« En même temps que quelques frères de ma communauté, j’ai été frappé par le coronavirus », témoigne le p. François-Marie Léthel, ocd, qui fait parvenir à Zenit ce témoignage sacerdotal et eucharistique, exceptionnel, de son hospitalisation à Rome.
Il confie spécialement ses lectures spirituelles et la compagnie des saints qui l’ont accompagné pendant cette période de réclusion « cartusienne », notamment le cardinal vietnamien François-Xavie Nguyen Van Thuan : « Je dois dire que l’exemple du Vénérable cardinal Van Thuan m’a beaucoup aidé. »
Ce témoignage sera inclus dans le nouveau livre du p. François -Marie Léthel, ocd, inspiré par l’expérience des baptisés, sous le titre: « Rien ne pourra nous séparer de l’Amour de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur ».
Le blog permet de télécharger gratuitement le livre qui a pour sous-titre: « La suspension de toutes les Messes avec les fidèles au temps du coronavirus, une profonde blessure eucharistique ».
Le p. François-Marie Léthel, carme déchaux, théologien français, professeur à la faculté pontificale de théologie « Teresianum », a été invité par Benoît XVI à prêcher la retraite de carême au pape et à la curie en 2011 sur le thème : « La lumière du Christ au cœur de l’Eglise – Jean-Paul II et la théologie des saints ». Le pape Benoît XVI lui a adressé une lettre de remerciements.
Le p. Léthel est en effet l’auteur de nombreux articles et études sur la théologie des saints (sa thèse de doctorat) que l’on peut comprendre en lisant son livre- entretien avec Elisabeth de Baudoüin « Les saints nous conduisent à Jésus. Entretien sur la vie chrétienne », chez Salvator . Il a travaillé ardemment pour le « doctorat » de sainte Thérèse de Lisieux.
AB
Témoignage du p. François-Marie Léthel ocd,
comme prêtre malade et guéri du covid 19
J’écris ce témoignage à Rome en ce dimanche 28 juin, jour de la Résurrection du Seigneur, mémoire de saint Irénée de Lyon et veille de la solennité de nos deux grands saints de Rome Pierre et Paul.
En même temps que quelques frères de ma communauté, j’ai été frappé par le coronavirus, malgré nos efforts pour respecter toutes les règles sanitaires. Le soir du 8 juin, je me sentais très mal et une ambulance m’a conduit aux urgences de l’hôpital Gemelli, là où saint Jean-Paul II avait été hospitalisé après l’attentat. Le matin du 9, j’étais hospitalisé au « Columbus » qui est le secteur Covid du Gemelli. J’y suis resté 17 jours en isolement total, sans jamais sortir de ma chambre, jusqu’à ma sortie définitive de l’hôpital le 25 juin, parfaitement guéri, sans besoin de soins ni d’autres contrôles. Je remercie Jésus et Marie pour cette « résurrection » un peu miraculeuse, vu mon âge critique de 72 ans !
Les mois précédents, à partir de mars, j’avais écrit toute une série de textes sur l’Eucharistie vécue dans cette grande preuve de la pandémie, spécialement attentif à la souffrance des laïcs si blessés par totale privation de la sainte Communion, surtout en Italie et en France. Cette privation a malheureusement été appelée souvent « jeûne eucharistique », par un emploi abusif d’une expression traditionnelle, selon une idéologie de 1968, s’opposant à la communion quotidienne. Mes textes ont été publiés par Zenit en italien et en français.
Maintenant, en ce mois de juin, le Seigneur Jésus m’a donné la grâce de participer plus profondément, comme prêtre, à cette grande épreuve qui touche toute la famille humaine, et cela précisément au moment de mon 45ème anniversaire de sacerdoce, le 21 juin qui cette année était un dimanche. Je me suis senti plus proche de tous les malades, et spécialement des autres prêtres contaminés (beaucoup sont morts en Italie). J’ai donc fêté cet anniversaire dans la solitude totale, en célébrant la messe dans ma chambre. Le dimanche précédent c’était la fête du Saint-Sacrement, également vécue à l’hôpital. J’ai pu célébrer la messe tous les jours, même quand j’allais plus mal, au début de mon hospitalisation, assis sur le bord de mon lit, devant la table de nuit transformée en autel.
