Audience générale du 17 oct 2018 © Vatican Media

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Abus sexuels : lettre du pape aux évêques des Etats-Unis (2/2)

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Entrer dans une communion affective avec le peuple fidèle de Dieu

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« La crédibilité sera le fruit d’un corps uni qui, tout en reconnaissant son péché et ses limites, est en même temps capable de prêcher le besoin de conversion », écrit le pape François dans sa lettre aux évêques des  Etats-Unis d’Amérique. « Cette conscience collégiale », poursuit-il, « nous permet d’entrer dans une communion affective avec notre peuple » qui continue « de souffrir grandement à cause des abus de pouvoir et de conscience et des abus sexuels, et de la piètre manière dont ils ont été traités, ainsi que de la douleur de voir un épiscopat manquer d’unité et davantage préoccupés de montrer du doigt que de chercher des chemins de réconciliation ».

A l’occasion de la retraite de la Conférence épiscopale du pays, guidée par le prédicateur de la Maison pontificale, le p. Raniero Cantalamessa, du 2 au 8 janvier 2019, le pape a fait parvenir une longue lettre proposant de réfléchir avec les évêques sur des « aspects importants » de la question, afin de « lutter contre la ‘culture des abus’ et traiter la crise de crédibilité ».

Il souligne que « la crédibilité naît de la confiance et la confiance naît du service sincère, quotidien, humble et généreux envers tous, mais en particulier envers ceux qui sont les plus chers au cœur du Seigneur ». Elle « dépend aussi de la mesure dans laquelle nous contribuons, aux côtés des autres, à renforcer un tissu social et culturel qui risque non seulement de s’effriter, mais aussi d’abriter et de favoriser de nouvelles formes de haines ».

Le pape termine par un mot d’encouragement : « Dans la tempête, nous ne devons jamais perdre foi dans la puissance tranquille, quotidienne et efficace de l’Esprit-Saint à l’œuvre dans les cœurs humains et dans toute l’histoire ». Et de s’exclamer : « Comme elle est sublime, mes frères, la tâche à accomplir ! Nous ne pouvons pas nous taire ou la minimiser à cause de nos limites et de nos fautes ! »

Voici notre traduction de la deuxième partie de cette lettre.

HG

Lettre du pape François aux évêques des Etats-Unis (2)

En un mot, une nouvelle saison ecclésiale a besoin d’évêques qui peuvent enseigner aux autres comment discerner la présence de Dieu dans l’histoire de son peuple, et non de simples administrateurs. Les idées peuvent être discutées mais les situations vitales doivent être discernées. En conséquence, parmi le bouleversement et la confusion qu’expérimentent nos communautés, notre premier devoir est d’encourager un esprit commun de discernement, plutôt que de chercher le calme relatif qui découle d’un compromis ou d’un vote démocratique où certains émergent comme « gagnants » et les autres non. Non ! Il s’agit de trouver une voie collégiale et paternelle d’embrasser la situation actuelle, qui puisse – c’est le plus important – empêcher ceux qui sont confiés à nos soins de perdre espoir et de se sentir spirituellement abandonnés (3). Cela nous permettra d’être pleinement immergés dans la réalité, cherchant à l’apprécier et à l’entendre de l’intérieur, sans en être l’otage.

Nous savons que les temps d’épreuve et de tribulation peuvent menacer notre communion fraternelle. Mais nous savons aussi qu’ils peuvent devenir des temps de grâce qui soutiennent notre engagement envers le Christ et le rendent crédible. Cette crédibilité ne sera pas fondée sur nous-mêmes, nos déclarations, nos mérites ou notre bonne renommée personnelle ou collective. Tout cela est le signe de notre tentative – presque toujours inconsciente – de nous justifier sur la base de nos propres forces et capacités (ou de la malchance de quelqu’un d’autre). La crédibilité sera le fruit d’un corps uni qui, tout en reconnaissant son péché et ses limites, est en même temps capable de prêcher le besoin de conversion. Car nous ne voulons pas nous prêcher nous-mêmes mais plutôt le Christ qui est mort pour nous (cf. Cor 4,5). Nous voulons témoigner que dans les moments les plus noirs de notre histoire, le Seigneur se rend présent, ouvre de nouveaux chemins et consacre notre foi vacillante, notre espérance hésitante et notre tiède charité.

