Depuis le matin de Pâques, « l’histoire n’est plus la même. Ce matin-là, l’histoire a changé ». C’est ce qu’affirme le pape François devant plus de 70 000 jeunes Italiens, qu’il a invités à ne pas se tenir « à l’écart des lieux de souffrance, d’échec et de mort ». « Dieu nous a donné un pouvoir plus grand que toutes les injustices et les fragilités de l’histoire, plus grand que notre péché : Jésus a vaincu la mort en donnant sa vie pour nous », a-t-il dit.
Le pape François a rencontré les jeunes issus de presque 200 diocèses italiens, au Cirque Maxime, ce samedi soir 11 avril 2018. Après un dialogue avec les jeunes, suivi d’un temps de prière, de chants et de témoignage, le pape leur a adressé un discours. Il a commenté le passage de l’Évangile de Jean (20,1-8) qui donne le récit du matin de la résurrection de Jésus telle que l’ont expérimentée les apôtres Jean et Pierre.
Cette rencontre était organisée par la Conférence épiscopale italienne, en préparation de la XVème Assemblée générale ordinaire du synode des évêques qui se tiendra à Rome du 2 au 28 octobre 2018, sur le thème : « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ».
Le pape a aussi exhorté les jeunes à « risquer un saut en avant, un bond audacieux et téméraire pour rêver et réaliser comme Jésus le Règne de Dieu » et s’engager « pour une humanité plus fraternelle ». Il les a encouragés, à l’instar de Jean au tombeau, à « courir plus vite que ceux, dans l’Église, qui sont un peu lents et craintifs ». « Que l’Esprit-Saint vous pousse dans cette course en avant. L’Église a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi », a-t-il insisté.
Voici notre traduction du discours du pape François.
HG
Discours du pape François
Chers jeunes,
Merci pour cette rencontre de prière, en vue du prochain synode des évêques.
Je vous remercie aussi parce que ce rendez-vous a été précédé par le rassemblement de tous les chemins sur lesquels vous vous êtes faits pèlerins, avec vos évêques et vos prêtres, parcourant les routes et les sentiers d’Italie, parmi les trésors de culture et de foi que vos pères ont laissés en héritage. Vous avez traversé les lieux où vivent et travaillent les gens, riches de vitalité et marqués par les fatigues, dans les villes comme dans les villages et les bourgs perdus. J’espère que vous avez respiré à fond les joies et les difficultés, la vie et la foi du peuple italien.
Dans le passage de l’Évangile que nous avons écouté (cf. Jn 20,1-8), Jean nous raconte ce matin inimaginable qui a changé à jamais l’histoire de l’humanité. Imaginons-nous ce matin : aux premières lueurs de l’aube du jour après le samedi, ils se mettent tous à courir autour de la tombe de Jésus. Marie de Magdala court avertir les disciples ; Pierre et Jean courent au tombeau… Tout le monde court, ils sentent qu’il est urgent de se bouger : il n’y a pas de temps à perdre, il faut se dépêcher… Comme l’avait fait Marie – vous vous souvenez ? – dès qu’elle eut conçu Jésus, pour aller aider Élisabeth.
Nous avons bien des raisons de courir, souvent simplement parce qu’il y a tellement à faire et que le temps ne suffit jamais. Parfois, nous nous dépêchons parce que quelque chose de nouveau, de beau, d’intéressant nous attire. Parfois, au contraire, on court pour échapper à une menace, à un danger…
Les disciples de Jésus courent parce qu’ils ont reçu la nouvelle que le corps de Jésus avait disparu de la tombe. Les cœurs de Marie de Magdala, de Simon-Pierre et de Jean sont pleins d’amour et battent la chamade après le détachement qui semblait définitif. Peut-être que se rallume en eux l’espérance de revoir le visage du Seigneur ! Comme ce premier jour lorsqu’il avait promis : « Venez et voyez » (Jn 1,39). C’est Jean qui court le plus vite, certainement parce qu’il est plus jeune, mais aussi parce qu’il n’a pas cessé d’espérer après avoir vu de ses yeux Jésus mourir en croix ; et aussi parce qu’il a été proche de Marie et, pour cette raison, il a été « contaminé » par sa foi. Quand nous sentons que notre foi diminue ou est tiède, allons à elle, Marie, et elle nous enseignera, elle nous comprendra, elle nous fera ressentir la foi.
Depuis ce matin-là, chers jeunes, l’histoire n’est plus la même. Ce matin-là, l’histoire a changé. L’heure à laquelle la mort semblait triompher, se révèle en réalité l’heure de son échec. Ce lourd bloc de pierre mis devant le tombeau n’a même pas pu résister. Et depuis l’aube de ce premier jour après le samedi, tous les lieux où la vie est opprimée, partout où dominent la violence, la guerre, la misère, là où l’homme est humilié et piétiné, dans ce lieu-là une espérance de vie peut encore se rallumer.
Chers amis, vous vous êtes mis en marche et vous êtes venus à ce rendez-vous. Et maintenant ma joie est d’entendre que vos cœurs battent d’amour pour Jésus, comme celui de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean. Et puisque vous êtes jeunes, comme Pierre, je suis heureux de vous voir courir plus vite, tel Jean, poussés par l’élan de votre cœur, sensibles à la voix de l’Esprit qui anime vos rêves. C’est pourquoi je vous dis : ne vous contentez pas du pas prudent de celui qui rejoint le bout de la queue. Ne vous contentez pas du pas prudent de celui qui rejoint le bout de la queue. Il faut le courage de risquer un saut en avant, un bond audacieux et téméraire pour rêver et réaliser comme Jésus le Règne de Dieu et vous engager pour une humanité plus fraternelle. Nous avons besoin de fraternité : risquez, avancez !
Je serai heureux de vous voir courir plus vite que ceux, dans l’Église qui sont un peu lents et craintifs, attirés par ce Visage tant aimé que nous adorons dans la sainte Eucharistie et que nous reconnaissons dans la chair de notre frère souffrant. Que l’Esprit-Saint vous pousse dans cette course en avant. L’Église a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi. Nous en avons besoin ! Et quand vous arriverez là où nous ne sommes pas encore arrivés, ayez la patience de nous attendre, comme Jean a attendu Pierre devant le tombeau vide. Et autre chose : en marchant ensemble, ces jours-ci, vous avez expérimenté combien cela demande d’effort d’accueillir le frère ou la sœur qui est à côté de moi, mais aussi la joie que peut me donner sa présence si je la reçois dans ma vie sans préjugés ni fermetures. Marcher seul permet d’être détaché de tout, peut-être plus rapide, mais marcher ensemble nous fait devenir un peuple, le peuple de Dieu. Le peuple de Dieu qui nous donne la sécurité, la sécurité d’appartenir au peuple de Dieu… Et avec le peuple de Dieu, tu te sens sûr, dans le peuple de Dieu, dans ton appartenance au peuple de Dieu tu as une identité. Un proverbe africain dit : « Si tu veux aller vite, cours tout seul. Si tu veux aller loin, va avec quelqu’un ».
L’Évangile dit que Pierre est entré le premier dans le tombeau et qu’il a vu les linges par terre et le suaire roulé dans un lieu à part. Puis est aussi entré l’autre disciple qui – dit l’Évangile – « vit et crut » (v.8). Ces deux verbes ensemble sont très importants : voir et croire. Dans tout l’Évangile de Jean, on raconte que les disciples, voyant les signes que Jésus accomplissait, crurent en lui. Voir et croire. De quels signes s’agit-il ? De l’eau transformée en vin pour les noces ; de quelques malades guéris ; d’un aveugle-né qui acquiert la vue ; d’une grande foule rassasiée avec cinq pains et deux poissons ; de la résurrection de l’ami Lazare, mort depuis quatre jours. Dans tous ces signes, Jésus révèle le visage invisible de Dieu.
Ce n’est pas la représentation de la sublime perfection divine qui transparaît des signes de Jésus mais le récit de la fragilité humaine qui rencontre la grâce qui relève. Il y a l’humanité blessée qui est guérie par la rencontre avec lui ; il y a l’homme tombé qui trouve une main tendue à laquelle s’agripper ; il y a le désarroi des échecs qui découvrent une espérance de rachat. Et lorsque Jean entre dans le tombeau de Jésus, il porte dans ses yeux et dans son cœur ces signes accomplis par Jésus s’immergeant dans le drame humain pour le relever. Jésus-Christ, chers jeunes, n’est pas un héro exempt de la mort, mais celui qui la transforme par le don de sa vie. Et ce drap plié avec soin dit qu’il n’en aura plus besoin : la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
Chers jeunes, est-il possible de rencontrer la vie dans les lieux où règne la mort ? Oui, c’est possible. On aurait envie de répondre non, qu’il vaut mieux se tenir à l’écart, s’éloigner. Et pourtant, c’est là la nouveauté révolutionnaire de l’Évangile : le tombeau vide du Christ devient le dernier signe où resplendit la victoire définitive de la vie. Et alors, n’ayons pas peur ! Ne restons pas à l’écart des lieux de souffrance, d’échec et de mort. Dieu nous a donné un pouvoir plus grand que toutes les injustices et les fragilités de l’histoire, plus grand que notre péché : Jésus a vaincu la mort en donnant sa vie pour nous. Et il nous envoie annoncer à nos frères qu’il est ressuscité, qu’il est le Seigneur et il nous donne son Esprit pour semer avec lui le Royaume de Dieu. Ce matin du dimanche de Pâques, l’histoire a changé : gardons courage !
Combien de tombeaux – pour ainsi dire – attendent aujourd’hui notre visite ! Combien de personnes blessées, y compris des jeunes – ont scellé leur souffrance « en mettant une pierre dessus », comme on dit. Avec la force de l’Esprit et la Parole de Jésus, nous pouvons déplacer ces blocs de pierre et faire entrer des rayons de lumière dans ces recoins de ténèbres.
Le chemin pour venir à Rome a été beau et fatiguant ; pensez-y, quelle fatigue, mais quelle beauté ! Mais le chemin de retour chez vous, dans vos villages, dans vos communautés sera aussi beau et exigeant. Parcourez-le avec la confiance et l’énergie de Jean, le « disciple bienaimé ». Oui, le secret est entièrement là, dans le fait d’être et de savoir que l’on est « aimé(e) » par lui, Jésus, le Seigneur, il nous aime ! Et que chacun de nous, en rentrant à la maison, mette ceci dans son cœur et dans son esprit : Jésus, le Seigneur, m’aime. Je suis aimé. Sentir la tendresse de Jésus qui m’aime. Parcourir avec courage et avec joie le chemin de retour à la maison, parcourez-le avec la conscience que vous êtes aimés de Jésus. Alors, avec cet amour, la vie devient une bonne course, sans anxiété, sans peur, ce mot qui nous détruit. Sans anxiété et sans peur. Une course vers Jésus et vers ses frères, le cœur plein d’amour, de foi et de joie. Partez comme cela !
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat