« La naissance qui prépare la Naissance »: sous ce titre, Mgr Francesco Follo commente les lectures de la messe de dimanche prochain (XIIème dimanche du Temps ordinaire – Année B ), qui est aussi, ce 24 juin 2018, la Solennité de la Nativité de Saint Jean Baptiste.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, invite « à imiter Saint Jean Baptiste et être la voix du Christ aujourd’hui ».
Comme lecture patristique, Mgr follo propose une homélie de Saint Augustin d’Hippone (354 – 430) pour la Nativité de Jean Baptiste.
La naissance qui prépare la Naissance.
1. La naissance de Jean: le précurseur, le prophète, le martyr, le « baptiseur ».
Aujourd’hui, 24 juin, peu de jours après le solstice d’été, l’Église célèbre avec solennité la naissance de Saint Jean Baptiste. Dans six mois, peu de jours après le solstice d’hiver, la liturgie nous fera célébrer avec encore plus de solennité, la naissance du Sauveur. Le 25 décembre, les journées commencent à s’allonger et le 24 juin, les journées commencent à diminuer.
En parlant de Jésus, Jean dit: « Il faut qu’il grandisse, et que moi, je diminue » (Jn 3, 30). La logique veut que les lampes soient éteintes quand le soleil brille, elles ne sont plus nécessaires pour voir les personnes et les choses. En tout cas, même si Saint Jean n’est pas la lumière, il est « la lampe qu’on allume et qui brille » (Jn 5, 35) pour rendre témoignage à la lumière.
Au delà du fait astronomique, il y a aussi un parallélisme évident entre la fête de la Naissance du Christ et celle de la naissance de Saint Jean, le précurseur. Son père Zacharie, s’adresse à lui, tout nouveau-né, et lui dit: « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut car tu marcheras devant le Seigneur » (Lc 1, 76). Ainsi est venu au monde « le plus grand parmi ceux qui sont né d’une femme…plus qu’un prophète » (Lc 7, 26.28).
Saint Jean est donc non seulement le précurseur mais aussi un prophète particulier. Les prophètes en effet, avant lui, ont parlé du Christ en annonçant sa venue. Jean, lui, l’a indiqué comme présent parmi nous en disant: » Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Il est le dernier des prophètes par ordre chronologique mais le plus grand et le plus proche du Sauveur. Il a aussi été le premier témoin du Christ et il a donné sa vie pour Lui. On peut donc et on doit même l’appeler martyr.
Ce prophète et martyr a reçu le nom de « Jean » qui indique sa mission: « Dieu fait miséricorde ». En effet, en hébreux, Jean signifie « Dieu est miséricordieux ». Ainsi, déjà dans son nom, s’exprime le fait que le nouveau-né, un jour, annoncera le plan de salut de Dieu.
A ce nom de « Jean » est presque toujours associé « le Baptiste », parce que ce Saint qui a indiqué au monde la miséricorde incarnée, a prêché et a accordé « le baptême de conversion » dans le Jourdain et il y a baptisé le Christ lui-même. En faisant cela, il a permis au Christ de révéler deux aspects de son mystère: l’humilité et la charité: l’humble Dieu de miséricorde et le Fils, l’Aimé, l’Oint du Seigneur.
2. Dieu de miséricorde.
Comme je l’ai déjà mentionné, le passage de l’Évangile d’aujourd’hui parle du nom qui est donné au nouveau-né: Jean. Mais il est aussi important d’écouter ce que nous disent la première lecture et le psaume responsorial de la fête d’aujourd’hui.
La première lecture, extraite du livre d’Isaïe, dit: « J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main; il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois ». Le psaume responsorial revient sur ce concept de Dieu qui nous connaît depuis le sein maternel: « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère… Tes yeux m’ont vu encore informe »(Ps 138).
Communément, on a une idée très réductrice et très juridique de la personne, qui génère beaucoup de confusion dans le débat sur l’avortement. Il semblerait qu’un enfant ne puisse acquérir la dignité de personne qu’à partir du moment où celle-ci lui est reconnue par les autorités humaines. Dans la Bible, la personne est celle qui est connue de Dieu, celle que Dieu appelle par son nom; et Dieu, nous en avons l’assurance, nous connaît depuis le sein maternel, ses yeux nous voyaient alors que nous étions « encore informes » dans le sein de notre mère. La science nous dit qu’il y a en devenir dans l’embryon tout l’homme futur, projeté dans les moindres détails; la foi ajoute qu’il ne s’agit pas seulement d’un projet inconscient de la nature mais d’un projet d’amour du Créateur.
La figure de Jean est vraiment une figure particulière. Et le nom qu’il reçoit indique une démarche du Dieu de miséricorde, l’abaissement de Dieu, le rayonnement de Dieu sur son peuple. Jean est l’homme que la providentielle Miséricorde a choisi pour préparer l’entrée de l’Éternel dans l’histoire.
Il faut ensuite rappeler que Jean n’est pas le « baptiseur », le martyr, le prophète et le précurseur de Jésus seulement en ce qui concerne sa naissance, sa mission et sa mort. Il est aussi l’ami de l’époux et, une fois l’épouse présentée à l’époux et la fête des noces organisée, il disparaît de la scène de ce monde. Il ne faut pas oublier que Jean le Baptiste dit de lui-même: « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert: « Aplanissez le chemin du Seigneur » comme l’a dit le prophète Isaïe » (Jn 1, 23).
Si je devais donner une définition de Jean le Baptiste, je ne ferais que répéter ce que j’ai à peine écrit. Mais si je voulais donner un sens plus large à la question « Qui est le Baptiste? », je dirais que le « baptiseur » est chacun de nous. Étant devenus fils de Dieu par le Baptême, non par notre volonté mais par celle du Très-Haut, nous sommes appelés à être fidèle à la parole donnée par nos parents, en nous engageant à vivre vraiment en fils de Dieu, en ressuscités, obéissant ainsi à la volonté du Père, qui ne nous demande rien au delà de nos forces mais qui est à nos cotés pour nous défendre.
Nous devenons comme le Baptiste lorsque nous sommes obéissants à la volonté de Dieu, lorsque nous nous venons en aide les uns aux autres, lorsque nous nous faisons tout petits pour que le Christ puisse se faire grand dans le cœur de tous ceux que nous rencontrons.
La vie de chaque être humain est l’accomplissement d’un dessein de Dieu. Comme la naissance du Baptiste fut annoncée à l’avance, chaque naissance est aussi annoncée à l’avance. Dieu a un dessein sur chacun de nous. Comme il dit: « Je t’ai gravé sur les paumes de mes mains » (Is 49, 16).
Dans le sein de ma mère, tu as prononcé mon nom, bien avant que je naisse, tu me connaissais déjà. (Id) et le psaume 138 dit: Tu m’as tissé dans le ventre de ma mère c’est à dire que tu es plus ma mère que ma propre mère. A tes yeux, je suis un prodige parce que tu me vois avec les yeux d’une mère.
Comprendre que notre naissance est l’accomplissement d’un dessein d’amour signifie quelque chose de bien précis: notre vie vient de l’amour, l’amour est sa source et de cette source dépend aussi ce qu’est notre vie. Si la source de notre vie est le venin, la mort, la haine, le rien ou bien je ne sais quoi, notre vie sera ou l’un ou l’autre ou bien je ne sais quoi. Si au contraire, à son origine, il y a ce dessein d’amour qui m’a pensé, qui a pris soin de moi, qui m’a tissé: « Tous mes jours étaient comptés avant même qu’aucun d’eux existât. Il sont tous inscrits sur ton livre et non seulement les jours mais aussi toutes mes larmes que tu recueilles dans un vase. » alors ma vie devient amour.
Rien n’est perdu de l’être humain: tout est vu et prévu, tout est aimé et accueilli, tout est pardonné par Dieu.
Envisager la naissance ainsi signifie voir la personne d’une façon différente. Chaque naissance est un aspect de la tendresse de Dieu qui s’étend sur toute la création et est source de joie. Cette joie s’éprouve non seulement devant une naissance naturelle mais aussi et surtout devant une naissance spirituelle. De cette fécondité spirituelle, les vierges consacrées sont des témoins particuliers.
Benoît XVI enseigne: « Aujourd’hui aussi l’Église tire un grand bénéfice de l’exercice de la maternité spirituelle de nombreuses femmes, consacrées …, qui nourrissent dans les âmes la pensée pour Dieu, qui renforcent la foi des personnes et qui orientent la vie chrétienne vers des sommets toujours plus élevés ».
Et Saint Jean Paul II écrivait: « La virginité, au sens de l’Évangile, comporte le renoncement au mariage et donc également à la maternité physique. Cependant le renoncement à ce type de maternité, qui peut impliquer pour le cœur de la femme un grand sacrifice, ouvre à l’expérience d’une maternité dans un sens différent: c’est la maternité «selon l’esprit» (cf. Rm 8, 4). La virginité, en effet, ne prive pas la femme de ses caractéristiques propres. La maternité spirituelle revêt de multiples formes. Dans la vie des femmes consacrées, menée par exemple suivant le charisme et les règles des différents Instituts de caractère apostolique, elle pourra s’exprimer par la sollicitude pour les êtres humains, spécialement pour les plus démunis: les malades, les personnes handicapées, les abandonnés, les orphelins, les vieillards, les enfants, la jeunesse, les prisonniers et, d’une façon générale, les personnes marginalisées. Une femme consacrée retrouve ainsi l’Époux, différent et unique en tous et en chacun, selon ses propres paroles: «Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits …, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). L’amour sponsal comporte toujours une disposition unique à être reporté sur ceux qui se trouvent dans le champ de son action. Dans le mariage, cette disposition, tout en étant ouverte à tous, consiste particulièrement dans l’amour que les parents donnent à leurs enfants. Dans la virginité, cette aptitude ouvre à tous les hommes, objets de l’amour du Christ-Époux. » (Mulieris dignitatem, 21)
Les vierges consacrées témoignent enfin que la virginité, comme vocation de la femme, est toujours la vocation d’une personne concrète et unique. La maternité spirituelle est donc profondément personnelle, c’est une maternité de grâce qui se laisse percevoir dans leur vocation. Avec leur oui, leur fiat, docile, généreux et fidèle au Christ, ces femmes « permettent » à Dieu de maintenir sa promesse d’amour fécond et sanctifiant.
NOTE
(1) A la place du XIIème dimanche du Temps Ordinaire – comme chaque année où le 24 juin tombe un dimanche – on célèbre cette année la fête de la Nativité de Saint Jean Baptiste. Il s’agit d’une fête très ancienne qui remonte au IVème siècle. Pourquoi la date du 24 juin ? En annonçant la naissance du Christ à Marie, l’ange dit qu’Élisabeth sa parente en est au sixième mois. Le Baptiste devait donc naître six mois avant Jésus et ainsi la chronologie est respectée. (Le 24 plutôt que le 25 juin parce que les anciens calculaient non en jours mais en Calendes, Ides et Nones.)
Lecture patristique
Saint Augustin d’Hippone (354 – 430)
Homélie pour la Nativité de Jean Baptiste
L’Église considère la naissance de Jean comme particulièrement sacrée : on ne trouve aucun des saints qui nous ont précédés dont nous célébrions solennellement la naissance. Nous ne célébrons que celle de Jean et celle du Christ. Ce ne peut être sans motif ; et si peut-être nous n’y voyons pas très clair en raison de la noblesse d’un tel mystère, nous le méditerons cependant de façon fructueuse et profonde.
Jean naît d’une vieille femme stérile ; le Christ naît d’une jeune fille vierge. ~ La naissance de Jean rencontre l’incrédulité, et son père devient muet ; Marie croit à celle du Christ, et elle le conçoit par la foi. ~ Nous vous avons proposé d’en chercher la raison, nous vous avons annonce que nous allions y réfléchir. Mais c’était un simple préambule, et si nous ne sommes pas capables de scruter les replis d’un si grand mystère, faute de capacité ou de temps, vous serez mieux instruits par celui qui parle en vous, même en notre absence, celui à qui vous pensez avec affection, celui que vous avez accueilli dans votre cœur, celui dont vous êtes devenus les temples. ~
Jean apparaît donc comme une frontière placée entre les deux testaments, l’ancien et le nouveau. Qu’il forme une sorte de frontière, le Seigneur lui-même l’atteste lorsqu’il dit : La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean. Il est donc un personnage de l’antiquité et le héraut de la nouveauté. Parce qu’il représente l’antiquité, il naît de deux vieillards ; parce qu’il représente la nouveauté, il se révèle prophète dans les entrailles de sa mère. En effet, avant sa naissance, lorsque Marie s’approcha, il bondit dans le sein de sa mère. Là déjà il était désigné pour sa mission, désigné avant d’être né. Il apparaît déjà comme le précurseur du Christ, avant que celui-ci puisse le voir. Ces choses-là sont divines et elles dépassent la capacité de la faiblesse humaine. Enfin a lieu sa naissance, il reçoit son nom, son père retrouve la parole. Il faut rattacher ces événements à leur symbolisme profond. ~
Zacharie se tait et perd la parole jusqu’à la naissance de Jean, précurseur du Seigneur, qui lui rend la parole. Que signifie le silence de Zacharie sinon que la prophétie a disparu, et qu’avant l’annonce du Christ, elle est comme cachée et close ? Elle s’ouvre à son avènement, elle devient claire pour l’arrivée de celui qui était prophétisé. La parole rendue à Zacharie à la naissance de Jean correspond au voile déchiré à la mort de Jésus sur la croix. Si Jean s’était annoncé lui-même, la bouche de Zacharie ne se serait pas rouverte. La parole lui est rendue à cause de la naissance de celui qui est la voix ; car on demandait à Jean qui annonçait déjà le Seigneur : Toi, qui es-tu ? Et il répondit : Je suis la voix qui crie dans le désert. La voix, c’est Jean, tandis que le Seigneur est la Parole : Au commencement était le Verbe. Jean, c’est la voix pour un temps ; le Christ, c’est le Verbe au commencement, c’est le Verbe éternel.
Mgr Francesco Follo au Vatican © Mgr Follo
La naissance qui prépare la Naissance, par Mgr Follo
Lectures pour la Nativité de S. Jean Baptiste