La conscience personnelle et collective de nos limites nous rappelle, comme l’a dit saint Jean XXIII, que « l’autorité n’échappe point à toute loi » (4). Elle ne peut pas être à l’écart dans son discernement et dans ses efforts pour poursuivre le bien commun. Une foi et une conscience qui manquent de référence à la communauté seraient comme un « transcendantal kantien » : il finira par proclamer « un Dieu sans le Christ, un Christ sans l’Église, une Église sans son peuple ». Il établira une opposition fausse et dangereuse entre la vie personnelle et la vie ecclésiale, entre un Dieu de pur amour et la chair souffrante du Christ. Pire, il pourrait risquer de transformer Dieu en une « idole » pour un groupe particulier. La référence constante à la communion universelle, ainsi qu’au Magistère et à la tradition séculaire de l’Église, sauve les croyants du risque d’absolutiser tout groupe, période historique ou culture à l’intérieur de l’Église. Notre catholicité est aussi en jeu dans notre capacité, comme pasteurs, d’apprendre à nous écouter les uns les autres, à nous donner et à recevoir mutuellement de l’aide, à travailler ensemble et à recevoir l’enrichissement que d’autres Églises peuvent apporter à notre suite du Christ. La catholicité de l’Église ne peut être simplement réduite à une question de doctrine ou de loi ; au contraire, elle nous rappelle que nous ne sommes pas des pèlerins solitaires : « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (1 Cor 12,26).

Cette conscience collégiale du fait que nous sommes des pécheurs ayant besoin d’une conversion constante, bien que nous soyons profondément ébranlés et peinés par tout ce qui s’est passé, nous permet d’entrer dans une communion affective avec notre peuple. Elle nous libèrera de la quête de formes fausses, faciles et futiles de triomphalisme qui défendraient des espaces au lieu d’initier des processus. Elle nous empêchera de nous tourner vers des certitudes rassurantes qui ne nous permettent pas d’aborder et d’apprécier l’ampleur et les implications de ce qui s’est passé. Elle contribuera également à notre recherche de mesures adéquates exemptes de faux postulats ou de formulations rigides qui ne sont plus capables de parler au cœur des hommes et des femmes de notre temps ni de les émouvoir (5).

La communion affective aux sentiments de notre peuple, avec son découragement, nous pousse à exercer une paternité spirituelle collégiale qui n’offre pas des réponses banales ou des actions défensives mais qui cherche au contraire à apprendre – comme le prophète Élie au milieu de ses difficultés – à écouter la voix du Seigneur. Cette voix ne se trouve pas dans la tempête ni dans le tremblement de terre, mais dans le calme qui vient de la reconnaissance de notre douleur devant la situation actuelle et de notre capacité à nous laisser ensemble convoquer à nouveau par la Parole de Dieu (cf. 1 R 19,9-18).

Cette approche exige de nous que nous décidions d’abandonner un modus operandi qui consiste à dénigrer, discréditer, se considérer comme une victime ou être mauvaise langue dans nos relations et à faire au contraire de la place pour la douce brise que seul l’Évangile peut offrir. N’oublions pas que « le manque collégial de reconnaissance sincère et priante de nos limites empêche la grâce de travailler plus efficacement en nous, car il n’y a pas de place pour faire émerger le bien potentiel qui fait partie d’un chemin de croissance sincère et authentique » (6). Essayons de briser le cercle vicieux de la récrimination, du dénigrement et du discrédit, en évitant les ragots et les médisances et en cheminant vers l’acceptation priante et contrite de nos limites et de nos péchés, et la promotion du dialogue, de la discussion et du discernement. Cela nous disposera à trouver des chemins évangéliques qui peuvent éveiller et encourager la réconciliation et la crédibilité que notre peuple et notre mission exigent de nous. Nous le ferons si nous pouvons cesser de projeter sur les autres notre propre confusion et notre propre mécontentement, qui sont des obstacles à l’unité (7), et si nous osons nous rassembler, à genoux, devant le Seigneur pour nous laisser interpeller par ses blessures dans lesquelles nous pourrons voir les blessures du monde. Jésus nous dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi ».

  1. « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave »

Le peuple fidèle de Dieu et la mission de l’Église continuent de souffrir grandement à cause des abus de pouvoir et de conscience et des abus sexuels, et de la piètre manière dont ils ont été traités, ainsi que de la douleur de voir un épiscopat manquer d’unité et davantage préoccupés de montrer du doigt que de chercher des chemins de réconciliation. Cette situation nous force à regarder ce qui est essentiel et à nous débarrasser de tout ce qui fait obstacle à un témoignage clair de l’Évangile de Jésus-Christ.

Ce qu’il nous est demandé aujourd’hui, c’est une nouvelle présence dans le monde, conforme à la croix du Christ, qui se concrétise dans le service des hommes et des femmes de notre temps. Je pense aux paroles de saint Paul VI au début de son pontificat : « Il faut se faire les frères des hommes du fait même qu’on veut être leurs pasteurs, leurs pères et leurs maîtres. Le climat du dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, le service. Tout cela, nous devrons nous le rappeler et nous efforcer de le pratiquer selon l’exemple et le précepte que le Christ nous a laissés » (Jn 13,14-17) » (8).

Cette attitude n’est pas une question de respect ou de succès, ni d’applaudissements pour nos actions ; au contraire, elle requiert qu’en tant que pasteurs nous décidions vraiment d’être une semence qui poussera quand et comme le Seigneur le décidera. Cette décision nous préservera de tomber dans le piège qui consisterait à mesurer la valeur de nos efforts selon les standards du fonctionnalisme et de l’efficacité qui gouvernent le monde des affaires. Le chemin à emprunter est plutôt l’ouverture à l’efficacité et au pouvoir transformateur du Royaume de Dieu qui, comme une graine de moutarde, la plus petite et la plus insignifiante des graines, devient un arbre dans lequel les oiseaux du ciel font leur nid (cf. Mt 13,32-33). Dans la tempête, nous ne devons jamais perdre foi dans la puissance tranquille, quotidienne et efficace de l’Esprit-Saint à l’œuvre dans les cœurs humains et dans toute l’histoire.

La crédibilité naît de la confiance et la confiance naît du service sincère, quotidien, humble et généreux envers tous, mais en particulier envers ceux qui sont les plus chers au cœur du Seigneur (cf. Mt 25,31-46). Ce sera un service offert, non pas par souci de marketing ou à des fins stratégiques afin de regagner le prestige perdu ou de chercher des louanges, mais plutôt – comme je l’ai dit avec insistance dans la récente exhortation apostolique Gaudete et exsultate – parce qu’il appartient au « cœur battant de l’Évangile » (9).

L’appel à la sainteté nous empêche de tomber dans de fausses dichotomies et des façons de penser réductrices, et de rester en silence face à un climat enclin à la haine et au rejet, à la désunion et à la violence entre frères et sœurs. L’Église, en tant que « signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, 1), porte dans son cœur et dans son âme la mission sacrée d’être un lieu de rencontre et d’accueil non seulement pour ses membres mais pour toute l’humanité. Cela fait partie de son identité et de sa mission de travailler sans se lasser pour tout ce qui peut contribuer à l’unité entre les individus et les peuples en tant que symbole et sacrement du sacrifice du Christ sur la croix pour tous les hommes et toutes les femmes sans distinction. Car « il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28). C’est le plus grand service qu’elle offre, surtout aujourd’hui, alors que nous assistons à la résurgence d’une rhétorique incendiaire et de préjugés anciens et nouveaux. Aujourd’hui, nos communautés doivent témoigner de manière concrète et créative que Dieu est le Père de tous et qu’à ses yeux nous sommes tous ses fils et ses filles. Notre crédibilité dépend aussi de la mesure dans laquelle nous contribuons, aux côtés des autres, à renforcer un tissu social et culturel qui risque non seulement de s’effriter, mais aussi d’abriter et de favoriser de nouvelles formes de haines. Comme Église, nous ne pouvons pas être pris en otage par tel ou tel camp, mais nous devons être attentifs à toujours commencer par les plus vulnérables. Avec les paroles de la Prière eucharistique, demandons au Seigneur que « le peuple qui [lui] appartient brille comme un signe prophétique de l’unité et de la paix, au milieu d’une humanité qui se divise et se déchire » (Messes pour des circonstances particulières).

Comme elle est sublime, mes frères, la tâche à accomplir ! Nous ne pouvons pas nous taire ou la minimiser à cause de nos limites et de nos fautes ! Je me souviens des paroles sages de Mère Teresa de Calcutta, que nous pouvons répéter, individuellement et ensemble : « Oui, j’ai beaucoup de fautes et d’échecs humains… Mais Dieu se penche et nous utilise, vous et moi, pour que nous soyons son amour et sa compassion dans le monde ; il porte nos péchés, nos peines et nos défauts. Il dépend de nous pour aimer le monde et pour montrer combien il l’aime. Si nous sommes trop préoccupés de nous-mêmes, il ne nous restera pas de temps pour les autres » (10).

Chers frères, le Seigneur était conscient qu’à l’heure de la croix, le manque d’unité, la division et la dispersion, ainsi que les tentatives de fuir cette heure, seraient les plus grandes tentations auxquelles ses disciples seraient confrontés – des attitudes qui déformeraient et entraveraient leur mission. C’est pourquoi il a demandé à son Père de veiller sur eux, pour qu’en ces temps-là ils soient un, comme lui et le Père sont un et qu’aucun d’entre eux ne soit perdu (cf. Jn 17,11-12). En entrant avec confiance dans la prière de Jésus à son Père, nous voulons apprendre de lui et, avec une ferme résolution, commencer ce temps de prière, de silence et de réflexion, de dialogue et de communion, d’écoute et de discernement. Ainsi, nous lui permettrons de conformer nos cœurs à son image et de nous aider à découvrir sa volonté.

Sur ce chemin, nous ne sommes pas seuls. Dès le début, Marie a accompagné et soutenu la communauté de ses disciples. Par sa présence maternelle, elle a aidé la communauté à ne pas perdre ses repères en se divisant en groupes fermés ou en pensant qu’elle pouvait se sauver elle-même. Elle a protégé la communauté des disciples de l’isolement spirituel qui mène à l’égocentrisme. Par sa foi, elle les a aidés à persévérer dans la perplexité, confiante que la lumière viendrait. Nous lui demandons de nous garder unis et persévérants comme au jour de la Pentecôte, pour que l’Esprit soit répandu dans nos cœurs et nous aide en tout temps et en tout lieu à témoigner de la résurrection.

Chers frères, avec ces pensées, je vous suis uni pendant ces jours de retraite spirituelle. Je prie pour vous ; s’il vous plaît, faites de même pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que Notre Dame veille sur vous.

Fraternellement.

François

_______________________

[1] Cf. Evangelii Gaudium, 76.
[2]
 Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 135.
[3]
 Cf. Jorge M. Bergoglio, Las Cartas de la Tribulación, 12. Ed. Diego De Torres, Buenos Aires (1987).
[4]
 Cf. Jean XXIII, Pacem in Terris, éd. Carlen, 47.
[5] 
Paul VI, Ecclesiam Suam, éd. Carlen, 85.
[6]
 Gaudete et Exsultate, 50.
[7]
 Cf. Evangelii Gaudium, 96.
[8]
 Paul VI, Ecclesiam Suam, éd. Carlen, 90.
[9]
 Gaudete et Exsultate, 97.
[10]
 Mère Teresa de Calcutta, citée in Gaudete et Exsultate, 107.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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