Les chrétiens doivent « fréquenter l’avenir ». Pour le pape François, « l’avenir a un nom et ce nom est espérance ». L’espérance est une « attitude créative », c’est la « vertu d’un cœur » « qui ne s’arrête pas au passé, qui ne vivote pas dans le présent, mais qui sait voir le lendemain ».
Le pape François a adressé un message vidéo aux participants à la Xème édition du Festival italien de la Doctrine sociale de l’Église, sur le thème : « Mémoire de l’avenir », qui se tient à Vérone du 26 au 29 novembre 2020. Il les invite à « vivre en croyants immergés dans la société » pour « manifester » la vie future déjà reçue au baptême.
Le pape met en garde contre la nostalgie, « véritable pathologie spirituelle » qui « bloque la créativité et fait de nous des personnes rigides et idéologiques, y compris dans le domaine social, politique ou ecclésial » ; en cela, elle s’oppose à la mémoire, « si intrinsèquement liée à l’amour et à l’expérience, qu’elle devient l’une des dimensions les plus profondes de la personne humaine ».
Voici notre traduction du message du pape François.
HG
Message du pape François
Je salue cordialement l’évêque et vous tous qui participez, à Vérone et dans les diverses villes italiennes connectées par Internet, au Festival de la Doctrine sociale de l’Église qui, avec sa méthodologie créative, désire permettre une rencontre entre des sujets différents par leur sensibilité et leur action, mais convergents dans la construction du bien commun.
C’est une édition différente par rapport à d’habitude, parce que nous sommes aux prises avec la pandémie encore présente, un scénario qui entraîne des difficultés et de graves blessures personnelles et sociales.
C’est également une édition un peu différente de l’habitude parce que, pour la première fois, Don Adriano Vincenzi n’est pas avec vous pour soutenir ce moment de formation qui en est à sa dixième édition. Nous voulons nous souvenir de lui dans ce trait distinctif de son service, avec des mots qui sont en harmonie avec ce que j’ai écrit dans la dernière encyclique Fratelli tutti : « il y a une grande noblesse dans le fait d’être capable d’initier des processus dont les fruits seront recueillis par d’autres, en mettant son espérance dans les forces secrètes du bien qui est semé » (n. 196)
Cette année, le thème que vous avez choisi est Mémoire de l’avenir. Cela semble un peu étrange, mais c’est créatif : « mémoire de l’avenir ». Cela nous invite à avoir cette attitude créative qui consiste, pourrions-nous dire, à « fréquenter l’avenir ». Pour nous chrétiens, l’avenir a un nom et ce nom est espérance. L’espérance est la vertu d’un cœur qui ne se renferme pas dans l’obscurité, qui ne s’arrête pas au passé, qui ne vivote pas dans le présent, mais qui sait voir le lendemain. Pour nous chrétiens, que signifie le lendemain ? C’est la vie rachetée, la joie du don de la rencontre avec l’Amour trinitaire. En ce sens, être Église signifie avoir le regard et le cœur créatifs et orientés dans une perspective eschatologique, sans céder à la tentation de la nostalgie, qui est une véritable pathologie spirituelle.
Un penseur russe, Vjačeslav Ivanovič Ivanov, affirme que seul ce dont Dieu se souvient existe vraiment. Voilà pourquoi la dynamique des chrétiens n’est pas de retenir le passé avec nostalgie, mais plutôt d’accéder à la mémoire éternelle du Père ; et ceci est possible en vivant une vie de charité. Pas de nostalgie, par conséquent, qui bloque la créativité et fait de nous des personnes rigides et idéologiques, y compris dans le domaine social, politique ou ecclésial ; mais plutôt la mémoire, si intrinsèquement liée à l’amour et à l’expérience, qu’elle devient l’une des dimensions les plus profondes de la personne humaine.
Nous avons tous été engendrés à la vie par le baptême. Nous avons reçu le don de la vie qui est communion avec Dieu, avec les autres et avec la création. Nous sommes donc appelés à réaliser notre vie dans la communion avec Dieu, c’est-à-dire dans l’intimité de la prière en présence du Seigneur, dans l’amour pour les personnes que nous rencontrons, c’est-à-dire dans la charité, et enfin à l’égard de notre mère la terre, ce qui suppose un processus de transfiguration du monde. Et la vie reçue en don est la vie même du Christ, et nous ne pouvons pas vivre en croyants dans le monde sinon en manifestant justement sa vie en nous. Greffés dans la vie de l’Amour trinitaire, nous devenons capables de mémoire, de la mémoire de Dieu. Et seul ce qui est amour ne tombe pas dans l’oubli, justement parce qu’il trouve sa raison d’être dans l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. En ce sens, toute notre vie doit être en quelque sorte une liturgie, une anamnèse, une mémoire éternelle de la Pâque du Christ.
Voici donc le sens du Festival de cette année : vivre la mémoire de l’avenir signifie s’engager à faire en sorte que l’Église, le grand peuple de Dieu (cf. Lumen gentium), 6) puisse constituer sur la terre le commencement et le germe du Royaume de Dieu. Vivre en croyants immergés dans la société en manifestant la vie de Dieu que nous avons reçue en don au baptême, pour que l’on puisse faire mémoire maintenant de cette vie future dans laquelle nous serons ensemble devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
Cette attitude nous aide à dépasser la tentation de l’utopie, de réduire l’annonce de l’Évangile au simple horizon sociologique ou de nous faire prendre dans le « marketing » des diverses théories économiques ou factions politiques.
Dans le monde, avec la force et la créativité de la vie de Dieu en nous : nous saurons ainsi gagner le cœur et le regard des personnes à l’Évangile de Jésus, nous aiderons à faire féconder des projets d’une nouvelle économie inclusive et d’une politique capable d’amour.
J’adresse encore un mot en particulier aux différents acteurs de la vie sociale rassemblés à l’occasion du Festival : au monde des entrepreneurs, des professionnels, aux représentants du monde institutionnel, de la coopération, de l’économie et de la culture : continuez de vous engager en suivant la voie que don Adriano Vincenzi a tracée avec vous par la connaissance et la formation à la doctrine sociale de l’Église. Bâtisseurs de ponts : que ceux qui se rencontrent ici ne trouvent pas des murs, mais des visages…
Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat