« Nous ne devons pas avoir peur de parler le langage des femmes et des hommes d’aujourd’hui… Nous ne devons pas avoir peur d’en écouter les questions, quelles qu’elles soient, les questions irrésolues, d’écouter les fragilités, les incertitudes », a encouragé le pape François en recevant l’Office national italien de la catéchèse, ce 30 janvier 2021, au Vatican.
La catéchèse, a-t-il expliqué dans son long discours, est « une aventure extraordinaire : comme “avant-garde de l’Eglise” elle a la mission de lire les signes des temps et d’accueillir les défis présents et futurs ». Elle doit être « continuellement à l’écoute du coeur de l’homme, toujours avec l’oreille tendue, toujours attentive à se renouveler ».
Le pape a souhaité des « communautés missionnaires, libres et désintéressées » : « C’est le moment de communautés qui regardent dans les yeux les jeunes déçus, qui accueillent les étrangers et qui donnent espérance aux découragés. C’est le moment de communautés qui dialoguent sans peur avec celui qui a des idées différentes. C’est le moment de communautés qui, comme le Bon Samaritain, sachent se faire proches de celui qui est blessé par la vie, pour en panser les plaies avec compassion. » Et d’insister : « N’oubliez pas ce mot : compassion. »
La foi, a-t-il aussi souligné, « doit être transmise “en dialecte” », le dialecte « de l’intimité… cette langue qui vient du coeur… qui est la plus familière, la plus proche de tous ».
Le pape a aussi demandé de ne pas négocier le Concile Vatican II, en mettant en garde : « L’attitude la plus sévère, pour protéger la foi sans le magistère de l’Eglise, te conduit à la ruine. S’il vous plaît, aucune concession à ceux qui cherchent à présenter une catéchèse qui ne soit pas conforme au magistère de l’Eglise. »
Voici notre traduction de son discours.
Discours du pape François
Chers frères et soeurs,
Je vous souhaite la bienvenue et je remercie le cardinal Bassetti pour ses aimables paroles. Je salue le secrétaire général, Mgr Russo, et vous tous, qui soutenez l’engagement de l’Eglise italienne dans le domaine de la catéchèse. Je suis heureux de commémorer avec vous le 60e anniversaire de la naissance
de l’Office national de la catéchèse (Ufficio Catechistico Nazionale). Institué encore avant la configuration de la Conférence épiscopale, il a été un instrument indispensable pour le renouveau catéchétique après le Concile Vatican II. Cette fête est une occasion précieuse de faire mémoire, de rendre grâce pour les dons reçus et de renouveler l’esprit de l’annonce. A cet effet, je voudrais partager trois points qui je l’espère peuvent vous aider dans le travail des prochaines années.
Le premier : catéchèse et kérygme. La catéchèse est l’écho de la Parole de Dieu. Dans la transmission de la foi, l’Ecriture – comme le rappelle le Document de Base – est « le Livre ; pas un essai, fut-il le premier » (CEI, Le renouveau de la catéchèse, n. 107). La catéchèse est la vague de la Parole de Dieu pour transmettre la joie de l’Evangile dans la vie. Grâce au récit de la catéchèse, l’Ecriture Sainte devient “l’environnement” où l’on se sent faire partie de l’histoire du salut, en rencontrant les premiers témoins de la foi. La catéchèse, c’est prendre par la main et accompagner dans cette histoire. Elle suscite un chemin, où chacun trouve son rythme, parce que la vie chrétienne n’aplatit pas, ni n’homologue, mais valorise l’unicité de chaque enfant de Dieu. La catéchèse est aussi un parcours mystagogique, qui avance en constant dialogue avec la liturgie, domaine où resplendissent les symboles qui, sans s’imposer, parlent à la vie et la marquent de l’empreinte de la grâce.
Le coeur du mystère est le kérygme, et le kérygme est une personne : Jésus-Christ. La catéchèse est un espace privilégié pour favoriser la rencontre personnelle avec Lui. C’est pourquoi elle doit être tressée de relations personnelles. Il n’y a pas de vraie catéchèse sans le témoignage d’hommes et de femmes en chair et en os. Qui parmi nous ne se souvient pas d’au moins une de ses catéchèses ? Je m’en souviens : je me souviens de la soeur qui m’a préparé à la première Communion et qui m’a fait tant de bien. Les premiers protagonistes de la catéchèse ce sont eux, les messagers de l’Evangile, souvent laïcs, qui se mettent en jeu avec générosité pour partager la beauté d’avoir rencontré Jésus. « Qui est le catéchiste ? C’est celui qui garde et qui alimente la mémoire de Dieu ; il la garde en lui – il est un “mémorial” de l’histoire du salut – et il sait la réveiller dans les autres. C’est un chrétien qui met cette mémoire au service de l’annonce ; non pas pour se montrer, ni pour parler de soi, mais pour parler de Dieu, de son amour, de sa fidélité » (Homélie pour la journée des catéchistes dans l’Année de la Foi, 29 septembre 2013).
Pour faire ceci, il est bon de rappeler « certaines caractéristiques de l’annonce qui aujourd’hui sont nécessaires en tout lieu : qu’elle exprime l’amour salvifique de Dieu préalable à l’obligation morale et religieuse, qu’elle n’impose pas la vérité et qu’elle fasse appel à la liberté, qu’elle possède certaines notes de joie, d’encouragement, de vitalité, et une harmonieuse synthèse qui ne réduise pas la prédication à quelques doctrines parfois plus philosophiques qu’évangéliques. Cela exige de l’évangélisateur des dispositions qui aident à mieux accueillir l’annonce : proximité, ouverture au dialogue, patience, accueil cordial qui ne condamne pas » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, 165). Jésus avait ceci. C’est toute la géographie de l’humanité que le kerygme, boussole infaillible de la foi, aide à explorer.
Et sur ce point – le catéchiste –, je reprends quelque chose qui doit être dit aussi aux parents, aux grands-parents : la foi doit être transmise “en dialecte”. Un catéchiste qui ne sait pas expliquer dans le “dialecte” des jeunes, des enfants… Mais par le mot dialecte je ne me réfère pas au dialecte linguistique, dont l’Italie est si riche, non, au dialecte de la proximité, au dialecte qui puisse comprendre, au dialecte de l’intimité. Ce passage des Maccabées, des sept frères, me touche beaucoup (2 Mach 7). Il est dit deux ou trois fois que leur mère les soutenait en leur parlant en dialecte [“dans la langue de leurs pères”]. C’est important : la vraie foi doit être transmise en dialecte. Les catéchistes doivent apprendre à la transmettre en dialecte, c’est-à-dire avec cette langue qui vient du coeur, qui est née, qui est la plus familière, la plus proche de tous. Sans dialecte, la foi n’est pas transmise totalement et de la bonne façon.
Le deuxième point : catéchèse et futur. L’année dernière marquait le 50e anniversaire du document Le renouveau de la catéchèse, par lequel la Conférence épiscopale italienne transposait les indications du Concile. A ce propos, je fais miennes les paroles de saint Paul VI, adressées à la première Assemblée générale de la CEI après le Concile Vatican II: « Nous devons regarder le Concile avec reconnaissance envers Dieu et avec confiance pour l’avenir de l’Eglise ; ce sera le grand catéchisme des temps nouveaux » (23 juin 1966). Et en revenant sur ce thème, à l’occasion du premier Congrès catéchétique international, il ajoutait : « C’est la mission de la catéchèse qui renaît incessamment et qui se renouvelle incessamment, de comprendre ces problèmes qui montent du coeur de l’homme, pour les ramener à leur source cachée : le don de l’amour qui crée et qui sauve » (25 septembre 1971). Par conséquent, la catéchèse inspirée du Concile est continuellement à l’écoute du coeur de l’homme, toujours avec l’oreille tendue, toujours attentive à se renouveler.
C’est le magistère : le Concile est le magistère de l’Eglise. Sois tu restes avec l’Eglise et donc tu suis le Concile, et si tu ne suis pas le Concile ou si tu l’interprètes à ta façon, comme tu veux, tu ne restes pas avec l’Eglise. Nous devons être exigeants sur ce point, sévères. Le Concile ne doit pas être négocié, pour avoir plus de ceci… Non, le Concile est ainsi. Et le problème de sélectionner (des parties) du Concile s’est répété tout au long de l’histoire avec d’autres Conciles. Cela me fait beaucoup penser à un groupe d’évêques, un groupe de laïcs, des groupes, qui, après le Concile Vatican I, sont partis pour continuer la “vraie doctrine” qui n’était pas celle du Concile Vatican I: “Nous sommes les vrais catholiques”. Aujourd’hui ils ordonnent des femmes. L’attitude la plus sévère, pour protéger la foi sans le magistère de l’Eglise, te conduit à la ruine. S’il vous plaît, aucune concession à ceux qui cherchent à présenter une catéchèse qui ne soit pas conforme au magistère de l’Eglise.
Tout comme dans l’après-Concile l’Eglise italienne a été prête et capable d’accueillir les signes et la sensibilité des temps, elle est encore aujourd’hui appelée à offrir une catéchèse renouvelée, qui inspire tous les domaines de la pastorale: charité, liturgie, famille, culture, vie sociale, économie… Que de la racine de la Parole de Dieu, à travers le tronc de la sagesse pastorale, fleurissent des approches fructueuses dans les divers aspects de la vie. La catéchèse est ainsi une aventure extraordinaire : comme “avant-garde de l’Eglise” elle a la mission de lire les signes des temps et d’accueillir les défis présents et futurs. Nous ne devons pas avoir peur de parler le langage des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Mais nous devons avoir peur de parler le langage de ce qui est hors de l’Eglise. Nous ne devons pas avoir peur de parler le langage des gens. Nous ne devons pas avoir peur d’en écouter les questions, quelles qu’elles soient, les questions irrésolues, d’écouter les fragilités, les incertitudes : de cela, n’ayons pas peur. Nous ne devons pas avoir peur d’élaborer des instruments nouveaux : dans les années 70, le Catéchisme de l’Eglise italienne fut original et apprécié ; les temps actuels aussi demandent intelligence et courage pour élaborer des instruments mis à jour, qui transmettent à l’homme d’aujourd’hui la richesse et la joie du kerygme, et la richesse et la joie de l’appartenance à l’Eglise.
Troisième point : catéchèse et communauté. En cette année marquée par l’isolement et par le sentiment de solitude causés par la pandémie, on a constamment réfléchi sur le sens d’appartenance qui est à la base d’une communauté. Le virus a creusé dans le tissu vivant de nos territoires, surtout existentiels, en alimentant des peurs, des suspicions, la méfiance et l’incertitude. Il a mis en échec des pratiques et des habitudes consolidées et nous pousse à repenser notre façon d’être en communauté. Nous avons compris, en effet, que nous ne pouvons pas agir seuls et que la seule façon de sortir des crises est d’en sortir ensemble – personne ne se sauve seul, s’en sortir ensemble –, en retrouvant avec plus de conviction la comunauté dans laquelle nous vivons. Parce que la communauté n’est pas une agglomération d’individus, mais la famille dans laquelle s’intégrer, le lieu où prendre soin les uns des autres, les jeunes des personnes âgées et les personnes âgées des jeunes, nous aujourd’hui de ceux qui viendront demain. C’est seulement en retrouvant le sens de la communauté que chacun pourra trouver en plénitude sa dignité.
La catéchèse et l’annonce ne peuvent que mettre au centre cette dimension communautaire. Ce n’est pas le moment de faire des stratégies élitistes. La grande communauté : quelle est la grande communauté ? Le saint peuple fidèle de Dieu. On ne peut pas avancer hors du saint peuple fidèle de Dieu, lequel – comme dit le Concile – est infaillible in credendo. Toujours avec le saint peuple de Dieu. En revanche, chercher des appartenances élitistes t’éloigne du peuple de Dieu, peut-être avec des formules sophistiquées, mais tu perds cette appartenance à l’Eglise qui est le saint peuple fidèle de Dieu.
C’est le moment d’être des artisans de communautés ouvertes qui sachent valoriser les talents de chacun. C’est le moment de communautés missionnaires, libres et désintéressées, qui ne cherchent pas leur importance ou leurs intérêts, mais qui parcourent les sentiers des personnes de notre temps, en se penchant sur celui qui est en marge. C’est le moment de communautés qui regardent dans les yeux les jeunes déçus, qui accueillent les étrangers et qui donnent espérance aux découragés. C’est le moment de communautés qui dialoguent sans peur avec celui qui a des idées différentes. C’est le moment de communautés qui, comme le Bon Samaritain, sachent se faire proches de celui qui est blessé par la vie, pour en panser les plaies avec compassion. N’oubliez pas ce mot : compassion. Si souvent, dans l’Evangile, on dit de Jésus : “Et il eut compassion”, “il fut pris de compassion”. Comme je l’ai dit au Congrès ecclésial de Florence, je désire une Eglise « toujours plus proche des personnes abandonnées, des oubliés, des imparfaits. […] Une Eglise joyeuse avec un visage de mère, qui comprend, accompagne, caresse ». Ce que je disais alors sur l’humanisme chrétien vaut aussi pour la catéchèse : elle « affirme radicalement la dignité de chaque personne comme Enfant de Dieu, (elle) établit entre tous les êtres humains une fraternité fondamentale, elle enseigne à comprendre le travail, à habiter la création comme une maison commune, elle fournit des raisons pour la joie, l’humour, même au milieu d’une vie parfois très dure » (Discours au Ve Congrès national de l’Eglise italienne, Florence, 10 novembre 2015).
J’ai mentionné le Congrès de Florence. Après cinq ans, l’Eglise italienne doit revenir au Congrès de Florence, et elle doit commencer un processus de Synode national, communauté par communauté, diocèse par diocèse : ce processus sera aussi une catéchèse. Dans le Congrès de Florence il y a l’intuition du chemin à faire en ce Synode. Il faut le reprendre maintenant : c’est le moment. Et commencer à avancer.
Chers frères et soeurs, je vous remercie pour ce que vous faites. Je vous invite à continuer à prier et à penser avec créativité à une catéchèse centrée sur le kerygme, qui regarde l’avenir de nos communautés, pour qu’elles soient toujours plus enracinées dans l’Evangile, fraternelles et inclusives. Je vous bénis et je vous accompagne. Et vous, s’il vous plaît, priez pour moi, j’en ai besoin. Merci !
Traduction de Zenit, Anne Kurian-Montabone