Mgr Follo, 28 juin 2020 © Anita Sanchez

Mgr Follo, 28 juin 2020 © Anita Sanchez

« Se convertir à l’Amour de Dieu qui crée et pardonne », par Mgr Follo

« Dieu ne renonce jamais et Il nous offre un nouveau moyen pour arriver à un amour irrévocable »

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« Se convertir à l’Amour de Dieu qui crée et pardonne »: c’est le titre de ce commentaire des lectures des la messe de dimanche prochain, 4 octobre 2020 (XXVIIe dimanche du temps ordinaire – Année A), par Mgr Francesco Follo.

L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, a exprimé « le souhait que notre vie se transforme en amour comme le fruit de la vigne se transforme en vin ».

« Dieu ne renonce jamais et Il nous offre un nouveau moyen pour arriver à un amour libre, irrévocable, pour arriver au fruit de cet amour, au vrai raisin : Il envoie son Fils qui se fait homme », explique Mgr Follo.

AB

Se convertir à l’Amour de Dieu qui crée et pardonne   

1) La vigne de Dieu porte le fruit de l’amour.

La parabole d’aujourd’hui est la parabole de l’histoire humaine. L’histoire humaine est une histoire où des ordures sont produites et où elles sont ramassées par Dieu comme pierre angulaire d’une construction mystérieuse qui est son royaume. L’homme jette tout, au point de jeter Dieu, et Dieu récupère tout, sauf lui-même parce que le don qu’il fait demeure. C’est en effet la parabole de l’histoire humaine. Nous parlons de ce que chacun de nous peut vivre d’une manière ou d’une autre, jour après jour, dans ce monde concret où chacun de nous vit.

C’est la parabole de l’histoire humaine, mais il faut aussi dire que c’est exactement la parabole qui concerne d’abord l’histoire de Jésus. C’est la prévision détaillée même de ce qui arrivera à Jésus et de ce que Lui acceptera. Cependant, pour cette raison-même, cela devient aussi un peu une parabole, une allégorie de l’histoire humaine.

« Ecoutez une autre parabole : il y avait un propriétaire qui avait planté un vignoble et l’avait entouré d’une haie, y avait creusé un moulin à huile, y avait construit une tour, puis l’avait confié à des locataires et était allé ailleurs » (Mt 21 , 33). Ce verset résume toute l’action créatrice de Dieu : il y a d’abord ce Dieu qui décide de créer l’homme ; puis quand il a décidé de le créer, il considère qu’il est important de créer aussi un environnement vital où le placer. Et, alors, Il crée ce jardin et le jardin en Israël n’est pas tant un jardin de pelouses, c’est un jardin d’arbres fruitiers, un jardin d’arbres dont il est bon de manger les fruits.

Alors, il crée ce jardin et l’entoure d’une haie. La haie est le lieu qu’est cette frontière qui distingue le jardin du désert. Dans ce cas aussi, nous devons imaginer de nous installer en Israël dans la configuration géographique de ce lieu. Créer une haie, c’est créer un lieu, une sorte d’oasis, un lieu où il y a de l’eau, où il y a de la fertilité. Ce jardin avec sa haie et sa tour qui est référence à l’Autre devient symboliquement le lieu de la présence de Dieu.

Dans ce jardin est plantée la vigne qui est l’arbre de la bénédiction par excellence. La vigne est figure de la bénédiction de Dieu, c’est une bénédiction qui n’a pas de fin, une bénédiction qui ouvre en quelque sorte à l’expérience de Dieu lui-même, comme elle s’ouvre à la fête. Elle rend ainsi possible une expérience spirituelle, au sens de l’expérience de l’Esprit.

Pour cela, le passage de l’évangile d’aujourd’hui s’ouvre sur l’image de la vigne, très fréquente dans l’Ancien Testament, toujours pour parler du royaume de Dieu, ou de son peuple, ou également de la femme aimée. Le lien avec la première lecture est évident, ce « cantique de la vigne » d’Isaïe (5,1-7) qui décrit poétiquement tous les soins et l’attention que Dieu porte à son peuple. De ce peuple tant aimé, Dieu attend des fruits que pourtant le peuple ne lui donne pas.

Dans cette parabole Jésus reprend quelques phrases du « cantique de la vigne » dans lequel ce grand prophète décrit, en profondeur, l’histoire du peuple d’Israël que Dieu entoure d’un amour fidèle. On y voit l’amour persistant de Dieu auquel répond la trahison non moins persistante de son  peuple. Dieu attendait du raisin de qualité, mais il n’en eut que du mauvais (Is 5,2). Dieu en attendait  la justice, et c’est l’oppression. Il en attendait le droit, et c’est l’injustice (Is, 5,7).

Dans ce cantique, Isaïe dit que cette histoire ne peut continuer indéfiniment. Il faut un jugement (Is, 5,3). Il ne reste plus que le châtiment : la vigne sera écrasée, elle ne sera plus cultivée et il y poussera des ronces et des épines. Mais la punition de Dieu n’est jamais pour toujours. Ses menaces  visent à convertir, pas à détruire.

Toujours dans cette parabole, Jésus précise que la question qui se pose n’est pas la production de fruits plus ou moins bons, mais la volonté des vignerons de s’approprier la vigne de leur Patron. Ils ne veulent pas reconnaître leur patron en tant que tel. C’est là leur péché. Ils se comportent comme si la vigne leur appartenait. Et lorsqu’ils tuent le Fils [1] du Patron, ils disent clairement qu’ils veulent se faire héritiers et patrons. Mais en refusant l’autorité de Dieu, ils rejettent la pierre angulaire, la seule capable de tenir le monde debout. Si Dieu n’est pas reconnu, le monde ne tient pas debout, la société humaine vole en éclats.

En nous plaçant dans la logique amère et violente des vignerons, nous répétons ces paroles insensées et brutales : «Celui-ci est l’héritier, venez, tuons-le et c’est nous qui aurons l’héritage ». En obéissant à cette injonction brutale et vulgaire, nous contribuons à perpétrer les vendanges de sang qui incendient le monde.

Si à la question du Christ : « Que fera le patron de la vigne après le massacre de son fils ? » notre réponse était semblable à la solution des Juifs, nous devrions recevoir une punition exemplaire, il viendrait de nouveaux vignerons, de nouveaux impôts, mais le monde ne changerait pas. Cette justice-là nous ramènerait en arrière, avant le délit, en conservant le cycle immuable du « prendre » et du « donner », et plus précisément du « demander trop».

Jésus, par sa réponse, gonfle notre cœur d’espérance : l’histoire finira bien, la vigne produira en abondance, le Patron ne perdra pas ses jours en vengeances éternelles. Le royaume de Dieu appartiendra à un peuple qui en produira les fruits, c’est-à-dire l’amour, et qui en deviendra la pierre d’angle, garante d’un amour solide.

Si nous sommes appelés en tant que pierres vives à être l’Eglise vivante du Christ, en tant que sarments nous devons faire corps avec lui, qui est la vie, pour vivre dans l’amour et de l’amour, aimant le Seigneur et nous laissant aimer de Lui.

Dieu ne renonce jamais et Il nous offre un nouveau moyen pour arriver à un amour libre, irrévocable, pour arriver au fruit de cet amour, au vrai raisin : Il envoie son Fils qui se fait homme. Dieu devient alors la racine de la vigne, il devient la vigne et dès lors, la vigne devient indestructible. Ce peuple de Dieu ne peut  être détruit parce que Dieu lui-même y est entré, Il s’est implanté dans cette terre. Le nouveau peuple de Dieu est réellement ancré en Dieu lui-même, qui se fait homme et nous appelle ainsi à être en lui la nouvelle vigne. Il nous appelle à demeurer en Lui.

2) La joie de l’amour

Quelle est la raison d’être de la vigne ? C’est de donner du fruit, de faire le don précieux du raisin, du bon vin.

Le vin est un symbole, il exprime la joie de l’amour. Le Seigneur s’est choisi un peuple pour répondre à son amour. Cette image de la vigne prend donc le sens de noces. La vigne exprime l’idée que Dieu recherche l’amour de sa créature, il veut entrer dans une relation d’amour, dans une relation sponsale avec le monde à travers le peuple qu’il a élu.

Malheureusement l’histoire de ce peuple de Dieu est une histoire d’infidélités : au lieu de raisin précieux, il ne produit que des petites choses « immangeables ». Au lieu de rester dans la communion de l’amour, l’homme se retire dans son égoïsme, il veut avoir lui-même tout à lui, il veut avoir Dieu pour lui seul, il veut avoir le monde pour lui seul. Dès lors, la vigne est dévastée, le sanglier sort du bois, tous ses ennemis arrivent, et la vigne devient un désert.

La Volonté de Dieu n’est pas celle d’un patron qui veut se faire payer le loyer, qui exige la condamnation de celui qui a tué son Fils. Il ne veut pas d’une vigne qui donne des grappes rouges de sang et amères de larmes, mais des grappes d’amour mûries au soleil de sa vérité et gonflées de la lumière de son amour qui jaillisse du cœur de son Fils. Ce Fils, mort sur la croix,  de « pierre écartée par les constructeurs » devient « pierre angulaire », la base de tout.

Que pouvait-il faire de plus, le Seigneur ? Dieu a aimé jusqu’à ce point extrême : Il a tant aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils, en le livrant à la mort sur la croix. Comme le dit St Paul : sur la croix, Jésus « m’a aimé et s’est donné totalement pour moi ». Voilà l’œuvre admirable du Seigneur. La résurrection du Christ devient la base et le début de toute vie nouvelle. C’est la revanche de l’amour, sa victoire.

Pour comprendre cette logique divine, nous devons pleurer non pas sur notre infertilité de sarments détachés de la vigne, mais plutôt sur le souvenir de l’amour divin que nous trahissons. Les tendresses de Dieu, ses soins si doux de divin Amoureux, sont la source de notre vraie joie.

Nous le remercions du plus profond de notre cœur lui qui dit : « je suis la vigne et vous êtes les sarments que je rends fertiles » et nous lui demandons humblement de nous accorder la grâce de rester toujours unis à lui dans l’éternel mystère de la mort et de la résurrection, dans l’oblation de notre personne au Père.

Les vierges consacrées dans le monde ont offert et renouvelé cette oblation de leur personne en « sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu » (Rm 12,1). Elle leur donne de rester soudées au Christ comme des sarments à la vigne et leur relation avec le Christ est le secret de leur fécondité spirituelle.

Ces femmes consacrées dans le monde sont en union avec le Christ, proches de leurs frères et sœurs en humanité. L’humanité est le lieu où Jésus nous envoie pour être comme lui « chez notre Père »[2].

Ces femmes sont appelées à témoigner de façon particulière de la richesse des fruits que donne l’union avec Jésus et comme lui, dans la maison du Père, dans sa volonté, dans son dessein  salvifique d’amour. En travaillant et en vivant dans le monde, elles sont appelées à vivre et à témoigner de l’harmonie entre la vie intérieure et la vie dans le monde. L’habitude de vivre avec le Seigneur les pousse à aller au-delà de ce qu’elles sont pour s’ouvrir à la dimension de l’amour. Les paroles émouvantes de Jésus : « Demeurez en moi… demeurez en mon amour ! » (Jn 15,7.9), sont la clé pour construire la spiritualité authentique de la femme consacrée : de l’Amour qu’elles reçoivent à l’amour qu’elles donnent.

Avec l’appel à la virginité, le Seigneur ne les enlève à personne : plus croît leur union à Lui, plus croissent les ressources du don de soi à leurs frères, ressources d’un amour qui atteint les personnes même à travers les voies mystérieuses de l’esprit.

L’appartenance à Dieu se transforme toujours en don à notre prochain.

Par ailleurs, la virginité ne prive pas la femme de ses caractéristiques propres d’épouse et de mère. C’est avec un cœur d’épouse que la femme consacrée s’adresse à ses frères. S’il n’en était pas ainsi, il en serait comme d’un sarment détaché de la vigne. Paul dit : « C’est de Dieu que vient notre capacité » (2 Co 3,5).

C’est avec un cœur de mère que la femme consacrée vit la maternité spirituelle sous des formes multiples. Dans sa vie consacrée la femme, selon ses capacités propres, exprime une « sollicitude maternelle à l’égard des êtres humains, spécialement pour les plus démunis, les malades, les personnes handicapées, les abandonnés, les orphelins, les vieillards, les enfants, les jeunes, les prisonniers et d’une façon générale, les personnes marginales. La consacrée retrouve ainsi l’Epoux, différent et unique dans tous et dans chacun, selon Ses propres paroles : « Chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits (…), c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). (St Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, 21).

Comme pour Marie, la maternité nous vient comme un don et quelque chose de nouveau commence. C’est la réponse de Dieu à un amour gratuit que lui-même a suscité « pour ne pas priver ce monde d’un rayon de la beauté divine qui illumine le chemin de l’existence humaine. » (Vie Consacrée, 109).

 

Lecture Patristique

Saint Basile le Grand ( + 379): « Porter du fruit »

Homélies sur l’Hexaéméron, 5, 6  (version remaniée de SC 27, 304-307)

Il te suffit de regarder la vigne avec intelligence pour te souvenir de ta nature. Tu te rappelles évidemment la comparaison faite par le Seigneur quand il dit qu’il est lui-même la vigne et son Père, le vigneron. Chacun de nous avons été greffés par la foi sur l’Église, et le Seigneur nous appelle des sarments, il nous exhorte à porter beaucoup de fruits, de peur que notre stérilité ne nous fasse condamner et livrer au feu. Il ne cesse, en toutes occasions, de comparer les âmes humaines à des vignes. Mon bien-aimé avait une vigne, dit-il, sur un coteau, en un lieu fertile (Is 5,1), et: J’ai planté une vigne, je l’ai entourée d’une haie (cf. Mt 21,33). Ce sont évidemment les âmes humaines que Jésus appelle sa vigne, elles qu’il a entourées comme d’une clôture, de la sécurité que donnent ses commandements et de la garde de ses anges, car l’ange du Seigneur campera autour de ceux qui le craignent (Ps 33,8). Ensuite il a planté autour de nous une sorte de palissade en établissant dans l’Église premièrement des Apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs.

En outre, par les exemples des saints hommes d’autrefois, il élève nos pensées sans les laisser tomber à terre où elles mériteraient d’être foulées aux pieds. Il veut que les embrassements de la charité, comme les vrilles d’une vigne, nous attachent à notre prochain et nous fassent reposer sur lui afin qu’en gardant constamment notre élan vers le ciel, nous nous élevions comme des vignes grimpantes jusqu’aux plus hautes cimes.

Il nous demande encore de consentir à être sarclés. Or une âme est sarclée quand elle écarte d’elle les soucis du monde qui sont un fardeau pour nos coeurs. Ainsi celui qui écarte de soi l’amour charnel et l’attachement aux richesses, ou qui tient pour détestable et méprisable la passion pour cette misérable gloriole, a, pour ainsi dire, été sarclé, et il respire de nouveau, débarrassé du fardeau inutile des pensées terrestres.

Mais, pour rester dans la ligne de la parabole, il ne nous faut pas produire que du bois, c’est-à-dire vivre avec ostentation, ni rechercher la louange de ceux du dehors: il nous faut porter du fruit en réservant nos oeuvres pour les montrer au vrai vigneron.

[1] Il ne faut pas s’étonner de ces agissements qui  illustrent avec réalisme une situation fréquente à l’époque de Jésus, et même plus tard, jusqu’aux années 70 environ. Les collines de Galilée constituaient en grande partie des  grandes propriétés appartenant à des propriétaires étrangers qui les louaient à des privés ou même à des groupes de fermiers. Ceux-ci devaient, aux termes d’un contrat, donner une partie de la récolte à leur patron qui, vivant au loin, envoyait généralement ses représentants pour l’encaisser. Il arrivait même que, profitant de l’absence du propriétaire, les paysans se révoltent, refusant d’honorer leur contrat ; bien pire, ils pouvaient en arriver à des actes de violence envers les administrateurs envoyés par des personnes puissantes certes, mais trop éloignées d’eux. Dans l’histoire racontée par Jésus, en raison des échecs répétés des administrateurs, le patron en vient à envoyer son propre fils, son héritier, confiant dans son autorité. Mais les vignerons se montrent encore plus agressifs et le tuent. Ici aussi il existe un fond de vérité : selon le droit de l’époque, une propriété dont le propriétaire mourait sans héritier, revenait au premier occupant.

[2]  Cette expression  traduit  littéralement le texte grec du verset bien connu de Luc : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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