« La vocation: invitation aux noces pour vivre une expérience de communion »: c’est le titre de ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 11 octobre 2020 (XXVIIIe dimanche du Temps ordinaire – Année A), par Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris.
« Par la prière, plaçons-nous dans les bras miséricordieux de Dieu : nous ferons l’expérience de ces invités au mariage qui ne méritaient pas tant d’honneur et nous ferons l’expérience de ce mystère de bonheur qu’est la vie trinitaire », invite Mgr Follo.
Comme lecture patristique, Mgr Follo propose un sermon de saint Augustin(354 – 430), sur « L’indispensable vêtement de noce ».
AB
La vocation: invitation aux noces
pour vivre une expérience de communion
1) La vocation: invitation gratuite à une expérience de communion et de joie.
Je pense que l’histoire du salut peut être lue et vécue comme une histoire de communion où l’amant (Dieu) cherche l’aimée (l’être humain). L’histoire humaine est comme une course, une poursuite entre l’amant et l’aimée. L’aimée s’enfuit et l’amant essaie de la rejoindre, tente de l’inviter à ce mariage et vice versa. Finalement, la réunion aura lieu et la fin est représentée par cette image du mariage. En somme, Dieu crée et aime inviter – le verbe dans le texte grec est : appeler, donner une vocation – l’homme à la fête. Et tout ce que Dieu fait pour l’homme au cours de l’histoire, est de créer cet environnement idéal qui est celui du mariage, environnement de communion.
Plutôt que la définition, j’aime souligner la description de la relation avec Dieu que nous vivons obstinément comme une relation de dépendance non en tant que fils mais en tant que serviteurs. Nous imaginons donc que Dieu est vraiment Seigneur et Père mais avec l’attitude d’un patron. Trop souvent ce père est considéré comme un père-patron plus qu’un vrai père riche en miséricorde. La parabole d’aujourd’hui nous apprend que notre relation avec Dieu est comme une relation conjugale, c’est-à-dire une relation de fiançailles qui arrive au mariage. Bien sûr, cela fait allusion au sens profond de Dieu devenant homme, c’est-à-dire que Dieu s’unit à la nature humaine en l’homme-Jésus de Nazareth.
Aussi toute la littérature prophétique de l’Ancien Testament converge pour désigner cette image du mariage, comme l’image qui rappelle, plus étroitement, le cœur de Dieu ; elle rappelle que le projet que ce cœur veut construire, veut créer, est une communion. Et toute l’histoire est une histoire de communion dans laquelle l’amant cherche l’aimée.
À la lumière de cette brève introduction, examinons de plus près la parabole de ce dimanche qui parle d’un roi qui offre un repas de noces mais auquel les invités de droit ne veulent pas participer. Ce refus pousse le roi à étendre son invitation à tout le monde. Jésus nous présente le Père comme celui qui « invite le monde entier aux noces de son Fils ».
Je crois correct de dire que ce roi tient principalement à partager la joie des noces de son Fils avec tous ceux qu’il a appelés, soit avec tout le monde. En effet si nous lisons cette parabole à côté de l’extrait du Livre d’Isaïe (25, 6-10 – Première lecture) on voit que l’élément à mettre en avant est cette invitation universelle à une familiarité joyeuse avec Dieu. Le grand prophète parle d’un grand rassemblement de tous les peuples. Si l’image est celle du banquet : « un festin de viandes grasses et de vins capiteux », l’élément le plus souligné est celui de l’universalité : « pour tous les peuples ». Il s’agit d’un festin de paix et de liberté, où « le chant des tyrans devient moins fort » et où est célébrée la victoire de l’Amour. Cette magnifique espérance d’Isaïe ne s’appuie pas sur l’homme, mais uniquement sur Dieu. C’est la solidité de sa Parole (« le roc éternel »: 26,4), qui autorise à espérer, voire même en période de désespoir Et ces pages d’Isaïe furent écrites au cours d’une période de désespoir.
La Parole faite chair, dans l’Evangile d’aujourd’hui, montre que le salut vient de l’accueil de l’invitation à participer à la fête de l’Amour nuptial, à accueillir la vérité de la vie. Jésus Christ attire l’attention sur un paradoxe : le peuple de Dieu refuse le Messie et Son Evangile, alors que les autres, les lointains, le cherchent et l’accueillent. Ce paradoxe renferme (et c’est ainsi que nous, aujourd’hui, nous devons le lire) un sévère et pressant avertissement pour nous les chrétiens: l’appartenance à l’Eglise ne nous met pas en lieu sûr. Il peut arriver, encore aujourd’hui, que les voisins refusent le Christ, alors que les lointains le cherchent. Il peut arriver encore aujourd’hui que ceux qui ont été appelés en premier, par leur refus absurde, ne veuillent pas participer à la joie. Alors Il offre la place à tous les autres.
Donc, aujourd’hui, le message principal c’est que le Dieu de la joie a pour caractéristique d’« appeler » continuellement : Dieu est celui qui aime et appelle. L’utilisation répétée du verbe ne laisse pas de place au doute : Dieu « appelle » continuellement à sa fête. Et pour couronner le tout, il ne se rend pas quand les « appelés » déclinent son invitation. Dieu repart à la charge et en « appelle » d’autres, les mauvais comme les bons, dans le seul but d’atteindre son objectif qui est d’avoir des convives à sa fête.
Le Roi des rois ne cède pas, il ne désiste pas : il continue à inviter, à envoyer des messagers aux croisées des chemins. Quelle belle expression : nous sommes envoyés, nous les croyants en Jésus Christ, aux croisées des chemins. Là où se rencontrent les points cardinaux, là où les cultures se croisent et les peuples débordent des frontières: l’invitation aux noces est pour tout le monde, à chaque carrefour du temps et de l’espace, à chaque périphérie géographique et existentielle. Nous sortons de nos églises parce que nous voulons habiter les croisées des chemins, pour nous mêler aux questions de ce monde, pour lutter et faire en sorte que personne ne se perde aux carrefours de la vie.
Le rajout de la parabole sur le « vêtement de noce » sert d’avertissement aux chrétiens qui peuvent eux aussi être punis pour leur comportement indigne (il leur manque le vêtement de noce), comme les premiers qui ont refusé l’invitation à la joie. La vocation chrétienne n’est pas une garantie automatique du salut final et, pour les croyants, elle n’est pas une garantie magique de participation au Royaume.
2) Deux questions mais une seule réponse
A la lumière de notre méditation, naissent deux questions.
La première: pourquoi refuser l’invitation à participer à la fête qui célèbre l’Amour comme l’ont fait, hélas, les premiers invités ?
La seconde: pourquoi participer à la fête, sans partager la joie du roi, c’est-à-dire sans porter le vêtement de noce, le vêtement de la fête ?
Il n’y a qu’une réponse à ces deux questions : parce que notre cœur est dur et résiste à la conversion. En effet, le Roi de cette parabole s’en prend avec celui qui a bien dit oui à son invitation mais sans mettre le vêtement de noce, parce qu’il n’a pas changé. Il n’a pas revêtu « le vêtement de lin qui sont les actions justes des saints » (Ap 19, 8), ce qui veut dire que son cœur n’a pas changé, en prenant concrètement la voie d’une vie fraternelle, vers des sentiers de justice et de paix. Changer de vêtement, mettre le vêtement de noce, signifie changer de vie, changer totalement ses modes de vie et revêtir notre habit, le Christ lui-même.
La partie de la parabole qui parle du « vêtement de noce » est un avertissement pour les chrétiens qui peuvent eux aussi être punis pour leur comportement indigne (il leur manque le vêtement de noce), comme les premiers qui ont refusé l’invitation à la joie. La vocation chrétienne n’est pas une garantie automatique du salut final et, pour les croyants, elle n’est pas une garantie magique de participation au Royaume.
Nous ne saurions vivre notre festin de noce sans que cela se reflète dans notre manière d’être, dans notre manière de vivre de façon vertueuse. Comme le jour de notre baptême, où nous avons reçu un vêtement blanc, chaque jour nous devons nous revêtir du Christ, en accueillant l’invitation de l’apôtre Paul: « Vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau », c’est-à-dire du Christ. Revêtus de Lui, nous apprenons à aimer comme Lui, à regarder comme Lui.
Le jour de notre baptême, un petit vêtement blanc a été mis sur chacun de nous. Ce geste était (et il l’est encore aujourd’hui) accompagné de ces mots : « Maintenant tu as revêtu le Christ, que ce vêtement blanc soit le signe de ta nouvelle dignité ». Dorénavant le Christ est notre habit de la fête qui ne finit jamais. Nous devons donc passer la vie à nous revêtir de Lui, à faire nôtres Ses gestes, Ses paroles, Son regard, Ses mains, Ses sentiments ; à préférer ceux qu’Il préférait.
L’habit nuptial est comme celui porté par la Dame de l’Apocalypse : vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds, portant sur sa tête une couronne d’étoiles, et sur elle l’habit que Dieu lui a donné, l’habit de fête de la création, qui est la lumière, le premier de tous les symboles de Dieu. Sous le manteau de la Vierge, il y a de la place pour chacun de nous, chercheur de cette lumière qui l’emporte sur les peurs et les ombres qui vieillissent le cœur.
La parabole nous invite à nous convertir à Lui, lui qui en nous aimant nous appelle. Nous pensons à lui sous les traits d’un Roi qui nous appelle à le servir alors que c’est Lui qui nous sert et met à disposition Sa demeure pour la fête. Nous le craignons comme le Dieu des sacrifices alors qu’Il est le Dieu qui a à cœur notre joie. Il nous offre le pain de vie et la coupe de la charité, nous approchons sa table avec humilité, pureté et simplicité.
Nous pensons à Lui sous les traits d’un Dieu lointain, un Dieu à l’écart, alors qu’Il est dans la salle de la vie, la salle du vrai monde, comme une promesse de bonheur, une échelle de lumière posée sur le cœur et qui monte vers le ciel.
En acceptant l’invitation de Dieu, le cadeau de sa joie, nous évitons de tomber dans l’erreur de ceux qui n’ont pas répondu à Son appel, car en plus d’avoir perdu la joie du cœur, ils la recherchent derrière les choses à posséder et les affaires à faire. Convertissons-nous à ce Dieu qui, lorsqu’il est rejeté, au lieu de baisser les attentes, les augmente : « Appelez tout le monde »; et des nombreux invités il passe à tous les invités : tous ceux que vous trouverez, les mauvais comme les bons, faites-les entrer.
A noter : d’abord les mauvais puis les bons… Nous ne sommes pas appelés parce que nous sommes bons et que nous le méritons, mais parce que nous devenons bons, en nous laissant rencontrer et enchanter par une proposition de vie belle, bonne et heureuse que Dieu nous fait.
En cela prenons exemple sur les Vierges consacrées. Les personnes consacrées dans le monde s’efforcent de « concilier harmonieusement la vie intérieure et le travail dans l’engagement évangélique de la conversion des mœurs, de l’obéissance et de la stabilité, ainsi que dans la pratique assidue de la méditation de la Parole de la célébration de la liturgie, de la prière » (cf. Jean Paul II, Exhort. Ap. Post-synodale, Vita consecrata, 25 mars 1996, n.6).
Leur consécration est une forme de conversion stable au Père, avec le désir de chercher filialement sa volonté dans une conversion continue, où l’obéissance est source de liberté, où la chasteté exprime la tension d’un cœur qu’aucun amour fini ne peut satisfaire, où l’esprit de pauvreté épanche la faim et la soif de justice que Dieu a promis de combler (cf. Mt 5, 6).
Leur consécration est de se tourner harmonieusement vers le Fils, avec qui elles tendent à vivre une communion de vie intime, profonde et joyeuse. C’est enfin se tourner vers l’Esprit Saint qui «consacre leur cœur et les anime de sa force pour le service de Dieu et de l’Eglise » (Rituel de consécration des Vierges, n. 37).
Lecture Patristique
Saint Augustin (354 – 430), Sermon 90, 1 5-6, PL 38, 559 561-56
L’indispensable vêtement de noce
Tous les fidèles connaissent les noces du fils du roi, et le banquet qui les suivit. Ils savent que le Seigneur les invite tous, s’ils le veulent, à sa table somptueuse.
Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce, et lui dit: « Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noce? » L’autre garda le silence (Mt 22,11-12).
Que signifie donc cette parabole? Mes frères, tâchons de trouver ce qui appartient à certains fidèles et qui manque aux méchants: c’est précisément cela qui sera le vêtement de noce. Seraient-ce les sacrements? Vous pouvez voir qu’ils sont communs aux méchants et aux bons. Serait-ce le baptême?
Personne, il est vrai, n’arrive à Dieu sans le baptême, mais tous ceux qui le reçoivent n’arrivent pas jusqu’à Dieu. Je ne puis donc penser que le baptême, j’entends le sacrement seul, soit le vêtement de noce, car je vois qu’il est porté par les méchants comme par les bons. Serait-ce l’autel, ou ce que nous recevons à l’autel? Nous voyons que beaucoup viennent y prendre leur nourriture, et pourtant ils mangent et boivent leur condamnation. Qu’est-ce donc? Le jeûne? Les méchants jeûnent aussi. La fréquentation de l’église? Les méchants y vont aussi.
Dès lors, quel est ce vêtement de noce? Voici ce que l’Apôtre nous en dit: Le but de cette prescription, c’est l’amour qui vient d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère (1Tm 1,5). Tel est le vêtement de noce.
Il n’est pas n’importe quel amour, car on voit très souvent des hommes malhonnêtes en aimer d’autres, malhonnêtes comme eux, mais on ne trouve pas chez eux l’amour qui vient d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. Cet amour, c’est le vêtement de noce.
J’aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, dit l’Apôtre, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, connaître tous les mystères et toute la science, et avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien (1Co 13,1-2). J’aurais beau avoir tout cela, dit-il, sans le Christ je ne suis rien. Donc, la prophétie n’est-elle rien? Et la science des mystères n’est-elle rien? Si, elles ont de la valeur; mais quand bien même je les posséderais, sans l’amour je ne suis rien.
Que de biens sont inutiles, si un seul bien vient à manquer! Si je n’ai pas l’amour, j’aurais beau confesser le nom du Christ jusqu’à verser mon sang, jusqu’à livrer mon corps aux flammes, cela ne servirait à rien, puisque je puis agir ainsi par amour de la gloire. Il peut donc arriver, en effet, que ces oeuvres soient privées de l’amour et de la piété, qui les auraient rendues fécondes, et qu’elles soient frappées de stérilité par le désir de la gloire. Aussi l’Apôtre les mentionne-t-il avec les autres. Ecoute ce qu’il en dit: J’aurais beau distribuer toute ma fortune en aumônes, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne sert à rien (1Co 13,3).
Voilà le vêtement de noce. Examinez-vous: si vous l’avez, vous prendrez place avec confiance au banquet du Seigneur.