Agnès Desmazières © AD

Agnès Desmazières © AD

« La participation des femmes à la gouvernance de l’Eglise », par Agnès Desmazières

« Le débat sur les femmes dans l’élaboration d’un décret conciliaire »

Share this Entry

« Le pape François, depuis Evangelii gaudium, encourage la participation des femmes à la gouvernance de l’Eglise. Ce n’est pas seulement affaire de mots, mais encore d’actes, comme le marquent certaines récentes nominations au Vatican » : Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et propose de faire entrer dans la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.

La théologienne française réfléchit à l’apostolat des laïcs et à la coresponsabilité des baptisés, et donc des femmes dans l’Eglise: des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».

Le thème a aussi été abordé par le supplément mensuel de L’Osservatore Romano « Femmes Eglise Monde ».

Agnès Desmazières, dans un long article[1], vous parlez d’un « silence » conciliaire relatif aux femmes, qu’est-ce à dire ?

Ce « silence » est à bien comprendre : il ne s’agit pas d’un désintérêt du concile à l’égard des femmes, mais d’un relatif silence dans les documents conciliaires. L’on y parle beaucoup des laïcs, les jeunes ont également – notamment sur incitation du futur Jean-Paul II – droit à un numéro dans le décret sur l’apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem, le n. 12. Les femmes ne sont guère mentionnées. La consultation des archives du Vatican, relatives à Vatican II, fournit un éclairage très utile.

Tout d’abord, il est important de noter que des femmes ont été investies dans le travail conciliaire de manière précoce. La personnalité laïque qui a exercé l’influence la plus décisive sur la rédaction des documents conciliaires est sans doute l’auditrice australienne Rosemary Goldie, très souvent consultée et auteure de nombreux rapports. Cette participation a été d’abord discrète et cachée. Il y avait une certaine résistance à faire intervenir de manière publique et officielle des femmes au Concile.

Dans un premier temps, seuls des hommes laïcs ont été nommés auditeurs. Il est significatif que, à leur arrivée à Rome, ceux-ci aient vigoureux plaidé en faveur de la présence de leurs collègues féminines. A la tête de mouvements d’apostolat des laïcs d’envergure internationale, ils avaient l’habitude de travailler avec leurs homologues féminines et avaient beaucoup œuvré ensemble en faveur d’une prise en compte du rôle des laïcs au concile. Plusieurs évêques, dont le cardinal Léon Suenens, se sont publiquement prononcés en ce sens, permettant la venue de femmes, laïques et aussi religieuses, comme auditrices.

Les auditrices ont participé activement à la rédaction du décret sur l’apostolat des laïcs et, plus encore, à celle de la constitution pastorale Gaudium et spes. Les Pères conciliaires et experts théologiens, appartenant à la Commission préparant Gaudium et spes, ont eu le souci d’associer de manière étroite les auditeurs et auditrices aux travaux. Ils considéraient en effet que les laïcs étaient particulièrement experts de ce dialogue avec le monde et que leur avis était décisif pour que le message adressé par Gaudium et spes  puisse s’adresser à l’ensemble des fidèles et, au-delà, à l’humanité en quête de sens. Yves Congar a joué un rôle important à cet égard. De manière symbolique, les auditeurs et auditrices signaient sur la même feuille d’émargement que les experts théologiens. L’on peut dire qu’il y a eu dans cette rédaction de Gaudium et spes une véritable expérience de coresponsabilité. Cet exemple est inspirant pour aujourd’hui.

Il ne faudrait toutefois pas oublier que cette expérience a pu aussi être douloureuse, par certains aspects, pour ces femmes. Investies d’importantes responsabilités dans leurs mouvements ou congrégations religieuses, elles n’ont, par exemple, pas été autorisées, au contraire des auditeurs laïcs, à prendre la parole publiquement devant l’ensemble des Pères conciliaires.

Le débat est cependant antérieur au Concile…

J’ai particulièrement travaillé sur l’Union mondiale des organisations féminines catholiques, qui est toujours active aujourd’hui et rassemblait, au moment du Concile, 36 millions de femmes du monde entier. Sa présidente de l’époque, l’Espagnole Pilar Bellosillo, a été auditrice à Vatican II.

L’on s’aperçoit que dans cette organisation, comme dans d’autres, il y a eu un processus de conscientisation de la dignité et des droits des femmes, ainsi que de l’importance de leur promotion dans l’Eglise et dans la société. La philosophie personnaliste a joué un rôle important par son affirmation de la dignité de la personne humaine. Dans cette perspective, la relation entre hommes et femmes est moins comprise en termes de soumission, que de « collaboration ». Dès avant la seconde guerre mondiale, l’UMOFC se prononce en faveur du droit de vote des femmes.

La seconde guerre mondiale a certainement joué un rôle de catalyseur. Les contacts avec les mouvements féminins séculiers se multiplient, en particulier sous l’égide de l’ONU – l’UMOFC, comme nombre de mouvement d’Action catholique, obtenant un statut consultatif. L’on notera  aussi, à cette époque, la multiplication des discours de Pie XII, soulignant la contribution des femmes – mariées, mais aussi célibataires – à la société. Cela conduit l’UMOFC à insister sur les responsabilités sociales et également – ce qui est particulièrement novateur – ecclésiales des femmes. Les sciences humaines et sociales sont appelées à contribution pour favoriser ce travail de conscientisation.

Tout cela prépare le Concile. En 1961, un an avant l’ouverture du Concile, l’UMOFC organise une rencontre internationale sur « « La femme catholique, agent d’unité dans le Christ et dans l’Eglise ». Certaines de ses dirigeantes participent, en collaboration avec des responsables masculins d’Action catholique, à la rédaction d’un texte sur « La place de la femme dans la société et dans l’Eglise », qui est adressé au Concile.

Qu’apporte l’examen du cas du décret sur l’apostolat des laïcs ?

Les recherches dans les archives du Vatican révèlent qu’il y a eu plusieurs tentatives de proposer une réflexion sur les femmes au Concile. Cette question ne faisait pas, à l’origine partie, de l’agenda conciliaire fixé par Jean XXIII. La Commission préparatoire pour l’apostolat des laïcs s’en est toutefois emparée rapidement à la demande d’ « assistants ecclésiastiques » (aumôniers) d’organisations féminines catholiques – dont Antoon Ramselaar, assistant de l’UMOFC.

Dans un premier temps, il est projeté de dédier à l’apostolat féminin un chapitre du schéma sur l’apostolat des laïcs. Le débat, qui reste intra-clérical, révèle des positions très contrastées sur la place des femmes dans l’Eglise et la société : les vues avancées, notamment, des assistants ecclésiastiques – accoutumés à collaborer avec des femmes – suscitant les réticences d’autres membres.

Ensuite, dans la perspective d’une réduction de la longueur du schéma, il est prévu que le sujet n’occupe plus qu’un paragraphe. C’est à ce moment seulement que des laïcs – dont Rosemary Goldie – sont consultés. Avec leurs assistants ecclésiastiques, ils indiquent préférer que l’on parle des laïcs, hommes et femmes tous ensemble. Ils souhaitent que soit plus mis en avant ce qui est commun que ce qui sépare. C’est une approche inclusive qui domine et qui a, à mon sens, encore son actualité. A l’heure où l’on insiste fort justement sur la place des femmes dans l’Eglise, il me paraît aussi crucial de ne pas oublier celle des hommes laïcs.

Cette préférence pour le « silence » tient aussi à une difficulté à appréhender de manière adéquate et positive la spécificité de l’apostolat des femmes et à prendre en compte les évolutions rapides de la condition féminine. Le risque est, par exemple, de vouloir cantonner les femmes dans les « œuvres de dévotion » et les hommes dans le « soutien matériel de l’Eglise ». Dès lors, domine le souhait de réserver à un document ultérieur le traitement de ces questions, plutôt que de livrer une réflexion précipitée et insatisfaisante.

Finalement, c’est, en dernière minute, qu’il est demandé, comme le révèlent les archives du Vatican, à Rosemary Goldie de rédiger quelques lignes générales d’encouragement de l’apostolat des femmes. Elles figurent au n. 9 d’Apostolicam actuositatem : « Comme de nos jours les femmes ont une part de plus en plus active dans toute la vie de la société, il est très important que grandisse aussi leur participation dans les divers secteurs de l’apostolat de l’Église ». La portée est hautement symbolique : une femme a rédigé une phrase de Vatican II !

Quelle est aujourd’hui la tonalité spécifique du pontificat du pape François ?

Il y a un engagement fort du pape François en faveur d’une participation des femmes à la vie de l’Eglise. Celui-ci s’enracine dans une expérience de relations de travail avec des femmes – je pense notamment à l’influence de la théologienne espagnole Dolores Aleixandre. Le contexte latino-américain est également important. Le document d’Aparecida indique la nécessité de « dépasser une mentalité machiste qui ignore la nouveauté du christianisme » (n. 453).

Le document d’Aparecida introduit également la catégorie de la « réciprocité », qui est reprise par le pape François et est fondatrice pour penser la relation entre hommes et femmes et dépasser certaines logiques de la complémentarité – exaltant outrancièrement, par exemple, la vulnérabilité, la douceur etc. de la femme – qui peuvent supporter, dans les faits, la perpétuation de formes d’oppression. Le pape François invite ainsi à considérer la réciprocité dans « la perspective du avec » et non du « contre » (discours du pape François du 7 février 2015). L’on retrouve ici l’approche inclusive de Vatican II : hommes et femmes, tous ensemble coresponsables.

D’autre part, le pape François, depuis Evangelii gaudium, encourage la participation des femmes à la gouvernance de l’Eglise. Ce n’est pas seulement affaire de mots, mais encore d’actes, comme le marquent certaines récentes nominations au Vatican. Il y a là un champ de réflexion théologique important. Comme il le dit lui-même, le pape François initie et accompagne un processus, qui appelle une recherche commune de la vérité, par-delà les intérêts sectoriels et les ambitions personnelles. Cette recherche n’est pas seulement théorique, mais aussi pratique et relève du témoignage de vie : comment est-ce que je témoigne dans ma vie en Eglise de l’égale dignité de tous les baptisés ?

NOTE

[1] Agnès Desmazières, « Généalogie d’un ‘silence’ conciliaire: Le débat sur les femmes dans l’élaboration du décret sur l’apostolat des laïcs, » Archives de sciences sociales des religions 61, no. 175 (2016): 297-317.

Share this Entry

Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel