Le Saint-Siège plaide à l’ONU pour l’interdiction des systèmes d’armes autonomes létales.
Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, est intervenu à la réunion de 2018 des Hautes Parties contractantes à la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’utilisation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (CCAC), à Genève, le 22 novembre 2018.
Dénonçant « les lourdes conséquences des systèmes d’armes autonomes létales », le représentant du Saint-Siège insiste sur la « nécessité de conserver la personne humaine au cœur des décisions qui font usage d’une force dommageable ou meurtrière » et invite à « s’appuyer sur le principe de précaution et adopter une attitude responsable en matière de prévention », « seules options qui garantiront un résultat valable et durable ». Il estime que la CCAC « devrait prendre la décision courageuse et éclairée d’interdire les LAWS ».
Mgr Jurkovic se félicite par ailleurs des progrès réalisés « dans le renforcement et l’élargissement du droit international humanitaire en interdisant ou réglementant certains types d’armements » mais il réaffirme les « préoccupations sérieuses et répétées » du Saint-Siège quant à trois points particuliers : « les effets dévastateurs » et l’ « impact humanitaire dramatique à long terme » de l’utilisation des armes classiques explosives en milieu urbain, l’usage d’armes incendiaires et les systèmes d’armes autonomes létales (LAWS).
Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Jurkovic, prononcée en anglais.
HG
Intervention de Mgr Jurkovic
Merci Monsieur le Président.
Grâce à la Convention sur certaines armes classiques et à ses protocoles, les États parties ont considérablement progressé dans le renforcement et l’élargissement du droit international humanitaire en interdisant ou réglementant certains types d’armements. Malheureusement, des conflits violents et prolongés persistent, augmentent et s’aggravent. Des atrocités et des atteintes graves à la dignité de la personne humaine sont perpétrées au nom de revendications militaires et politiques.
Le Saint-Siège a l’intention de renouveler ses encouragements et d’appeler la communauté internationale à poursuivre sur la voie qu’elle a adoptée pour réduire les souffrances humaines et atténuer les conséquences négatives des hostilités. Chaque pas dans cette direction contribue à faire prendre conscience de la nécessité de mettre fin à la cruauté des conflits afin de résoudre les tensions par le dialogue et la négociation, ainsi que par le respect du droit international. (1)
Monsieur le Président,
À cet égard, le Saint-Siège souhaite réitérer ses préoccupations sérieuses et répétées pour encourager les États parties à agir sur trois questions particulières qui sont pertinentes aux fins de la CCAC :
1) Armes explosives. L’expérience tragique des conflits dans le monde entier montre que l’utilisation d’armes explosives ayant des effets dévastateurs dans des zones peuplées a un impact humanitaire dramatique à long terme. Cela crée des blessures mortelles et des déficiences permanentes, laissant souvent des restes de guerre explosifs qui peuvent tuer ou mutiler des civils bien après la fin des hostilités. En outre, des millions de réfugiés et de personnes déplacées fuient souvent la violence et la désolation causées par l’utilisation d’armes classiques de plus en plus puissantes en milieu urbain. À cet égard, les armes classiques deviennent de moins en moins « classiques » et de plus en plus « des armes de déplacement massif », leur puissance destructrice et leur sophistication pouvant dévaster des villes entières, des écoles, des hôpitaux, des infrastructures et des services essentiels à la population.
2) Armes incendiaires. L’utilisation persistante d’armes incendiaires, qui provoquent des brûlures extrêmement douloureuses entraînant des blessures physiques et psychologiques à long terme ou la mort, remet en question le bien-fondé du Protocole III pour réduire les souffrances humaines. Notre délégation tient à réaffirmer la nécessité d’un examen technique et juridique honnête des dispositions du Protocole III pour renforcer cet instrument afin de rester pertinent dans les conflits d’aujourd’hui et de renforcer la protection accordée aux civils et aux combattants.
3) Systèmes d’armes autonomes létales (LAWS). La participation et l’interaction de plus en plus actives entre les États, la société civile et la communauté scientifique montrent clairement l’urgence et les lourdes conséquences des systèmes d’armes autonomes létales. La délégation du Saint-Siège estime que les deux sessions du groupe d’experts gouvernementaux (GGE) tenues en 2018 ont été particulièrement utiles pour générer une convergence encore plus grande, en particulier autour de considérations éthiques et juridiques. Nous sommes particulièrement heureux que cela ait été dûment reflété dans le rapport du Groupe d’experts gouvernementaux sous la section des principes directeurs. (2)
Monsieur le Président,
La question des LAWS est à l’ordre du jour de la CCAC depuis cinq ans maintenant. Le Saint-Siège a exprimé ses préoccupations à plusieurs reprises : le développement des LAWS permettra de modifier de manière irréversible la nature de la guerre, qui devient plus détachée de l’action humaine, remet en question l’humanité de nos sociétés et, en tout état de cause, contraint tous les États à réévaluer leurs capacités militaires.
Diverses propositions de résultats concrets possibles ont été avancées. Ces propositions ont en commun la nécessité sous-jacente d’une approche multilatérale et la nécessité de conserver la personne humaine au cœur des décisions qui font usage d’une force dommageable ou meurtrière.
À cet égard, le Saint-Siège réitère sa position antérieure et répétée selon laquelle s’appuyer sur le principe de précaution et adopter une attitude responsable en matière de prévention sont les seules options qui garantiront un résultat valable et durable. Afin d’empêcher une course aux armements et l’accroissement des inégalités et de l’instabilité, il est impératif d’agir sans tarder : le moment est venu d’empêcher que les LAWS deviennent la réalité des conflits de demain. La CCAC devrait prendre la décision courageuse et éclairée d’interdire les LAWS comme elle l’a fait par le passé en ce qui concerne les autres types d’armes.
Monsieur le Président,
En conclusion, le Saint-Siège espère que la flexibilité de la CCAC pourra conduire à une amélioration effective de la protection des civils et des combattants grâce au développement ultérieur du Droit international humanitaire, en tenant pleinement compte de la nature des « conflits armés modernes et des souffrances physiques, morales et spirituelles qui en découlent ». (3)
Merci Monsieur le Président.
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NOTES
1 Cf. Saint-Siège, Déclaration relative à l’adhésion à la Convention sur certaines armes classiques, 22 juillet 1997.
2 Cf. Document CCW / GGE.1 / 2018/3, disponible à l’adresse suivante: https://www.unog.ch/80256EDD006B8954/(httpAssets)/20092911F6495FA7C125830E003F9A5B/$file/2018_GGE+LAWS_Final + Report.pdf
3 Discours prononcé par le pape François aux participants à la Conférence sur le droit international humanitaire, 28 octobre 2017.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat