« Obéir à l’amour c’est être libre… Obéir à Dieu le Père signifie faire sa volonté, aimer le bien, choisir le bien, vouloir le bien, faire le bien », explique Mgr Francesco Follo dans ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 27 septembre 2020 (XXVIème Dimanche du Temps Ordinaire – Année A).
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose ensuite comme lecture patristique une homélie de S. Clément d’Alexandrie sur « le repentir, porte du Royaume ».
AB
L’obéissance c’est l’amour mis en pratique
1) Obéir à l’amour c’est être libre
La première réflexion spontanée qui pourrait naître de la parabole du Père qui envoie ses deux fils travailler à la vigne pourrait être celle de s’identifier ou à celui qui dit oui, mais désobéit ensuite, ou à celui qui se rebelle à la demande paternelle, mais finit par obéir. En réalité, ces deux frères font tous deux la même erreur de fond : pour tous les deux, le Père est leur patron.
Le premier accepte tout de suite, il veut faire croire à son père ce qu’il n’est pas, mais, dès qu’il le peut, il ne respecte pas l’engagement pris. Le second répond clairement « je ne veux pas », car il trouve que travailler dans la vigne est trop lourd pour lui, il préfèrerait faire autre chose, aurait d’autres projets, d’autres intentions, mais « il se repent »[1]. L’amour pour son Père prend le dessus et il s’achemine vers la vigne.
Le Père est vu et traité comme un patron si on est porté à vivre comme les esclaves d’une volonté supérieure avec laquelle on n’est pas d’accord et à laquelle on se soumet par crainte. Par cette parabole, le Christ nous indique qu’en se repentant on peut suivre la volonté du Père par attraction d’amour et non par contrainte. Dieu est un père, non un patron. Dieu est le Père qui aime et invite à accueillir son amour.
L’amour n’est pas facile surtout quand il nous donne des ordres que nous ne comprenons pas et que nous les vivons comme quelque chose qui limite notre liberté. A ce propos, Jésus nous enseigne que notre liberté exige d’abord le rejet de notre propre égoïsme, la mort du péché car, en adhérant à Dieu, notre vie en Dieu se déploie dans le monde. La marche de l’âme dans la vraie vie est un rapport d’obéissance. Au début il s’agit certainement de renoncer à soi (cf. Mc 8,34), d’un reniement de soi pour sortir de cet état d’aliénation dans lequel le péché nous a placés, pour retourner en pleine possession de notre être en Dieu. En adhérant à Dieu, notre âme peut vivre de plus en plus la liberté divine et se répandre, se dilater, de plus en plus, dans l’immensité de la vie de Dieu. C’est pourquoi l’obéissance est le chemin de la vie ! Vouloir nous dispenser d’obéir à Dieu équivaut à nous dispenser de la vie, à rester crispés dans notre petit moi, enfermés, étouffés dans le péché, aliénés à nous-mêmes, à notre vrai moi aimé par Dieu, dont l’Amour ouvre la voie à notre amour.
Le fils qui avait dit « non » au Père, se convertit à cet Amour. Qu’est-ce qui a désarmé le refus de ce fils ? Le repentir, provoqué par le cœur et l’esprit changés. Son repentir (cf. note 1) signifie « changer de mentalité, changer sa façon de voir », de voir le père et la vigne. Le père n’est plus un patron auquel il faut obéir ou, pire encore, que l’on peut tromper, mais le chef de famille qui envoie son fils dans la vigne, qui est aussi la sienne, pour une vendange abondante, pour un vin de fête pour toute la maison. Et la fatigue devient pleine d’espérance et d’amour.
Le fils obéissant qui « se repentit » (cf. Mt 21, 30) avait compris que l’alternative de fond était (et elle l’est) entre une existence stérile et une existence féconde, qui transformait (et transforme) un coin de désert en vigne, et sa propre famille en un fragment du paradis de Dieu. Loin de diminuer sa dignité de fils, l’obéissance fait grandir sa liberté et l’ordonne, comme une sorte d’ordination, pour la mission de cultiver la vigne du monde. C’est comme l’imposition des mains le jour de l’ordination sacerdotale, qui marque les débuts de la mission du prêtre, le moment où l’évêque, au nom de Dieu, envoie à aller dans la vigne du Seigneur. Obéir, c’est imiter le Christ et participer à sa mission. Celui qui obéit se préoccupe de faire ce que Jésus a fait et, en même temps, ce que Lui ferait dans la situation où chacun de nous se trouve aujourd’hui.
2) L’obéissance[2] et la liberté ne sont pas contradictoires
Dieu « ose » nous confier Sa vigne, Il nous donne Sa « propriété », nous « ordonne » de travailler, en confiant sont projet de bonté à notre liberté et de le réaliser. L’obéissance de la Vierge Marie « réalisa » Dieu, donna sa chair à Dieu, et fit une très haute expérience de liberté. Dieu nous demande la même chose, amoureusement. Et l’obéissance est notre réponse à son amour. L’obéissance est le fruit de l’amour et un service à l’Amour. Il n’y a pas d’amour sans obéissance et sans amour l’obéissance devient servile.
C’est pour chaque enfant rebelle à Dieu, mais repenti et capable d’amour que le Fils de Dieu a assumé la condition humaine, qu’il a vécu parmi nous, comme serviteur, qu’Il a affronté le jugement des personnes hautaines, qu’Il est monté sur la croix, et qu’Il est mort[3] ; mais dans sa mort toute faute a été lavée, et, dans sa résurrection, tout pécheur revient à la vie et devient capable d’aimer Dieu à nouveau, de l’écouter et d’obéir à sa Parole, qui nous dit des mots qui interpellent chacun de nous, tous les jours.
Mais Jésus ne nous met pas seulement en garde contre une religiosité vide, froide et formelle, qui se réduirait à des actes extérieurs, il nous invite à cultiver en profondeur la foi et de vraies relations filiales avec Dieu, des relations enracinées fortement dans l’amour qui accueille, écoute et obéit humblement.
Jésus se situe entre les deux frères ; c’est le troisième fils qui dit « oui » tout de suite et fait tout de suite aussi ce qui lui est ordonné. Ce troisième fils[4] est le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, qui, en entrant dans le monde, a dit : « Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté” (Hé 10,7). Ce « oui », Jésus en l’a pas seulement prononcé, il l’a accompli, il a obéi et souffert jusqu’à la mort, et la mort de la croix (cf. Phil 2, 6-8).
C’est en toute humilité et obéissance que Jésus a fait la volonté du Père, qu’Il est mort sur la croix pour ses frères et sœurs – pour nous – et qu’Il nous a rachetés de notre orgueil et entêtement.
Ces deux vertus, avec la chasteté et la pauvreté, forment la croix qu’il nous est « ordonné » chaque jour de prendre, pour nous sauver et sauver le monde : « L’obéissance consacre notre cœur, la chasteté notre corps, et la pauvreté nos biens à l’amour et au service de Dieu: ce sont les trois bras de la croix spirituelle, qui reposent sur le quatrième qui est l’humilité » (Saint François de Sales, Philotée, chap. 10).
L’humilité ne jouit pas – aujourd’hui, et n’a peut-être jamais joui – d’une grande estime, mais les Vierges Consacrées dans le monde savent que cette vertu rend fécond le travail dans la vigne de Dieu. Le terme « humilité » vient du mot latin humilitas, qui a à voir avec humus (terre), c’est-à-dire avec l’adhérence à la terre, à la réalité. Ces femmes, qui se sont complètement données à Dieu, vivent en personnes humbles car, vivant en Lui et pour Lui, elles écoutent humblement le Christ, la Parole de Dieu, et tendent à avoir les mêmes sentiments que leur Epoux (« Ayez les mêmes sentiments que Jésus Christ » – Phil 2,5), qu’elles aiment. Et comme disait Saint Augustin: « Il n’y a pas de charité sans humilité » (Prologue du Commentaire à la Lettre de Saint Jean) et dans un autre livre il écrit: « la charité est la gardienne de la virginité, la maison où habite ce gardien est l’humilité » (Sur la Sainte Virginité, 51, 52).
La vocation à vivre la virginité consacrée comme don complet de soi au Christ et signe de l’Eglise Epouse se traduit par un abandon total à l’amour de leur Epoux, par une communion intense avec Lui une humble charité qui se fait service désintéressé à l’Eglise et témoignage lumineux de foi, espérance et charité, dans la vie de tous les jours.
Comme le demande le Rite de consécration (cf. nn. 14-18) chaque vierge membre de l’Ordo s’engage à ne pas jamais perdre de vue que la prière n’est pas seulement personnelle, une réponse généreuse à la voix de l’Epoux et une humble demande de secours pour rester fidèle au saint propos et au don reçu, mais une intime participation à la vie du corps mystique de Jésus Christ, inépuisable intercession pour l’Eglise et pour le monde.
Lecture patristique
Le repentir, porte du Royaume, S. Clément d’Alexandrie (+ 215)
Homélie « Quel riche sera sauvé? », 39-40, GCS 3, 185-187
Les portes sont ouvertes à quiconque se tourne sincèrement vers Dieu, de tout son coeur, et le Père reçoit avec joie un fils qui se repent vraiment. C’est le signe d’un repentir véritable que dene plus retomber dans les mêmes fautes, mais aussi d’extirper complètement de ton âme les péchéspour lesquels tu te juges digne de mort. Une fois qu’ils auront été effacés, Dieu reviendra donc habiter en toi. Car, comme dit l’Écriture, un pécheur qui se convertit et se repent procurera au Père et aux anges du ciel une joie immense et incomparable (cf. Lc 15,10). Voilà pourquoi le Seigneur s’est écrié: C’est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice (Os 6,6 Mt 9,13; 12,7); je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse (Ez 33,11); si vos péchés sont comme la laine écarlate, ils deviendront blancs comme la neige; s’ils sont plus noirs que la nuit, je les laverai, si bien qu’ils deviendront comme la laine blanche (Is 1,18).
Dieu seul, en effet, peut remettre les péchés et ne pas imputer les fautes, alors que le Seigneur nous exhorte à pardonner chaque jour aux frères qui se repentent. Et si nous, qui sommes mauvais, savons donner de bonnes choses aux autres (cf. Mt 7,11), combien plus le Père plein de tendresse (2Co 1,3) le fera-t-il? Le Père de toute consolation, qui est bon, plein de compassion, de miséricorde et de patience par nature, attend ceux qui se convertissent. Or, la conversion véritable suppose que l’on cesse de pécher et que l’on ne regarde plus en arrière.
Dieu accorde donc la rémission des fautes passées, tandis que, pour ce qui concerne le futur, chacun est responsable de ses propres actes. Se repentir, c’est condamner ses fautes passées et prier le Père pour qu’il les oublie. Lui seul peut, dans sa miséricorde, défaire ce qui a été fait et, par la rosée de l’Esprit, effacer les fautes passées.
Si tu es voleur et veux recevoir le pardon, cesse de voler. Si tu as dérobé un objet, restitue-le avec un supplément. As-tu fait un faux témoignage? Exerce-toi à dire la vérité. As-tu été parjure? Ne fais plus de serment. Tu dois aussi refréner les autres passions mauvaises: la colère, la convoitise, la tristesse et la crainte. Les passions que tu as laissé grandir en toi, tu ne pourras sans doute pas les supprimer d’un seul coup. Mais, moyennant un vrai repentir et une application constante, tu y parviendras avec la puissance de Dieu, la prière des hommes et l’aide de tes frères.
NOTES
[1] Le texte grec de l’Evangile utilise le participe aoriste de μεταμέλομαι (metamélomai= je me repens), qu’il faudrait traduire littéralement « son âme ayant changé il eut le cœur pour faire quelque chose », donc pour aller travailler dans la vigne : en bref : « changer de manière de voir, de penser ». Ce verbe, utilisé dans le verset 30 du chapitre 21 de Matthieu pour le fils obéissant, est aussi utilisé dans le verset 32. [2] Obéir vient du latin et signifie écouter, sentir l’autre. « Obéir à Dieu c’est écouter Dieu, c’est avoir le cœur ouvert pour aller sur la route que Dieu nous indique. L’obéissance à Dieu, c’est écouter Dieu. Et cela fait de nous des êtres libres ». (Pape François).Le 19 août 2012 pour le XXème dimanche TO année B j’écrivais : « Obéir à Dieu c’est « réaliser » Dieu. La Vierge Marie avec son « oui » a fait Jésus Son « Fiat » a donné chair à la Parole de Dieu. Avec mon « oui » à l’ordre du Christ : « Faites cela en mémoire de moi », je Le fais Lui. Quand à la messe je dis: « Ceci est mon corps », je le fais Lui, je donne chair au Verbe de Dieu. L’obéissance affectueuse à Dieu est libératrice, elle est liberté, car son ordre n’est pas l’imposition d’un Dieu arbitraire et capricieux, mais une parole (logos) avec laquelle, amoureusement, il révèle son cœur et notre avenir.
[3] L’Eglise a fini par s’entendre au sixième siècle sur la formule “Unus de Trinitate passus est in cruce”, proposée auparavant à Constantinople par un groupe de moines d’origine scythe. En revanche et auparavant, un patriarche monophysite avait voulu ajouter au Trisagion (“O Dieu Saint, O Saint fort…”) les mots “qui fus crucifié pour nous”, ce que l’Eglise refusa. (Surtout, je crois, parce que le Trisagion est trinitaire et non christologique.) La formule “Unus de Trinitate” est juste, elle ménage la réalité des souffrances du Christ, elle dit que ce furent les souffrances humaines de Dieu, et elle n’implique pas le Père et l’Esprit dans ces souffrances.(Note rédigée par le Père Jean-Yves Lacoste) [4] Il s’agit d’une intuition du pape émérite Benoît XVI