Rencontre des jésuites au Mozambique @antoniospadaro

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Jésuites de l'océan indien : "Unir, unir, unir", recommande le pape

Les péchés les plus graves…

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« Unir, unir, unir, unir, avoir de la patience, attendre. Ne faites rien pour diviser » : c’est la recommandation du pape François aux jésuites du Mozambique et de Madagascar, qu’il a rencontrés durant son voyage dans l’océan indien (4-9 septembre 2019).
Le 5 septembre, au Mozambique, le pape François a rencontré en privé un groupe de 24 jésuites, à la nonciature de Maputo, durant une heure. Devant eux, il a notamment invité à « aider les plus jeunes à reconnaître quand ils vivent dans la résignation ou la stagnation, mais aussi quand ils vivent une saine agitation ».
Il a aussi mis en garde contre le prosélytisme : « L’évangélisation libère ! Le prosélytisme, en revanche, nous fait perdre notre liberté. Le prosélytisme est incapable de créer un parcours religieux dans la liberté. Il assujettit toujours les gens d’une manière ou d’une autre. Dans l’évangélisation, le protagoniste est Dieu, dans le prosélytisme, c’est soi-même. »
Au fil de la conversation, le pape a à nouveau fustigé le cléricalisme, dont l’une des dimensions « est de faire une fixation exclusive sur le sixième commandement » : « Les péchés les plus graves sont ceux qui ont une plus grande ‘angélicité’ : fierté, arrogance, domination … Et les moins graves sont ceux qui en ont le moins, comme la gourmandise et la luxure. Nous nous concentrons sur le sexe et nous ne donnons pas de poids à l’injustice sociale, la calomnie, les commérages, les mensonges. L’Eglise a aujourd’hui besoin d’une conversion profonde sur cet aspect. »
Enfin, il a mis en garde les Malgaches contre « la colonisation idéologique qui enlève notre identité » : « Nos peuples ont toujours la capacité de s’exprimer de manière populaire sans tomber dans le populisme. Il est important de préserver l’identité de son propre peuple, une identité qui découle de l’expression spontanée du peuple. »
Parole et Silence donne la traduction de ce dialogue transcrit par le p. Antonio Spadaro SJ, directeur de La Civiltà cattolica.
AK
Dialogue entre le pape et les jésuites
Le premier à prendre la parole a été le P. Paul Mayeresa, qui travaille à Beira dans l’apostolat éducatif. Il a demandé une réflexion sur les préférences apostoliques de la Compagnie et un conseil sur la façon de les vivre au Mozambique. Le pape a répondu comme ceci :
Il n’est pas facile de reconstruire une société divisée. Vous vivez dans un pays qui a connu des difficultés entre frères. Je pense que, par exemple, la préférence apostolique concernant les exercices spirituels peut beaucoup aider dans ce contexte. Des exercices peuvent être donnés aux personnes engagées dans différents secteurs de la société et les rendent ainsi plus aptes à mener à bien leur tâche d’union et de réconciliation. C’est l’expérience du discernement spirituel qui guide l’action.
Nous avons besoin d’un soutien adéquat, en particulier si, dans la société et dans le pays, un besoin d’unité et de réconciliation est nécessaire. Nous savons que le mieux est parfois l’ennemi du bien et que, dans un moment de réconciliation, de nombreuses couleuvres doivent être avalées. Dans ce processus, il faut apprendre à être patient. Il faut la patience du discernement pour aller à l’essentiel et mettre de côté l’accidentel. Il faut parfois beaucoup de patience ! Mais nous devons aussi enseigner le contenu, c’est-à-dire la doctrine sociale de l’Église. Mais attention, le jésuite ne doit en aucun cas diviser. Il existe un besoin de réconciliation dans la société mozambicaine : unir, unir, unir, unir, avoir de la patience, attendre. Ne faites rien pour diviser. Nous sommes des hommes du tout, pas de la partie.
Vous travaillez dans l’apostolat de l’éducation et vous êtes au milieu des jeunes. Votre travail est important et stimulant. Les jeunes ont de la bonne volonté, mais ils peuvent être une proie facile pour la tromperie, pour l’impatience. Il faut être proche des jeunes, leur donner de l’espace pour qu’ils puissent discerner ce qui se passe dans leur cœur. La formation considère les idées et les sentiments ensemble. Pour bien agir, nous devons toujours tenir compte des idées et des sentiments que nous ressentons. Par exemple, il est nécessaire d’aider les plus jeunes à reconnaître quand ils vivent dans la résignation ou la stagnation, mais aussi quand ils vivent une saine agitation. En bref, nous avons besoin d’un travail de discernement spirituel, d’accompagnement pour le bien de la société.
P. Bendito Ngozzo, aumônier du collège « Santo Inácio Loyola » : « Certaines sectes protestantes utilisent la promesse de richesse et de prospérité pour faire du prosélytisme. Les pauvres deviennent fascinés et espèrent devenir riches en adhérant à ces sectes qui utilisent le nom de l’Évangile. Ils quittent l’Église. Quelle recommandation peux-tu nous donner pour que notre évangélisation ne soit pas un prosélytisme ?
Ce que vous dites est très important. En attendant, il faut bien distinguer ceux qu’on appelle les « protestants ». Nous pouvons très bien travailler avec tant de personnes et qui ont à cœur un œcuménisme positif, ouvert et positif. Mais il y en a d’autres qui ne cherchent qu’à faire du prosélytisme et à utiliser une vision théologique de la prospérité. Vous avez été très précis dans votre question.
Deux articles importants ont été publiés  La Civiltà Cattolica à cet égard. Je les recommande Ils ont été écrits par le P. Spadaro et par le pasteur presbytérien argentin Marcelo Figueroa. Le premier article parlait de « l’œcuménisme de la haine ». La seconde portait sur « la théologie de la prospérité ». En les lisant, vous verrez qu’il y a des sectes qui ne peuvent pas vraiment être définies comme chrétiennes. Ils prêchent Christ, oui, mais leur message n’est pas chrétien. Rien à voir avec la prédication d’un luthérien ou d’un autre chrétien évangélique sérieux. Ces soi-disant « évangéliques » prêchent la prospérité, ils promettent un évangile qui ne connaît pas la pauvreté, mais essaie simplement de faire du prosélytisme. C’est précisément ce que Jésus condamne chez les pharisiens de son temps. Je l’ai dit à maintes reprises : le prosélytisme n’est pas chrétien.
Aujourd’hui, j’ai ressenti une certaine amertume à la fin de la réunion avec les jeunes. Une dame m’a abordé avec un jeune homme et une jeune fille. On m’a indiqué qu’ils faisaient partie d’un mouvement quelque peu fondamentaliste. Elle m’a dit dans un espagnol parfait : « Votre Sainteté, je viens d’Afrique du Sud. Ce garçon était hindou et il s’est converti au catholicisme. Cette fille était anglicane et s’est convertie au catholicisme « . Mais elle me l’a dit triomphalement, comme si elle avait fait une chasse au trésor. Je me suis senti mal à l’aise et je lui ai dit : « Madame, évangélisation oui, prosélytisme non ».
Ce que je veux dire, c’est que l’évangélisation libère ! Le prosélytisme, en revanche, nous fait perdre notre liberté. Le prosélytisme est incapable de créer un parcours religieux dans la liberté. Il assujettit toujours les gens d’une manière ou d’une autre. Dans l’évangélisation, le protagoniste est Dieu, dans le prosélytisme, c’est soi-même.
Bien sûr, il existe de nombreuses formes de prosélytisme. Celle des équipes de football, des sociétés commerciales, des partis politiques… Le prosélytisme est répandu, on le sait bien. Mais cela ne doit pas l’être entre nous. Nous devons évangéliser, ce qui est très différent du prosélytisme.
Saint François d’Assise a dit à ses frères : allez dans le monde, évangéliser, et si nécessaire également avec des mots. L’évangélisation est essentiellement un témoignage. Le prosélytisme est convaincant, toute appartenance et enlève la liberté. Je crois que cette distinction peut être d’une grande aide. Benoît XVI à Aparecida a dit quelque chose de merveilleux, que l’Église ne se développe pas pour le prosélytisme, elle se développe par attraction, attraction de témoignage. Les sectes, en revanche, font des convertis, séparent les gens, leur promettent de nombreux avantages et les abandonnent ensuite à eux-mêmes.
Parmi vous, il y a certainement des théologiens, des sociologues et des philosophes : je vous demande d’étudier et d’explorer la différence entre prosélytisme et évangélisation. Lisez bien Evangelii Nuntiandi de Paul VI. Il est clair que la vocation de l’Église est d’évangéliser. En effet, l’identité même de l’Église est l’évangélisation. Malheureusement, non seulement dans les sectes, mais aussi dans l’Église catholique, il existe des groupes fondamentalistes. Ils mettent l’accent sur le prosélytisme plutôt que sur l’évangélisation.
