A l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier 2021), le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens propose cette réflexion intitulée: « En chemin vers un grand anniversaire ». Il évoque notamment « la synodalité » – thème du prochain synode des évêques – comme « un défi œcuménique », et il invite à « écouter l’Esprit Saint de façon synodale », dans L’Osservatore Romano du 18 janvier 2021.
Voici la première partie de cette réflexion, dans notre traduction de l’italien. La seconde partie se trouve ici.
AB
En chemin vers un grand anniversaire
par le card. Kurt Koch
Tout le monde chrétien se rapproche d’un grand anniversaire. En 2025, nous célèbrerons le 1700ème anniversaire du premier concile œcuménique de l’histoire de l’Église, qui eut lieu à Nicée en 325. Cet événement important fut certainement marqué également par de nombreux facteurs historiques. Parmi ceux-ci, il faut avant tout rappeler qu’il fut convoqué par un empereur, plus précisément par l’empereur Constantin. On ne peut le comprendre qu’en tenant compte du contexte historique, à savoir le fait qu’à l’époque une violente dispute avait éclaté à l’intérieur du monde chrétien, sur la façon dont la profession de foi chrétienne en Jésus-Christ Fils de Dieu pouvait se concilier avec la foi, également chrétienne, en un Dieu unique. Dans cette dispute, l’empereur discernait une grave menace contre son projet de consolider l’unité de l’Empire sur la base de l’unité de la foi chrétienne. Il voyait dans la division de l’Église que se dessinait surtout un problème politique, mais il était assez clairvoyant pour comprendre également que l’unité de l’Église ne pouvait pas être obtenue par la voie politique, mais seulement par la voie religieuse. Voulant réunir les coalitions adverses, l’empereur Constantin convoqua le premier concile œcuménique dans la ville de Nicée en Asie mineure, près de la métropole de Constantinople qu’il avait fondée.
La grande importance du premier concile œcuménique apparaît encore plus clairement dans ce contexte historique. Il réfuta le modèle d’un monothéisme étroitement philosophique propagé par le théologien d’Alexandrie, Arius, selon lequel le Christ ne pouvait être « Fils de Dieu » que de manière impropre, opposant à ce modèle la profession de foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu, « de même nature que le Père ». Le Credo de Nicée est devenu la base de la foi chrétienne commune, étant donné que le concile de Nicée se tient à un moment où la chrétienté n’avait pas encore été déchirée par les nombreuses divisions successives. Le Credo du concile unit encore aujourd’hui toutes les Églises et communautés ecclésiales chrétiennes et il est d’une très grande importance œcuménique.
En effet, la recomposition œcuménique de l’unité de l’Église présuppose un accord sur les contenus essentiels de la foi, un accord non seulement entre les Églises et les communautés ecclésiales d’aujourd’hui, mais également un accord avec l’Église du passé et, surtout, avec son origine apostolique. Le 1700ème anniversaire du concile de Nicée sera donc une occasion fructueuse de commémorer ce concile en communion œcuménique et pour réfléchir de manière renouvelée sur sa profession de foi christologique.
La synodalité, un défi œcuménique
Le concile de Nicée est d’une grande importance œcuménique, également d’un autre point de vue. Il décrit la façon dont, dans l’Église, les questions controversées sont discutées et résolues synodalement dans un concile. La parole l’indique déjà : « synode » est composé des termes grecs hodos (voie) et syn (avec) et exprime le fait d’avancer ensemble sur une voie. Dans le sens chrétien du terme, le mot dénote le chemin commun des personnes qui croient en Jésus-Christ, qui s’est révélé comme le « chemin » et plus précisément comme « le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6). La religion chrétienne était donc à l’origine appelée le « chemin » et les chrétiens qui suivaient le Christ comme Chemin étaient appelés « ceux qui appartenaient à ce Chemin » (Ac 9, 2). En ce sens, Jean Chrysostome expliqua qu’ « Église » était un nom « qui indique un chemin commun » et qu’Église et synode sont « synonymes » (Explicatio in Ps, 149). Le mot « synodalité » est donc aussi ancien et fondamental que celui d’ « Église ».
Le concile de Nicée marque donc le commencement – valable pour l’Église universelle – de la modalité synodale appliquée au processus décisionnel. Il s’agit d’une autre constatation d’une importance fondamentale du point de vue œcuménique, comme le montrent deux documents récents importants : il y a quelques années, la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises a publié l’étude L’Église : vers une vision commune, qui propose une vision multilatérale et œcuménique de la nature, du but et de la mission de l’Église. Dans cette étude, on lit cette déclaration ecclésiologique commune du point de vue œcuménique : « Sous la conduite de l’Esprit Saint, l’Église tout entière est synodale/conciliaire, à tous les niveaux de la vie ecclésiale : local, régional et universel. La qualité de synodalité ou conciliarité reflète le mystère de la vie trinitaire de Dieu, et les structures de l’Église expriment cette qualité de façon à actualiser la vie de la communauté en tant que communion » n. 53). Ce point de vue est partagé également par la Commission théologique internationale dans son document La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église. Le texte affirme avec joie que le dialogue œcuménique a avancé au point de pouvoir reconnaître dans la synodalité « une dimension relative de la nature de l’Église », convergeant vers la « notion de l’Église comme koinonia, qui se réalise dans chaque Église locale et dans sa relation avec les autres Églises, à travers des structures spécifiques et des processus synodaux » (n. 116).
Écouter l’Esprit Saint de façon synodale
Dans cet esprit œcuménique, le pape François s’exprime aussi fortement en faveur de la promotion des procédures synodales dans l’Église catholique. Il est convaincu que suivre avec fermeté le chemin de la synodalité et l’approfondir sont « le chemin que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire » (Discours pour le 50ème anniversaire de l’institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015). Mais en premier lieu, le Saint-Père se préoccupe moins de structures et d’institutions que de la dimension spirituelle de la synodalité, où le rôle de l’Esprit Saint et l’écoute commune de celui-ci sont d’une importance fondamentale : « Écoutons, discutons en groupe, mais surtout soyons attentifs à ce que l’Esprit a à nous dire » (Recommençons à rêver, page 97). A partir de ce fort accent spirituel, on comprend aussi la différence entre synodalité et parlementarisme démocratique, que le pape François souligne avec insistance.
Tandis que le processus démocratique sert principalement à déterminer les majorités, la synodalité est un événement spirituel qui vise à obtenir une unanimité durable et convaincante sur le chemin du discernement, dans les convictions de foi et dans les modes de vie qui en découlent pour chaque chrétien et pour la communauté de l’Église. Par conséquent, le synode « n’est pas un parlement où, pour atteindre un consensus ou un accord commun, on recourt à la négociation, aux arrangements ou à des compromis, mais l’unique méthode du synode est de s’ouvrir à l’Esprit Saint, avec courage apostolique, avec humilité évangélique et prière confiante ; afin que ce soit Lui qui nous guide » (Introduction au Synode de la famille, 5 octobre 2015).
De ce qui vient d’être dit, on comprend facilement qu’il soit prioritaire, pour le pape François, d’approfondir l’idée de synodalité comme structure fondamentale et essentielle de l’Église catholique : « Être Église, c’est être une communauté qui marche ensemble. Il ne suffit pas d’avoir un synode, il faut être synode. L’Église a besoin d’un intense partage interne : dialogue vivant entre les pasteurs d’une part et entre les pasteurs et les fidèles, d’autre part » (Discours aux évêques de l’Église gréco-catholique ukrainienne, 5 juillet 2019).
Il en découle clairement également que la synodalité ne s’oppose pas à la structure hiérarchique de l’Église mais plutôt que synodalité et hiérarchie s’exigent et se promeuvent mutuellement. La synodalité, en tant que dimension constitutive de l’Église, nous offre donc « le cadre interprétatif le plus adéquat pour comprendre le ministère hiérarchique », au sens où « ceux qui exercent l’autorité s’appellent ministres : parce que, selon la signification originelle du mot, ils sont les plus petits de tous » (Discours pour le 50ème anniversaire de l’institution du synode des évêques, 17 octobre 2015). Pour le pape François cela vaut aussi et surtout pour le primat pétrinien lui-même, qui peut trouver son expression la plus claire dans une Église synodale : « Le pape n’est pas, tout seul, au-dessus de l’Église ; mais à l’intérieur de l’Église, en tant que baptisé parmi les baptisés et à l’intérieur du Collège épiscopal en tant qu’évêques parmi les évêques, appelé en même temps – comme Successeur de l’apôtre Pierre – à guider l’Église de Rome qui préside dans l’amour à toutes les Églises » (ibidem).
La dimension œcuménique de la synodalité de l’Église est également évidente, dans l’optique du pape François. Pour le Saint-Père, « l’examen attentif de la manière dont s’articulent, dans la vie de l’Église, le principe de la synodalité et le service de celui qui préside » représente une contribution importante à la réconciliation œcuménique entre les Églises chrétiennes (Discours à la délégation œcuménique du Patriarcat de Constantinople, 27 juin 2015). Les efforts théologiques et pastoraux pour édifier une Église synodale ont un profond effet sur l’oecuménisme, comme le souligne le pape François, avec le principe de base du dialogue œcuménique, qui consiste dans l’échange de dons, grâce auquel nous pouvons apprendre les uns des autres. Cet échange concerne principalement l’accueil de ce que l’Esprit Saint a semé dans les autres Églises « comme un don pour nous aussi ». En ce sens, le pape François fait observer que, dans le dialogue avec nos frères orthodoxes, nous, catholiques, avons l’opportunité d’ « apprendre quelque chose de plus sur la signification de la collégialité épiscopale et sur leur expérience de la synodalité » (Evangelii gaudium, n. 246). Puisque cela concerne le thème central du dialogue catholico-orthodoxe, il vaut la peine de clarifier davantage la dimension œcuménique de la synodalité sur la base de cet important dialogue.
(fin de la première partie)
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat