Procès du petit séminaire Saint Pie X, 14 octobre 2020 © Vatican Media

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Procès au Vatican: septième audience, pour écouter la victime présumée

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Prochains témoins, le 26 mars

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C’est la victime présumée, H. G. qui était à la barre, mercredi 17 mars 2021, pour la septième audience du tribunal de la Cité du Vatican, dans le cadre du procès pour abus présumés au pré-séminaire San Pio X. Une audience présidée par Giuseppe Pignatone qui a duré plus de quatre heures (9h55-14h22), indiquent à Zenit Salvatore Cernuzio et Manuela Tulli, représentants au procès de la presse accréditée au Vatican.

Le promoteur de justice (procureur, ndlr) du tribunal de la Cité du Vatican a demandé, en septembre 2019, l’inculpation de deux prêtres italiens pour des faits qui auraient eu lieu au pré-séminaire San Pio X entre 2007 et 2012 : le p. Gabriele Martinelli – adolescent à l’époque – est accusé notamment de violence et d’abus d’autorité sur un autre jeune, « L.G. » – mineur lui aussi – dont il aurait abusé sexuellement. Et le p. Enrico Radice, alors recteur, est accusé de complicité.

Le pré-séminaire San Pio X, qui n’est pas exactement un « petit séminaire », mais un lieu de discernement des vocations d’adolescents ou de jeunes, voulu en 1956 par Pie XII, et il a été confiée au diocèse de Côme, dans le Nord de l’Italie, à quelque 700 km de Rome, plus exactement à « l’Opera Don Folci » de ce diocèse (« Oeuvre Don Folci »). L’avocat de H. G. a demandé que le diocèse de Côme aussi soit traduit en justice, en tant que responsable de « l’Oeuvre Don Folci » qui aurait dû veiller sur le pré-séminaire du Vatican.

Témoignage de H. G.

Au cours de cette nouvelle audience, L. G. a rapporté les agressions sexuelles qu’il déclare avoir subies de la part de celui qui était alors aussi un « pré-séminariste », de un an environ son aîné,  Gabriele Martinelli, et ceci dès son entrée dans cette institution, à l’âge de 13 ans, et pendant six ans, « 2-3 fois par semaine », dans sa chambre ou dans d’autres lieux du Palazzo San Carlo.

Première agression dans sa chambre, « une nuit fin 2006 et début 2007 »: « C’était un choc, je me sentais paralysé. Pour moi, c’était une chose très étrange, j’étais jeune et je n’étais jamais entré dans le monde de la sexualité. Je me sentais confus ». Il décrit ensuite un harcèlement.

On lui pose la question: « réagir » ou « crier »? L. G. répond avoir essayé de faire du bruit en « claquant les tiroirs de la table de chevet » ou en frappant au mur. Alors, « Martinelli s’en allait », explique-t-il, mais il revenait. Et personne ne venait demander ce qui se passait. Il évoque une sidération que décrivent des victimes d’abus:  « J’ai ressenti un détachement entre l’âme et le corps qui était là en tant qu’objet. »

L. G. se dit en même temps avoir été terrifié à l’idée qu’on les surprenne: « Moi aussi, j’aurais été désigné comme homosexuel. Je pensais à ce qu’ils auraient pu dire à mes parents, à mon curé. »

Mais l’avocate de Martinelli, Rita Claudia Baffioni, entrevoit des « lacunes » dans les déclarations faites par la victime présumée au Promoteur de la justice en 2018 et celles du procès. Elle évoque la possibilité de relations « consenties » et d’une relation « stable » de 2006 à 2012.

L. G. cite Kamil Jarzembowski, jeune Polonais, ancien du San Pio X, dont les révélations à la télévision italienne ont déclenché le scandale. Renvoyé de l’institut, ce dernier comparaîtra comme témoin des agressions présumées de Martinelli. Il a entretenu des contacts avec L. G. après avoir quitté le pré-séminaire et, en 2012, il a insisté pour que celui-ci signe avec lui un rapport. Mais L.G. raconte qu’il a refusé: « Pour moi tout était passé aux oubliettes. » Puis, dans le restaurant de Rome où il travaillait, il voit débarquer la troupe de l’émission télévisée « les Hyènes » (Le Iene). Il accepte une interview, qui déchaîne d’autres demandes de journalistes. Il se sent happé, il a recours à un avocat.

Les éducateurs en question

Finalement, il porte plainte en 2018. Un rapport a été rédigé par une psychologue qui a accompagné le jeune homme dans ces années d’après le pré-séminaire: problèmes relationnels, troubles du sommeil, symptômes de stress. Or, incohérence, ce rapport parle d’un « adulte violent », alors que Martinelli n’a qu’un an d’écart avec la victime présumée.