Une autre caractéristique de l’attitude du prosélytisme est qu’il ne fait pas de distinction entre le for interne et le for externe. Et c’est le péché dans lequel tombent aujourd’hui de nombreux groupes religieux. C’est pourquoi j’ai demandé à la Pénitencerie apostolique de faire une déclaration sur le for interne. La déclaration est vraiment très bonne.
L’évangélisateur ne viole jamais la conscience : il annonce, sème et aide à grandir. il aide. En revanche, celui qui pratique le prosélytisme viole la conscience des gens : cela ne les libère pas, cela les rend dépendants. L’évangélisation vous donne une dépendance « paternelle », elle vous fait grandir et vous libère. Le prosélytisme suscite une dépendance servile, sociale ou en conscience. La dépendance de l’évangélisé, du « paternel », est le souvenir de la grâce que Dieu vous a donnée. Le proselyte n’est pas comme un fils mais comme l’esclave qui finalement ne sait pas quoi faire si on ne lui dit pas.
Je recommande encore une fois ces deux articles de La Civiltà Cattolica : lisez-les, étudiez-les, car il y a beaucoup de ce que je vous ai dit. Ici, j’ai essayé de vous dire l’intuition principale.
Un scolastique, Leonardo Alexandria Simao, formé à Beira raconte son travail avec les jeunes. Le pape lui dit qu’il s’agit d’un travail important et que sa « tâche est de communiquer l’Évangile et de veiller à la liberté intérieure des jeunes ». Puis le jésuite lui demande si et comment son expérience de Dieu a changé depuis son élection comme pape. François prend un peu de temps pour réfléchir puis répond…
Je ne sais pas dire, en fait. Je crois que fondamentalement mon expérience de Dieu n’a pas changé. Je reste toujours le même qu’avant. J’ai sans aucun doute un sens plus grand de la responsabilité. Ma prière d’intercession est devenue beaucoup plus large qu’auparavant. Je continue à marcher, mais il n’y a pas eu de changements vraiment radicaux. Je parle au Seigneur comme avant. Je sens que cela me donne la grâce dont j’ai besoin pour le moment présent. Mais le Seigneur me l’a aussi donné auparavant. Et puis je commets les mêmes péchés qu’avant. L’élection comme pape ne m’a pas converti soudainement afin de me rendre moins pécheur qu’avant. Je suis et reste un pécheur. C’est pourquoi je me confesse tous les quinze jours.
On ne m’avait jamais posé cette question auparavant et je vous remercie de me l’avoir posée car vous me faites réfléchir sur ma vie spirituelle. Je comprends, comme je l’ai dit, que ma relation avec le Seigneur n’a pas changé, mis à part un plus grand sens des responsabilités et une prière d’intercession qui s’est étendue au monde et à toute l’Église. Mais les tentations sont les mêmes et les péchés les mêmes. Le simple fait que je m’habille en blanc ne m’a jamais rendu moins pécheur et plus saint qu’auparavant.
Cela me réconforte beaucoup de savoir que Pierre, la dernière fois qu’il apparaît dans les Évangiles, est toujours aussi peu sûr de lui qu’avant. Au bord de la mer de Galilée, Jésus lui demande s’il l’aime plus que les autres et lui demande de paître ses brebis, puis le confirme. Mais Pierre reste la même personne : têtu, impétueux. Paul devra lutter contre son obstination envers les chrétiens issus du paganisme et non du judaïsme. Au début, Pierre à Antioche a vécu la liberté que Dieu lui a donnée et s’est assis à table avec les païens et a mangé tranquillement avec eux, en écartant les règles alimentaires juives. Mais ensuite, certains sont arrivés de Jérusalem et Pierre, effrayé, s’est retiré de la table des païens et n’a mangé qu’avec les circoncis. En bref : de la liberté, il revient à l’esclavage de la peur. Voici l’hypocrite, l’homme du compromis ! Lire sur l’hypocrisie de Pierre me réconforte beaucoup et me met en garde. Cela m’aide surtout à comprendre qu’il n’y rien de magique à être élu pape : le conclave ne fonctionne pas par magie.
Le P. Joachim Biriate, assistant du provincial, pose une question : Comment pouvons-nous éviter de tomber dans le cléricalisme pendant la formation au ministère sacerdotal ?
Le cléricalisme est une véritable perversion dans l’Église. Le berger a la capacité d’aller devant le troupeau pour montrer le chemin, de rester au milieu du troupeau pour voir ce qui se passe à l’intérieur, et également derrière le troupeau pour s’assurer que personne n’est laissé pour compte. Le cléricalisme, au contraire, prétend que le berger se tient toujours devant lui, établit un parcours et punit d’excommunication ceux qui quittent le troupeau. C’est précisément le contraire de ce que Jésus a fait. le cléricalisme condamne, sépare, fruste, méprise le peuple de Dieu.
Une fois, je suis allé confesser dans un sanctuaire du nord de l’Argentine. Après la messe, je suis sorti avec un autre prêtre. Une dame l’a approché avec des images et des chapelets, lui demandant de bénir ces objets. Mon amie lui explique : “tu étais à la messe et à la fin de la messe tu as reçu la bénédiction, donc tout a été béni”. Mais la dame a continué à demander la bénédiction. Et le prêtre continua son explication : « La messe est-elle le sacrifice du Christ ? ». Et la dame a dit oui. « Le sacrifice du corps et du sang de Christ ? » Et la dame a dit oui. « Et crois-tu que le Christ nous a tous sauvés avec son sang ? » Et la dame a dit oui. À ce moment précis, le prêtre a vu un de ses amis et a été distrait. Et la dame se tourna immédiatement vers moi, me demandant : « Père, veux-tu me donner la bénédiction ? » Les pauvres implorent la bénédiction ! Le cléricalisme ne prend pas en compte le peuple de Dieu.
En Amérique latine, la piété populaire est très répandue et très riche. L’une des explications du phénomène est qu’elle s’est développée parce que les prêtres ne s’y sont pas intéressés et n’ont pu donc pas le cléricaliser. La piété populaire a certes des choses à corriger, mais elle exprime la souveraineté du saint peuple de Dieu, sans cléricalisme. Le cléricalisme confond le « service » presbytéral avec le « pouvoir » presbytéral. Le cléricalisme est ascension et domination.
Le ministère, compris non pas comme un service mais comme une « promotion » à l’autel, est le fruit d’une mentalité cléricale. Un exemple extrême me vient à l’esprit. Diaconie signifie « servir ». Mais, dans certains cas, le cléricalisme touche paradoxalement précisément le « service », la diaconie. Quand on oublie d’être les gardiens du service, alors le désir de cléricaliser et d’être « promu » sur l’autel s’immisce.
Le cléricalisme a pour conséquence directe la rigidité. Avez-vous déjà vu de jeunes prêtres tout raides en soutane noire et chapeaux de “Saturne” sur la tête ? Derrière le cléricalisme rigide il y a de graves problèmes. J’ai dû intervenir récemment dans trois diocèses en raison de problèmes qui se manifestaient sous forme de rigidité et masquaient de profonds déséquilibres et des problèmes moraux.
L’une des dimensions du cléricalisme est de faire une fixation exclusive sur le sixième commandement. Un jésuite, un grand jésuite, m’a dit de faire attention en donnant l’absolution, parce que les péchés les plus graves sont ceux qui ont une plus grande « angélicité » : fierté, arrogance, domination … Et les moins graves sont ceux qui en ont le moins, comme la gourmandise et la luxure. Nous nous concentrons sur le sexe et nous ne donnons pas de poids à l’injustice sociale, la calomnie, les commérages, les mensonges. L’Eglise a aujourd’hui besoin d’une conversion profonde sur cet aspect.
D’autre part, les grands pasteurs donnent beaucoup de liberté aux gens. Le bon berger sait diriger son troupeau sans le soumettre à des règles qui le mortifient. Au lieu de cela, le cléricalisme conduit à l’hypocrisie. Aussi dans la vie religieuse.
