« Tout ce que nous avons dans le monde ne satisfait pas notre faim de l’infini. Nous avons besoin de Jésus », affirme Mgr Francesco Follo en méditant sur les lectures de la messe du dimanche 26 août 2018 (Dimanche XXI du Temps Ordinaire – Année B – Jos 24,1-2.15-17.18 ; Ps 33 ; Ep 5,21-32 ; Jn 6,60-69).
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris souligne que « les mots de la Parole, de la Parole de Dieu, ne sont pas simplement des informations, des narrations ou des instructions, mais ils donnent la vraie vie et la nourrissent pour l’éternité ».
1) Paroles rudes qui donnent l’éternité
Dans les dimanches précédents de ce mois d’août, la liturgie a proposé à notre méditation le discours sur le « Pain de vie » que Jésus a prononcé dans la synagogue de Capharnaüm après avoir nourri des milliers de personnes avec cinq pains et deux poissons. L’évangile de la Messe d’aujourd’hui présente la réaction des disciples à ce discours. Cette réaction d’incrédulité ne concerne plus uniquement les gens ordinaires ou les juifs, mais implique également le cercle des disciples. Ils « murmurent » comme Israël dans le désert et comme les juifs qui sont scandalisés devant Jésus qui prétend être descendu du ciel et être le salut du monde.
Quelle est la raison de leur incrédulité ? La voici : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 60) une phrase que nous pourrions réécrire comme suit : « Ce discours est difficile, comment pouvons-nous l’accepter ? ». Et cette difficulté, à mon avis, ne concerne pas seulement la foi en l’Eucharistie, c’est-à-dire la présence réelle du Christ dans le pain et le vin, une présence jugée impossible. La dureté et la difficulté du discours font référence à tout le contenu du sixième chapitre de l’Evangile de Saint-Jean : l’offre d’un salut qui dépasse les attentes étroites des gens ordinaires, et des dirigeants du peuple juif, la présence du Fils de Dieu dans le fils du charpentier ; surtout la nécessité de partager son existence en don.
Cette révélation était incompréhensible, même à ses disciples car ils l’entendaient au sens matériel, alors que dans ces mots le mystère pascal de Jésus était annoncé, le mystère dans lequel Il aurait donné soi-même pour le salut du monde : la nouvelle présence dans la Sainte Eucharistie.
Ainsi, « à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent. » (Jn 6, 66) : revenir en arrière est tout le contraire de suivre (sequela), d’’être disciples, qui est un mouvement en avant, se penchant vers le partage toujours plus profond. Face à l’incrédulité qui a maintenant atteint le cœur de sa communauté, Jésus ne change pas ses paroles, ni les explique à nouveau. Par ailleurs, il pousse la réflexion à la racine de la foi dans les mystérieuses profondeurs où la grâce du Père et la responsabilité de l’homme sont appelées à se rencontrer.
Et puis le Christ demande : « Voulez-vous partir, vous aussi ?? » (Jn 6, 67). Dans ce cas encore, c’est Pierre qui répond au nom des Douze : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. « (Jn 6,68-69).
Approprions-nous la réponse du Premier des Apôtres et aidons-nous à la comprendre avec ce commentaire de saint Augustin d’Hippone qui écrit : « Voyez comment Pierre, par la grâce de Dieu, par l’inspiration de l’Esprit Saint, a compris ? Pourquoi a-t-il compris ? Parce qu’il a cru. Tu as des paroles de vie éternelle. Tu nous donnes la vie éternelle en nous offrant ton corps [ressuscité] et ton sang [toi-même]. Et nous avons cru et plus tard connu. Il ne dit pas : nous avons connu et ensuite cru, mais nous avons cru et alors connu. Nous avons cru pour connaitre ; si, en fait, nous voulions connaitre avant de croire, nous n’aurions pas réussi à connaître ou à croire. Qu’avons-nous cru et qu’est que nous avons connu ? Que tu es l’Enfant Jésus de Dieu, cela veut dire que tu es la même vie éternelle, et que dans la chair et dans le sang tu nous donne ce que tu es toi-même » (Commentaire sur l’Evangile de Jean, 27, 9).
2) La rencontre avec la Vérité à manger
Comment renforcer notre foi et croire en ce que saint Augustin nous rappelle dans l’extrait que nous venons de mentionner ? Nous devons d’abord avoir un cœur qui n’est pas terne mais tendu. Deuxièmement, ne pas écouter les mots pour entendre la Parole, que nous rencontrons dans le silence.
Les mots de la Parole, de la Parole de Dieu, ne sont pas simplement des informations, des narrations ou des instructions, mais ils donnent la vraie vie et la nourrissent pour l’éternité.
L’important est notre adhésion à la foi qui a ses racines dans le cœur. Saint Paul écrit : « Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste » et il ajoute « c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut ». (Rom 10, 10). C’est à partir des racines du cœur que la profession de foi naît (voir saint Augustin, Comm. sur l’Evangile de Jean, Om. 26, 12) et c’est avec le cœur nourri par le vrai Pain qu’on s’enracine dans la communauté des saints, des gens qui habitent en Christ et où le Christ habite régulièrement.
Une communauté qui re-présente aujourd’hui la personne du Seigneur Jésus, qui vient enseigner à chaque homme comment écouter le Père, comment l’aimer, comment le vénérer en esprit et en vérité, comment la vie lui est pleinement donnée parce qu’il en fasse un instrument de son amour et de sa vérité (comme l’indique l’évangile « Ambrosien » d’aujourd’hui : Matthieu 10, 28-42) pour toujours. De l’Eglise et de l’Eucharistie, on peut dire : « O sacrement de piété, ou signe d’unité ou lien de charité. Qui veut vivre, a où vivre, a le lieu où dessiner la vie. Qu’il s’approche, qu’il croit, il sera incorporé, il sera vivifié » (St. Augustine, Comm. sur l’Evangile de Jean, Om. 26, 1). Dans sa Providence, non seulement Dieu nous soutient dans l’être, mais il nous donne jour après jour une force qui nous permet de rester dans son Amour, pour continuer sur le chemin de la vie.
Paul Claudel déclarait que « les grandes vérités ne sont communiquées qu’en silence », je me permets d’ajouter qu’elles sont prises en adoration et comprises en mangeant le Pain du Ciel.
L’attitude qui résume les paroles de Pierre est de se tenir devant le Saint Sacrement dans une adoration humble et silencieuse, en cultivant dans le cœur non pas le doute, mais le désir de ceux qui souhaitent la pleine communion avec lui.
L’Amen, que l’Église nous fait dire quand nous recevons la Communion, acquiert ainsi un sens profond, car elle répète la même profession de foi que Pierre : « Ce n’est pas sans raison que vous dites Amen tout en reconnaissant que vous prenez le corps du Christ ; quand vous vous présentez pour le recevoir, l’évêque vous dit : le corps du Christ ! Et vous répondez : Amen ! Cela veut dire : c’est vrai. Que ton âme garde ce que ta parole reconnaît » (S. Ambroise).
La Mère de Dieu qui a dit son fiat, son oui, nous obtienne l’humilité du cœur pour reconnaître le désir et la grandeur du Don divin qui nous a été donné dans le Pain de Vie.
Saint Pierre, lui aussi, avec la réponse sur laquelle nous méditons renouvelle son fiat, son oui au Christ. Comment pouvons-nous l’imiter ? En nous confiant complètement au Christ, en renouvelant, nous aussi, notre oui, avec la prière, l’adoration eucharistique, la communion. C’est pour la recevoir que nous disons : « Amen », c’est-à-dire « oui ».
Le problème fondamental est de ne pas abandonner l’œuvre entreprise parce que les paroles sont « rudes », mais c’est où il faut aller. A partir de cette question de Pierre, nous comprenons que la fidélité à Dieu est une question de fidélité à une personne, avec laquelle on s’engage à marcher ensemble sur le même chemin. Et cette personne est Jésus : tout ce que nous avons dans le monde ne satisfait pas notre faim de l’infini. Nous avons besoin de Jésus, pour être avec lui, pour nous nourrir à sa table, à ses paroles de vie éternelle » (Pape François) Croire au Christ, la Vérité incarnée, signifie en faire le centre de notre vie.
Un exemple particulier de la façon de placer le Christ au centre de la vie est donné par les Vierges consacrées dans le monde. Ces femmes ont compris que le Seigneur est la parole qui rend la vie vivante et avec leur vie consacrée, elles témoignent que le Christ est le cœur du monde.
Chaque jour, chacune d’entre elles dit au Christ : » Tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jn 6,68), pas tellement avec les mots, mais avec la vie de chacune, offerte à l’Époux. En fait, leur vie virginale se réfère au Christ, s’alimente de Sa Parole de vie et se nourrit de Son Pain qui ne périt pas.
Ces femmes montrent que le Christ a « des paroles de vie éternelle » non seulement parce qu’il guérit les âmes et les corps, mais parce que le Christ est le sens de l’humain, son étoile polaire, ils doivent professer la conscience fière que Christ est le nouvel homme. Son plan de vie est le chemin et la vérité de l’expérience humaine, car c’est la vie en sa plénitude. Et ils peuvent le dire en montrant d’abord en elles que cela les fait grandir, espérer et aimer. Si Christ est le médecin, c’est parce qu’il est le don du Père pour chaque homme et chaque femme. Si le Christ est la vérité, c’est parce qu’il s’affirme comme une vérité attirante pour le cœur de chacun. Si Christ est la voie, c’est parce qu’il nous a donné l’Esprit d’amour qui nous conduit au cœur de Dieu. Si le Christ est tout cela, alors c’est la vie, oui : la vie bonne et pleine. En bref, elles sont témoins de la « parole de vie » du Christ qui donne la vie, la paix et la joie : elles se sont donnés à l’Amour et reçoivent l’amour à répandre dans la vie quotidienne.
Nous pouvons faire de même, devant l’Eucharistie du dimanche, devant ce geste qui apparaît parfois dur et loin. La tentation de suspendre la pratique en attendant de mieux la comprendre indique une perspective illusoire : en effet, ce n’est qu’en pratiquant le sacrement que nous pouvons en approfondir la signification. Ce n’est qu’en écoutant le Christ et en nous confiant à lui, qu’il se confie à nous dans la communion, et nous comprendrons que seul le Seigneur a des paroles qui rendent la vie vivante.
Lecture patristique
saint Cyrille d’Alexandrie (370 – 444)
Commentaire sur l’évangile de Jean, 4, 4
PG 73, 613 617
A qui donc irions-nous? demande Pierre. Il veut dire: « Qui nous instruira comme toi des divins mystères? » ou encore: « Auprès de qui trouverions-nous quelque chose de meilleur? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68). Elles ne sont pas dures, comme le disent ces autres disciples. Au contraire, elles conduisent à la réalité la plus extraordinaire de toutes, la vie éternelle qui est sans fin, vie exempte de toute corruption.
Ces paroles nous montrent bien que nous devons nous asseoir aux pieds du Christ, le prenant pour notre seul et unique maître, et nous tenir constamment près de lui sans nous laisser distraire. Il doit devenir pour nous le guide parfaitement capable de nous conduire à la vie qui n’aura pas de fin. De cette manière, en effet, nous monterons jusqu’à la divine demeure du ciel et nous entrerons dans l’Église des premiers-nés, pour faire nos délices des biens que l’esprit humain ne peut comprendre.
De soi, il est évident que la volonté de suivre le Christ seul et de lui être toujours uni, est chose bonne et salutaire. Néanmoins, l’Ancien Testament va aussi nous l’apprendre. De fait, au temps où les Israélites, affranchis de l’oppression égyptienne, se hâtaient vers la terre promise, Dieu ne les laissait pas faire route en désordre, et le législateur ne leur permettait pas d’aller n’importe où, à leur gré; sans guide, en effet, ils se seraient à coup sûr complètement égarés. <>
Remarque comment ils reçoivent l’ordre de suivre, de se mettre en marche au moment où la nuée prend son départ, de faire encore halte avec elle, puis de prendre du repos avec elle. Vraiment, en ce temps-là, les Israélites trouvaient leur salut en restant avec leur guide. Aujourd’hui, nous faisons également le nôtre en refusant de nous séparer du Christ. Car c’est lui qui s’est manifesté aux anciens sous les apparences de la tente, de la nuée et du feu. <>
Les Israélites devaient exécuter les ordres: il leur était défendu de se mettre en route de leur propre initiative. Ils devaient s’arrêter avec la nuée, par égard pour elle. Cela devait encore servir d’exemple, afin que vous compreniez cette parole du Christ: Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur (Jn 12,26). C’est en marchant toujours avec lui que le disciple donne la preuve qu’il est fidèle à le suivre et assidu à se tenir près de lui.
Or, la marche en compagnie et à la suite du Christ Sauveur ne s’entend nullement dans un sens matériel, mais s’effectue plutôt par le moyen des oeuvres qu’engendre la vertu. Les disciples les plus sages s’y sont fermement engagés de tout leur coeur. Ils ont refusé de se retirer avec ceux qui manquaient de foi et couraient à leur perte.
Ils s’écrient à bon droit: Où irions-nous? En d’autres termes: « Nous serons toujours avec toi, nous nous attacherons à tes commandements, nous accueillerons tes paroles, sans jamais récriminer. Nous ne croirons pas, avec les ignorants, que ton enseignement est dur à entendre. Nous ferons plutôt nôtre cette pensée: Qu’elle est douce à mon palais, ta promesse: le miel a moins de saveur dans ma bouche! » (Ps 118,103).
Mgr Francesco Follo 13/12/2017 @Oss_romano
Tout ce que nous avons dans le monde ne satisfait pas notre faim de l'infini, par Mgr Follo
Lectures du dimanche 26 août 2018