Il est aussi question, dans la première plainte, de la suprématie de Martinelli qui allait et venait à Saint-Pierre ou à la Chapelle Sixtine, était en charge de la sacristie et parlait avec le maître de cérémonie pontifical. C’est en vertu de ce pouvoir, expliquait L.G. alors, qu’il a pu commettre des abus: « Il menaçait de représailles, même de nous renvoyer du pré-séminaire ». Or L.G. affirme maintenant n’avoir aucun souvenir de menaces réelles reçues par Martinelli ou de garçons expulsés à cause de lui.

Originaire d’un village de montagne près de Sondrio, mais marginalisé en tant que fils de divorcés, L. G. avoue qu’étudier à cet institut du Vatican représentait pour lui une « rédemption sociale », et donc sa grande peur c’était d’être renvoyé chez lui: il s’est ainsi « résigné » à la violence de Martinelli. On touche peut-être pour la première fois dans ce procès la question du rapport à la famille, qui a en premier la charge de l’éducation des enfants.

Et puis la question du rapport aux adultes responsables du San Pio X auxquels les parents ont confié leurs enfants. En 2009, il a trouvé la force d’avouer au recteur Radice un « sentiment de malaise » général, mais sans être explicite: « Je ne lui ai jamais dit que j’étais victime d’agressions sexuelles. » Il dit avoir minimisé en disant: « Martinelli me dérange. » Mais la réponse du recteur l’a, confie-t-il,  « choqué ». Il lui aurait répondu: « Tu es envieux, arrête! »

Lettres et vocation perdues

En juillet 2013, après des années de ce qu’il qualifie de « résignation », L. G. écrit une lettre à l’évêque de Côme, alors Mgr Diego Coletti.

Rappelons que l’évêque émérite, Mgr Diego Attilio Coletti a présenté un certificat médical pour « des problèmes de troubles cognitifs et un diabète élevé », et il ne viendra pas témoigner. C’est son successeur à Côme, Mgr Oscar Cantoni, qui a été entendu comme témoin lors de la sixième audience. Il a défendu la réputation de son prêtre, aujourd’hui don Martinelli.

H. G. a donc écrit une lettre, à la demande de Mgr Coletti, après un entretien qui a eu lieu au siège de la Conférence épiscopale italienne, à Rome. H. G. dit avoir alors expliqué qu’il « ne voulait pas faire de problèmes » mais qu’il avait besoin d’argent pour une psychothérapie. « Tu dis cela, mais j’ai besoin de quelque chose d’écrit et de signé pour continuer », aurait répondu alors Mgr Coletti, qui lui aurait aussi conseillé de « s’éloigner de l’Église » et de « vivre sa vie ». C’est à la suite de cet entretien que L. G. a décidé d’écrire sa lettre de 2013, avec l’aide d’un prêtre, don Daniele Pinton, alors son père spirituel. Il y évoquait, dit-il, la violence psychologique subie la première année et la « violence physique » à partir de la deuxième. Mais Mgr Coletti a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments concrets pour entreprendre une action en justice.

Quant à une lettre écrite par L. G. en 2017 au pape François, elle n’a pas reçu de réponse et pour cause. Alessandro Flamini Ottaviani, élève du pré-séminaire pendant un an, a un jour téléphoné à L. G. pour lui dire qu’il avait écrit une lettre au pape François « pour raconter ce qui se passait au pré-séminaire » et qu’il l’avait remise à l’occasion d’une audience générale. « Flamini m’a dit, rapporte encore H. G.: le pape veut aussi une lettre de toi ». « Je l’ai écrite le soir même, à la main, chez lui. Alessandro – qui a dit qu’il rencontrait souvent le pape – aurait dû la lui remettre. Mais Alessandro était un ami de Mgr Lanzani et comme Lanzani était mentionné dans ma lettre, il a décidé de la jeter. »

En fin de compte, H. G. n’a pas  voulu continuer son chemin sacerdotal: « J’éprouvais du dégoût à l’idée d’entrer dans un autre séminaire. »

Le président Pignatone veut faire avancer les audiences pour entendre les nombreux acteurs impliqués: il faudra du temps. Prochaine audience fixée au 26 mars (et non pas en avril) pour interroger Mgr Vittorio Lanzani, à l’époque bras droit du cardinal Angelo Comastri pour la basilique Saint-Pierre, et l’ancien pré-séminariste, Kamil Jarzembowski, à l’origine des premières révélations.

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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