« Face à la crise qui affecte le droit international des droits de l’homme, la culture du soin implique un engagement à remédier à de nombreuses lacunes », a indiqué Christine Jeangey, official du Dicastère pour le service du développement humain intégral, en présentant le Message pour la 54e Journée mondiale de la paix lors d’une conférence de presse en direct streaming, jeudi 17 décembre 2020.
La culture du soin, a-t-elle poursuivi, invite à « mettre de côté les visions partielles et les interprétations controversées et à surmonter la politisation excessive au profit d’une approche fondée sur la solidarité avec les droits fondamentaux pour le bien commun de toute l’humanité ». La Journée mondiale de la Paix est célébrée chaque année le 1er janvier. En 2021, elle a pour titre : « La culture du soin comme parcours de paix ».
Christine Jeangey a également souligné que « le pape François s’adresse non seulement aux chefs d’État et de gouvernement, mais aussi aux dirigeants d’organisations internationales, aux chefs spirituels et aux fidèles des différentes religions, ainsi qu’à tous les hommes et femmes de bonne volonté, ce qui signifie que « chacun est appelé à apporter sa contribution ».
Le message a aussi été présenté par le cardinal Peter Turkson, par Mgr Bruno-Marie Duffé et par Mme Anne-Julie Kerhuel.
Voici notre traduction de cette intervention.
HG
Intervention de Madame Christine Jeangey
Bonjour à toutes et à tous !
Le Message du Saint-Père se situe dans un contexte social et international particulièrement difficile. La crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 qui a caractérisé l’année 2020 a mis en lumière et, dans certains cas, exacerbé les nombreuses difficultés préexistantes pour garantir le plein respect des droits humains, tant dans les pays avancés que dans ceux qui sont en voie de développement. Elle nous a rappelé l’unité et le caractère indivisible de tous les droits humains, ainsi que leur profonde interconnexion et interdépendance, dans la mesure où, par exemple, l’exigence du respect du droit à la vie et à la santé a eu des conséquences, parfois douloureuses, sur l’exercice de nombreux autres droits humains, comme le droit au travail et le droit à la liberté de religion.
Restent vives d’éternelles contradictions, au sein des Nations et entre elles, qui font qu’une partie de l’humanité vit dans l’opulence tandis qu’une autre partie voit sa dignité niée, méprisée ou piétinée et ses droits fondamentaux ignorés ou violés (1). La pauvreté et le chômage se répandent et les inégalités sociales s’accentuent, tandis que prennent un nouvel élan des formes de nationalisme exaspéré qui alimentent des sentiments et des actes d’intolérance, de xénophobie et de racisme à l’égard de ceux qui sont considérés comme différents, comme les migrants ou les minorités ethniques et religieuses.
Des nouvelles douloureuses continuent d’arriver, de personnes victimes de disparitions forcées et d’exécutions extra-judiciaires et dans de nombreux pays, les conditions de détention des prisonniers se détériorent.
Au niveau international, il est dur de constater que les controverses entre États continuent trop souvent d’être abordées par l’usage de la force, non seulement au niveau politique et économique, mais également sur le plan militaire, avec des conséquences néfastes sur les populations civiles qui en paient le prix fort, tandis que « des marchands de mort sans scrupule s’enrichissent au prix du sang de leurs frères et sœurs » (2). En effet, dans différentes régions du monde, des conflits armés odieux se poursuivent, pendant qu’en surgissent de nouveaux, alimentés par des intérêts obscurs, avec leur cortège de violations de la dignité humaine.
Devant ces douloureuses réalités et en opposition à la culture aujourd’hui dominante de l’indifférence et du déchet, le pape François propose comme chemin pour la paix la « culture du ‘prendre soin’ »
Il réaffirme l’importance de relations internationales fondées sur la fraternité, le respect mutuel, la solidarité et le respect du droit international, et rappelle la centralité de la protection et de la promotion des droits fondamentaux de l’homme. (3) Face à la crise qui affecte le droit international des droits de l’homme, la culture du soin implique un engagement à remédier à de nombreuses lacunes et, en ce qui concerne les débats et les négociations multilatérales, à mettre de côté les visions partielles et les interprétations controversées et à surmonter la politisation excessive au profit d’une approche fondée sur la solidarité avec les droits fondamentaux pour le bien commun de toute l’humanité.
La culture du soin nous invite également à dépasser un modèle économique basé exclusivement sur le profit, et « qui n’hésite pas à exploiter, jeter et même tuer des êtres humains » (4), en faveur d’une économie qui respecte les droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels, qui devraient être garantis de manière adéquate. Parmi ces droits, il convient de mentionner le droit d’accès à la santé, qui est un corollaire du droit à la vie au même titre que le droit à l’alimentation et à l’eau potable ; le droit au travail, à des conditions de travail décentes et à la sécurité sociale ; le droit à un logement adéquat ; et le droit à une éducation de qualité, qui est fondé sur la reconnaissance et l’appréciation de la dignité de toute personne humaine et des droits qui en découlent, et qui constitue l’un des piliers des sociétés démocratiques. « Quelle dispersion des ressources pour les armes » (5), dit le pape François, des ressources qui pourraient au contraire être utilisées pour mieux garantir ces droits fondamentaux !
Mérite donc d’être reconnu et promu le droit à la paix, droit humain fondamental et condition préalable au plein exercice de tous les droits de l’homme. Il convient de souligner ici que le concept de paix ne se limite pas à la simple absence de combats, d’hostilités ou de conflits, mais se réfère avant tout à un contexte dans lequel tous les droits de l’homme sont assurés et s’épanouissent – parmi ceux-ci je voudrais mentionner, outre ceux déjà mentionnés et sans préjudice d’autres, le droit à la vie et le droit à la liberté de conscience et de religion – ainsi que les droits des peuples, notamment le droit à l’autodétermination et le droit à la souveraineté sur leurs ressources naturelles, à exercer dans le respect des exigences de la solidarité et de la coopération internationale.
La culture du soin exige également que les différends entre États soient résolus sans recours à la force ou à la coercition, qu’ils soient de nature politique, économique ou militaire. Dans ce contexte, il convient de rappeler que le recours à des mesures coercitives unilatérales, dont la conformité au droit international est d’ailleurs contestée dans de nombreux milieux, n’est pas rare et a des conséquences dramatiques pour les populations des pays concernés, notamment les groupes les plus fragiles, et conduit généralement à de multiples violations des droits fondamentaux de citoyens innocents.
Un autre aspect du droit international que le Saint-Père mentionne dans son message est le droit international humanitaire. Comme on le sait, le Saint-Siège est partie aux principaux accords internationaux en la matière et multiplie ses appels non seulement pour que cette précieuse branche du droit international soit respectée mais aussi pour que les règles qu’elle contient trouvent, le cas échéant, un développement adéquat, afin de pouvoir répondre au mieux aux défis posés par les conflits armés contemporains, notamment ceux impliquant des acteurs armés non étatiques (6).
Parmi les priorités du Saint-Siège, je voudrais rappeler la protection des personnes détenues pour des raisons liées aux conflits armés et celle des travailleurs humanitaires, également en ce qui concerne le personnel religieux civil et les lieux de culte, qui font trop souvent l’objet d’attaques ciblées, même pendant les célébrations religieuses, avec de nombreuses victimes parmi les fidèles et les ministres (7). Parallèlement à ces questions, il convient de rappeler l’urgence de mettre fin au fléau de l’implication des enfants dans les conflits armés et à celui du viol comme arme de guerre, dont les femmes sont les principales victimes, qui devraient au contraire être valorisées comme agents de réconciliation et de paix.
Au terme de cet examen rapide de certaines des implications de la culture du soin, il semble utile de rappeler un dernier aspect du Message qui me semble particulièrement significatif. Cela concerne le fait que le pape François s’adresse non seulement aux chefs d’État et de gouvernement, mais aussi aux dirigeants d’organisations internationales, aux chefs spirituels et aux fidèles des différentes religions, ainsi qu’à tous les hommes et femmes de bonne volonté. Cela signifie que chacun est appelé à apporter sa contribution, dans la diversité des rôles et des responsabilités qui lui sont confiés, afin que la dignité de chaque personne humaine soit respectée et valorisée en toutes circonstances.
Je voudrais donc conclure en exprimant l’espoir que la culture des soins sera accueillie dans le cœur de toutes ces personnes et se traduira par des actions concrètes en faveur de ceux dont la dignité est blessée.
Je vous remercie de votre attention.
NOTES
(1) Cf. Pape François, Message aux participants à la Conférence internationale « Les droits humains dans le monde contemporain : conquêtes, omissions, négations », Rome, 10-11 décembre 2018.
(2) Papa Francesco, Message aux participants à la Conférence internationale « Les droits humains dans le monde contemporain : conquêtes, omissions, négations », Rome, 10-11 décembre 2018.
(3) Cf. Pape François, La culture du soin comme parcours de paix, Message pour la célébration de la 54e Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 2021, n. 7.
(4) Cf. Pape François, Message aux participants à la Conférence internationale « Les droits humains dans le monde contemporain : conquêtes, omissions, négations », Rome, 10-11 décembre 2018.
(5) Cf. Pape François, La culture du soin comme parcours de paix, Message pour la célébration de la 54e Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 2021, n. 7.
(6) Cf. Pape François, Discours aux participants au V Cours international de formation des chapelains militaires catholiques au droit international humanitaire, 31 octobre 2019.
(7) Cf. Pape François, Discours aux participants à la Conférence sur le droit international humanitaire, 28 octobre 2017.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat