Giuseppe Toniolo, Pise @ wikimedia commons

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De l’engagement politique et social des catholiques, par le card. Parolin (traduction complète)

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Centenaire de la mort du Bienheureux Giuseppe Toniolo

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Dans cette lettre, le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin encourage l’engagement politique et social des catholiques italiens, dans le sillage de l’oeuvre du bienheureux Giuseppe Toniolo (1845-1918), mort il y a un siècle. Il a été béatifié à Rome le 29 avril 2012.
En effet, le cardinal Parolin adresse cette lettre à Mgr Delpini à l’occasion du congrès intitulé: « Economie et socieété pour le bien commun. La leçon de Giuseppe Toniolo (1918-2018) ». Il s’est tenu à Milan, le 24 novembre 2018.
AB
Lettre du card. Parolin
A Son Excellence Mgr Mario Delpini
Archevêque de Milan,
Président de l’Institut d’Etudes supérieures Giuseppe Toniolo
Excellence,
Le Saint-Père François a appris qu’à l’occasion du centenaire de la mort du Bienheureux Giuseppe Toniolo, un colloque a été promu, au siège de l’Université Catholique du Sacré Cœur de Milan, pour honorer la figure de ce père et époux exemplaire, professeur d’économie et modèle de sainteté laïque. L’initiative est propice pour mettre en lumière non seulement les mérites historiques, mais aussi l’actualité du Bienheureux Toniolo, en tirant de son témoignage et de sa pensée une inspiration nouvelle pour l’engagement social et politique auxquels les catholiques ne peuvent pas se soustraire, s’ils veulent être fidèles à l’Evangile. En effet, le professeur, d’origine vénitienne mais pisan d’adoption, reste justement en cela un « maître » et, en un certain sens, un « prophète ». Même si beaucoup de choses de lui sont inévitablement datées, il peut aussi beaucoup parler à notre époque.
Les années pendant lesquelles il a vécu, entre 1845 et 1918, furent marquées par de grands changements. En particulier, le processus d’industrialisation donna un nouveau visage à la société, en produisant le phénomène du prolétariat, dans lequel, comme l’écrivait Léon XIII, « un très petit nombre de super-riches ont imposé un joug servile à une infinie multitude de prolétaires » (Lettre Encyclique Rerum Novarum 2). Le grand pontife invitait les fidèles à affronter cette question sociale, en suggérant un engagement qui constitue comme une réponse programmatique aux « Res novae », une réponse de grande ampleur, capable d’aller aux racines des problèmes. On aurait ainsi également conjuré le péril que le monde ouvrier, abandonné à son malheureux sort, devienne l’otage d’idéologies qui, au lieu de résoudre les problèmes, les auraient aggravés.
Le Bienheureux Toniolo a fait de cette invitation la mission de sa vie. Au catholicisme italien, qui s’était organisé dans l’Œuvre des Congrès surtout pour soutenir le Pape dans la difficile affaire de la « question romaine », apporté l’ouverture des horizons, un regard éclairé sur les processus sociaux, culturels et économiques. Sa rigueur de chercheur, capable d’amour pour la vérité jusqu’à aller à contre-courant, l’a aidé à appréhender le nœud de la « question sociale », en le diagnostiquant dans une économie détachée de l’éthique et développée dans le courant de la pure loi du profit, dans le vide ou dans la faiblesse des « corps intermédiaires » et des providences nécessaires à l’avantage des membres les plus faibles de la société.
Toniolo a été un protagoniste infatigable de l’engagement social, mais aussi le théoricien d’un dessein global de renouveau. Le cœur de son projet il y a eu la conscience que seule une rencontre entre la foi et la culture pouvait soustraire la société contemporaine à la dérive du matérialisme récalcitrant aux raisons de l’esprit et du surnaturel, tendant, d’un côté, à l’individualisme et à une liberté sans limites et sans scrupules, et, de l’autre, au faux remède d’un étatisme nivelant, source d’arbitraire et de tyrannie. Fort de cette idée, il se dédia à élever la culture sociale des catholiques, par des associations, des publications et des congrès. Il créait ainsi un climat favorable à des initiatives de solidarité, des coopératives aux banques populaires, aux caisses rurales.
Les Semaines Sociales, promues par Toniolo en Italie en 1917, continuent toujours, stimulant la réflexion et l’engagement concret. Ainsi configurée, l’œuvre de Toniolo préparait les catholiques au temps d’un engagement plus spécifiquement politique, à l’époque encore prématuré. A cette fin, le professeur pisan ne cessait de répéter les deux principes complémentaires du primat de la société civile et du rôle non négligeable de l’Etat, selon les critères de la subsidiarité et de la solidarité, piliers de la doctrine sociale de l’Eglise.
Il cultiva ainsi l’idéal d’une société vraiment démocratique, dont l’étoile polaire serait le bien commun à atteindre par la convergence de toutes les forces sociales, au bénéfice des plus pauvres. Aux yeux du Bienheureux Giuseppe Toniolo, une démocratie qui, pour être telle, même avec l’ouverture à tous et avec la collaboration de tous, n’aurait jamais pu se réaliser adéquatement, sans puiser la sève vitale aux valeurs évangéliques.
Dans l’environnement économique et sociologique, une telle vision remontait aux plus hauts principes de la science et de la culture. C’est pour cela qu’il conçut la Société catholique pour les études scientifiques, germe lointain de l’Université Catholique du Sacré Cœur. Sa vision assuma progressivement un caractère toujours plus global, surtout quand, sur les ruines de la première guerre mondiale, Toniolo posa la question de comment garantir la paix pour le futur. Il demanda pour cela au Saint-Siège de promouvoir un Institut qui serait un laboratoire de droit international avec un fondement solide et largement partagé.
Qui ne voit pas aujourd’hui, face aux scénarios de guerres régionales qui souvent font craindre une escalade mondiale, combien cette exigence est urgente, pour concilier les droits des nations avec les exigences de la famille humaine universelle ? Comment ne pas partager avec Toniolo que la perspective d’une paix stable et véritable doive être construite en intégrant le respect des droits de la personne humaine et le dépassement de l’individualisme, en tissant à nouveau les relations dans laquelle la personne humaine s’épanouit, sur la base de la valeur sacrée de la vie et de la valeur constitutive de la famille ?
Une vision si lumineuse était chez Toniolo, non seulement le fruit d’une pensée pénétrante, mais surtout l’expression d’un cœur habité par la prière et amoureux de l’eucharistie. Enraciné dans cet humus spirituel, il formulait le propos de devenir un saint, et il exprimait sa conviction que le salut de la société même était lié à la sainteté. Il fallait viser – comme il le disait – une « société de saints ». Une perspective qui répond bien à ce que le Concile Vatican II a dit sur la vocation universelle à la sainteté, rappelée récemment aussi par l’exhortation apostolique du Saint-Père François Gaudete et exsulatate.
Cent ans après sa mort, la situation de l’Europe et du monde, caractérisée par de nouveaux problèmes comme l’acuité de la question environnementale et la nouvelle rencontre des peuples et des cultures dans le phénomène pressant des migrations, la vision de Toniolo apparaît encore capable d’offrir des occasions de discernement et d’engagement. Le Saint-Père souhaite que les catholiques italiens apprennent de ce « maître » indépassable à s’interroger sur l’urgence d’une nouvelle époque de leur engagement social et politique qui, sans annuler les légitimes différences, se calent dans des parcours unitaires d’orientations et propositions, en préservant la présence catholique dans la société de la tentation de l’indifférence et au risque de l’insignifiance.
Puissent les catholiques italiens savoir imiter l’élan du Bienheureux Giuseppe Toniolo, se caler dans sa « prophétie », et que les jeunes, même en cela, soient en première ligne, eux que le récent synode a désignés à l’attention de toute l’Eglise et auxquels le professeur pisan s’est dévoué avec une sollicitude particulière depuis sa chaire universitaire et en étant proche des jeunes de la FUCI*.
Avec ces pensées, le pape François accorde à ceux qui ont organisé le Congrès et à ceux qui y ont participé sa Bénédiction Apostolique.
J’ajoute mes souhaits personnels pour le succès et de profit de cette journée d’étude.
Cardinal Pietro Parolin
Secrétaire d’Etat
 
*FUCI (note de la rédaction) : sigle de la « Federazione Universitaria Cattolica Italiana” (Fédération universitaire catholique italienne).
© Traduction de Zenit, Hugues de Warren
 

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Hugues de Warren

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