« Seul le Seigneur peut sauver ses amis égarés et risquant de se perdre », explique le pape François dans cette allocution pour le consistoire au cours duquel il a « créé » 13 nouveaux cardinaux, ce 28 novembre 2020, ne la basilique Saint-Pierre: deux d’entre eux, de Brunei et des Philippines étant absentes du fait de la pandémie.
Le pape a présidé le consistoire autour de l’autel de la chaire de Saint-Pierre, en présence des membres du collège cardinalice qui avaient pu être là – une cinquantaine venus d’en-dehors de la curie – et des baptisés qui accompagnaient leur nouveau cardinal. Une transmission était assurée sur le web pour les cardinaux absents et la lumière bleue des écrans installés dans la basilique témoignaient de leur présence.
« Dans ce récit évangélique, a dit notamment le pape François, ce qui frappe toujours c’est le net contraste entre Jésus et les disciples. Jésus le sait, le connaît, le supporte. Mais le contraste demeure : lui sur la route, eux hors de la route. Deux parcours inconciliables. En réalité, seul le Seigneur peut sauver ses amis égarés et risquant de se perdre, seulement sa Croix et sa Résurrection. Pour eux, et pour tous, il monte à Jérusalem. Pour eux, et pour tous, il rompra son corps et versera son sang. Pour eux, et pour tous, il ressuscitera des morts, et par le don de l’Esprit il leur pardonnera et les transformera. Il les mettra finalement en chemin sur sa route. »
Les nouveaux cardinaux ont ensuite prié le Credo et prêté serment de fidélité, le cardinal Grech lisant la formule du serment en leur nom.
Le pape a ensuite remis à chacun des 11 nouveaux cardinaux présents leur « barrette » – le couvre-chef traditionnel -, l’anneau cardinalice et le parchemin indiquant quelle église de Rome leur est attribuée.
Le consistoire – « masqué » et en partie en visioconférence – s’est achevé par la prière du Notre Père et par le chant de l’antienne mariale « Salve Regina ».
Les cardinaux créés au cours de ce consistoire viennent d’Italie, de Malte, du Rwanda, des Etats-Unis, du Chili, du Mexique, des Philippines et de Brunei.
Voici la traduction officielle des paroles prononcées par le pape François en italien.
AB
Allocution du pape François
Jésus et ses disciples étaient en route, sur la route. La route est le cadre où se déroule la scène décrite par l’évangéliste Marc (cf. 10, 32-45). Et c’est le cadre où se déroule toujours la marche de l’Eglise : la route de la vie, de l’histoire, qui est histoire de salut dans la mesure où elle est faite avec le Christ, orientée à son Mystère pascal. Jérusalem est toujours devant nous. La Croix et la Résurrection appartiennent à notre histoire, elles sont notre présent, mais elles sont toujours aussi le but de notre marche.
Cette Parole évangélique a souvent accompagné les Consistoires pour la création de nouveaux Cardinaux. Elle n’est pas seulement un “arrière-plan”, elle est une “indication de parcours” pour nous qui, aujourd’hui, sommes en marche ensemble avec Jésus, qui avance sur la route devant nous. Il est la force et le sens de notre vie et de notre ministère.
Donc, chers Frères, aujourd’hui il nous appartient de nous mesurer à cette Parole.
Marc souligne que, en route, les disciples « étaient saisis de frayeur […] ils étaient dans la crainte » (v. 32). Mais pourquoi ? Parce qu’ils savaient ce qui les attendait à Jérusalem ; ils le présentaient, ou mieux, ils le savaient, parce que Jésus leur en avait déjà parlé plusieurs fois ouvertement. Le Seigneur connaît l’état d’âme de ceux qui le suivent, et cela ne le laisse pas indifférent. Jésus n’abandonne jamais ses amis ; il ne les délaisse jamais. Même quand il semble qu’il va tout droit sur son chemin, il le fait toujours pour nous. Et tout ce qu’il fait, il le fait pour nous, pour notre salut. Et, dans le cas spécifique des Douze, il le fait pour les préparer à l’épreuve, pour qu’ils puissent être avec lui, maintenant, et surtout après, quand il ne sera plus au milieu d’eux. Pour qu’ils soient toujours avec lui sur son chemin.
Sachant que le cœur des disciples est troublé, Jésus appelle les Douze à l’écart et, « de nouveau », il leur dit « ce qui allait lui arriver » (v. 32). Nous l’avons écouté : c’est la troisième annonce de sa passion, mort et résurrection. Celle-ci est la route du Fils de Dieu. La route du Serviteur du Seigneur. Jésus s’identifie avec cette route, au point qu’il est lui-même cette route. « Moi, je suis le Chemin » (Jn 14, 6). Ce chemin-là, et pas un autre.
Et à ce point se produit le “coup de théâtre” qui bouscule la situation et permettra à Jésus de révéler à Jacques et à Jean – mais en réalité à tous les Apôtres et à nous tous – le destin qui les attend. Imaginons la scène : Jésus, après avoir de nouveau expliqué ce qui doit lui arriver à Jérusalem, regarde bien en face les Douze, les fixe dans les yeux, comme pour dire : “C’est clair ?”. Ensuite il reprend la route, en tête du groupe. Et deux disciples se détachent du groupe, Jacques et Jean. Ils s’approchent de Jésus et lui expriment leur désir : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » (v. 37). Et cela, c’est une autre route. Ce n’est pas la route de Jésus, c’en est une autre. C’est la route de celui qui, peut-être sans même s’en rendre compte, “utilise” le Seigneur pour se promouvoir soi-même ; de celui qui – comme dit saint Paul – cherche ses intérêts et non ceux du Christ (cf. Ph 2, 21). A ce sujet saint Augustin a ce Discours magnifique sur les pasteurs (n. 46), qui nous fait toujours du bien de relire dans l’Office des Lectures.
Jésus, après avoir écouté Jacques et Jean, ne s’irrite pas, ne se met pas en colère. Sa patience est vraiment infinie. Avec nous aussi, il en a eu, il en a de la patience, et il en aura. Et il répond : « Vous ne savez pas ce que vous demandez » (v. 38). Il les excuse, en quelque sorte, mais en même temps il les accuse : “Vous vous rendez compte que vous faites fausse route”. En effet, juste après, les dix autres disciples montreront, par leur réaction indignée vis-à-vis des fils de Zébédée, que tous étaient tentés de prendre une fausse route.
Chers Frères, tous nous aimons Jésus, tous nous voulons le suivre, mais nous devons être toujours vigilants pour rester sur sa route. Parce qu’avec les pieds, avec le corps nous pouvons être avec lui, mais notre cœur peut être loin et nous amener hors de la route. Pensons à tous les genres de corruption dans la vie sacerdotale. Ainsi, par exemple, le rouge pourpre de l’habit cardinalice, qui est la couleur du sang, peut devenir, pour l’esprit mondain, celle d’une distinction éminente. Et tu ne seras plus le pasteur proche du peuple, tu sentiras d’être seulement « l’éminence ». Quand tu sentiras cela, tu seras hors de la route.
Dans ce récit évangélique, ce qui frappe toujours c’est le net contraste entre Jésus et les disciples. Jésus le sait, le connaît, le supporte. Mais le contraste demeure : lui sur la route, eux hors de la route. Deux parcours inconciliables. En réalité, seul le Seigneur peut sauver ses amis égarés et risquant de se perdre, seulement sa Croix et sa Résurrection. Pour eux, et pour tous, il monte à Jérusalem. Pour eux, et pour tous, il rompra son corps et versera son sang. Pour eux, et pour tous, il ressuscitera des morts, et par le don de l’Esprit il leur pardonnera et les transformera. Il les mettra finalement en chemin sur sa route.
Saint Marc – comme aussi Matthieu et Luc – a inséré ce récit dans son Evangile parce que c’est une Parole qui sauve, une Parole nécessaire à l’Eglise de tous les temps. Même si les Douze y font mauvaise figure, ce texte est entré dans le Canon parce qu’il montre la vérité sur Jésus et sur nous. C’est une Parole salutaire même pour nous aujourd’hui. Nous aussi, Pape et Cardinaux, nous devons toujours nous regarder dans cette Parole de vérité. C’est une épée affilée, elle nous coupe, elle est douloureuse, mais en même temps elle nous guérit, nous libère, nous convertit. La conversion c’est précisément cela : de la fausse route, aller sur la route de Dieu.
Que l’Esprit Saint nous donne, aujourd’hui et toujours, cette grâce.
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