Qu’a éprouvé le pape à Qaraqosh ? C’est la septième question, posée par Sylwia Wysocka, de l’agence de presse polonaise PAP – Polska Agencja Prasowa, lors de la conférence de presse sur le vol papal Bagdad-Rome, ce 8 mars 2021.
Le pape a surtout était touché par le témoignage de pardon d’une mère dont le fils a été tué dans un bombardement de Daech. « Pardonner à ses ennemis », a-t-il souligné, « c’est l’Evangile pur ». Au contact des personnes, il s’est senti « revivre » : « Revivre », parce que c’était « toucher l’Eglise, toucher le saint peuple de Dieu, toucher tous les peuples », a-t-il expliqué.
Développant ce thème qui lui est cher, il a rappelé « cette appartenance » des prêtres « au saint peuple de Dieu » : « le contact avec le peuple nous sauve, nous aide, nous donnons au peuple l’Eucharistie, la prédication, notre fonction. Mais eux, ils nous donnent l’appartenance ».
Voici notre traduction de la question de Sylwia Wysocka et de la réponse du pape François.
Sylwia Wysocka – Sainteté, en ces 12 mois très difficiles, votre activité aussi a été très limitée. Hier, vous avez eu le premier contact direct très proche avec les gens à Qaraqosh : qu’avez-vous éprouvé ? Ma première question. Et puis la seconde : à votre avis, maintenant, avec tout le régime sanitaire, pourra-t-on reprendre les audiences générales avec les gens, avec des fidèles, comme avant ?
Je me sens différent quand je suis loin des personnes aux audiences. Je voudrais reprendre les audiences générales dès que possible. Espérons que les conditions seront réunies, sur cela je suis les normes des autorités. Ce sont eux les responsables et ils ont la grâce de Dieu pour nous aider en cela. Ce sont les responsables qui donnent les normes. Que cela nous plaise ou non, les responsables, ce sont eux et c’est ce qu’ils doivent faire. Maintenant j’ai recommencé l’Angelus sur la place, c’est faisable avec les distances. Il y a une proposition de petites audiences générales, mais je n’ai rien décidé tant que l’évolution de la situation n’est pas claire. Mais après ces mois de prison, parce que je me sentais vraiment un peu emprisonné, c’est comme revivre, pour moi. Revivre, parce que c’est toucher l’Eglise, toucher le saint peuple de Dieu, toucher tous les peuples. Un prêtre devient prêtre pour servir, au service du peuple de Dieu, pas par carriérisme, pas pour l’argent. Ce matin, à la messe, il y avait la [lecture] de la guérison de Naaman le Syrien, et on raconte que ce Naaman voulait offrir des dons après sa guérison, mais le prophète Elisée refusa. La Bible poursuit : et ensuite, l’assistant du prophète Elisée, après qu’ils étaient partis, installa bien le prophète et se mit à suivre Naaman, lui demandant des dons. Et Dieu dit : « La lèpre qu’avait Naaman sera désormais avec toi » (cf. 2 Rois 5,1-27). J’ai peur que nous, hommes et femmes d’Eglise, surtout nous les prêtres, nous n’ayons pas cette proximité gratuite vis-à-vis du peuple de Dieu, qui est ce qui nous sauve, et que nous fassions comme le serviteur de Naaman : aider, oui, mais ensuite, faire marche arrière… J’ai peur de cette lèpre. Et le seul qui nous sauve de la lèpre de la cupidité, de l’orgueil, c’est le saint peuple de Dieu. Ce que Dieu dit à David : « Je t’ai pris du troupeau, n’oublie pas le troupeau ». Ce que Paul dit à Timothée : « Souviens-toi de ta maman et de ta grand-mère qui t’ont ‘allaité’ de leur foi ». Cela signifie ne pas perdre son appartenance au peuple de Dieu et devenir une caste privilégiée de consacrés, de clercs, n’importe quoi. C’est pourquoi le contact avec le peuple nous sauve, nous aide, nous donnons au peuple l’Eucharistie, la prédication, notre fonction. Mais eux, ils nous donnent l’appartenance. N’oublions pas cette appartenance au saint peuple de Dieu.
Vous avez commencé comme ceci : qu’est-ce que j’ai rencontré en Irak, à Qaraqosh… Je n’imaginais pas les ruines de Mossoul, de Qaraqosh, je n’imaginais vraiment pas… Oui, j’avais vu les choses, j’avais lu le livre, mais cela frappe, c’est poignant. Et puis, ce qui m’a le plus touché, c’est le témoignage d’une maman à Qaraqosh. Un prêtre qui connaît vraiment la pauvreté, le service, la pénitence, a donné un témoignage ; et une femme qui a perdu son fils dans les premiers bombardements de Daech. Elle a prononcé un mot : pardon. J’ai été ému. Une maman [qui dit] : je pardonne et je demande pardon pour eux. Et il m’est revenu en mémoire mon voyage en Colombie, cette rencontre à Villavicencio, où tant de personnes, surtout des femmes, des mères et des épouses, disaient leur expérience de l’assassinat de leurs enfants et de leur mari et elles disaient : « Pardon, je pardonne ». Mais ce mot, nous l’avons un peu perdu, nous savons facilement insulter, nous savons facilement condamner, moi le premier, cela, nous savons bien le faire. Mais pardonner ! Pardonner à ses ennemis : c’est l’Evangile pur. C’est ce qui m’a le plus frappé à Qaraqosh.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat