P. Ephrem Azar, dominicain irakien © Zenit / AKM

P. Ephrem Azar, dominicain irakien © Zenit / AKM

« La joie est possible en Irak », entretien avec le p. Ephrem Azar

Le pape a relié le pays du nord au sud

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« La joie est possible en Irak », affirme le dominicain irakien Ephrem Azar, au lendemain du voyage du pape François dans le pays. Dans un entretien à Zenit, il appuie sur la nécessité de l’éducation des jeunes, pour leur ouverture à l’autre et pour leur enracinement dans une culture « qui a pu être rayonnante pour le monde entier ».

Le p. Ephrem Azar évoque sa « grande émotion » lors de sa rencontre avec le pape dans l’église de Qaraqosh : « Je l’ai salué longuement, en le regardant en face, en lui serrant la main très fortement… Il y avait du monde qui s’attroupait autour de lui, c’était indiscret de lui dire quelque chose qui me tenait à coeur, mais j’aurais bien aimé lui dire : voyez cette cathédrale, on vient de la restaurer, et maintenant c’est l’être humain qu’il faut aussi restaurer. »

Les chrétiens sont des passeurs

Le dominicain retient de la visite papale « trois axes importants » : tout d’abord, « la joie est possible en Irak ». « Les médias, fait-il observer, étaient habitués depuis des décennies au visage de la guerre, de la violence ». Or durant ces journées c’est la joie qui a triomphé, et pas seulement chez les chrétiens : « Les musulmans aussi étaient heureux d’accueillir un pape chez eux. »

« Les Irakiens, poursuit-il, ont vu les images d’un homme bon, d’un homme de paix qui va semer la paix… La chaleur de cet homme, sa bonté, son humanité, ont joué un rôle fondamental dans ce voyage. »

Pour le religieux qui a participé à la prière interreligieuse à Ur en Chaldée (6 mars), le pape a une mission essentielle dans un pays où de nombreuses villes ont été vidées des chrétiens : « Voir parmi eux un responsable chrétien, c’est faire ressurgir la présence chrétienne dans la mémoire des Irakiens. »

Les chrétiens, ajoute-t-il, « sont les fondateurs de ce pays, bien avant l’islam », ils sont « des passeurs, qui ont joué un rôle fondamental dans la culture arabo-musulmane », ils ont « toujours agi comme un ferment » au Proche-Orient. Et ils « ont des droits comme tous les autres, ils ne sont pas des gens de seconde classe », affirme le p. Ephrem Azar qui déplore les articles « nettement contraires aux minorités » dans la constitution irakienne actuelle et certains programmes scolaires à l’école primaire. Il est notamment illégal pour un homme chrétien d’épouser une femme musulmane sans se convertir à l’islam. Les conversions ne sont pas interdites mais dans les faits un converti peut être poursuivi pour blasphème, ou tué par des militants djihadistes.

Dans les ruines, l’espoir de la restauration

Le deuxième axe de ce voyage, c’est la reconstruction par le dialogue, que le p. Ephrem Azar voit dans deux moments : la visite chez le grand ayatollah Al-Sistani à Nadjaf, haut lieu du chiisme irakien, et la prière pour les victimes des guerres à Mossoul.

« C’est là, s’enthousiasme le dominicain, dans les ruines, à 300 m de là où Abou Bakr al-Baghdadi avait proclamé l’Etat islamique (5 juillet 2014, dans la mosquée Al-Nouri, ndlr) que le pape a souligné la possibilité de la restauration, du dialogue, pas dans la violence mais dans le respect des autres… Comme Jonas à Ninive, le pape a voulu venir leur dire : je suis là, je suis parmi vous. »

Enfin le troisième axe du voyage est spirituel, il invite à « un chemin » de fraternité, d’ouverture. Aujourd’hui, estime le religieux, « c’est aux dirigeants irakiens de décider : soit ils choisissent la voie de la fraternité et de l’ouverture, soit ils gardent les choses telles quelles, sur la voie de l’anarchie, de la violence et de la corruption ».

Est-ce qu’après cela les chrétiens qui ont quitté l’Irak vont pouvoir revenir ? « Cela reste une question », répond le p. Ephrem Azar, qui est témoin de la « dépression » des exilés, sans racines, en Occident. « J’ai appris que cinq familles étaient rentrées à Qaraqosh. Ce sera peut-être des retours de reconstruction, non pas pour y rester indéfiniment, mais par sens de l’appartenance. L’élément chrétien est indispensable pour l’Irak. Les chrétiens comme les autres minorités ethniques et religieuses sont là pour dire aux musulmans que c’est en reconnaissant l’autre différent dans ses richesses culturelles et religieuse que nous pourrons construire le pays. »

Le pape a relié le pays du nord au sud

Au fil de ce déplacement, « le pape François a relié l’Irak dans son entier, du sud au nord, depuis Ur et la culture summérienne, babylonienne, en passant par Ninive et la culture assyrienne, sunnites et chiites, arabes et kurdes…. c’est l’Irak que j’ai toujours connue », confie le dominicain né à Mossoul.

Fondateur de l’association « Entre Deux Rives, la passerelle France-Orient », il s’inquiète surtout pour les jeunes, qui vivent des choses « dramatiques ». En visitant des écoles restaurées par son association – où les élèves sont à majorité musulmane – dans la plaine de Qaraqosh, il recommande l’éducation : « J’ai cité au directeur un verset du Coran où Dieu demande au prophète Mohammed de lire. “Lis au nom de ton Dieu qui a appris à l’homme ce qu’il connaît pas”. Pour faire sortir les enfants de l’ignorance de l’obscurantisme, il faut leur apprendre à lire, les éduquer pour s’ouvrir aux autres. Sinon Daesh est de retour. »

« Si vous éduquez vos enfants, vous gagnez ; si vous ne transmettez rien, le pays sera détruit, la culture va mourir », prévient le p. Ehprem Azar, s’attristant du chômage qui touche plus de 40% des jeunes, dont ses propres neveux et nièces qui « terminent l’université sans avenir ». Alors même « qu’en Irak, il y a tellement de richesse humaine, culturelle, sociale, il y a un potentiel inimaginable ».

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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