S. Pierre Claver, capture @ https://sj-cluny.org/Saints-patrons-de-la-Congregation

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 « Black lives matter » pour S. Pierre Claver S.J.

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« Du côté des opprimés » dans L’Osservatore Romano

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« Black lives matter » pour S. Pierre Claver S.J.: on pourrait titrer ainsi pour ce beau texte d’Armando Ceccarelli dans L’Osservatore Romano à l’occasion de la fête du grand jésuite catalan, saint Pierre Claver, ce 9 septembre 2020. Qu’on nous pardonne l’apparent anachronisme, car son message ne manque pas d’actualité. Et l’auteur de L’Osservatore Romano lui-même actualise sa réflexion sur l’action héroïque du saint jésuite en citant l’enseignement pape François.

Voici la traduction de l’italien de l’article de L’Osservatore Romano par Hélène Ginabat.

AB

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« Du côté des opprimés », par Armando Ceccarelli

A toutes les époques, notre histoire porte les conséquences d’une façon de planifier son niveau de vie et sa politique. Et c’est la partie la plus impuissante et la plus soumise de la population qui paie le prix des abus et des injustices. Mais il est également vrai qu’à toutes les époques, il y a eu et il y a encore des saints qui témoignent de leur solidarité avec les opprimés au point de donner leur vie pour venir en aide à de graves situations de détresse.

L’un d’entre eux, qui mérite d’être rappelé, c’est saint Pierre Claver, jésuite catalan parti missionnaire dans les « Indes occidentales » (aujourd’hui la Colombie) avant même d’être prêtre. Le galion sur lequel il voyageait avec d’autres jésuites arriva à Carthagène en 1610. Entre 12 et 14 navires, chacun chargé d’environ 700 esclaves d’Éthiopie et d’autres États africains, arrivèrent à ce port, de sorte qu’il était devenu le principal centre de tri des marchandises et des esclaves qui, de Colombie, étaient dirigés vers le Mexique, le Venezuela, l’Équateur et le Pérou pour se tuer au travail dans les mines d’or et d’argent au profit des puissances européennes. Un réseau très bien conçu de négriers avait été mis en place, piégeant les victimes, hommes et femmes, en Tripolitaine, en Guinée, au Congo et en Angola, et les poussant, attachés deux par deux, dans des caravanes jusqu’aux marchés côtiers où les blancs les attendaient pour les embarquer vers les « Nouvelles Indes ».

A son arrivée à Carthagène, Pierre prit immédiatement conscience de ce drame humain, dans lequel un autre jésuite espagnol, Alfonso Sandoval, était déjà impliqué. Nous avons un écrit de ce dernier : « Ils arrivent sur nos plages ressemblant plus à des squelettes qu’à des hommes, ils sont emmenés sur une grande place qui se remplit immédiatement de gens, poussés par la cupidité, la curiosité ou la compassion. Parmi eux se trouvent les pères de la Compagnie de Jésus, qui viennent aider, réconforter ou baptiser ceux qui sont sur le point de mourir ». Parmi eux se distingue la charité héroïque de Pierre Claver.

Pierre n’était pas l’homme des accusations et des récriminations. D’autres l’avaient fait comme le père Sandoval et deux autres capucins cubains, José de Jaca et Epifanio Moirans. Ils avaient fait valoir par des écrits de protestation que l’esclavage africain était injuste. Le Conseil d’Espagne avait protesté à son tour contre ces récriminations et les pères capucins furent excommuniés et renvoyés dans leur patrie ; le père Sandoval lui-même dut partir pour le Pérou en 1617. Pierre Claver se retrouva immédiatement seul, mais il ne perdit pas courage. Entre-temps, il avait terminé ses études pour être ordonné prêtre en 1616. Rassemblant les écrits que le père Sandoval avait laissés sur le « Salut des Noirs », dans lesquels figuraient un catéchisme et une œuvre pastorale originale de sa main, Claver les suivit et les pratiqua à la lettre.

Mais qui était ce champion de la charité envers les laissés-pour-compte ?

Pierre Claver est né en 1580 près de Barcelone, à Verdú. Il entra au noviciat de la Compagnie de Jésus à l’âge de 22 ans. Immédiatement après, il poursuivit ses études à Palma de Majorque, où il eut l’occasion de connaître et de nouer une profonde amitié spirituelle avec le frère portier du collège, saint Alphonse Rodriguez, un homme de Dieu, doté de dons extraordinaires. Ce vieil homme, aux paroles prophétiques et au regard brillant, lui répétait : « Oui, Pedro, tu iras aux Indes et tu y feras de grandes choses pour les âmes… Je le sais ! » Claver n’oublia jamais ces mots. Le jour de sa profession religieuse, il écrivit avec son sang quelques mots qui seront le thème dominant de sa vie : « Pierre Claver, esclave des esclaves noirs pour toujours ». Il les a vécus jusqu’au bout.

Pour mener à bien sa mission, sa première arme fut la prière et l’union au Christ qu’il aima et servit dans les plus malheureux et les plus maltraités. Il avait ensuite créé un réseau de bénévoles, de bienfaiteurs et d’interprètes. Chaque fois qu’un voilier arrivait à Carthagène, le père Claver était prévenu par un jeune homme afin qu’il puisse arriver sur le pont avant les marchands avec son équipe de volontaires et d’interprètes et une grande quantité de vêtements propres et d’argent, le visage souriant pour accueillir ceux qui avaient voyagé pendant des semaines dans des conditions inhumaines, attachés en groupes, entassés dans le noir sans air et avec très peu de nourriture. Surplombant la trappe de la cale, le père Claver voit tous ces regards languissants et éblouis par la lumière soudaine, il les salue avec douceur, sachant qu’il doit surmonter la terreur et l’humiliation qu’ils ont subies.

Les interprètes s’adressent immédiatement aux différents groupes en fonction de leur provenance. Le père lui-même, qui a appris la langue angolaise, passe dans les rangs du navire-prison nauséabond, s’intéresse à tous, surtout aux jeunes garçons et aux enfants. Il donne quelque chose à chacun selon ses besoins. Il les suivra également dans leur destination de travail, s’intéressera aux malades et leur fera le catéchisme pour les amener au baptême. Il est à noter qu’ayant vu à quel point ils étaient effrayés par ceux qu’ils appelaient « Señor », lorsqu’il enseignait des prières ou leur parlait de Dieu, il évitait l’emploi du mot « Señor » pour que les pauvres esclaves ne pensent pas : « Le Seigneur Dieu nous traitera-t-il lui aussi comme des chiens ? »

Malgré le rythme si soutenu de ses activités, la vie intérieure du père Claver était très intense, à tel point qu’on peut parler d’un « mystique dynamique ». Il était guidé par un charisme central, celui du dévouement sans réserve à son prochain, avec une préférence non exclusive pour les plus misérables. Certaines de ses expressions ont été recueillies auprès de témoins : « Parler peu avec les hommes et beaucoup avec Dieu » – « Vois Dieu en tous les hommes et sers-les comme son image » – « Chercher Dieu en toutes choses et nous le trouverons toujours à nos côtés ». D’après un témoignage déposé lors du procès de canonisation, on peut lire : « Tout le temps libre en dehors des confessions, du catéchisme et de l’instruction aux noirs, il le consacrait à la prière. De nombreuses heures de prière la nuit. »

Il fut souvent incompris même de ses confrères. Il connut des heures de profond découragement à cause de l’incompréhension des hommes d’Eglise pour son engagement. Il eut des supérieurs difficiles. Ces derniers le considéraient comme manquant de prudence et ses jugements exagérés, mais ils ne pouvaient pas nier « son bon caractère, ses excellents progrès spirituels et son ministère remarquable auprès des Ethiopiens » (d’après une lettre que le supérieur envoie chaque année à la Curie générale).

Les dernières années de la vie de Pierre Claver furent très douloureuses. Ses forces diminuaient et, après l’épidémie de 1650, il contracta une maladie qui le paralysa presque complètement. Pendant les quatre années qui précédèrent sa mort, il fut confiné dans une petite cellule, oublié de presque tout le monde et traité durement. Mais il endura chaque épreuve avec une véritable patience et une grande force d’âme. Il mourut à l’aube du 8 septembre 1654, fut canonisé en 1888 et, en 1896, le pape Léon XIII le déclara patron universel des missions auprès des Noirs.

Nous trouvons de nombreux points communs entre la situation dramatique des esclaves noirs auxquels Pierre Claver se consacra entièrement et le phénomène des migrants au début du troisième millénaire. Pour l’Église, les esclaves noirs dans les mines d’or et d’argent d’Amérique du Sud étaient un défi et aujourd’hui, le drame des migrants dans différentes parties du monde en est un également. De même que l’Esprit Saint a donné lumière et force aux missionnaires des XVIe et XVIIe siècles pour faire face au premier défi, qu’il donne aujourd’hui également la lumière et la force pour faire face au second, celui des migrants, plus actuel, mais également le résultat de planifications conçues par les puissants de la terre.

La situation de l’esclavage des noirs déportés en Amérique, si liée à la façon dont les conquistadors des « Nouvelles Indes » ont procédé, a été affrontée pour la première fois en 1537 par le pape Paul III qui a excommunié tous ceux qui avaient asservi les Indiens ou les avaient spoliés de leurs biens. En 1639, le pape Urbain VIII, écoutant les demandes des jésuites des réductions du Paraguay, réitère l’excommunication de Paul III et ajoute la même peine à ceux qui prêchent que l’esclavage des Indiens et des noirs est légal. Plus récemment, le drame des Noirs d’Amérique a été officiellement abordé par la Conférence de Puebla en 1979. Quelque chose a changé en leur faveur depuis lors, mais nous ne pouvons toujours pas ne pas les considérer comme les plus pauvres parmi les pauvres les plus oubliés par le système géopolitique.

Le défi qui est venu du monde des esclaves noirs à l’époque de Pierre Claver et le défi qui vient de la tragédie des migrants est celui de la nécessaire réparation par un système économique qui, comme l’a dit à plusieurs reprises le pape François, crée des situations de pauvreté telles qu’une grande partie de l’humanité est asservie ou obligée de chercher ailleurs la possibilité de survivre, même au risque de sa propre vie. La liste des interventions du pape François est si longue que nous ne pouvons que rapporter ici quelques expressions plus significatives : « Mettons des ponts dans les ports », a-t-il dit en s’adressant aux Européens. Interviewé lors d’un de ses voyages et se trouvant en face du Maroc, il a déclaré : « Je n’arrive pas faire entrer dans ma tête la vue de gens qui se noient en Méditerranée… Ceux qui construisent les murs finiront par être prisonniers des murs qu’ils ont construits ». Parlant de populisme, il a appelé cela le début des dictatures.

Le grand message de saint Pierre Claver nous rappelle que la pratique éclairée de la foi chrétienne repose sur des bases humaines très claires sur lesquelles la grâce a toute la place pour agir. Il est essentiel de placer au centre l’être humain, qu’il soit noir ou émigré, tel qu’il se présente, et de le reconnaître comme un authentique sujet de droits et capable de vivre la fraternité et l’intégration chrétienne.

Copyright- L’Osservatore Romano, 9 septembre 2020

Copyright pour la traduction de l’italien – Zenit, HG

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Rédaction

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