Mgr Ivan Jurkovic © RV

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Pandémie et développement : Mgr Ivan Jurkovic tire la sonnette d’alarme

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La personne doit être le but de l’activité économique

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Mgr Ivan Jurkovic alerte sur les effets de la pandémie dans le monde et « le danger potentiel d’une nouvelle décennie perdue, en particulier pour les pays en développement, et mettant fin à tout espoir de réaliser les Objectifs de Développement Durable », à la 67e session du Conseil du commerce et du développement de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), le 1er octobre 2020 à Genève.

L’observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève a évoqué l’urgence des nombreux défis, entre autres « l’augmentation de la dette publique et l’incapacité de la communauté internationale à s’entendre sur un gel et une réduction complets », « le déclin inquiétant du financement du développement », « le danger d’un retour aux politiques d’austérité » et les conséquences du confinement sur l’emploi.

Relevant les « graves lacunes » et les « profondes inégalités qui caractérisent notre système socio-économique », Mgr Jurkovic a rappelé que « la personne doit être le but de l’activité économique et donc le centre de toutes les institutions sociales dans la communauté nationale et internationale ». Il a invité à apporter à la crise actuelle des réponses mondiales « fortes » visant à « promouvoir le bien commun », en renforçant « la solidarité et la proximité entre les États et l’amitié entre les peuples ».

Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Ivan Jurkovic.

HG

Intervention de Mgr Ivan Jurkovic

Monsieur le Président,

Tout d’abord, la délégation du Saint-Siège souhaite remercier le Secrétaire général et le Secrétariat pour le Rapport sur le commerce et le développement 2020 intitulé : « De la pandémie mondiale à la prospérité pour tous : éviter une autre décennie perdue ». Comme le souligne le rapport, le ralentissement de la croissance que le monde connaissait avant même l’apparition de la COVID-19 s’est transformé en une très grave récession. Parallèlement à l’effroyable crise sanitaire, le « Grand Lockdown », tel que l’a défini le FMI, « a fait basculer l’économie mondiale dans une récession en 2020 d’une ampleur jamais vue depuis les années 1930 » (1), avec de profondes conséquences socio-économiques. Parmi les nombreux défis urgents, l’augmentation de la dette publique et l’incapacité de la communauté internationale à s’entendre sur un gel et une réduction complets (2) de la dette sont particulièrement préoccupants, soulignant tous deux le danger potentiel d’une nouvelle décennie perdue, en particulier pour les pays en développement, et mettant fin à tout espoir de réaliser les Objectifs de Développement Durable.

Le scénario socio-économique esquissé par le rapport met en évidence certaines des mêmes préoccupations qui ont conduit le pape François à créer la Commission COVID-19 du Vatican en mars 2020, exprimant la sollicitude et l’attention de l’Église pour l’ensemble de la famille humaine confrontée à la pandémie COVID-19(3). Quant au rapport de la CNUCED, au centre de l’analyse et des réflexions, il y a non seulement les pays développés les plus touchés, qui connaissent certaines des plus fortes baisses de production, mais aussi les pays en développement et les pays les moins avancés, dont les populations sont confrontées aux plus grandes conséquences économiques et sociales.

En outre, l’un des effets les plus graves de la pandémie s’observe dans le déclin inquiétant du financement du développement, avec la baisse des niveaux d’aide, une tendance alarmante à la privatisation, notamment dans le cadre des partenariats public-privé, et le danger d’un retour aux politiques d’austérité, comme cela s’est produit après la crise financière mondiale. Nous nous félicitons de l’appel lancé dans les rapports pour trouver des moyens d’élargir la marge de manœuvre budgétaire, en particulier pour les pays en développement, reconnaissant que « compte tenu de l’accroissement des inégalités résultant de cette crise, l’argument en faveur d’un impôt sur la fortune semble irréfutable » (4). Ma délégation souhaite rappeler que les politiques fiscales et monétaires représentent en effet un moyen puissant de financer un développement durable tant au niveau national qu’international.

En outre, l’impact du confinement et ses conséquences en rapide évolution dans le monde du travail affectent l’emploi d’une manière encore difficile à évaluer. Il est essentiel qu’« avec l’engagement convergent de tous les responsables politiques et économiques, le travail puisse reprendre» dès que possible car, comme l’a souligné le pape François, « les familles et la société ne peuvent pas continuer sans travail. […] C’est et ce sera un problème au lendemain de la pandémie : la pauvreté et le manque de travail » (5). Le rapport reconnaît bien qu’« une reprise durable exige une augmentation plus rapide des salaires pour les emplois à bas salaires également afin de relancer la productivité et la croissance de l’emploi. La répression des salaires et les règles de plus en plus faibles du marché du travail ne feront qu’aggraver les conditions préexistantes de l’économie mondiale » (6).

À Nairobi, il y a cinq ans, les États membres de la CNUCED « ont reconnu que les activités économiques doivent être au service des personnes. Toute stratégie de développement et de croissance devrait viser à promouvoir tous les êtres humains et à faire primer le travail humain » (7). Cette crise, dans un sens, nous a donné une occasion unique de dépasser un modèle économique fondé sur l’égoïsme, indifférent aux dommages infligés à notre maison commune. En élaborant notre programme de travail en vue de la CNUCED XV, nous devrions viser à développer un nouveau paradigme économique fondé sur la primauté de la personne humaine sur toute situation de la vie sociale. Le point d’arrivée est tout aussi clair : la personne doit être le but de l’activité économique et donc le centre de toutes les institutions sociales dans la communauté nationale et internationale.

Monsieur le Président,

Ces défis mondiaux doivent être relevés et traités par des réponses mondiales tout aussi fortes. Comme le rappelle le Secrétaire général dans l’avant-propos du rapport, le multilatéralisme était déjà sous tension avant la crise. Toutefois, la réponse du système multilatéral à la pandémie COVID-19 a mis en évidence de graves lacunes ainsi que les profondes inégalités qui caractérisent notre système socio-économique et qui ne peuvent plus être ignorées. Le Saint-Siège tient à le rappeler :« Face à cette série d’inégalités, la famille humaine doit se sentir et vivre véritablement comme une famille interconnectée et interdépendante » (8) et, comme l’affirme le rapport, pour faire face à un choc similaire dans notre monde interdépendant, nous devons créer de manière proactive un consensus et reconstruire un système qui puisse réellement répondre aux besoins de beaucoup, en visant à promouvoir le bien commun. Dans ce contexte, le Saint-Siège réitère son appel « à œuvrer pour le bien commun comme critère d’action morale et comme objectif, inspirant chaque pays à coopérer pour garantir l’existence et la sécurité pacifique de tous les autres, dans un esprit d’égale dignité et de solidarité effective, et dans le cadre d’un système juridique fondé sur la justice et la recherche de justes compromis » (9). Nous devons nous efforcer de sortir de la pandémie COVID-19 meilleurs qu’auparavant, en construisant un nouveau modèle de développement et en luttant contre l’injustice et la dégradation sociales.

Monsieur le Président,

Nous espérons que ce moment de grand besoin peut être une bonne occasion de renforcer la solidarité et la proximité entre les États et l’amitié entre les peuples (10). C’est le moment de « rassembler toute la famille humaine pour rechercher un développement durable et intégral » (11) comme alternative à « l’égoïsme des intérêts particuliers et à la tentation d’un retour au passé, au risque de porter gravement atteinte à la coexistence pacifique et au développement des générations futures » (12).

Je vous remercie, Monsieur le Président.

  1. CNUCED, Rapport sur le commerce et le développement 2020, p.1.
  2. Idem p.2.
  3. Voir égalementhttp://www.humandevelopment.va/en/vatican-covid-19.html.
  4. 4.CNUCED,idem, p.10.
  5. 5. Pape François,Angelus,2 août 2020, http://www.vatican.va/content/francesco/fr/angelus/2020/documents/papa-francesco_html.
  6. 6. CNUCED,idem, p. 6.
  7. 7. Nairobi Azimio, par. 9.
  8. 8. Message dupréfet du Dicastère pour laPromotion du Développement humain intégral à l’époque du coronavirus (covid19), 11 mars 2020.
  9. 9. Discours du pape François aux membres du corps diplomatique accrédités auprès du Saint-Siège pour le traditionnel échange des vœux de Nouvel An, 9 janvier 2020,

http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2020/january/documents/papa-francesco_20200109_corpo-diplomatico.html

  1. 10. Message dupréfet du Dicastère pour laPromotion du Développement humain intégral à l’époque du coronavirus, op. cit.
  2. 11. Laudatosi’, 25 mai 2015, 13.
  3. 12. Message Urbi et Orbi du pape François, 12 avril 2020,

http://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/urbi/documents/papa-francesco_20200412_urbi-et-orbi-pasqua.html

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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