Je dois dire que l’exemple du Vénérable cardinal Van Thuan m’a beaucoup aidé. J’avais écrit un bref article intitulé « Je te porte avec moi jour et nuit », la spiritualité eucharistique du Cardinal Nguyen Van Thuan (publié dans Zenit). En effet, quand il était en prison, il célébrait la Messe chaque jour dans la solitude et la plus extrême pauvreté, en portant toujours dans la poche de sa chemise une hostie consacrée pour prolonger la célébration par l’adoration eucharistique, affirmant que dans la souffrance « sa seule force était l’Eucharistie ». Suivant son exemple, j’ai célébré la Messe quotidienne dans la plus grande simplicité, et le premier jour, j’ai consacré une petite hostie que j’ai continuellement gardée sur moi dans une custode, en disant moi aussi à Jésus: « Je te porte avec moi jour et nuit ».
Quelques années avant Van Thuan, une laïque consacrée, la Servante de Dieu Vera Grita, coopératrice salésienne, avait vécu une très belle expérience mystique de la Présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie, désirant faire de nous des « Tabernacles Vivants ». J’avais écrit à son sujet le bref article intitulé Vera Grita, une mystique de l’Eucharistie dans la grande crise de 1968 (publié dans Zenit). Elle était en profonde communion avec saint Paul VI en cette année dramatique (l’année de ma profession religieuse au Carmel). J’ai donc voulu rappeler le grand Credo du Peuple de Dieu proclamé par Paul VI au cours de la messe du 30 juin 1968.
Pour moi, cela a été une nouvelle et forte expérience de la vérité du mystère eucharistique et de la grâce de mon sacerdoce. Ce n’était en aucune manière de l’intimisme ou un spiritualisme exagéré mais la plus profonde solidarité avec tous mes frères malades dans le monde, dans la communion au sacrifice rédempteur de Jésus et dans l’union continuelle avec son « Vrai Corps né de la Vierge Marie, qui a souffert et a été immolé sur la Croix pour les hommes » (Ave Verum). Comme prêtre, je pouvais rendre réellement présent Jésus Crucifié et Ressuscité en ce lieu de souffrance du corps avec la maladie et de l’âme avec l’extrême solitude, et l’impossibilité de communier pour les malades. C’était mon plus grand service de charité sacerdotale pour les autres malades, et aussi pour les médecins, les infirmières et toutes les personnes qui nous soignaient avec une si grande charité.
J’ai intensément expérimenté combien sont inséparables le Vrai Corps de Jésus et sa Parole dans l’Ecriture Sainte que je lisais continuellement pendant ces journées, surtout les Évangiles et saint Paul, Isaïe et le Cantique des Cantiques, en priant aussi toute la Liturgie des Heures.
Avec ma Bible, j’avais avec moi deux livres essentiels qui ont été comme deux « phares » depuis le début de ma vie religieuse, il y a 52 ans: L’Histoire d’une âme de sainte Thérèse de Lisieux et le Traité de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. J’avais écrit le bref article intitulé Vivre avec Jésus sur la Terre comme au Ciel Terre selon Thérèse de Lisieux (publié dans Zenit). J’y ai ajouté un texte intitulé Le « Totus Tuus » de saint Jean-Paul II et de saint Louis-Marie Grignion de Montfort.
J’avais encore avec moi un recueil de textes de saint Jean Eudes, qui avec saint Louis-Marie de Montfort est candidat pour être déclaré Docteur de l’Eglise. Il est le grand théologien des Coeurs de Jésus et de Marie, si unis qu’ils ne sont qu’un seul Coeur. Les deux jours qui précédaient mon anniversaire d’Ordination étaient les fêtes du Sacré Coeur de Jésus et du Coeur Immaculé de Marie. J’ai repris dans ma prière ses deux textes les plus importants, signés avec son sang: Le voeu du martyre et le Contrat d’alliance avec la Vierge Marie. La maladie vécue en union à la Passion de Jésus est une forme de martyre, et ce mois de juin est par excellence le mois des martyrs: Justin, philosophe et martyr (1), Blandine et les martyrs de Lyon (2), les martyrs de l’Ouganda (3), Thomas More (22), Jean Baptiste (24), Irénée de Lyon (28), Pierre et Paul (29) et les premiers martyrs de l’Église de Rome (30). Le Contrat d’Alliance avec la Vierge Marie est une très belle prière de consécration que chaque prêtre pourrait faire pour consacrer son propre coeur, comme coeur d’époux, à l’unique amour des Coeurs de Jésus et de Marie.
