« Dieu Tout-Puissant, notre Créateur qui aime la famille humaine »: c’est ainsi que commence la « Prière d’Abraham » lue en arabe au terme de la rencontre des religions à Ur par le dominicain irakien Fr Amir Jajé.
La rencontre interreligieuse de Ur, en Irak, sur les pas d’Abraham, tant désirée par Jean-Paul II pour l’An 2 000, a en effet eu lieu ce samedi 6 mars 2021, en présence du pape François et de représentants de différentes traditions religieuses.
Le texte de la prière dans une traduction officielle du Vatican se trouve ici.
Les traditions religieuses représentées ou non à Ur
Rappelons que 97 % des Irakiens sont musulmans : environ 60 % sont chiites, 37 % sont sunnites et environ 3 % font partie de minorités (yézidis, kakaïs, alévis, mandéens, chrétiens). Les estimations du nombre de chrétiens varient entre 1 et 2,5 %. Mais cette prière des enfants d’Abraham dépasse les frontières de l’Irak.
Le Vatican souligne, ce 6 mars, que des représentants du judaïsme ont été invités à la rencontre de Ur, et qu’ils n’ont pas pu venir, sans autre précision. La communauté juive est présente mais très restreinte en Irak: quelques personnes à Bagdad, et pas de chef religieux.
Le directeur de L’Oeuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch a tenu à souligner dans point presse en ligne, vendredi 5 mars, que la pensée de la communauté juive était « dans tous les coeurs » quand il s’agit d’Abraham.
Avec Jean-Paul II, et ensuite Benoît XVI, on s’est presque habitués à voir côte à côte autour des papes les différentes confessions chrétiennes, des bouddhistes, des shintoïstes, des rabbins et des imams. Mais c’était à Rome ou à Assise pi dans quelque pays où le dialogue a fait de grands pas. Et voilà que le réalisme historique se rappelle au souvenir de qui rêvait de voir aussi des rabbins à Ur. Avoir des amis juifs – c’est le cas du pape venu à Jérusalem, au Mur des Lamentations, le 26 mai 2014, avec ses amis argentins, le rabbin Abraham (justement!) Skorka et l’imam, Omar Abboud – avoir des amis juifs donc, c’est une chose, les faire venir en Irak, étant donné la situation géopolitique de la région, ce n’est pas possible pour le moment: il semblerait que ce soit une question de réalisme politique. On peut faire remarquer qu’il n’y avait pas non plus de représentants d’autres confessions chrétiennes. Des pierres d’attente.
En tous cas le pape a mentionné la communauté juive dans son discours à Ur: « Et aujourd’hui, nous, juifs, chrétiens et musulmans, avec nos frères et sœurs d’autres religions, nous honorons notre père Abraham en faisant comme lui : nous regardons le ciel et nous marchons sur la terre. »
Or un tel rêve non encore réalisé pourrait bien cependant empêcher de se réjouir du « miracle » qui s’est accompli sous les yeux du monde, à Ur. Les images, les témoignages, la prière, le discours du pape sont à relire dans la perspective de ce « miracle » de la rencontre à Ur et non pas à l’aune de nos déceptions, de l’incomplétude. Ur n’est pas un accomplissement, un aboutissement, mais un point de départ. Prendre en compte l’identité des participants est important, et en même temps la réalité de l’histoire très très récente, martyrisée, de ce pays et de la plaine de Ninive notamment. Sans compter qu’avoir réussi à garantir la sécurité du pape et de tous les participants est à inscrire au Guinness.
Avec les nouvelles inclusions des chiites et d’autres traditions dans le dialogue interreligieux auquel Jean-Paul II et Benoît XVI on chacun donné un coup d’accélérateur, le pape François, qui recommande l’inclusion sur tous les plans, a réussi à donner un tournant décisif à ce dialogue, comme il a réussi à nouer un dialogue sur la fraternité avec des autorités sunnites qui auparavant avaient rompu les relations diplomatiques avec le Saint-Siège. L’école du dialogue selon Bergoglio, en vérité., s’accompagne d’une grande capacité d’écoute et de marcher ensemble vers une espérance.
Ur, 6 mars 2021, capture @ Vatican Media
Les participants de la rencontre
Participaient en effet à la rencontre, pour les yézidis – ancienne religion de la Perse -, le Cheikh Farouk, l’un des chefs spirituels de la plaine de Ninive; un représentant de la communauté kakaï de Kirkouk (adeptes du Yarsanisme, dans le Kurdistan, XIVe s.), Rajab Kakaeo; un représentant des quatre marja irakiens (Al-Sistani est l’un des marja mais il s’est fait représenter, son grand âge ne lui permettant pas le déplacement) ; une représentante du bahaïsme (abrahamique et monothéiste, XIXe s.) et deux représentants zoroastriens (IIe millénaire av. J.-C.) de la région de Suleymania.
Pour les sabéens mandéens (descendants de disciples de saint Jean-Baptiste), le Cheikh Sattar: une femme sabéenne a donné auparavant son témoignage.
Pour l’islam: Sayed Bahr El Ulum, sommité du monde chiite; Sayed Jawouad Khoei, directeur de l’Institut Al-Khoei, proche de l’ayatollah chiite Al-Sistani et qui voit dans le pape François « un symbole de paix pour le monde « ; le chantre qui a chanté une sourate en arabe (un « hafez-el-Coran »). Et le prof. Ali Thajeel – cheville ouvrière du renouveau des pèlerinages à Ur, avec l’évêque de Bassorah et le patriarche Sako – et qui a témoigné lui aussi avant le discours du pape et la prière.
Des témoignages
Après un chant initial, puis le chant d’un passage du livre de la Genèse, par un prêtre, et d’une sourate du Coran, deux jeunes, – amis, qui étudient et travaillent ensemble -, l’un musulman, Hassan, l’autre chrétien, Daoud, ont lu leur témoignage suivi des témoignages d’une femme de religion sabaéenne mandéenne, Mme Rafah – qui a cité l’exemple héroïque de Najy, de sa communauté, qui a perdu la vie en essayant de sauver la famille de son voisin musulman – et d’un homme de religion musulmane, le prof. Thajeel cité par le pape.
Le pape François a en effet prononcé ensuite un discours « historique » pour tous les « enfants d’Abraham » et la sortie des guerres. Ensuite, ce fut la « Prière des enfants d’Abraham » et le chant final, très rythmé, par la chorale des jeunes du diocèse de Bassorah.
Mercis et demandes
La prière, faite de remerciements et de supplications, commence ainsi: « Dieu Tout-Puissant, notre Créateur qui aime la famille humaine et tout ce que tes mains ont accompli, nous, fils et filles d’Abraham appartenant au judaïsme, au christianisme et à l’islam, avec les autres croyants et toutes les personnes de bonne volonté, nous te remercions de nous avoir donné comme père commun dans la foi Abraham, fils éminent de cette noble et bien-aimée terre. »
Les « mercis » sont exprimés, pour l’exemple d’Abraham, son « courage » et son « hospitalité », sa « foi héroïque », sa « confiance » en Dieu, « miséricordieux »: il est une « bénédiction pour tous les peuples ».
La prière demande « une foi forte, active à faire le bien » et « une espérance irrépressible ». Elle intercède pour « les réfugiés et les déplacés, les veuves et les orphelins, les pauvres et les malades, pour « la réconciliation » et « une société plus juste et plus fraternelle », et pour « les défunts, en particulier les victimes de la violence et des guerres ».
Elle prie pour « les autorités civiles » afin quelles « cherchent et retrouvent les personnes enlevées, et à protègent de façon particulière les femmes et les enfants ».
Elle prie pour le « soin de la planète, maison commune que Dieu a « donnée à tous », et pour « la reconstruction de ce pays », et « la force nécessaire pour aider ceux qui ont dû laisser leurs maisons et leurs terres à rentrer en sécurité et avec dignité, et à entreprendre une vie nouvelle, sereine et prospère ».
Le pape François et les chefs religieux ont ensuite posé ensemble pour la photo marquant l’événement. Puis le pape est reparti en voiture – une Mercedes blindée – à l’aéroport de Nassiriya (5,4 km).
Là, le pape a pris congé de l’archevêque de Bassorah des Chaldéens, Mgr Habib Hermiz Jajou Al Nawfali, qui a présenté les différents intervenants de la rencontre d’Ur, de l’exarque patriarcal de Bassorah et du Golfe, Mgr Firas Drdr, avant de rentrer à Bagdad à bord d’un avion d’Iraki Airways (350 km). A son arrivée, vers 13 h 20 (11 h 20 à Rome), le pape s’est rendu en voiture à la nonciature apostolique.
Le prochain rendez-vous étant à 16h (18h à Bagdad) pour la messe, en rite catholique chaldéen – autre « première » pour un pape -, en la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph.
« Ouvre nos cœurs au pardon réciproque et fais de nous des instruments de réconciliation, des bâtisseurs d’une société plus juste et plus fraternelle », demande notamment cette prière des enfants d’Abraham.