Visite à Benoît XVI, Noël 2018 © Vatican Media

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Crise des abus : l'analyse théologique de Benoît XVI

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Le « véritable antidote » au mal est d’apprendre à aimer Dieu

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Le « véritable antidote » au mal est d’apprendre à aimer Dieu : dans un texte dont le pape François a eu connaissance et publié dans la revue bavaroise pour le clergé “Klerusblatt” le 10 avril 2019, Benoît XVI analyse le contexte de la crise actuelle des abus sexuels commis au sein de l’Eglise – visant le relativisme théologique des années 1960 – et donne des perspectives. Il ne s’agit pas, estime-t-il, de construire une nouvelle Eglise selon des critères humains, mais de « voir et trouver l’Eglise vivante », dans ses témoins.

Au fil de ce long texte de réflexion théologique, qui fait suite à la convocation des présidents des Conférences épiscopales du monde au Vatican, en février dernier, le pape émérite fait observer que « l’étendue et la gravité » des révélations ont « profondément ébranlé les prêtres et les laïcs » et mis leur foi « en discussion ». Il s’agit aujourd’hui, écrit-il, de « repartir pour rendre l’Eglise à nouveau crédible comme lumière des gentils et comme force qui aide dans la lutte contre les puissances destructrices ».

Il remercie le pape François « pour tout ce qu’il a fait pour nous montrer continuellement la lumière de Dieu qui encore aujourd’hui n’est pas ternie » : « Merci Saint-Père ! » Le texte, précise-t-il, a fait l’objet de « contacts avec le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin et avec le pape François ».

En tant que pape sur le Siège de Pierre « au moment de la déflagration de la crise et durant son développement progressif », confie Benoît XVI, « je ne pouvais pas ne pas me demander – même en n’ayant plus aucune responsabilité directe comme pape émérite – comment je pouvais contribuer à cette reprise par un regard rétrospectif », par « quelques indications qui peuvent aider en ce moment difficile ».

Le travail de Benoît XVI, publié intégralement en italien par le Corriere della Sera, se divise en trois parties – le contexte social des années 60-80, les conséquences dans la vie des prêtres et les perspectives pour une réponse juste de l’Eglise – dont voici les synthèses.

Contexte social et théologie morale 

Le pape émérite analyse le processus initié dans les années 1960 avec la diffusion des « films à caractère sexuel et pornographiques » dans les cinémas, ainsi que des publicités érotiques. « Parmi les libertés que la Révolution de 1968 voulait conquérir, il y avait aussi la liberté sexuelle totale, qui ne tolérait plus aucune norme. » Il lie aussi la propension à la violence, dans ces années, à cet « effondrement spirituel » et note que cette Révolution voyait la pédophilie comme « permise ».

Des évolutions qui eurent des conséquences aussi pour « les jeunes dans l’Eglise » : « Je me suis toujours demandé comment dans cette situation les jeunes pouvaient se diriger vers le sacerdoce et l’accepter avec toutes ses conséquences. L’effondrement diffus des vocations sacerdotales en ces années et le nombre énorme de démissions de l’état clérical furent une conséquence de tous ces processus. »

Benoît XVI analyse à la même époque « un effondrement de la théologie morale catholique » qui conduisit à une « crise de la morale ». Se répandit entre autres la thèse selon laquelle la morale ne pouvait se définir que dans l’agir humain, c’est-à-dire que rien ne pouvait être « absolument bon » ni « toujours mauvais », mais qu’il n’y avait que des « évaluations relatives ». Jean-Paul II y répondit par l’encyclique Veritatis splendor (6 août 1993) qui affirmait que certains actions « ne peuvent jamais devenir bonnes ».
On reléguait aussi, souligne-t-il, l’infaillibilité du Magistère de l’Eglise aux seules questions de la foi, en mettant « radicalement en discussion l’autorité de l’Eglise dans le domaine moral ». Mais, rappelle Benoît XVI, « la foi est un chemin, une manière de vivre ». Il donne en exemple l’Eglise antique, où les catéchumènes étaient introduits à « une façon de vivre chrétienne » dans « une culture toujours plus dépravée ». « Je pense qu’aujourd’hui quelque chose de similaire est nécessaire aux communautés catéchuménales afin que la vie chrétienne puisse s’affirmer dans sa particularité ».

Réactions ecclésiales

Benoît XVI pointe du doigt les conséquences de cette « dissolution de l’autorité doctrinale de l’Eglise en matière de morale », dans des séminaires où, dit-il, se sont formés dans les années 60 des « clubs homosexuels qui agissaient plus ou moins ouvertement » et où régnait une confusion entre les états de vie.

Il note que le critère principal de la nomination des nouveaux évêques était devenu leur « conciliarité », souvent vue comme « une attitude critique ou négative à l’égard de la tradition existante » et « radicalement ouverte avec le monde ». Une époque où, déplore-t-il, ses propres livres étaient bannis des séminaires.

Abordant ensuite la question de la pédophilie devenue dans les années 80 « un problème public » aux Etats-Unis, Benoît XVI explique que les évêques du pays ont alors demandé à Rome un approfondissement du droit pénal qui ne semblait « pas suffisant pour adopter les mesures nécessaires ». En effet, la conception de l’époque garantissait surtout les droits des accusés, si étendus que « les condamnations devenaient quasiment impossibles ».
Le pape émérite explique également pourquoi les abus sont passés de la compétence de la Congrégation pour le clergé à celle de la Congrégation pour la doctrine de la foi : ces crimes « endommagent la foi ». « C’est seulement là où la foi ne détermine plus l’agir des hommes que de tels crimes sont possibles ».

Les perspectives

Que devons-nous faire ? se demande alors Benoît XVI. Faut-il « créer une autre Eglise » ? Quand l’Eglise est vue « comme un appareil politique », l’on cherche à remédier à la crise en la prenant « en main nous-mêmes », en en faisant « quelque chose de nouveau ». Mais « une Eglise faite par nous ne peut représenter aucune espérance ».

« Seuls l’amour et l’obéissance à notre Seigneur Jésus-Christ peuvent nous montrer le juste chemin ». En effet la force du mal naît du refus de l’amour de Dieu et le « véritable antidote au mal », qui « nous menace et menace le monde », insiste-t-il, est « d’apprendre à aimer Dieu ».

Pour le pape émérite, c’est seulement « s’il y a un Dieu créateur qui est bon et qui veut le bien », que « la vie humaine peut avoir un sens ». « Une société dans laquelle Dieu est absent » perd son orientation et est condamnée à voir « la fin de sa liberté ». Si la pédophilie a atteint « une telle dimension », c’est en dernière analyse à cause de cette « absence de Dieu » aujourd’hui en Occident. Le « premier devoir » des chrétiens est donc de recommencer « à vivre de Dieu », à « reconnaître Dieu comme fondement de (leur) vie… comme centre de (leurs) pensées, paroles et actions ».
« Nous n’avons pas besoin d’une autre Eglise inventée par nous, redit Benoît XVI. Ce qui est nécessaire, c’est le renouveau de la foi dans la réalité de Jésus Christ donné à nous » dans l’Eucharistie. Constatant la désertion de la messe, il déplore une façon de vivre ce sacrement qui « détruit la grandeur du mystère ».
Il cite le témoignage d’une jeune enfant de chœur abusée par un prêtre qui lui disait : « Ceci est mon corps, donné pour toi. » « Il est évident que cette jeune ne peut plus écouter les paroles de la consécration sans éprouver terriblement en elle toute la souffrance de l’abus subi… nous devons urgemment implorer le pardon du Seigneur et surtout le supplier… de nous enseigner à comprendre à nouveau la grandeur de sa passion, de son sacrifice. »
En tout temps dans l’Eglise, poursuit Benoît XVI, « il y a et il y aura non seulement la zizanie et les mauvais poissons mais aussi la semence de Dieu et les bons poissons ». « Le diable veut montrer que Dieu n’est pas bon » et aujourd’hui il « se concentre surtout sur le discrédit de son Eglise » afin « d’éloigner d’elle ».
Le pape émérite invite donc à opposer « aux mensonges et aux demi-vérités du diable toute la vérité : oui, il y a le péché et le mal dans l’Eglise. Mais aujourd’hui encore il y a aussi l’Eglise sainte qui est indestructible ». « Encore aujourd’hui, conclut-il, il y a de nombreux hommes qui croient humblement, qui souffrent et qui aiment, et dans lesquels le vrai Dieu, le Dieu qui aime, se montre à nous. Encore aujourd’hui Dieu a ses témoins («martyrs») dans le monde. Il nous faut seulement être vigilants pour les voir et les écouter… Voir et trouver l’Eglise vivante est une mission magnifique qui nous renforce et qui nous redonne la joie de la foi. »

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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