Le dernier livre que j’avais avec moi était le recueil des écrits spirituels de Vera Grita publié par les salésiens sous le titre: Portami con te (Turin, 2017, éd. Elledici, cf. Zenit). Chaque jour je l’ouvrais, en expérimentant d’une nouvelle manière la profondeur et l’actualité de cette grande spiritualité eucharistique et mariale, missionnaire et sacerdotale. En union avec Marie, en partageant sa foi, son espérance et son amour, il nous est possible de vivre une telle intimité et communion continuelle avec le Vrai Corps de Jésus présent dans l’Eucharistie. Je tenais toujours en main mon chapelet.
Je n’ai jamais allumé la télévision, mais j’ai utilisé avec le smartphone les moyens de communication (téléphone, whatsapp et poste électronique) pour garder le contact avec mes frères carmes, les membres de ma famille et mes amis.
Pour moi, ces 17 jours d’hospitalisation ont été la plus belle retraite de toute ma vie de prêtre carme. Je ne pouvais que prier, du matin au soir, dans cette forme de prière personnelle que Thérèse d’Avila appelle l’Oraison et qui est inséparablement communion d’amour avec Jésus et toute la Trinité et continuelle intercession pour l’Église et le monde entier. De ma fenêtre je voyais la coupole de Saint Pierre, et j’ai beaucoup prié pour notre Pape François. Avec Thérèse de Lisieux qui lui est très chère, je devais prier continuellement avec les mains levées comme Moïse qui prie sur la montagne quand le Peuple de Dieu combat dans la plaine (cf. Ex. 17, 8-12) en partageant l’espérance illimitée de Thérèse pour le salut éternel de toutes les âmes. Mais je dois ajouter que cette retraite était aussi « cartusienne » ! J’ai eu la grâce d’enseigner la théologie à la Grande Chartreuse fondée par saint Bruno et de faire une retraite personnelle à la Chartreuse de Serra San Bruno en Calabre, là où le saint est mort. En effet j’étais « reclus » dans ma chambre comme le sont les chartreux dans leurs cellules !
Enfin, j’ai expérimenté pour moi la charité des médecins, infirmiers et infirmières, et de toutes les personnes qui entraient dans ma chambre, revêtus des protections les plus lourdes, pour un service très courageux, avec le danger continuel de la contagion. Dans ces brèves rencontres quotidiennes, il y avait un courant très fort qui venait certainement de la Présence de Jésus et de la grâce de mon sacerdoce. Tous étaient des jeunes, hommes et femmes, et avec tous j’ai pu parler, en priant pour eux et leurs familles, en demandant la protection de Jésus et de Marie. Je les ai toujours remerciés pour tout, même pour la nourriture qui était de bonne qualité ! J’ai aussi remercié l’aumônier de l’hôpital à qui j’avais demandé du vin de messe, et surtout le sacrement du pardon. Ne pouvant pas entrer dans le secteur Covid, il s’est approché de l’entrée et il m’a donné l’absolution, comme l’ont prévu les évêques.
J’ai vécu une grande expérience d’abandon filial dans les « deux Mains du Père » qui sont Jésus et l’Esprit Saint (saint Irénée), en vivant plus profondément l’enfance spirituelle de Thérèse de Lisieux, fragile et dépendant comme un enfant. Dans l’incertitude de l’avenir, j’ai souvent repris sa poésie Rien que pour aujourd’hui.
En tout cela, je n’ai aucun mérite. Tout m’a été donné par Jésus et Marie pour mes frères, pour mieux marcher ensemble vers la sainteté. Vraiment, tout est grâce !
© François-Marie Léthel ocd