S’asseoir pour bâtir sa tour : l’Evangile en temps de confinement
L’Evangile du mercredi 4 novembre offre des clés pour vivre avec le Seigneur ce confinement – que nombre de pays vivent actuellement sous des modalités diverses comme un temps de construction et de maturation : « Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » (Lc 14, 28). La situation d’incertitudes dans laquelle nous vivons nous fait entrer dans un nouveau rapport au temps : temps certes de l’immédiateté et de l’urgence des décisions politiques pour freiner la pandémie, temps également – si l’on en saisit l’opportunité – de la maturation de nos projets de vie, d’une société plus fraternelle, d’une Eglise plus sainte et plus accueillante.
Il y a en effet une occasion à saisir dans ce temps de retrait, auquel la situation nous contraint, mais que nous pouvons également habiter par nos choix et transformer en temps de croissance et de vie. Cette année, nous allons vivre en quelque sorte un long Avent – qui débute liturgiquement le 29 novembre. Ces deux mois qui s’annoncent sont une chance : nous avons deux mois pour nous préparer à Noël, en prêtant attention à tous les signes de la venue de notre Sauveur en ce monde, signes qui sont autant de balises pour mûrir nos projets personnels, familiaux, communautaires.
Les regards de nombre de nos concitoyens sont d’ailleurs pour beaucoup déjà tournés vers Noël. Noël a sans doute rarement été aussi attendu : attente de la joie du don, des retrouvailles familiales. Il y a quelque chose de la joie de la fête, de la rencontre, de la famille à accueillir dans cette attente. Un certain retour à l’essentiel. Un appel aussi à se montrer réceptifs en Eglise à ces requêtes. Comment préparer – et se préparer à – un Noël qui ne sera sans doute pas comme les autres – impacté par la pandémie et par la crise sociale – mais où pourra se vivre de manière particulièrement intense la fraternité ?
L’image de la tour est parlante. La tour est dressée vers le ciel. Elle est une construction qui relie à Dieu. Rien d’étonnant à ce qu’on ait jugé nécessaire d’adjoindre un clocher aux églises. Pour qu’une tour tienne debout, il est nécessaire que ses fondations soient solides et profondes. Le choix du sol est important. Les pierres doivent également être jointes avec précision et robustesse. C’est tout un art qui réclame des compétences, de la réflexion et donc du temps. Il y a un discernement à réaliser sous le regard de Dieu : la tour que je veux construire a-t-elle de bonnes assises, est-elle bien orientée vers Dieu ? Est-ce que j’accepte que sa construction prenne du temps, nécessite des sacrifices ?
Ce nouveau confinement est l’occasion d’un tel discernement : je mets davantage mes actions – réalisées, pour beaucoup d’entre nous, dans l’espace domestique – sous le regard de Dieu. Je mûrirai des décisions, peut-être en réflexion depuis le premier confinement. Pour nous aider à discerner, nous avons aussi souvent besoin d’amis, de frères et sœurs dans la foi. Il ne s’agit donc pas de ressasser dans la solitude nos hésitations – souvent alimentées par nos peurs – mais de profiter des moyens de communication à disposition – même s’ils ne remplacent pas tout à fait bien sûr la présence physique – pour avancer sur le chemin.
Nos projets personnels ne connaissent d’ailleurs toute leur fécondité que quand ils sont reliés aux projets d’autres amis ou connaissances, à des projets communautaires. Je m’ouvre ainsi aux autres, à leurs préoccupations que je fais mienne car je me soucie d’eux. L’heure est ainsi à penser davantage nos projets de vie en relation, de façon à construire une société où il fait bon vivre ensemble, une Eglise qui rayonne de la joie de l’Evangile. Je suis émerveillée par le courage et la dignité dont font preuve ceux et celles dont les professions sont les plus affectées par la crise.
Cette crise nous rappelle l’importance cruciale de la solidarité, qui ne relève pas seulement d’une responsabilité étatique, mais exige la collaboration de tous et toutes. Comme chrétiens, nous ne sommes pas exempts d’une telle solidarité qui ne se limite pas au seul cercle catho’ (et trop souvent catho’ de telle ou telle chapelle). Elle réclame de chacun et chacune une nouvelle proximité avec le peuple – des personnes que nous côtoyons et également, parfois, que nous ne côtoyons jamais ou auxquelles nous ne prêtons pas attention – volontairement ou involontairement. Les « gilet jaune » ou les jeunes des « banlieues » sont aussi mon prochain, nous sommes membres d’un même peuple. Comment irai-je à leur rencontre ? Comment découvrirai-je leur quotidien, leurs désirs, leurs angoisses ?
Obligés de limiter nos déplacements, nous redécouvrons notre voisinage. Nous y faisons l’expérience d’une nouvelle proximité où peut s’exprimer de manière particulière cette solidarité. Comment puis-je rendre service à mes voisins en cette période de confinement ? Oserai-je également leur demander, le cas échéant, leur aide ? Est-ce que je prendrai de leurs nouvelles ? Comment construire dans la durée les nouvelles relations nouées ? Dans notre voisinage, certains et certaines risquent de perdre leur emploi. Comment puis-je les soutenir ? Je peux aussi prendre le temps de m’asseoir pour réfléchir à comment je peux soutenir, par mes achats, les commerces de proximité, spécialement en difficulté, et à donner de mon temps et de mon argent à des associations caritatives. Comment est-ce que je vais aussi témoigner de ma gratitude pour les soignants ?
La solidarité implique des gestes concrets, y compris en mettant la main au porte-monnaie. La parabole de la tour le rappelle bien : il s’agit de s’asseoir « pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ». Est-ce que je suis prêt à vivre l’amour du prochain en me dépossédant un peu ou beaucoup ? Avec beaucoup d’à propos le pape François, dans Fratelli tutti la « destination universelle des biens créés » (n. 120). Les biens que je possède sont destinés à être partagés avec les plus pauvres. Comment est-ce que je vais me rendre attentif au plus pauvre que je ne croise peut-être plus quotidiennement parce que je ne prends plus le métro ?
L’arrêt temporaires des célébrations liturgiques ne signifie donc pas l’arrêt de la vie chrétienne, mais doit nous encourager à la vivre de manière plus intense en prenant davantage conscience que toute notre vie est eucharistique. De manière spéciale, nous sommes invités à réfléchir à comment sanctifier nos dimanches un peu particuliers – qui ne sont pas seulement des jours où les enfants ne vont pas à l’école et où l’on regarde la messe sur la télé ou sur Youtube. Cela peut être par un temps de catéchèse familiale, de formation chrétienne via Podcasts ou MOOC, de partage d’évangile en visioconférence avec des amis. Cela peut être aussi du temps donné à la culture qui élève l’âme : lire un bon roman, écouter ou regarder un concert virtuel, choisir un bon film plutôt que regarder passivement en boucle des chaînes d’information ou des séries. Cela peut être également prévoir un moment réservé à des appels ou visio à la famille, aux amis, à des personnes isolées.
Enfin, pensons à faire vivre nos paroisses, nos églises. Si celles-ci sont ouvertes et à proximité, ne pouvons-nous pas lier activité physique et prière individuelle en y prévoyant des petites balades quotidiennes ? Ma vie eucharistique se trouvera ainsi alimentée à sa source, au contact avec la présence réelle du corps du Christ. Il s’agit également de promouvoir la vie fraternelle en prenant des nouvelles les uns les autres, en maintenant en distanciel les réunions prévues au calendrier. Cela peut être aussi un temps où mûrir des projets paroissiaux en soumettant à la réflexion des initiatives possibles.
L’émotion suscitée par le confinement et par les récents attentats contre des églises en France ne doit ni nous faire nous assoupir ni nous révolter. Elle doit nous inciter à retourner à l’Evangile pour construire notre tour, pour mettre nos projets en relation pour expérimenter davantage la fraternité, à l’exigence parfois crucifiante, mais qui ne peut se vivre authentiquement que dans l’esprit des Béatitudes. Prêtons attention aux signes de la venue du Christ, signes d’espérance pour nous-mêmes, pour notre Eglise, pour le monde.
Agnès Desmazières
Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et elle a réfléchi notamment à la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.
La théologienne française a aussi réfléchi, entre autres, à l’apostolat des laïcs et à la coresponsabilité des baptisés, et donc des femmes dans l’Eglise: des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».