire, mais jamais pareil.
Tu me dis que depuis l’année dernière tu réfléchis : tu es parti à la recherche de la volonté de Dieu avec la décision de l’accepter, quelle qu’elle soit.
Je suis d’accord avec toi lorsque tu décris la triste histoire des abus sexuels et la façon dont l’Eglise l’a affrontée jusqu’à encore récemment comme une catastrophe. Se rendre compte de cette hypocrisie dans notre façon de vivre la foi est une grâce, un premier pas que nous devons faire. Nous devons assumer l’histoire, aussi bien personnellement que comme communauté. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce crime. Accepter signifie se mettre en crise.
Tout le monde ne veut pas accepter cette réalité, mais c’est le seul moyen, car prendre des “résolutions“ de changement de vie sans “mettre la viande sur le gril“ ne mène nulle part. Les réalités personnelles, sociales et historiques sont concrètes et ne doivent pas être assumées avec des idées ; car les idées se discutent (et c’est bien qu’elles le soient) mais la réalité doit toujours être assumée et discernée. Il est vrai que les situations historiques doivent être interprétées avec l’herméneutique de leur époque, mais cela ne nous dispense pas de les prendre en charge et de les assumer comme l’histoire du ‘péché qui nous assiège’. Par conséquent, selon moi, tout évêque de l’Eglise doit l’assumer et se demander : Que dois-je faire face à cette catastrophe ?
Nous avons fait le « mea culpa » face à tant d’erreurs historiques du passé plus d’une fois dans de nombreuses situations, bien que nous n’ayons pas personnellement participé à cette situation historique. Et c’est cette même attitude qui nous est demandée aujourd’hui. Il nous est demandé une réforme, qui – dans ce cas – ne consiste pas dans des paroles mais dans des attitudes qui ont le courage d’affronter la crise, d’assumer la réalité quelles que soient les conséquences. Et toute réforme commence par soi-même. La réforme dans l’Eglise a été faite par des hommes et des femmes qui n’ont pas eu peur d’entrer en crise et de se laisse réformer par le Seigneur. C’est l’unique façon, autrement nous ne serons rien d’autre que des ‘idéologues de la réforme’ qui ne risquent pas leur chair.
Le Seigneur n’a jamais accepté de faire « la réforme » (permettez-moi l’expression) ni avec le projet des Pharisiens ni des Sadducéens ni des Zélotes ni des Esséniens. Mais il l’a faite par sa vie, par son histoire, par sa chair sur la croix. C’est la façon dont toi-même, cher frère, a agi pour présenter ta renonciation.
Tu dis bien dans ta lettre qu’enterrer le passé ne mène nulle part. Le silence, les omissions, le poids du prestige des institutions, conduisent seulement à l’échec personnel et historique, et nous conduisent à vivre avec le poids « des squelettes dans les placards », comme le dit l’adage.
Il est urgent d’« exposer » cette réalité des abus et la manière dont l’Église a procédé, et de laisser l’Esprit nous conduire au désert de la désolation, à la croix et à la résurrection. C’est le chemin de l’Esprit que nous devons suivre, et son point de départ est l’humble confession : nous avons eu tort, nous avons péché. Ni les sondages ni le pouvoir des institutions ne nous sauveront. Le prestige de notre Église, qui tend à cacher ses péchés, ne nous sauvera pas ; le pouvoir de l’argent ou l’opinion des médias (desquels nous sommes souvent trop dépendants) ne nous sauveront pas. Nous nous sauverons en ouvrant la porte à Celui qui peut le faire et en confessant notre nudité : ‘j’ai péché’, ‘nous avons péché’… et en pleurant, et en balbutiant tant bien que mal ce “éloigne-toi de moi car je suis pécheur“, l’héritage que le premier pape a laissé aux papes et aux évêques de l’Église. Et nous ressentirons cette honte guérisseuse qui ouvre les portes à la compassion et à la tendresse du Seigneur qui est toujours près de nous. En tant qu’Église, nous devons demander la grâce de la honte, et que le Seigneur nous préserve d’être la prostituée éhontée d’Ézéchiel 16.
J’aime la façon dont tu termines ta lettre : « Je continuerai avec joie à être prêtre et évêque de cette Église et je continuerai à m’engager au niveau pastoral tant que vous le considérerez raisonnable et opportun. Je voudrais consacrer les années à venir de mon service de manière plus intense à la pastorale et m’engager pour un renouveau spirituel de l’Église, comme vous le demandez inlassablement. »
Et ceci est ma réponse, cher frère : continue comme tu le proposes, mais comme archevêque de Munich et Freising. Et si tu es tenté de penser que, en confirmant ta mission et en refusant ta démission, cet évêque de Rome (ton frère qui t’aime) ne te comprend pas, pense à ce que Pierre a éprouvé devant le Seigneur quand il lui a présenté sa démission à sa façon : “éloigne-toi de moi car je suis pécheur” et qu’il a entendu la réponse : “pais mes brebis”.
Avec affection fraternelle.
FRANÇOIS
© Traduction de Zenit, Anne Kurian-Montabone