Je raconte souvent le cas d’un jésuite en formation. Sa mère était gravement malade et il savait qu’elle ne vivrait plus très longtemps. Il vivait dans une autre ville du même pays et, pour cela, il a demandé à son provincial de pouvoir changer de lieu pour pouvoir passer plus de temps avec sa mère. Le Provincial a dit qu’il y penserait devant Dieu et qu’il répondrait avant de partir tôt le lendemain. Le jeune jésuite est resté longtemps dans la chapelle cette nuit-là, priant pour que le Seigneur lui accorde la grâce. Mais le provincial, puisqu’il devait partir tôt, n’y prêta pas vraiment attention et écrivit toutes les réponses aux lettres qu’il devait laisser et les laissa au ministre de la communauté pour les remettre le lendemain. Parmi eux se trouvait la réponse à ce garçon. Le ministre, puisqu’il était tard et que tout le monde était endormi, a mis les lettres à la porte des intéressés. Le jeune homme, qui rentrait de nuit de la chapelle dans la chambre, a vu la lettre du provincial et l’a ouverte. Il réalisa que c’était daté du lendemain. Elle disait : « Après avoir réfléchi, prié, célébré la messe et fait un long discernement devant le Seigneur, je pense que vous devriez rester dans cet endroit. » C’est du cléricalisme, c’est l’hypocrisie à laquelle conduit le cléricalisme. Le jeune jésuite n’a pas perdu sa vocation, mais il n’a jamais oublié cette hypocrisie. Le cléricalisme est essentiellement hypocrite.
Le P. Afonso Mucane, curé de la paroisse de Saint-Ignace, dans le diocèse de Tete, propose quelques réflexions sur l’apostolat de la prière, qui s’appelle désormais le Réseau mondial de la prière du pape et vient de terminer ses 175 ans d’activité.
Je pense que nous devons enseigner aux gens la prière d’intercession, qui est une prière de courage, de parresia. Pensons à l’intercession d’Abraham pour Sodome et Gomorrhe. Pensons à l’intercession de Moïse pour son peuple. Nous devons aider le peuple à exercer l’intercession plus souvent. Et nous devons nous-mêmes en faire plus. Le réseau mondial de la prière du pape se porte très bien, comme on l’appelle maintenant, dirigé par le P. Fornos. Il est important que les gens prient pour le pape et pour ses intentions. Le pape est tenté, il est assiégé : seule la prière du peuple peut le libérer, comme nous le lisons dans les Actes des apôtres. Quand Pierre a été emprisonné, l’Église a prié sans cesse pour lui. Si l’Église prie pour le pape, c’est une grâce. Je ressens continuellement le besoin de demander l’aumône de la prière. La prière du peuple soutient.
La dernière question est celle du scolastique Ermano Lucas, qui effectue son service au collège « Sant’Ignazio ». Sa question concerne la xénophobie rampante.
La xénophobie et l’aporophobie font aujourd’hui partie d’une mentalité populiste qui ne laisse aucune souveraineté au peuple. La xénophobie détruit l’unité d’un peuple, même celle du peuple de Dieu. Et nous sommes tous le peuple : tous ceux qui sont nés dans le même pays, qu’ils aient des racines ailleurs ou des groupes ethniques différents. Aujourd’hui, nous sommes tentés par une forme de sociologie stérilisée. On dirait que nous considérons un pays comme une salle d’opération où tout est stérilisé : ma race, ma famille, ma culture … comme s’il y avait une crainte de le salir, de le contaminer. Nous voulons arrêter un processus important qui donne la vie aux gens et qui est l’hybridation. Le mélange vous fait grandir, vous donne une nouvelle vie. Développe les intersections, les mutations et donne de l’originalité. Le métis est ce que nous avons connu, par exemple, en Amérique latine. Nous avons tout ici : l’espagnol et l’indien, le missionnaire et le conquérant, la lignée espagnole et l’hybridation. Construire des murs signifie se condamner à mort. Nous ne pouvons pas vivre asphyxiés par une culture aseptisée de salle d’opération, sans microbes.
La rencontre entre le pape François et les jésuites s’est terminée par des remerciements, une prière tous ensemble et une photo de groupe.
* * *
Le 8 septembre, lors de sa visite à Madagascar, à l’issue de la réunion avec les prêtres, les religieux et les séminaristes sur le terrain de sport du Collège de Saint-Michel, le pape François a rencontré 200 des 260 jésuites de la province malgache, avec le Provincial, P. Fulgence Ratsimbazafy, dans la chapelle du collège. La réunion a duré environ 40 minutes.
L’entrée du pape était accompagnée du « Veni Creator », dans une atmosphère cordiale mais aussi un peu solennelle. Une solennité que le pape voulait amortir immédiatement, affirmant qu’il ne voulait pas prononcer de discours ni en écouter. Au lieu de cela, il a demandé à « parler comme des frères » et à avoir un échange avec des questions et des réponses spontanées. La réunion a alterné une série de réponses rapides et trois réponses plus larges.

Le P. Joseph Emmanuel Randriamamonjy, engagé dans l’apostolat des Exercices Spirituels, prend le micro et pose la question en italien : Quelle est votre impression de Madagascar ? Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné ?
Une chose qui m’a beaucoup frappé et qui me semble être le véritable fil conducteur de la visite a été le peuple, le peuple malgache. J’ai vu un peuple capable de supporter la pauvreté, la souffrance et l’exploitation. J’ai été frappé par la capacité à exprimer la joie, même quand il manque le nécessaire. C’est une vraie grâce. Il nous dit aussi beaucoup à nous consacrés et remet en question nos exigences raffinées typiques d’une élite. J’ai vu un peuple qui cherchait l’essentiel pour survivre, mais c’est pour cette raison qu’il est fécond. Ne perdez pas de vue les racines qui rendent votre peuple joyeux même dans la souffrance. Lorsque vous êtes tenté de devenir un peu acide et insatisfait, concentrez-vous sur l’esprit de votre peuple et sur sa fécondité.
Le Père Noël Cyprien, coordinateur de l’apostolat social et écologique de la province, a pris la parole : Vous venez d’Amérique latine. Vous étes maintenant à Madagascar. Voyez-vous une relation entre nos différents peuples ?
Je dirais que nos peuples doivent faire attention à ne pas tomber dans la colonisation idéologique qui enlève notre identité. Nos peuples ont toujours la capacité de s’exprimer de manière populaire sans tomber dans le populisme. Il est important de préserver l’identité de son propre peuple, une identité qui découle de l’expression spontanée du peuple. Nous devons plutôt nous défendre d’une identité idéologique. L’expérience du peuple dépasse de loin les idéologies, abstraites de musée ou de laboratoire. L’idéologie nous fait perdre notre identité. L’identité d’un peuple ne peut être exprimée dans des concepts, mais dans des histoires. Le peuple est souverain dans ses expressions, art, culture et sagesse. Saint Ignace l’avait bien compris. Si vous vous en souvenez, dans nos Constitutions, il existe une sorte de refrain  sur les choix et les manières d’agir qui dépendent toujours du contexte, de la réalité :  « en fonction des lieux, des époques et des personnes ».
Le critère de l’action n’est jamais abstrait, mais a pour référence un certain lieu, un certain temps, des personnes précises. La vision intérieure ne s’impose pas à l’histoire qui tente de l’organiser, mais dialogue avec la réalité, elle s’insère dans l’histoire, elle se déroule dans le temps. Cela signifie que c’est le discernement qui guide l’action, en respectant toujours la diversité des cultures, des peuples, de l’intériorité des gens.
C’est pourquoi la Compagnie de Jésus a pu avoir des personnalités telles que Saint François Xavier, Matteo Ricci, De Nobili, Valignano. Nos missions en Amérique du Sud ont été créatives avec le peuple et ne l’ont pas réduit à un cadre théorique. La règle d’action dans les missions a toujours tenu compte du caractère concret des lieux, des époques et des personnes. La règle est ce discernement.
Le P. Joseph Rabenirina, directeur de la maison d’édition « Ambozonyany », demande : « Mes parents et mes grands-parents m’ont appris que les missionnaires français donnaient comme pénitence pour les péchés la plantation d’arbres. Qu’en penses-tu ? « 
Cela me semble une intuition pastorale très créative ! D’après ce que vous me dites, c’était une pénitence sociale et environnementale qui contribue à la construction de la société. Aujourd’hui, quand je suis allé à la « Ville de l’amitié », le P. Pedro m’a montré des pins. Il m’a dit qu’il les avait plantés il y a à peine vingt ans. C’est vraiment très beau.
À la fin de la réunion, divers cadeaux ont été offerts au pape, dont un livre sur Antonio da Padova Rahajarizafy, premier provincial malgache. Francois l’avait cité lors de son discours au palais présidentiel, alors qu’il parlait de la culture « fihavanana ». Le pape a ensuite écrit une dédicace au livre du Jubilé d’or des cinquante ans de la province malgache, qui sera célébrée en 2021. François a ensuite apposé sa signature sur la traduction malgache de l’encyclique « Laudato si ‘ ». Avant une photo de groupe, il a parlé et plaisanté avec certaines des personnes présentes. Dans un climat de grande sympathie et de confusion, Fraçocis est sorti pendant que les présents chantaient le chant de Taizé « Ubi caritas ».
Copyright – Parole et Silence/La Civiltà cattolica

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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